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Furax : faire de la pédagogie sur Twitch contre les violences sexistes et sexuelles

Par Lenaic Leroy

Furax, elles le sont, mais plus particulièrement lors du marathon caritatif du même nom les 25 et 26 février 2023. Les streameuses Nat’Ali et Joul sont à l’origine du projet Furax, un rendez-vous de divertissement et surtout de sensibilisation aux violences sexistes et sexuelles sur Twitch.

Je ne vous dévoile rien si vous connaissez un peu Twitch, la plateforme est un véritable vivier de talents dès qu’il s’agit de se surpasser pour cyberharceler des femmes. Depuis le début de l’histoire de Twitch, on retrouve chaque année une polémique différente dont le seul but est de diffamer des femmes, de les réduire à leur corps ou encore de les museler dès lors qu’elles s’expriment trop au goût des utilisateurs.

Il était temps que des initiatives voient le jour pour alimenter le débat. Celui-ci, souvent fait par voie interposée sur Twitter, ne permet pas d’être centré sur le streaming. Pourtant, le féminisme s’invite sur Twitch depuis plusieurs années avec d’autres marathons caritatifs comme BirdsofPrey ou encore EtTaCause. Aujourd’hui, Furax voit le jour. Durant ces deux jours, accompagnées d’invité·e·s, Joul et Nat’Ali lèveront des fonds pour l’association Elle’s Imagine’nt, en proposant un contenu de divertissement et pédagogique.

Une alliance des genres entre conférence militante et spectacle permanent que l’on connaît déjà sur le web, qui cherche à réconcilier les spectateurs avec le féminisme en faisant le premier pas. Une main tendue que je vous invite à saisir un peu avant l’heure en découvrant dans cet échange avec Joul et Nat’Ali les motivations de la création de Furax et ce qui nous attend lors de ces deux journées de marathon. 

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Salut Joul et Nat’Ali. Pour commencer, est-ce que vous pouvez présenter Furax ?

Joul : Furax c’est un événement caritatif sur deux jours dans lequel on recevra en majorité des streameuses. Certaines seront présentes sur les deux jours et d’autres seulement quelques heures. On a essayé de brasser un maximum de personnes pour avoir le plus de diversité possible dans les participantes.

Il est prévu de recevoir des invités du collectif Nous Toutes pour faire des formations. On va aussi recevoir Natoo pour une table ronde. Les profils sont différents et le but c’est de lever des fonds avec Nous Toutes pour l’association Elle’s Imagine’nt. L’association offre un accompagnement psychologique et juridique aux femmes victimes de violences sexistes et sexuelles.

Nat’Ali : L’objectif en deux jours, c’est vraiment de faire un live caritatif qui va réunir plein de streamers·euses et d’invités·es pour sensibiliser sur les violences faites aux femmes. On a prévu des tables rondes et des formations. Nous Toutes n’est pas une association mais bien un collectif féministe ! Elles ont fait beaucoup de formation pour les entreprises sur comment réagir face au sexisme, comment limiter le cyberharcèlement…

Les tables rondes et les formations durant l’événement permettront de faire de la prévention. De mon côté, j’ai contacté quelques invités pour parler de sujets importants. C’est impossible de passer à côté de la polémique qu’il y a avec Hogwarts Legacy, je veux que l’on puisse en parler avec des personnes trans afin d’expliquer pourquoi ce jeu fait du mal à la communauté trans.

Actuellement, il y a un procès qui est en cours contre un streamer. Il est accusé de tentative de meurtre, de séquestration et de viol sur différentes femmes. Certaines d’entre elles étaient issues de sa communauté. Ce genre d’affaire est complètement dans notre thème. J’aimerais beaucoup qu’une des victimes vienne nous en parler pour nous raconter son histoire et pour tout simplement que les gens soient au courant. Beaucoup de gens ne sont pas au courant alors qu’on a ce genre de prédateur sur Twitch.

L’événement est caritatif, mais il y a aussi une grande volonté d’en faire un rendez-vous pédagogique. Dans cette optique, on propose des formations et des tables rondes avec des meufs et des mecs. On essaye de brasser large entre guillemets parce que les violences faites aux femmes malheureusement c’est un débat très large.

Vous pouvez me raconter l’origine du projet ?

Joul : C’est parti du fait que j’ai subi un harcèlement très dur pendant plus d’un an de la part d’un mec. La police n’a rien fait du tout. Ce sont mes amis qui ont dû trouver son adresse et qui ont tout donné à la police qui a fini par l’arrêter au bout d’un an.

En septembre avait lieu le Zevent. Je me suis demandé pourquoi nous on n’a pas un truc comme ça juste pour les violences sexistes et sexuelles. C’était à la même période que Maghla avait fait son son thread pour parler de ce qu’elle subissait. Ça me saoulait de me dire que toutes les femmes subissent des violences sexistes et sexuelles. Pour les femmes en ligne, c’est encore pire.

Avec l’anonymat, les mecs se croient vraiment genre tout permis et peuvent faire tout ce qu’ils veulent. Je suis allée chez Nat’Ali dans cet état d’esprit. Je lui ai dit « il faut qu’on fasse quelque chose ! » C’est devenu Furax. Elle était tout de suite partante, c’était il n’y a pas si longtemps d’ailleurs. On en a parlé à Pomf pour savoir si Alt-Tab était partante pour nous suivre dans ce projet.

Nat’Ali : J’ajouterais que cet échange était juste après le thread de Maghla. Personnellement, ce qui a participé à me motiver, c’était de faire une association féministe qui aurait eu pour but d’aider les victimes d’influenceurs.

Ces personnes-là sont souvent les plus isolées et ces violences sont assez nouvelles et incomprises. Dans des cas de harcèlement, la plupart des gens ne savent pas comment réagir. Quand le harceleur est célèbre, on diminue encore le nombre de personnes capable de réagir face à la situation. J’aurais bien aimé faire une association qui se spécialise là-dessus. D’ailleurs, le projet est toujours dans un coin de ma tête. En attendant de pouvoir faire ça, un événement caritatif pour les femmes, ce serait incroyable.

Le thread de Maghla a ouvert la parole à plein de femmes. J’ai vu beaucoup d’hommes réagir en mode « waouh c’est trop violent c’est vraiment horrible je pensais pas que c’était ça« . Pourtant, certains des hommes en question ont soit déjà participé au cyberharcèlement d’une femme, soit n’ont juste jamais ouvert les yeux. C’est impossible d’arriver en 2022 et de dire « je ne savais pas que c’était aussi violent », ça fait des années qu’on en parle.

J’en avais un peu marre de voir autant d’hommes tomber des nues. Je pense que le parallèle est à faire entre l’absence de politisation sur Twitch et ce type de comportement. Aujourd’hui, dire que l’on appartient à un quelconque bord politique ou vouloir faire du militantisme, c’est encore mal vu. Jean Massiet banalise l’approche politique tout comme Usul, mais globalement, c’est encore assez mal vu de parler politique sur Twitch ou d’avoir des opinions politiques. Pour la plupart des spectateurs, les femmes, c’est un sujet politique. Le féminisme c’est un sujet politique. Il ne faut surtout pas en parler.

En 2021, le Zevent est à l’origine du cyberharcèlement d’Ultia qui continue encore aujourd’hui à subir ce harcèlement (NDLR: depuis Ultia a décidé de porter plainte). C’est l’absence de politisation, de règles définies et la volonté des organisateurs d’inviter absolument tout le monde, même des mecs avec des communautés misogynes qui fait qu’on arrive au cyberharcèlement d’Ultia.

Face à cette inaction, je me suis dit qu’on allait faire un événement qui revendique de faire de l’éducation et de la politique. S’il y a bien un truc que nous a prouvé toute l’actualité de ces derniers mois c’est qu’on en a désespérément besoin.

Ce contexte, on peut le faire remonter 9 ans en arrière avec le Gamergate.

Nat’Ali : Exactement et c’est pour ça qu’après le Gamergate, ce n’est pas possible de dire « Oh là là je savais pas ».

Joul : Il y a aussi le fait que les viewers de certains streamers sont très jeunes et n’ont juste jamais entendu parler du Gamergate.

Nat’Ali : Bien sûr, mais les streamers n’ont pas cette excuse. C’est souvent eux qui donnent le pire exemple à leur jeune communauté, c’est vraiment un serpent qui se mord la queue.

Le jeu vidéo a une longue histoire de pratique misogyne. Cela paraît assez peu surprenant que les joueurs et par extension les streamers soient eux aussi capables de transmettre un discours misogyne.

Joul : Je ne suis pas totalement d’accord avec le fait que le streaming ou le gaming soit des milieux qui soient plus misogynes que d’autres. C’est juste des milieux où les hommes sont plus vocaux donc c’est eux qu’on entend le plus. Je ne pense pas que cela veuille dire que les viewers ou les streamers soient plus misogynes que dans la vie de tous les jours. Le monde est misogyne, eux, on les entend juste plus.

Je me demande si ce n’est pas aussi dû au fait qu’ils ont tellement eu l’habitude d’être entre eux. Ils sont tellement persuadés que les femmes n’existent pas sur internet qu’ils se lâchent encore plus qu’ailleurs. Ils se permettent encore plus de choses sous couvert du pseudonymat qui les fait se sentir puissants. Insulter une femme derrière un pseudo Twitch ou derrière un pseudo dans un jeu vidéo c’est 1000000 fois plus facile que d’aller l’insulter dans la rue. Encore aujourd’hui, beaucoup trop se permettent des libertés par rapport à ça.

Nat’Ali : Le milieu du jeu vidéo est considéré plus misogyne mais c’est parce que il y a aussi un aspect lié à l’histoire du jeu vidéo. Quand tu regardes les publicités du jeu vidéo, c’est vrai que beaucoup ont été vraiment orientées pour les hommes. 

Joul : On parle du marketing genré dès les années 90 alors que dans les années 80 c’était pas encore un truc spécialement genré. 

Nat’Ali : À cause de ce marketing, il y a eu un développement favorable à une certaine fange qui s’est peu à peu sentie tout permis et qui a fait un terreau un peu plus fertile qu’ailleurs pour assumer des idées misogynes. 

Ils ne sont pas plus misogynes qu’ailleurs mais c’est beaucoup plus facile à assumer pour certains. C’est même un critère de distinction : être un mâle Alpha, rager, balancer son clavier, insulter des meufs. 

Joul : Ces comportements ne tiendraient pas au boulot par exemple et ils le savent. Pour moi, c’est plus un problème de libération du mauvais comportement en voulant se faire accepter en bande.

Nat’Ali : C’est une véritable culture de groupe, on le voit sur des forums, le harcèlement des femmes est un critère important. Dès que l’on prend l’un d’entre eux la main dans le sac, tout de suite, ils se défendent en expliquant que c’est pour faire comme le reste de la bande qu’ils ont ce genre de comportement.

C’est difficile de déconstruire avec une plateforme ou aucune femme n’atteint le top 100 des streamers·euses. 

Joul : Quand tu as de l’entre soi, forcément tu as déjà des comportements stéréotypés qui sont exacerbés. Le fait de ne pas avoir de visibilité de femmes, montrer que les femmes existent simplement, cela ne permet pas de changer les choses. 

Nat’Ali : A sa création, Twitch était très misogyne au niveau de son staff. Lorsque des femmes contactaient les membres du staff Twitch dans des cas de harcèlement, certains développeurs se moquaient ouvertement de leur plainte. 

C’est aussi pour cette raison que Twitch n’a pas pris de mesure pendant des années et ont laissé les femmes livrées à elles-mêmes face au cyberharcèlement. Eux-mêmes, ils n’en n’avaient rien à faire parce que la culture chez eux était déjà désastreuse. 

Parce qu’on a été dans une ambiance d’entre soi, dans laquelle les femmes étaient désespérées et n’avaient aucune aide de la part de Twitch, elles ont fini par partir. Ça a fait une espèce de prophétie autoréalisatrice où les femmes étaient absentes de la plateforme. Ça fait depuis deux ou trois ans que Twitch prend enfin conscience que si les femmes et les personnes LGBT quittent la plateforme, ils vont perdre de l’argent. C’est uniquement pour ça qu’ils commencent à se bouger. Twitch n’a jamais eu pour objectif de protéger les femmes, cela ne leur apportait pas d’argent, au contraire. Pour eux, c’est juste une dépense inutile. 

On ne s’intéresse qu’aux hommes parce que c’est eux qui font les plus gros chiffres. Cela alimente ce climat où des hommes continuent de mettre d’autres hommes en avant. Les rares femmes présentes se retrouvent face à des difficultés gigantesques et on ne les aide pas.

J’aimerais revenir avec vous sur le choix du nom, Furax. C’est aussi un logo qui ne laisse pas de place au doute.

Joul : On a parlé de plusieurs noms et on voulait que ce soit un truc un peu vénère. Pour le logo, la batte de baseball je crois que ça a été le premier draft et c’était évident. L’idée venait de notre graphiste et elle nous a plu immédiatement. Je n’avais même pas remarqué que cela formait un F, autant dire que c’est vraiment parfait.

Nat’Ali : Par rapport au nom Furax, on avait plein de propositions et j’avais fait cette proposition. Les furies, c’est une image que j’aime bien. Dans la mythologie grecque, je crois que ça s’appelait les érinyes. Des femmes démoniaques qui poursuivent et tuent les hommes qui ont été coupables de crimes envers leur famille. Les furies, c’est précisément des meufs dont le but est la vengeance contre les hommes qui ont commis des horreurs sur des femmes ou sur des innocents.

L’histoire du mot colle beaucoup trop bien avec la réalité que l’on connaît. On est furax, ça dénote le ras-le-bol après 10 ans à subir et devoir prouver toutes ces violences. 

furax logo

Joul : Le nom est un peu vénère mais comme on le disait l’événement sera pédagogique. C’est marquant, cela tape à l’œil, comme la batte de baseball. Pourtant, le mot en lui-même est assez marrant. 

Nat’Ali : On traite les femmes d’hystériques, mais on le revendique, on est vénère. Pourtant, on a décidé de renverser le stigmate en invitant des mecs et en faisant appelle à de la pédagogie.

Produire un événement comme Furax, cela demande des forces vives et des moyens ? 

Joul : Grâce à notre travail avec Alt-Tab qui est une boîte de production professionnelle, les choses se sont faites assez simplement pour nous. La plupart des personnes qui se sont greffées au projet sont des connaissances à nous et elles apportent leurs compétences bénévolement, tout comme nous. C’est comme ça qu’on a reçu de l’aide pour la communication, les relations presse. Les contacts ont été très importants.

Nat’Ali : Je pense quand même qu’on a eu vraiment beaucoup de chance d’être entourée de gens qui savent déjà faire. Être avec Alt-Tab nous a permis d’être très rapidement en relation avec les bonnes personnes. De toute évidence, le projet parle à beaucoup de gens parce qu’on a vraiment reçu beaucoup d’aides depuis le début.

Joul : En plus de ça, a aussi beaucoup de demandes de gens qui veulent faire du bénévolat pour Furax, elles sont toutes les bienvenues.

L’intervention d’Alt-Tab, c’est un coût dans l’organisation ?

Joul : Ça fait partie des prix dans la levée de fonds, car il va falloir payer Alt-Tab. Sans rentrer dans les détails, il faut que leur personnel soit payé. Les locaux qui nous seront loués se retrouvent un moment ou un autre dans notre financement.

Nat’Ali : C’est pour ça qu’on cherche des sponsors parce que ce n’est pas Alt-Tab qui va tout prendre en charge. Ils nous ont aidés à définir un budget, on a dit ce qu’on espérait avoir dans l’événement afin de voir ensemble ce qui était possible, ce qui ne l’était pas. Ensuite, on a coupé du budget tout ce qu’on ne pouvait pas faire et on est arrivé à un montant qu’on savait qu’il nous fallait. Ensuite, c’est à nous de trouver les sponsors. 

On ne peut pas juste demander de faire du bénévolat bien évidemment, il faut les payer. Qu’elles soient prestataires ou bénévoles, le but c’est que ce soit aussi juste que possible pour toutes les personnes.

Durant l’événement, on retrouvera des streams individuels, mais aussi un espace centralisé de table ronde ou d’animation en collectif ?

Nat’Ali : Une chaîne Twitch dédiée a été créée et on s’est mise d’accord que ce sera en ligne pendant tout l’événement. À côté de ça, on a tous les streamers·euses qui sont nos invités à qui nous n’avons donné aucune directive. Ils font absolument ce qu’ils veulent durant Furax. S’ils veulent faire du divertissement, on a aucun souci avec ça et s’ils veulent faire autre chose, on est ouvertes aux propositions. 

L’idée, c’est que le public puisse avoir accès aux contenus qu’il veut. Si une table ronde sur un sujet est très dure et qu’ils préfèrent voir du contenu un peu plus léger, il y aura des streamers·euses à côté qui proposeront autre chose. Des streamers·euses pourront aussi décider de stream les tables rondes en direct pour en parler avec leur communauté. Il y aura un équilibre entre les formations pédagogiques, les tables rondes et le divertissement tout au long de l’événement.

Joul : Sans doute que des streamers·euses ne seront pas à l’aise avec le fait de parler de violence sexiste et sexuelle, pour autant, on ne voulait pas se priver de leur venue et des potentiels revenus que peut apporter leur communauté. 

Nat’Ali : On ne doit pas tous s’investir à 300% dans l’événement. Certains peuvent être des alliés silencieux et participer à l’événement c’est très bien. À l’inverse, ça ne veut pas dire qu’on doit tous être capable d’animer une table ronde féministe.

Joul : Je pense que ce serait même lourd à regarder s’il n’y avait vraiment que des sujets sur les violences sexuelles alors que là il y a vraiment des trucs fun, on va pouvoir naviguer entre des tables rondes et une partie de Mario Kart dans un même rendez-vous. 

Comment se sont faits les choix d’invités pour animer Furax ? 

Joul :  On a pas vraiment eu de streamers·euses qui voulaient participer d’eux-même.

Nat’Ali : C’était généralement des potes, car les gens qui veulent participer à un événement comme Furax, on les connaît ainsi que leur engagement.

Joul : On a fait un choix de streamers·euses que l’on connaissait et qu’on savait safe pour un événement pareil. Personne n’est jamais 100 % safe. Sans rechercher à tout prix des personnes engagées, on veut qu’elles soient au moins des alliés. 

Pour soutenir Furax, il sera possible de faire des dons, est-ce que l’on parle aussi d’une boutique ? 

Nat’Ali : Faire du merch implique des coûts et une gestion légale qui n’est pas à notre portée aujourd’hui.

Joul : Sans oublier que l’événement n’a été mis en place que durant les quelques mois qui viennent de s’écouler. C’était difficile d’envisager autant de préparation en aussi peu de temps, mais pour une deuxième édition pourquoi pas.

Je note, pour la batte Furax on attendra 2024 alors.

Nat’Ali : Je ne suis pas sûre que légalement, la batte soit envisageable, mais déjà les T-shirt, les pins, on doit pouvoir négocier pour l’année prochaine. On va voir si les gens sont motivés. Toutes les ambitions que l’on peut avoir pour la suite sont définies par cette première édition. Pour le moment, on vise petit, mais bien fait, pour donner envie par la suite.

Depuis l’annonce du projet en décembre dernier, quel accueil avez-vous reçu du secteur ou de la presse ?

Joul : C’est toujours compliqué pour un premier événement, néanmoins tous les retours que l’on a reçus était très positifs de la part de streamers ou la presse. Plusieurs journalistes sont prêts à couvrir l’événement sans que ce soit la débandade médiatique. On doit pouvoir montrer ce que sera Furax d’abord.

Est-ce que vous ne craignez pas de ne pas réussir à atteindre le public cible extérieur à votre communauté ? 

Joul : Nat’Ali comme moi, nous faisons beaucoup de militantisme sur nos chaînes Twitch et nous touchons déjà nos communautés. Je pense que ce qui est réellement important ici, c’est de réussir à faire de l’éducation directement auprès des streamers. Une personne qui a une grosse communauté, être capable de lui transmettre ces informations, c’est la meilleure manière de toucher un maximum de personnes. Cependant, il faut déjà qu’ils aient la volonté de faire cette démarche. 

Nat’Ali : C’est pour ça aussi qu’on a essayé de brasser large dans le profil de nos invités. Je pense à Natoo qui n’est pas spécialement tout le temps dans le militantisme. Elle a une grosse communauté et ce sera toujours potentiellement l’occasion d’éduquer au moins quelques personnes.

Nat'Ali et Joul, les organisatrices à l'origine de Furax

Nat’Ali et Joul, les organisatrices à l’origine de Furax. Crédit : Antoine Duchamp

Là, on va être confronté au fait que la majorité des viewers seront des gens qui nous apprécient déjà. Je ne me fais pas d’illusions sur la question. Je vois un peu plus loin qu’un maximum de viewer à atteindre. Ces derniers mois, j’ai eu l’occasion  d’être en contact avec le ministre du numérique et la ministre déléguée à l’égalité femmes-hommes. Mon but à la fin de l’événement, c’est de pouvoir leur adresser toutes les tables rondes réalisées durant l’événement.

Il y a un aspect un peu plus grand que juste faire un maximum de viewers pour essayer de toucher des gens. En faisant appel à la presse, on ne touchera pas forcément les même personnes. Si les tables rondes, les formations peuvent être reprises par des entreprises du jeu vidéo pour éviter qu’il y ait des saloperies qui se passent chez eux, ce serait une victoire pour moi.  

Au-delà de l’événement en lui-même, le travail mené par des community manager, par des entreprises peut être très important dans la réussite de Furax afin de toucher un maximum de gens.

Dépasser sa communauté, mais aussi mettre sur une carte l’importance des violences sexistes et sexuelles.  

Joul : Furax ce n’est pas que de la sensibilisation et de l’éducation. C’est aussi de la levée de fond pour une association qui va agir concrètement face aux violences sexistes et sexuelles. 

C’était d’ailleurs mon point suivant, est-ce que l’on peut revenir sur les actions de l’association Elle’s Imagine’nt ?

Joul : Elle’s Imagine’nt est une association qui met à disposition des victimes de violences sexistes et sexuelles des psychologues, des juristes et des avocates, qui accompagnent les femmes victimes de violence.

On a d’accord contacté le collectif Nous Toutes pour connaître un maximum d’associations qui agissent dans le secteur. On voulait vraiment que ce soit une association qui aide juridiquement. C’était le problème que j’avais rencontré lors de mon dépôt de plainte, je n’avais pas du tout été accompagnée par la police. Il faut un avocat et un avocat ça coûte très cher. On voulait une association qui accompagne juridiquement les femmes qui n’ont pas forcément les moyens de payer un avocat.

Le choix de l’association était quelque chose de difficile ? 

Joul : Ça n’a vraiment pas été un problème pour nous car elles étaient très claires sur leurs missions et leur fonctionnement. C’était exactement ce qu’on souhaitait et surtout on a été très vite en contact qui se passe très bien. Elles font partie de l’organisation, on les tient au courant de tout ce qui va se passer et des deux côtés nous sommes très heureuses de ce choix.

L’association a une sensibilité particulière aux violences en ligne ?

Joul : Aujourd’hui, toutes les personnes formées aux violences sexistes et sexuelles sont formées à la gestion du cyberharcèlement. Pour autant, ce n’est pas leur principal secteur d’action.

Nat’Ali : Quand on avait fait notre première réunion, tout ce qui touchait à internet et au streaming, elles connaissaient sans plus. Ce n’est pas grave car nous sommes là aussi pour faire le lien et cela ne pose aucun souci. Nous recevrons d’autres intervenants durant l’événement qui sont eux beaucoup plus spécialisés sur les violences en ligne comme Game Impact

On discute avec des membres du STJV. On les retrouve dans la rue mais leur principal champ d’action est en ligne. Le but est de retrouver un maximum d’approches différentes et c’est pour ça qu’on voulait aider une association de terrain. On a l’assurance qu’elles maîtrisent leur sujet dans l’accompagnement des victimes du point de vue juridique ou psychologique.

Vous recevez aussi le collectif Nous Toutes lors de l’événement, comment s’est fait le lien ? 

Nat’Ali : J’ai l’impression d’avoir toujours connu le collectif depuis sa création. Elles organisent des manifestations et des rencontres importantes, en novembre elles organisent la marche contre les violences faites aux femmes. On retrouve Caroline de Haas, une féministe connue du public parmi les fondatrices du collectif.

J’ai toujours beaucoup aimé leurs actions, leurs revendications. C’était un grand oui pour moi de pouvoir les compter parmi nous lors de l’événement. 

Joul : C’est vraiment important d’être entouré de personnes en accord avec les convictions qu’on veut partager et cela permet de recevoir des personnes trans lors de l’événement sur certaines de nos tables rondes. 

Nat’Ali : J’aime beaucoup le fait que le collectif touche à tout, elles organisent des manifestations, elles font des collages, elles font des formations, elles donnent plein de ressources différentes quand tu vas sur leur site, elles touchent vraiment à plein de domaines en termes de féminisme. Ça me semblait vraiment être la meilleure entrée et c’est elles qui avaient les contacts des associations. C’était une évidence de se tourner vers elles, elles ont plein d’outils et elles gagnent vraiment à être connues.

Vous avez également plusieurs sponsors sur l’événement. Présenter un projet comme Furax avec une dimension politique, cela peut rendre la tâche difficile ?

Joul :  C’est difficile, mais pour les droits des femmes c’est probablement moins difficile que pour d’autres sujets, car il peut y avoir un effet de Pink washing pour certaines entreprises.  Dire que tu vas sponsoriser un événement qui aide les victimes de violences sexistes et sexuelles, cela ne politise pas énormément une marque. 

Nat’Ali : Déjà sur le féminisme, un sujet qui reste plutôt simple d’accès, on a reçu des doutes et des refus liés au nom de l’événement qui pouvait paraître trop agressif. Heureusement ces réponses étaient rares, mais elles existent. 

Joul : On a eu des demandes concernant la présence d’hommes durant l’événement. On a dû défendre l’aspect pédagogique du projet pour être convaincantes. Notre but c’était quand même d’avoir plus de femmes que d’hommes. Quand on voit le Zevent qui reste le plus gros événement caritatif sur la plateforme, il n’y a que des mecs et seulement quelques meufs. On voulait changer ça. 

Vous avez déjà plusieurs sponsors sur l’événement, quel est leur investissement dans la production de Furax ? 

Nat’Ali : Ça dépend vraiment des sponsors. Par exemple, Omen et Maxnomic nous apportent un appui matériel et nous permettent de faire l’événement. Sans être un apport financier direct, c’est quelque chose de moins à payer pour l’organisation. 

Vous cherchez encore d’autres sponsors qui viendront apporter des moyens supplémentaires à l’événement ? 

Joul : Exactement. Aujourd’hui on cherche toujours de nouveaux sponsors. Certains coûts ne sont pas forcément visibles pour les viewers. Je pense au catering, il va falloir nourrir les personnes qui participent à l’événement. On paie aussi les chambres d’hôtel et le train à ceux qui viennent de loin, le taxi pour ceux qui vont avoir besoin de rentrer chez eux à Paris.

C’est quelque chose d’important et il n’est pas trop tard pour trouver de nouveaux sponsors pour soutenir Furax. 

Accompagnée par Ebibi, Prunette et Nayru, Joul et Nat'Ali et tous leurs invités vous donnent rendez-vous les 25 et 26 février Furax. Crédit : Antoine Duchamp

Accompagnées par Ebibi, Prunette et Nayru, Joul et Nat’Ali et tous leurs invité·e·s vous donnent rendez-vous les 25 et 26 février pour la première édition de Furax. Crédit : Antoine Duchamp

Du côté des pouvoirs politiques, avez-vous eu un quelconque suivi ces derniers mois des différentes affaires ? Une aide financière pour supporter Furax ? 

Nat’Ali : Après le thread de Maghla, le ministre délégué au numérique Jean-Noël Barrot avait organisé une table ronde avec des streameuses concernées à laquelle j’avais été invitée. En dehors de ce temps d’échange, l’attention à notre égard était purement symbolique. Il n’y avait aucun moyen de débloquer des fonds pour apporter une réponse. 

Joul : On a essayé de voir pour une subvention de leur part, mais nous n’avons pas reçu de réponse. Alors que l’on accepte des sponsors dès 500 €, c’était difficile pour l’Etat français de refuser de répondre négativement à un événement qui fait leur travail pour ce genre de somme. 

Il y a quelques semaines, l’initiative Place de la Paix était lancée par Billy et d’autres streamers. Vous avez des nouvelles du projet ? 

Joul : Non plus non. Je ne crache pas sur le projet. Je pense que ça aurait été un peu mieux s’ils avaient vraiment fait appel à des militantes féministes pour les aider. Ils ne sont pas engagés eux même et ne savent pas forcément comment faire. Je ne tire pas sur l’ambulance, mais ce n’était pas compliqué de chercher des personnes concernées et capables. 

Nat’Ali : Personnellement, j’ai aucun souci à être critique sur Place de la Paix. C’est un très bel effet, mais concrètement ce genre d’initiative, tant qu’elle viendra pas directement de Twitch, cela reste un aveu d’échec.

L’incapacité de la plateforme a faire sa propre modération en renvoyant la responsabilité sur les streamers·euses est validée par une démarche qui va dans ce sens. Sans oublier que c’est encore un travail bénévole. Il n’y a  aucune formation et sans critère spécifique à respecter en dehors du bon vouloir de la personne. 

L’outil reste super opaque. Rien n’empêche que demain des préférences se mettent en place. Ils n’ont aucun compte à rendre à personne, déjà que Twitch qui est une énorme boîte ne le fait pas. Il n’y a aucune garantie que les personnes dans le projet soient au courant de la transphobie ou du sexisme. C’est plus un outil placebo pour les streamers·euses armé·es de bonnes intentions.

Il faut en avoir, mais si ce n’est pas bien réalisé, cela deviendra contreproductif. On nous renverra la balle parce qu’on ne sait pas se satisfaire de ce qui est à disposition. Pour moi, ce n’est pas aux streamers·euses de faire ce travail. C’est une urgence et Twitch peuvent être tenus responsables de leur inaction.

J’ai aussi peur que ce genre de démarche relève plus du Pinkwashing de la part de streamers que d’une véritable volonté de changer la donne. C’est trop facile de passer de l’autre côté de la barrière parce qu’on s’est abonné à Place de la Paix plutôt que de changer ses habitudes et de prendre ses responsabilités. 

Est-ce qu’on peut espérer changer ce cadre avec un événement comme Furax ?

Nat’Ali :  Non, car aujourd’hui au sein même de Twitch France, les violences sont encore présentes. On ne peut pas compter sur une organisation qui ne protège pas ses propres employées et maintient à des postes des personnes accusées de violences sexistes et sexuelles. Tant que cette histoire n’est pas réglée, je n’ai absolument aucun espoir en Twitch pour faire quoi que ce soit en dehors de la langue de bois. 

J’espère vraiment que le gouvernement va se saisir des affaires. Ça me semble compromis mais c’est mon souhait le plus cher. Ils savent très bien qu’ils pourraient faire mieux, mais ils savent aussi très bien qu’ils n’ont aucun intérêt à le faire.

Une des réponses de Furax, c’est de faire un événement intersectionnel ? 

Joul : Oui et non. C’est une volonté qui n’est pas directe de notre part. Cet événement est intersectionnel parce qu’il est à l’image de nos opinions. Il n’existera qu’avec des femmes racisées, des personnes trans et pas autrement.

Nat’Ali : On ne peut pas prétendre être un événement féministe si on ne propose pas quelque chose d’intersectionnel. Si le féminisme n’apporte aucune réponse aux femmes noires et aux femmes trans, cela n’a aucun sens. 

Comment est-ce que vous envisagez les retombées possibles de Furax ? 

Joul : C’est plutôt un petit événement, il n’y a pas de grosses prétention avec la première édition de Furax. S’il y a des retombées, c’est génial ! De là à les estimer, c’est une autre question. 

Nat’Ali : Personnellement, si on arrive à produire du contenu gratuit, réutilisable ensuite par des streamers·euses, des entreprises ou par le gouvernement, c’est trop bien. J’aimerais pouvoir étendre le projet d’ici l’année prochaine. Pouvoir proposer en partenariat avec des associations des formations et des conférences qui soient capables d’approfondir les enjeux du cyberharcèlement. Pourquoi pas imaginer un guide Comment ne pas être un cyberharceleur qui pourrait être donné à tous les streamers.

La barre est si basse et la plupart des streamers, influenceurs sont si jeunes. Ils se retrouvent là sans trop savoir comment et ils n’ont aucune idée de comment gérer leur célébrité. Trop souvent, ils n’ont aucune idée des répercussions que peuvent avoir leurs actes. J’aimerais pouvoir apporter des éléments pour que cela change avant qu’il ne soit trop tard. 

Merci à vous deux et bon courage pour la dernière ligne droite avant le lancement de Furax. 

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Furax intervient dans un contexte où oui, nous avons besoin d’évoquer les violences sexistes et sexuelles en ligne. Les cas de cyberharcèlements sont devenus monnaie courante. Pire, ils participent quotidiennement à l’expérience vécue par les femmes dès lors qu’elles existent sur le web.

Twitch est un espace ou l’absence de modération par la plateforme met en danger les streameuses et les spectatrices. Chaque chaîne propose des solutions, mais lorsque le navire prend l’eau, il faut un peu plus qu’un seul bout de sparadrap pour le remettre à flot.

Le contexte actuel me permet de rappeler à tout un chacun que nous avons individuellement une responsabilité morale en avalisant activement ou passivement des pratiques sexistes. Nos choix personnels impliquent des conséquences pour le reste de la société. En consommant, nous faisons des choix politiques forts.

Je ne peux que vous inviter à regarder Furax les 25 et 26 février, à voir ou à revoir en replay les différentes tables rondes qui seront tenues au cours de l’événement pour vous éduquer aux problématiques insidieuses des violences sexistes et sexuelles.

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