L’histoire de Twitch a été marquée par des streamers qui réinventent et développent leur setup de stream, à commencer par l’interface visible à l’écran. Couramment, il s’agit de la diffusion d’un jeu, d’un flux vidéo du ou de la streamer·euse, mais aussi plusieurs assets apportant des informations sur le contenu ou sur l’activité du stream.
Il existe autant de setups de stream qu’il y a de streamer·euses sur la plateforme. Pour autant, la lisibilité de ces interfaces dépend d’un sens commun aux utilisateur·trices de Twitch.
J’ai remarqué un certain nombre d’évolutions significatives. J’entends par là, des tendances qui se développent en réponse directe aux nouvelles pratiques. L’apparition progressive des caméras, du fond vert puis des décors est un excellent indicateur du fonctionnement de la plateforme, et plus globalement de l’évolution des pratiques dans l’histoire de Twitch.
De même, la réduction de l’espace voué au jeu à l’écran au profit de la caméra est intimement liée à l’apparition de la catégorie Just Chatting.
Je vous propose de revenir sur les dix dernières années d’évolution de setup de stream. Au départ minimalistes, ces interfaces sont aujourd’hui de complexes assortiments graphiques et matériels. Comment s’est constituée l’identité du streaming français ? Quel chemin a été parcouru pour obtenir les productions d’aujourd’hui ? La réponse vous attend dans les lignes qui suivent.
Avant l’histoire de Twitch
Le setup de stream au début des années 2010 est une notion inexistante. Pour la très grande majorité des contenus diffusés, il n’existe aucune trace d’interface hors celle du jeu diffusé par le·la streamer·euse. Il faut comprendre le contexte de cette période pour entrevoir la construction d’un modèle.
Au début des années 2010, seuls des joueur·euses diffusent du contenu sur Twitch. De plus, la grande majorité du contenu est compétitif. La place réservée aux jeux en solo reste alors marginale. La part belle est laissée au commentaire dans le feu de l’action, un exercice qui relève plus de l’animation radio que du streaming comme nous l’entendons aujourd’hui. Le principal héritage de cet époque, c’est le commentaire réalisé par des casteurs, une pratique explorée lors de notre échange avec Noi.
Pour autant, l’engouement est bien réel dans cette petite communauté de niche. Cela fait déjà 10 ans qu’en France, l’esport passionne. Des clubs et des sites dédiés comme *aAa* sont déjà bien implantés, mais l’apparition de structures s’intéressant au streaming ne se fait qu’en 2010.
À cette date, les premières structures comme Millenium ou O’Gaming investissent cet espace encore inoccupé en proposant du contenu axé sur l’esport. C’est au sein de ces structures, que se développent les premiers setup de stream. Parmi les différentes raisons possibles, deux d’entre elles me semblent propices à expliquer le phénomène.
Au début de l’histoire de Twitch, le far west
La première, la capacité du groupe à développer du contenu en collectivisant leurs compétences communes. C’est le cas chez O’gaming, qui profite à ce moment-là du savoir-faire de Eric « Noki » Pochez, fondateur et futur directeur artistique de la structure. Lors de notre entretien sur l’identité visuelle dans l’esport, il nous rappelait combien il était important de développer l’image d’un projet pour véhiculer des symboles et une identité propre.
La seconde raison est plus prosaïque. Elle découle du développement de la couverture réseau en France et de l’accessibilité aux structures web. En 2010, la fibre était quasi inexistante sur le territoire français, la grande majorité des foyers étant encore équipée en ADSL. L’instabilité du flux et sa faiblesse ne permettait pas une diffusion stable ou une réception fluide. Dans ce contexte, développer une interface détaillée et soignée avait un faible intérêt tant le rendu final était éloigné de la production originale.
Jusqu’en 2012, la question de la « co » reste un problème majeur pour le streaming et un frein au développement de la pratique. Aussi bien pour les streamers que pour le potentiel de viewers qui reste très limité. À l’époque, Youtube avec son système de vidéo est plus pertinent. Même avec une ADSL faiblarde, armé d’un peu de patience, il est possible de regarder le contenu sans trop d’accroc.
C’est principalement dans le cadre des structures que le streaming français comme nous l’entendons aujourd’hui émerge. Elles réunissent d’ailleurs la plupart des talents indépendants déjà présents sur les différentes plateformes. En proposant du matériel technique, un accès à une meilleure connexion et des locaux dédiés au stream, elles se démarquent et constituent les premières communautés du streaming.
L’ère des WEB TV, l’apparition du setup de stream
En 2012, l’histoire de Twitch est encore à ses balbutiements. Les principaux talents de l’époque comme ZeratoR, MisterMV, Ken Bogard streament au sein des différentes structures. C’est dans ce contexte que se développent les prémices du setup de stream.
Grâce aux nouveaux moyens techniques mis à disposition, les streamers dévoilent leur visage face caméra. Sans être un choc à l’époque, car sur Youtube, la pratique est déjà courante, il s’agit d’un pas en avant pour développer l’image des streamers.
De plus, les structures investissent dans la production, à l’image d’O’Gaming. En parallèle du streamer, des techniciens prennent en charge la gestion de la régie. L’arrivée d’acteurs dédiés à la technique permet de développer l’aspect du stream. Ajoutez à cela un fond dynamique, des éléments à l’écran, des statistiques de jeu et surtout, des transitions d’une scène à l’autre. La prestation du streamer devient alors de plus en plus centrale dans l’intérêt porté au streaming.
Ce setup de stream se développe quasi exclusivement sur fond vert pour permettre une meilleure intégration des éléments visuels. Dans de rares cas, principalement des indépendants, certains streamers allument une caméra sans fond vert, avec pour seul décor un mur vide.
Pour autant, cela reste une époque d’exploration, de tentatives parfois hasardeuses. Au lancement de la ZTV, ZeratoR préfère utiliser une bâche imprimée plutôt qu’un fond vert, faute de moyens techniques suffisants. C’est une période de l’histoire de Twitch où la caméra n’est pas obligatoire pour réussir à être identifié. Le plus connu en France reste Corobizar. Il finira néanmoins par allumer sa caméra en 2018, révélant un personnage masqué qui renforcera son image de streamer.
Le développement du streaming indépendant
En janvier 2015, ZeratoR annonce le lancement de sa chaîne Twitch, mettant fin à son contrat avec Eclypsia. Il est l’un des premiers à franchir le pas et tenter le streaming en indépendant. Les choses ont bien changées depuis 2010, des jalons ont été posés et faire carrière est possible.
Le départ en indépendant nécessite des adaptations, mais apporte aussi une plus grande liberté d’action. Le setup de stream est directement lié à l’identité de la chaîne et de son propriétaire. Une homogénéité qu’on retrouve dans les visuels, mais aussi dans la communauté qui vient pour le·la streamer·euse.
Les WEB TV voient de nombreux départs et des figures qui avaient été à l’origine de leur succès, comme MisterMV, prennent leur envol. Il est impossible de ne pas mentionner son travail sur la notion de setup de stream. Déjà chez Gaming Live, MisterMV était pionnier dans son appréhension du streaming.
Au départ, des clins d’œil taquins au reste du secteur, il développe toute une narration autour du setup de stream. En 2018, il démarre tous ces streams avec un setup reprenant des images libres de droits d’une qualité médiocre. Cependant, la minutie dans la préparation de ces farces fait tout le sel de ses interventions. Celui qui ne voulait pas interagir avec le chat a finalement ouvert la voie à toute une génération vers ce qui deviendra le just chatting.
Discussion par écran interposé
Le rôle de MisterMV est principalement d’avoir montré l’importance d’un setup de stream qui raconte autant, peut-être même plus que les mots ne le peuvent. Néanmoins, de nombreux autres streamers·euses vont investir le temps de discussion et en faire un élément central.
Une nouvelle génération de streamer·euses se réapproprie la plateforme ; parmi eux, se révèlent des figures désormais centrales, telles que Maghla, Ponce ou encore Trinity. Dans l’histoire de Twitch, 2018 est l’année marquant l’arrivée des Youtubeurs sur Twitch avec le retour sur le web d’Antoine Daniel, ou encore l’arrivée de Squeezie. Un mélange des codes et des approches du streaming qui renouvelle la plateforme.
De plus en plus, les scènes d’attente ne sont plus de simples éléments d’habillage. Le jeu devient de plus en plus un prétexte au stream. Désormais, il ne s’agit plus d’échanger sur un waiting screen, mais bien d’aborder parfois pendant des heures des sujets qui tiennent à cœur.
Le setup de stream évolue en conséquence. L’arrivée du chat sur l’écran de diffusion finit par se faire une place. Les viewers étant une part intégrante de l’échange, il est essentiel que tous les utilisateurs, même ceux en plein écran, profitent de ce contenu. La caméra occupe désormais une majeure partie de l’écran, souvent encadrée par un asset graphique créé spécialement pour la chaîne.
D’ailleurs, la caméra connaît un changement conséquent avec la disparition progressive du fond vert. Fini les problèmes de chromaKey, désormais, la célèbre KALLAX de chez IKEA domine dans tous les décors. Affublée des dernières Funko Pop à la mode et autres collections de manga, le décor ne se passe pas d’un véritable attirail de néon bleu et rose, encore aujourd’hui très majoritaire sur Twitch.
On commence même à évoquer des streams multi-caméra, proposant une réalisation dynamique. Paladin Amber, une streameuse australienne est l’une des premières à utiliser cette technique comme ressort comique ou dramatique suite à des remarques sexistes dans le chat. En France, Maghla reprend assez vite le phénomène. Depuis, l’usage d’une réalisation en multi caméra est devenue assez courante lors des sessions de just chatting ou pour les streams musicaux. Un atout non négligeable, car les streams de discussion ont tendance à être plus écoutés que regardés. La réalisation devient alors un outil pour capter toute l’attention des viewers. Des streamers américains comme TheSushiDragon ou MrGregles ont démontré toute la puissance d’une réalisation artistique devenue dans leur cas un des intérêts majeur de leur stream.
Diversification des contenus et des setup de stream
Dès 2018, de nouveaux challenges s’offrent aux streamers les plus aventureux. Équipés d’un sac à dos de streaming, ils partent filmer leurs épopées aux quatre coins du monde en utilisant une connexion en 4G désormais bien installée. L’occasion de sortir de la traditionnelle chambre de streaming et d’ouvrir de nouveaux horizons, une première dans l’histoire de Twitch.
Une ouverture sur le contenu, mais aussi sur la forme, avec un setup de stream toujours plus allégé. Une caméra en plein écran, quelques assets sur les bords de l’écran et surtout, la présence du chat en direct. Ici, le jeu vidéo a complètement disparu des radars, le format VLOG cher à Youtube est désormais bien installé sur Twitch.
Néanmoins, la pratique reste marginale. Coûteuse en équipement, il faut un certain capital matériel pour voyager au quatre coins du monde. Elle se concrétise aussi bien dans une recherche de la proximité au quotidien. Une sortie dans un café ou un restaurant du côté de Trinity, une démonstration de roller pour Modiie.
L’IRL, c’est aussi un format qui met en valeur les productions d’artistes. Musiciens et dessinateurs dévoilent les secrets de fabrication de leurs œuvres. Du côté des gourmands, c’est aussi une manière de réaliser avec sa communauté un plat qui sera partagé des deux côtés de la caméra, en préparant simultanément la recette.
Ce besoin d’extérieur, il se ressent aussi dans la construction de différents setup de stream après la crise du covid. De nombreux·ses streamers·euses ont intégré dans leurs décors très gaming des éléments végétaux et des lumières plus douces, moins industrielles. Un concept poussé à l’extrême avec les streams hot tub. Installer sa piscine gonflable devant son bureau de stream pour faire de l’ASMR, peu importe son opinion sur le sujet, nous en dit long sur l’incroyable évolution de la plateforme en quelques années.
Après la crise, l’ère du featuring
Depuis deux ans maintenant, la pratique du stream collectif est bien implantée. En 2018, l’arrivée des premiers Youtubers était vue d’un œil critique. Aujourd’hui, leur style s’exprime notamment au travers de featuring réguliers entre différents streamers et leur communauté.
À la même période, un événement comme le Zevent était considéré comme la grande messe annuelle du streaming français et à raison. Désormais, on retrouve bien plus régulièrement de grandes réunions de ce type, élargies à des groupes de streamers·euses.
Il est d’ailleurs rare de voir des streamers·euses populaires évoluer en dehors d’un collectif, même ponctuel. On peut penser au soirée du lundi organisée autour de ZeratoR ou Antoine Daniel, mais aussi à la KCorp qui draine tout un écosystème autour de Kameto et Prime.
Des setups de stream sont créés pour l’occasion et s’approchent bien plus du modèle inventé par la télévision. Des plateaux avec des caméras de coupe, des décors, des costumes, tout y est. Les exemples sont de plus en plus nombreux, la Totem Party organisée pour le lancement de la série éponyme par Amazon, le rendez-vous Touche pas à mon Mate ou encore le KCX2 a Bercy. Autant d’exemples dans l’histoire de Twitch qui nous montrent que la plateforme a dépassé ses ambitions initiales et s’impose comme un média avec lequel il faut compter.
Ce n’est pas sans y avoir laissé quelques plumes, car ces événements de masse ne sont évidemment pas toujours capables de tenir la promesse à l’origine de la plateforme : l’interactivité avec le public dans le chat. D’un autre côté, ils compensent largement par la mise en valeur de symboles fédérateurs et la mise en lumière de figures qui réunissent la communauté.
L’exercice peut même aller encore plus loin. Fibre Tigre et Gozulting se lancent toujours plus de défi dans l’émission Game of Roles en réduisant au strict minimum les supports habituels de jeu de rôle. Dans cette édition spéciale « Justice », les joueurs se passent des dés et des inventaires pour se concentrer sur l’enquête et l’exploration. Avec un décor de commissariat et très peu d’éléments supplémentaires, les streamers et le maître du jeu sont seul maîtres à bord pour créer le divertissement attendu par des milliers de personnes.
Passion setup
À l’échelle de l’histoire de Twitch, nous pouvons nous réjouir de voir l’évolution très positive du concept de setup de stream. D’abord issu des bidouillages des pionniers du live sur internet, il est désormais l’affaire de professionnels. Pas un·e streamer·euse ne lance une diffusion sans avoir reçu l’aide d’un graphiste pour créer son identité visuelle.
Au sein de la communauté des streamers·euses, certains se sont passionnés pour ces questions de setup de stream et sont des références en la matière. Damdamlive, déjà connue pour être une aficionados du cable management a réalisé sur demande de Kayane le setup de stream de la streameuse.
Une vidéo qui est loin d’être marginale. Presque tous·tes les streamers·euses proposent à leur communauté des vidéos pour découvrir l’envers du décor. Rien de réellement passionnant dans les faits, mais une mise en abîme supplémentaire rapprochant toujours plus la communauté du·de la créateur·trice.
Cependant, il ne faut pas voir dans les transformations de ces dernières années un horizon indépassable pour l’ensemble des utilisateurs de Twitch. Encore aujourd’hui, des streamers comme Antoine Daniel ou MisterMV utilisent des setup de stream sur fond vert sans qu’il soit perçu comme has-been. L’essentiel, c’est de réussir à marquer l’identité de sa chaîne et tous les moyens sont bons pour y parvenir.
Véritable objet de curiosité, le setup de stream raconte beaucoup de son époque. Aussi bien la précarité des débuts que l’ambition des lendemains. Désormais, une catégorie I’m Only Sleeping a vu le jour. Celle-ci permet de regarder son·sa streameur·euse favori·te préféré·e dans les bras de Morphée. Une expérience toujours accompagnée d’un setup de stream qui doit se réinventer pour magnifier l’instant, même le plus déroutant.