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Une histoire de la grève dans l’esport

Par Tony Rubio
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Historiquement, la grève a été et reste aujourd’hui un formidable outil de contestation. De l’arrêt simple du travail aux blocages des outils de productions, elle implique bien souvent un rapport de forces entre celles et ceux qui produisent des richesses (les travailleur·euses) et celles et ceux qui possèdent les moyens de production (les employeurs).

Le Trésor de la Langue Française définit la grève comme une “cessation collective, volontaire et concertée du travail (généralement avec préavis et pour une durée déterminée) par des salariés qui cherchent ainsi à contraindre leur employeur à satisfaire leurs revendications professionnelles”.

Souvent, les grèves se font à l’initiative de syndicats. Faute d’en avoir pour l’instant dans le secteur esportif, ce sont principalement les joueurs et joueuses professionnelles qui décident, seul·es ou en équipe, de faire grève dans l’esport.

A l’heure où j’écris ces lignes, il y a eu très peu de grèves dans l’esport. Mais il y en a eu ! Une preuve supplémentaire – comme s’il en fallait – que l’esport est politique.

Premier souvenir de grève dans l’esport

Il faudrait faire un travail consciencieux d’historien ou d’archiviste pour retrouver la première occurrence de grève dans l’esport. Toutes les compétitions n’ont pas été médiatisées et peut-être qu’il y a 20 ans, dans une LAN paumée, sur Quake, une équipe a décidé de faire grève pour une raison qui lui appartient.

En France, mon premier souvenir d’une grève dans le milieu esportif revient aux streamers de Millenium, en 2016.

A l’époque, Rémy « Llewellys » Chanson est licencié par Webedia pour des raisons qu’on ignore. En réaction, les streamers de la Web TV d’Hearthstone, Torlk et Bestmarmotte en fer de lance, décident de faire grève. Une manière de contester la décision de l’entreprise et d’apporter un soutien à Llewellys. Une façon aussi de court-circuiter les profits générés par la webtv en stoppant les lives. D’une certaine manière, les streamers ont profité de leur popularité pour rallier les viewers à leur cause, contre Webedia.

Une cessation d’activité qui entraînera le départ effectif de Llewellys et de plusieurs streamers de la Web TV Hearthstone. Torlk, Odemian, Vinz, Bestmarmotte, Maverick et Pavel.

Ils relanceront ensemble ArmaTeam, qui sera pendant un temps l’une des plus belles réussites Hearhtstonienne en termes de chiffres et d’engagement de communautés. Quelques années plus tard, nouvelle scission entre « la direction » composée de Llewellys et Torlk, et les autres. Elle donnera vie à la webtv Solary HS, encore active aujourd’hui.

Evidemment, le secteur de l’esport a beaucoup évolué depuis cette première grève historique de streamers. A l’international, plusieurs joueurs et équipes ont décidé, sans se concerter, de faire grève ou de boycotter certains événements.

On vous propose un petit florilège des fois où les joueurs professionnels ont usé de leur pouvoir pour faire valoir leurs droits.

La scène CS:GO professionnelle entame une grève historique

En 2020, pour la première fois dans l’histoire de CS:GO, des joueurs professionnels ont entamé une grève. Courte (deux heures), mais lourde de sens pour l’industrie esportive.

Juste avant le top départ des quarts de finale des BLAST Premier Fall de 2020, les joueurs ont décidé de faire grève. Ils remettaient en cause l’utilisation des webcam et des enregistrements audios par l’organisateur du tournoi, qui s’en servait après certains rounds pour mieux rendre compte de la stratégie et du stress en plein match. Cette initiative a de l’intérêt pour les spectateurs, qui voient les coulisses des matchs, mais aussi pour les casters et les analystes qui peuvent en déduire de futurs comportements ou stratégies.

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Critiquant l’utilisation de leurs conversations in-game par BLAST, l’organisateur du tournoi, les joueurs ont décidé de ne pas jouer leur match. Le syndicat de la CSPPA avait à l’époque publié un communiqué appuyant les demandes des joueurs.

Une initiative qui n’avait pas plu aux clubs, qui leur ont emboîté le pas en publiant leur propre communiqué. Ils y précisaient que que tout avait déjà été réglé avec l’organisateur du tournoi. Preuve que dans le monde merveilleux de l’esport, clubs, joueurs, promoteurs et éditeurs sont parfois loin d’être sur la même longueur d’ondes.

Les tenants et aboutissants de cette grève ont été très bien analysés par nos confrères de Vakarm et Level 256.

Menaces de grève contre NEOM et le LEC

Toujours en 2020, le LEC (la ligue compétitive européenne de League of Legends) et BLAST ont annoncé de concert leur partenariat avec NEOM, le projet de ville futuriste en Arabie Saoudite.

Entre les arrestations de militantes féministes et de journalistes, les expulsions des tribus Howeïtat pour construire NEOM, la répression qu’elle exerce sur les personnes LGBTQIA+ ainsi que les purges d’opposants politiques, l’Arabie Saoudite est loin d’être un exemple de vertu pour les droits humains.

A l’époque, la communauté de League of Legends critique ouvertement ce partenariat. Dans la foulée, les équipes de broadcast, casters, analystes, host du LEC témoignent directement sur Twitter de leur colère. Froskurinn avouera d’ailleurs, dans un tweet désormais supprimé, que toutes les personnes faisant partie du brodcast avaient refusé de travailler tant que le partenariat n’était pas annulé. Une déclaration sous-entendue de grève lors des prochains live.

Avant même de mettre leur plan en exécution, les personnes en charge des partenariats du LEC feront finalement marche arrière. Alberto Guerrero, le directeur en charge de l’esport en EMEA, s’excusera en début de live dès le lendemain.

Bras de fer sur Overwatch

Deux ans plus tard, c’est sur Overwatch que certaines équipes ont décidé de faire usage de leur droit de grève.

Persuadés de jouer un BO7 en finale du winner bracket des Summer Series Tournament Overwatch, 01 Esports et Munich Esports ont vu leur match s’arrêter à la fin du cinquième match (3-2 à l’avantage de Munich Esports). Les admins, qui avaient spécifié aux joueurs que les matchs se jouaient en BO7, se sont rendus compte de leur erreur et ont donné la victoire à Munich Esports, considérant un 3-0 (l’équipe avait remporté les trois premières maps).

01 Esports et Ex Oblivione, les deux équipes qui devaient s’affronter en loser bracket suite à la victoire de Munich, ont toutes les deux refuser de jouer leur match. Ex Oblivione a publié un communiqué acerbe sur Twitter, appelant Blizzard à régler la situation, sans quoi la compétition ne reprendrait pas.

Finalement, l’éditeur décidera de faire poursuivre le match Munich Esports x 01 Esports là où il s’était arrêté (3-2). La compétition couronnera Munich Esports (4-3) en grande finale contre 01 Esports.

Cette grève a été très bien documentée par notre consoeur de MGG, dont vous pouvez retrouver l’article ici.

De futures grèves dans l’esport ?

Nul doute qu’il y aura dans les prochaines années de nouvelles grèves dans l’esport. Qu’elles soient courtes (quelques heures) ou qu’elle s’écoulent sur plusieurs jours, les grèves sont le reflet des rapports de force qui existent dans le milieu. On ne le répétera jamais assez, mais les intérêts des éditeurs, des promoteurs, des clubs et des joueurs et joueuses ne sont pas les mêmes. Il sera très intéressant de voir comment ces différents rapports de force vont évoluer dans les prochaines années.

Cela posera aussi la question de l’unification des joueurs au sein d’un syndicat esportif légitime. Certaines initiatives comme la CSPPA existent déjà, mais sont loin de faire l’unanimité, à l’instar d’un France Esports aujourd’hui. Cela fera partie de l’histoire de l’esport que l’on contera dans 10 ans au coin du feu. Je serais curieux de voir comment les premières générations de joueurs vont se positionner vis-à-vis des droits des joueurs professionnels, une fois qu’ils ne seront plus contraints par leurs contrats avec les clubs. On pourrait imaginer qu’ils engagent un bras de fer sérieux avec les éditeurs et les clubs.

En dehors des grèves, les joueurs et les joueuses ont à leur disposition d’autres outils de désobéissance et de contestation. Impossible de ne pas citer cette fois où le joueur d’Hearthstone Ng Wai “Blitzchung” Chung avait pris position en faveur des manifestations à Hong Kong, lors d’une interview donnée aux Hearthstone Grandmasters en 2019. Le tout en portant le masque iconique des manifestant·es hongkongais. Un acte politique qui lui avait valu une exclusion du tournoi, tout en devenant une figure respectée pour la communauté de joueurs.

Cet événement a même fait l’objet d’un article scientifique, qui s’est intéressé à l’activisme des fans au sein des communautés de joueurs de jeux vidéo.

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