Malgré les différents rapports produits sur l’industrie Esport, ainsi que des taux de croissance en constante augmentation, il n’est pas rare d’entendre que nous évoluons encore dans un marché de niche. Dès que nous sortons du marché asiatique, l’audience se fait plus restreinte, alors même que l’Esport connaît une médiatisation toujours plus importante.
Cela étant, nous pouvons voir de plus en plus d’acteurs non endémiques rejoindre cet écosystème. Ces investisseurs à part entière sont particulièrement nombreux sur certaines scènes, à commencer par Fortnite. Pour prendre un exemple éloquent à ce sujet, Epic Games a tout de même noué un partenariat avec la célèbre marque Marvel Studios. Il y a quelques semaines, cette même marque a également annoncé un tout nouveau contrat de sponsoring avec la structure américaine Team Liquid.
Encore dans ses jeunes années, l’industrie Esport attire ainsi des acteurs majeurs de la pop culture – une dynamique qui s’étendra sans nul doute à d’autres milieux populaires par la suite, après un temps d’adaptation indispensable. Cette précocité, associée à des mécanismes de fonctionnement nouveaux, engendre fatalement une autre conséquence : la difficulté de trouver un business model viable.
De fait, certains acteurs de ce marché, comme les clubs Esports, ne disposent pas de sources de revenus suffisamment développées, quand ce n’est pas tout simplement par leur absence qu’elles brillent. Issu pour l’essentiel du sponsoring, le chiffre d’affaires des équipes Esports permet rarement de couvrir les frais de gestion de ces dernières. Pour illustrer cette problématique, un article publié sur le site Kotaku revient entre autres sur cette problématique importante. D’après les propos de Jurre Pannekeet, un analyste NewZoo et collaborateur de 14 clubs Esports, près de 90% de ses clients opéreraient actuellement à perte.
Un écosystème trop instable pour des projets à long terme ?
Toutefois, il ne faut pas dresser un bilan trop alarmiste. Des investisseurs sont bel et bien présents pour soutenir la majorité des acteurs principaux qui composent une industrie encore verte et en pleine expansion. Avec l’implantation de modèles viables, il y a fort à parier que l’Esport donnera des fruits tout à fait respectables à plus ou moins long terme. Une évolution qui passera très certainement par le développement de sources de revenus déjà présentes mais pour l’instant encore minimes (merchandising, systèmes de revenus sharing, droits média, revenus Twitch/Youtube, services de consulting), ainsi que par la croissance de leur apport principal : le sponsoring. Ainsi, des marques non endémiques viendront sans doute encore renforcer ce développement, de par l’intérêt que suscitent les interactions entre les millenials (cœur de cible privilégié) et les acteurs publics de l’écosystème Esport.
Pour autant, malgré des chiffres encourageants, il se pourrait que certaines études entre consommateurs et figures médiatiques soient à tempérer, notamment dans le cadre des clubs Esports. En 2017, Nielsen a ainsi publié un rapport (Player Book Esport 2017) qui souligne le fait que la communauté Esport s’attache plus facilement aux joueurs et influenceurs qu’aux équipes Esports. Dans l’industrie du sport, on parle de « brand equity » pour évoquer ce pouvoir d’attractivité que possèdent les grands clubs. Il s’agit d’un concept qui renvoie à la notoriété et aux images associées à une équipe ; c’est ce qui permet par exemple à des clubs comme le Real Madrid ou Liverpool d’avoir des supporters fidèles aux quatre coins du monde. En conséquence de quoi ces derniers ne se considèrent pas comme de simples consommateurs d’un divertissement mais comme un véritable soutien (d’où l’expression « supporter une équipe ») apporté à une entité. En toute logique, l’attachement des fans à une équipe est donc l’un des capitaux les plus essentiels à consolider.
L’analyse de cette problématique nous permet finalement de comprendre en détail les éléments qui entourent la création d’une communauté de fans, fidélisée et active ; le concept de brand equity évoqué plus haut pourrait ainsi être un élément clef pour en appréhender les mécanismes. Cela pourrait enfin permettre aux clubs Esports de développer des marques fortes en utilisant de nouveaux leviers marketing.
Actuellement, la plupart des équipes Esports possède certaines facilités à développer des marques globales, de par les plateformes digitales à leur disposition et leur offre d’accès gratuit des consommateurs à la plupart des contenus en ligne. Cependant, ces éléments pourraient aussi être source d’hypercompétitivité entre les différents clubs Esports présents sur le marché public. Il serait alors difficile pour ces derniers d’être visibles auprès des consommateurs s’ils se retrouvent noyés dans la masse.
L’esport face aux stades : un défi réalisable ?
Les constats dressés jusqu’à présent soulignent les nombreux challenges marketing et business qui attendent déjà les clubs Esports, à savoir : s’ouvrir à de nouvelles audiences plus mainstream, augmenter leur chiffre d’affaires et enfin développer des marques plus attractives, via leur singularité, pour constituer des communautés de fans durables et impliquées. La littérature sportive pourrait à cet égard fournir de nombreux éléments de réponses concernant ces défis bien connus.
Pour répondre à ces véritables obstacles, l’une des alternatives possibles consisterait à opter pour des implantations en partie physiques, fer de lance d’un développement plus local et tangible des marques de clubs Esports. Via la construction d’une infrastructure dédiée et l’installation d’équipes Esports en leur sein, de nouvelles perspectives marketing et business pourraient s’ouvrir. Posséder un stade à l’effigie d’un club participerait de surcroît au processus de différenciation des marques, les rendant aussi plus attractives auprès du public.
Cette hypothèse est d’ores et déjà explorée par l’OWL, qui prévoit d’organiser des matchs à domicile et à l’extérieur dès 2020. Dans ce domaine, la Chine semble avoir un coup d’avance sur le marché occidental, puisque certaines équipes de LPL possèdent déjà leurs propres stades (RNG et LGD pour ne citer qu’elles). Ces derniers s’inspirent des infrastructures que l’on peut trouver dans l’industrie du sport. Dans ce secteur, ces enceintes sont très importantes car ils sont indispensables à la pratique de la plupart des disciplines sportives et peuvent être source de revenus divers et variés. C’est pour cette raison que de nombreux clubs de football on investit massivement dans la construction de leurs propres stades dernièrement (Olympique Lyonnais, Tottenham Hotspur).
Cependant, il s’agit d’une initiative qui n’est pas sans soulever de nombreuses questions au sein des clubs Esports, à commencer par le financement nécessaire à la construction d’un stade. Historiquement, les villes ont le plus souvent subventionné l’édification de ces structures, notamment aux USA. Toutefois, il n’est pas exclu que cette tendance disparaisse dans les prochaines années.
Or, si ces parties prenantes ne s’impliquent plus pour de tels projets, quel autre modèle pourrait se présenter aux clubs Esports souhaitant ériger leurs propres stades ? En plus de cette épineuse interrogation, nous allons voir dans cet article en quoi une implantation physique permettrait de résoudre les problématiques marketing et business soulevées plus haut et, enfin, ce qu’il serait nécessaire d’incorporer à un stade dédié à l’Esport, en comparaison des édifices consacrés aux autres sports.
I. Sur quels stakeholders se reposer pour construire un stade ?
Comme mentionné dans l’introduction, ce sont les villes qui, historiquement, ont constitué les premières parties prenantes au financement nécessaire à la construction des stades de sport. Elles ont parfois été aidé par d’autres investisseurs publics. Cette pratique a surtout pris place aux USA, où l’objectif était d’attirer les franchises des principales ligues sportives. Initialement basé sur des arguments tangibles, concrets, l’argumentaire permettant de justifier ces lourds investissements a par la suite évolué vers des éléments moins quantifiables, voire immatériels. Cela a eu pour conséquence directe de changer les modes de financement de ces projets, les clubs de sport ont dû y jouer une part beaucoup plus active par la suite.
A) Pourquoi les villes ont construit et financé des stades pour des clubs de sport
Le premier stade à avoir vu le jour aux États-Unis selon un système de financement public fut le Milwaukee County Stadium en 1953, dans la ville éponyme du Wisconsin. Il permit d’accueillir dès son ouverture l’équipe de MLB (Ligue majeure de baseball) des Milwaukee Braves, alors en deuxième position du classement.
Cet événement historique marque le début du premier boom dans la construction de stades sur le territoire nord-américain – une période qui se prolongera jusqu’en 1975. Rien d’étonnant à cela : l’édification de ces enceintes permet d’attirer des franchises évoluant au sein des ligues sportives les plus médiatisées (NLF, NBA, MLB, etc.). Pour les villes concernées, il s’agissait surtout d’une occasion unique de développer leur attractivité. Pour une durée de vie d’à peu près 30 ans, ces stades en sont donc à leur deuxième génération ; la troisième devrait donc théoriquement débuter aux alentours de 2020.
Cependant, les études récemment réalisées pourraient briser ce cycle. En effet, du milieu du XXe siècle au tout début des années 2000, certains mythes entouraient les bénéfices que pouvaient entraîner la construction de ces infrastructures couplée à l’accueil d’un club de sport en son sein. Dans la plupart des cas, des cabinets d’études réalisaient des études commandées par les villes afin de justifier que l’investissement était bénéfique pour la communauté locale, via les répercussions engendrées par cette initiative. Toutefois, il ne s’agissait pas tellement d’études comparatives mais plutôt de projections théoriques, de spéculations. De fait, ces enquêtes manquaient à la fois d’objectivité de rigueur et de preuves concrètes.
Cela étant, ces études restaient essentielles au fonctionnement du marché. Il était en effet bien nécessaire de convaincre les acteurs économiques locaux et les citoyens de l’intérêt de tels projets ; faut-il rappeler que le budget de ces travaux était au bout du compte financé par les taxes que payaient lesdits citoyens. Sans oublier qu’une telle décision pouvait entraîner une réduction des budgets alloués à d’autres secteurs ou encore une augmentation des taxes.
Le premier argument utilisé en faveur de ce type de projet fut longtemps avancé dans les études : l’économie. Les différents soutiens à ces initiatives pouvaient alors être soit un représentant politique de la ville hôte, soit une chambre de commerce locale. Ainsi, on présentait les stades et leurs hôtes comme des vecteurs de création d’emplois et de croissance économique pour les acteurs locaux (hôtels, bars, etc.).
Cependant, au vu des études menées plus récemment, il apparaît que ces affirmations sont toutes fausses. Contre-intuitif, ce bilan s’explique notamment par le fait qu’un stade ne représente qu’un actif économique à temps partiel. Autrement dit, il ne fonctionne qu’en période de rencontres sportives. De fait, les villes concernées par ces études ne constataient de réel boost économique. Au contraire, le revenu moyen par habitant avait plutôt tendance à chuter, les emplois créés s’avéraient précaires et les acteurs locaux n’enregistraient même pas d’augmentation dans leur fréquentation. La seule possibilité dont disposeraient les stades pour participer à la croissance économique serait donc d’attirer des personnes extérieures à la ville.
En vérité, cette situation s’avère bien plus complexe puisque, selon les sports, les supporters ne disposeraient pas des mêmes habitudes de consommation. Quand certains arrivent le jour même de la rencontre sportive, d’autres anticipent et viennent la veille, nécessitant donc un hébergement sur place. Même chose pour les repas : des familles préfèrent apporter leur nourriture quand d’autres iront au restaurant. De plus, l’événement sportif à proprement parler est rarement la raison principale de ces flux venant de l’extérieur ; ces derniers sont plus volontiers suscités par des déplacements professionnels ou familiaux, surtout en période de vacances. En conséquence de quoi les hôtels et restaurants enregistrent parfois moins de réservations lors des rencontres sportives qu’à d’autres moments de l’année. Un écart encore renforcé par le fait que les stades modernes possèdent désormais des services de restauration dans leurs enceintes. Ainsi, ces nouvelles infrastructures peuvent même entrer en compétition avec les acteurs économiques locaux puisqu’elles s’occupent elles-mêmes des flux qu’elles génèrent. Quant aux stades avec hôtels intégrés, ils se font encore rares mais pourraient très bien se généraliser un jour. Dans un premier temps, ce service concernera vraisemblablement une clientèle premium, avant de se populariser.
L’argument économique présenté ici qui a longtemp justifié le financement des stades par les pouvoirs publics semble très contestable. Deux phénomènes viennent renforcer ce dernier point : celui de substitution et celui du leakage (= dispersion des richesses).
B) Que sont les phénomènes de substitution et de dispersion des richesses ?
Comme nous venons de le voir, la construction d’un stade de sport n’entraîne pas de bénéfices économiques significatifs pour la ville concernée, mais elle met à mal la plupart des acteurs impliqués dans ces projets. Nous pouvons dès lors professer la fin des mythes qui les entourent et se pencher sur les raisons de ces échecs.
Deux phénomènes permettent de mieux comprendre les éléments avancés dans la partie précédente. Outre-atlantique, le premier de ces phénomènes est appelé le leakage, que l’on peut traduire par la dispersion des richesses (ici, il s’agirait de celles qui sont injectées dans la communauté via la présence d’un stade et d’une équipe de sport). De fait, l’argent dépensé par la population locale au sein d’un stade participe finalement au chiffre d’affaires de l’équipe de sport. Une partie de cet argent est alors transférée aux joueurs sous forme de salaire. Toutefois, l’effectif des clubs est rarement local à 100% : certains joueurs n’habitent donc pas dans la ville dont ils représentent les couleurs. Et que dire de ceux qui vont rejoindre leur famille pendant les vacances ? Cette situation peut même concerner les managers et propriétaires du club.
Des calculs ont permis de mettre en avant ce phénomène de dispersion à travers ce qu’on appelle le multiplicateur associé : celui-ci calcule combien de fois un dollar est réinvesti dans la même communauté. Via ces études, on a découvert que les autres services de divertissement possédaient un multiplicateur associé plus important que celui du sport. De plus, un propriétaire de cinéma ou de théâtre brassera en moyenne moins d’argent qu’un sportif ; celui qu’il touchera sera donc réinvesti directement dans la communauté à travers son logement et ses achats quotidiens notamment. Ces différents éléments montrent en partie pourquoi les stades et leurs clubs de sport ne sont pas source de croissance économique pour les acteurs locaux.
Le deuxième phénomène que nous allons voir permet de renforcer encore les différences de fonctionnement entre le sport et les autres services de divertissement: il s’agit du principe de substitution.L’idée est relativement simple : les personnes qui dépensent leur argent pour aller au stade ne consomment donc pas une autre forme de divertissement. Elles transfèrent ainsi leur capital alloué d’un divertissement à un autre, sans augmenter ledit capital. De ce fait, le panier moyen de divertissement que possède une famille n’augmente pas avec la présence d’un stade dans leur ville.
De fait, ce principe explique pourquoi il ne peut y avoir de création de richesse sans la venue d’individus extérieurs à la communauté. Malheureusement, comme cela a été mentionné plus haut, ces personnes se déplacent rarement pour des raisons uniquement sportives, le principe de substitution s’applique ici une deuxième fois pour de nouvelles raisons.
En associant ces deux phénomènes, on comprend pourquoi les stades peuvent provoquer une décroissance économique au sein des villes qui les construisent. Un dernier concept peut être ici évoqué, en rapport avec le principe de substitution. Néanmoins, puisqu’il se base majoritairement sur des éléments intangibles, il est difficile d’en mesurer les conséquences exactes. Ainsi, lorsqu’une ville décide d’investir dans un stade, l’argent utilisé n’est plus disponible pour d’autres projets ; l’éducation, la sécurité et la santé peuvent donc en pâtir. Il serait donc judicieux de surveiller quelles pourraient être les conséquences à terme sur ces secteurs revêtant une importance capitale.
Or, puisque ces derniers facteurs restent difficiles à contredire en raison de leur intangibilité, il n’est pas étonnant que les villes en aient fait leur argumentaire pour continuer à construire des stades et attirer des clubs de sport.
C) La construction des infrastructures sportives première génération : les leçons à en tirer
Une fois leurs argumentaires tangibles réfutés, les villes ont dû logiquement revoir leur grille d’arguments économiques pour continuer à financer des stades. Elles ont donc créé un nouvel argumentaire bien plus difficile à déconstruire en le faisant essentiellement reposer sur des éléments intangibles, qui possédaient cet avantage de ne pouvoir être mesurés concrètement.
La première notion à avoir servi cette nouvelle stratégie fut le sentiment de fierté éprouvé par la communauté d’une ville et inhérent à la présence d’une équipe de sport dans le stade érigé. Dans certains cas, ce facteur participerait même à la croissance économique locale, notamment en ce qui concerne les grandes victoires sportives. On a par exemple pu constater dans certains cas une augmentation du revenu par habitant pour les villes remportant le Super Bowl. Qui plus est, un tel sentiment suscité au sein de la communauté permet aussi de rassembler les citoyens autour de valeurs et d’expériences communes ; l’acteur tierce que représente une équipe sportive peut donc aider à compenser la nucléarisation de la société en permettant aux fans de se retrouver autour d’une même conscience communautaire. Ainsi, le temps que passent les supporters dans ce type d’infrastructure peut être économiquement valorisé.
Néanmoins, il demeure tout de même certains doutes quant à l’aspect communautaire de ce type d’infrastructures. Premièrement, les stades s’adressent par définition aux fans de sport. De plus, ils peuvent favoriser les inégalités sociales en séparant les supporters aisés des plus modestes via les systèmes de loges ou de sièges VIP par exemple. De ce fait, ces infrastructures restent en partie des outils stigmatisants.
Cela étant dit, le financement d’infrastructures sportives permet aussi de développer l’attractivité de la ville hôte – une attractivité encore renforcée pour le cas des grosses franchises. C’est la raison principale qui pousse les villes américaines à se lancer dans ce type de projet : développer leur rayonnement de la sorte. Il s’agit d’un pari à la fois intéressant sur le plan démographique et sur celui de l’emploi. Quand bien même la présence d’un club de sport et d’un stade ne constitue pas un facteur décisif dans les flux migratoires et professionnels, elle peut tout de même jouer un rôle.
Quoi qu’il en soit, certaines limites subsistent avec cette approche. Pour le cas où une ville posséderait déjà équipe et stade ou même un rayonnement suffisant grâce à d’autres services de divertissement, elle n’aurait aucun intérêt à entreprendre ce type de projet ; construire une infrastructure sportive supplémentaire s’avère bien trop risquée pour être viable.
N’en déplaise à ses détracteurs somme toute légitimes, cette nouvelle grille argumentaire sert finalement un seul objectif : convaincre les acteurs locaux des externalités positives afin de justifier le coût de construction d’une infrastructure sportive. Une rentabilité qu’il est de plus en plus difficile de prouver, qui plus est lorsque les villes utilisent des arguments intangibles. On comprend alors bien pourquoi une communauté pourrait refuser que l’on utilise des fonds publics pour financer un projet dont les principaux bénéficiaires seraient finalement des acteurs privés. Ces derniers reçoivent finalement l’essentiel des externalités positives, en plus d’avoir une faible implication dans le financement ; cette responsabilité revient à la ville, qui endosse à la fois les coûts et les risques.
Ainsi, face au possible retrait de la ville comme principale source financière, les équipes de sport ont dû réfléchir à de nouveaux modèles économiques afin de continuer à disposer d’infrastructures adéquates à leurs activités. Des financements corporates se sont donc mis en place pour compenser la réticence grandissante des communautés à financer de tels projets.
D) Quels financements corporates pour les stades ?
Puisque les communautés sont devenues moins réceptives aux précédents arguments en faveur des infrastructures sportives, il a fallu que les clubs de sport se tournent vers d’autres modèles de financement. L’un des exemples les plus frappants de ce renouveau réside dans la construction du nouveau stade des Golden State Warriors, entièrement financé via des investissements privés.
Ainsi, les clubs de sport sont amenés à trouver de nouvelles façons de financer ces infrastructures essentielles à leur principale activité – un financement qui passera désormais plus volontiers par des investissements privés. Ce pourquoi le naming (une pratique spécifique de parrainage) est apparu ces dernières années. Le concept est simple : une marque attribue son nom à une enceinte sportive moyennant un apport financier. Ce phénomène né aux États-Unis en a depuis dépassé les frontières pour arriver en Europe. C’est la raison pour laquelle le stade de l’Arsenal Football Club s’est vu renommer en Emirates Stadium. La compagnie aérienne éponyme a effectivement payé pour un contrat de naming, finançant de ce fait un agrandissement du stade localisé à Londres. De son côté, l’Olympique Lyonnais a récemment inauguré une nouvelle infrastructure, intitulé le Groupama Stadium.
Bien entendu, cette pratique ne permet pas de financer la construction et l’entretien d’un stade dans son ensemble. D’autres montages financiers sont nécessaires en parallèle du naming (emprunts, investisseurs privés, vente de joueurs etc.). Cependant, les montants pour de tels partenariats peuvent souvent s’avérer importants, voire décisifs. Par exemple, le contrat entre Arsenal et Emirates, signé en 2015, s’élevait à 150 millions de livres : il incluait à la fois le naming du stade et un volet sur le sponsoring du maillot.
Pour les clubs de football, le gros avantage de ce type de partenariat réside dans le fait que les stades leur appartiennent entièrement une fois le contrat passé. Les franchises peuvent alors en tirer des avantages business et même marketing. Or, comme ces deux derniers points constituent les challenges principaux qui attendent les clubs Esports, il apparaît essentiel d’étudier la manière dont un stade peut relever ces défis.
II. Les opportunités marketing liées à la construction de stade pour les clubs Esports
Dans cette partie, nous étudierons comment un stade peut répondre à certains des challenges marketing propres aux clubs Esports. Nous identifierons les principales conséquences de ce type d’action en termes de développement de la brand equity et du processus d’identification des fans. Pour faciliter nos explications, nous définirons d’abord ces deux notions, avant les raisons pour lesquelles ces concepts reviennent si souvent dans l’industrie du sport.
A) Brand equity et fan identification : deux processus inhérents au monde du sport
Dans un premier temps, nous allons nous intéresser au concept de brand equity. Elle se construit autour des valeurs et du positionnement d’une marque pour définir son identité. Il s’agit pour la marque de construire sa notoriété et de faire jouer des associations d’images pour la renforcer. La brand equity d’une marque existe à partir du moment où des consommateurs sont familiers avec son image et la conservent en mémoire de façon distincte et favorable. Ce processus permet ainsi de différencier deux marques en compétition directe. Il est nécessaire de mettre en place des stratégies marketing pour matérialiser ces éléments.
Dans le cadre de l’industrie du sport, deux éléments principaux servent les stratégies marketing : les « product-related attributes » et les « non-product related attributes ». Le premier renvoie à tous les concepts qui influencent directement le facteur performance, à savoir : les succès sportifs, les joueurs stars, les coachs et le management. Le second renvoie, quant à lui, aux facteurs externes au produit principal (les matchs compétitifs), qui peuvent tout de même influer sur sa perception, à savoir : l’histoire, les traditions, les valeurs, les couleurs, le logo d’un club, un stade, la provenance géographique et les sponsors. Ces éléments sont très importants car il existe peu de produit physique issu directement de la compétition et en capacité d’incarner les valeurs, l’identité d’un club de sport. Ainsi, en raison de l’irrégularité du facteur performance, les non-product related attributes sont logiquement plus influents auprès des fans au cours de l’histoire d’un club.
Ces deux types de produits permettent aux consommateurs de créer des liens entre la brand equity d’un club de sport et les bénéfices qu’ils peuvent en tirer. Ces derniers peuvent être assez variés mais s’organisent principalement autour de deux grandes catégories : les bénéfices symboliques et ceux issus de l’expérience vécue. Le premier type de bénéfices répond à des besoins d’ordre social que les consommateurs génèrent eux-mêmes. Quant au second, il provient de produits ou services offrant des expériences sensorielles, émotionnelles ou cognitives aux consommateurs.
Pour prendre un exemple concret, nous pouvons citer le FC Barcelone. Lorsque les supporters de ce club assistent à des matchs au Camp Nou, ils peuvent profiter d’une atmosphère authentique. L’enceinte du stade est même vue comme un cathédrale où seul le football doit s’exprimer ; aucune activité divertissante n’est proposée pendant les matchs. Ainsi, le caractère sacré du Camp Nou favorise l’identification des consommateurs en tant que fans du club, leur offrant un bénéfice personnel à travers l’expérience vécue dans l’enceinte du FC Barcelone.
Ce processus d’identification des fans constitue un enjeu majeur pour la marque. Il se définit par une projection du « soi » sur un objet ou un service et représente un investissement personnel du consommateur, moyennant certains bénéfices personnels. Le premier de ces bénéfices peut être décrit comme le besoin d’appartenance à un groupe ou une catégorie sociale. Une appartenance qui, en se renforçant, pourra améliorer le statut social du fan, qui sera alors plus enclin à assister aux matchs de son équipe, au stade ou à la télévision. Il sera aussi plus résilient face aux pressions externes. Il y a donc au coeur du processus d’identification des fans une dimension psychologique et comportementale.
Maintenant que les bases de ce processus est posé, nous allons nous pencher sur l’importance qu’il revêt pour les clubs de sport afin de mieux en cerner les enjeux.
En premier lieu, il apparaît évident que le facteur performance évoqué plus haut s’avère naturellement aléatoire dans un milieu compétitif. Deux phénomènes interviennent alors dans ce cadre : le CORFing et le BIRGing.
Les spectateurs ont souvent des attentes autour du résultat d’un match. Or, si cette projection se confirme, ils auront tendance à être heureux (la réciproque est vraie, elle aussi). Dans le cas où des victoires s’accumulent, de simples consommateurs peuvent devenir des supporters d’une équipe car ils en tirent un bénéfice personnel en soutenant une équipe victorieuse. On appelle cela le BIRGing. Dans le cadre de la situation inverse pour une série de défaites, les individus peuvent perdre l’intérêt et l’envie qu’ils ont à suivre un club de sport : c’est le CORFing. Cependant, comme nous l’avons mentionné plus haut, les fans déjà fidélisés sont globalement moins sensibles à ces fluctuations.
Penchons-nous à présent sur un aspect plus orienté business, à savoir la génération de revenus supplémentaires. La brand equity d’une marque a pour objectif d’influencer le comportement des consommateurs en suscitant une prédisposition positive envers un produit ou un service. Cet élément se vérifie auprès des fans de clubs de sport. En effet, ces derniers tendent à visionner plus de matchs, se rendre plus souvent au stade et consommer plus de produits dérivés du club auquel ils s’identifient.
La brand equity d’un club de sport et le processus d’identification des fans ont donc une importance non négligeable pour les équipes de sport. Les clubs Esports, de par les challenges auxquels ils font face, ont donc tout intérêt à y accorder plus d’attention. Le système d’implantation physique au sein de marchés locaux pourrait à ce titre nous apporter quelques éléments supplémentaires.
B) Les stades et leur influence sur l’approche marketing stratégique des clubs Esports
En leur qualité d’infrastructure implantée dans un marché local, les stades pourraient offrir un panel de choix plus élargi dans les stratégies marketing utilisées par les clubs Esports. L’objectif serait de développer des brand equities plus attractives et différenciantes. Nous pourrions alors traduire cela par l’expression de nouveaux bénéfices pour les consommateurs, ce qui faciliterait à terme leur processus d’identification en tant que fan.
Un stade peut offrir un nouveau type de positionnement pour la brand equity d’un club Esport. En effet, ces derniers peuvent se positionner sur un marché géographique et développer l’identité d’un acteur local. Cette nouvelle approche permet de jouer sur le sentiment de fierté d’une communauté possédant un club Esport qui les représente. Cela peut participer à l’identification de ces individus en tant que fans par les bénéfices qu’ils en tireraient ; on parle dans ce cas de bénéfices liés à l’expérience vécue.
Il est possible d’approfondir cet axe stratégique en décidant d’intégrer d’autres agents identitaires dans la brand equity d’un club Esport. Ces derniers peuvent alors être liés de façon indirecte au facteur géographique (politique, ethnique, classe sociale). L’objectif serait d’attirer différents groupements sociaux. Cependant, chaque groupe social doit pouvoir conserver une sorte d’exclusivité. Les bénéfices que peuvent en tirer les groupes concernés renvoient une fois encore au sentiment de fierté et donc au bénéfice de l’expérience vécue. De quoi permettre aux clubs Esports de s’ouvrir à des audiences plus mainstream via des références extérieures au monde du gaming.
Un stade permet aussi de renforcer ou de développer certaines valeurs au sein de la brand equity d’un club Esport, à travers des expériences divertissantes, authentiques, cognitives ou encore expérientielles. Étant un lieu de réunion et une place communautaire, une enceinte sportive créer de fait un lien presque fraternel envers les consommateurs. En offrant la possibilité à ces derniers de se retrouver sous une même égide pour communiquer et se socialiser auprès d’individus partageant une passion commune, les clubs Esports répondraient alors à un besoin social important : celui d’appartenir à un groupe. On parle alors de bénéfices symboliques qui renvoient à des gains sociaux pour les consommateurs, ce qu’on appelle l’affiliation communautaire. Il s’agit là d’un des éléments les plus importants dans le cadre du processus d’identification des fans.
Pour conclure, un stade offre une véritable opportunité pour un club Esport comme témoignage et célébration de son histoire. Déjà très présent dans l’industrie du sport, cet aspect est particulièrement important car il permet de faire écho aux succès, aux valeurs, aux rivalités interclubs et à la mémoire autour des joueurs stars. Nombre de ces éléments font partie de ce qui constitue la brand equity. De plus, il a été présenté précédemment que celle-ci existe lorsqu’elle est conservée en mémoire, ce qui démontre encore l’importance que revêt ce facteur. Si cet onglet historique était implanté, les fans pourraient profiter de bénéfices expérimentaux comme la nostalgie face à l’histoire ou la fierté face aux victoires. Un stade offre ainsi la possibilité de matérialiser physiquement ces paramètres. Cependant, pour arriver à ce résultat, il faut mettre en place les bonnes activations marketing. Il en est de même pour les autres axes stratégiques soulevés dans cette partie.
C) Brand equity et fan identification : des activations marketing à développer
Pour implanter de façon concrète les nouveaux éléments stratégiques évoqués précédemment, différents types d’activations marketing doivent être menés. La plupart de ces actions dépendent majoritairement des non-product related attributes.
Un club Esport peut faire évoluer son identité et son positionnement grâce à une implantation locale et physique. Pour ce faire, il est important d’utiliser les bonnes activations marketing. Il peut par exemple être intéressant d’adapter le logo et le nom de l’équipe si cette dernière souhaite baser son identité sur des éléments géographiques. Par exemple, les Los Angeles Laker, en NBA, ont adopté cette stratégie via leur nom et logo. Il est aussi possible de développer cet aspect identitaire à travers les campagnes de communication. C’est notamment ce qu’a fait Manchester City lors de sa campagne « This is our City » en 2005. Ces derniers font le choix de se positionner en tant qu’acteur local fort de la ville de Manchester. Cela leur permet de se différencier de leur concurrent direct, à savoir Manchester United. Ce dernier club à une image de marque plus globale, il est donc moins légitime sur un marché régional. Si le club souhaite développer son identité en fonction d’autres facteurs (social, genre, profession, politique), le lieu d’implantation du stade peut aussi être un facteur déterminant. En effet, l’infrastructure sportive, peut devenir le lieu d’expression de la culture locale et donc fidéliser un certain type de communauté. Schalke 04 a par exemple toujours eu une communauté de fans issue des classes populaires et ouvrières ; une composition notamment dûe à l’installation du club au sein d’une agglomération industrielle.
Lorsqu’un club Esport souhaite développer ou renforcer certaines valeurs au sein de sa brand equity, différentes activations marketing s’offrent à lui. Pour les équipes souhaitant développer l’image d’une marque divertissante, il existe de nombreux exemples dans l’industrie sportive. En NBA par exemple, les clubs organisent des shows musicaux, des matches d’exhibition, voire des jeux concours pendants les temps morts. Suivant la forme que prennent ces activités, elles peuvent aussi servir à la création de marque expérientielle. Pour les équipes souhaitant développer une image plus authentique, elles peuvent instaurer des rituels dans les stades à l’occasion des compétitions. Certains clubs de football ont par exemple leur propre hymne musical qui résonne avant chaque match. C’est le cas par exemple du FC Barcelone avec le « Cant del Barça ». Un stade est aussi une belle occasion pour créer une certaine proximité entre un club Esport et sa communauté. Cela peut se traduire par l’organisation de rencontres avec les joueurs, de summer camps, de fêtes d’avant-match ou encore d’actions caritatives communautaires.
Enfin, l’aspect historique et les modèles d’activation marketing pourraient permettre aux clubs Esports de renforcer leurs propres valeurs. Les clubs de sport à l’historique conséquent nous offrent de nombreux exemples à cet égard. Cependant, si la plupart des activations marketing étaient liés à des non-product related attributes jusqu’alors, il est ici possible de faire participer des product-related attributes. Nombre de clubs de sport ont ainsi construit des musées dans leur stade pour célébrer leur histoire. C’est le cas par exemple au Camp Nou. Certaines équipes de football organisent aussi des gala mettant en scène des joueurs légendaires de chaque club. En NBA, les équipes rendent hommage à leurs joueurs phares en retirant leur maillot du circuit. Il existe aussi un hall of fame au sein de la ligue pour célébrer ses personnalités historiques.
Un stade peut donc offrir de nombreuses opportunités marketing pour construire une brand equity plus attractive et renforcer l’identification des fans à un club. C’est un enjeu considérable quand on sait que ce dernier élément tend à influencer le comportement des fans, en plus d’offrir des opportunités à la fois marketing et business.
III. Les stades vecteurs de création de nouvelles lignes de revenus pour les clubs esports
Nous allons nous pencher dans cette partie sur les conséquences business de l’implantation des clubs Esports dans des marchés locaux via une infrastructure sportive. L’ancrage géographique et les changements marketings qui en résultent expliqueraient en partie une augmentation des revenus pour les clubs Esports. À cela s’ajouterait des modèles de rémunération bien spécifique au fonctionnement des stades.
A) Les nouvelles opportunités B2B
L’écosystème Esport étant en grande partie basé sur un free modèle, la plupart des contenus sont disponibles gratuitement et en ligne, il est donc difficile pour les équipes Esports de monétiser leurs audiences. Un stade pourrait permettre de résoudre en partie cette problématique via les revenus issus de la billetterie, un élément nouveau pour les clubs Esports. Dans l’industrie du sport, les équipes de football tirent une partie de leurs revenues des billets vendus pour assister à leurs rencontres tout au long de la saison. Le pourcentage que cela représente dans leurs chiffres d’affaires peut atteindre 30%. Il existe différentes stratégies pour maximiser ce type de recette. Il est possible par exemple d’acheter des abonnements à l’année, ou encore des packages découvertes pour plusieurs matchs. En NBA, un système pousse les fans à revenir d’une année sur l’autre : le vesting. Les supporters réservent des places attitrées et peuvent les conserver d’une saison à l’autre s’ils se réabonnent. Cette approche est intéressante car elle offre aux consommateurs une motivation supplémentaire pour rester fidèle à une équipe. Cet élément pourrait intégrer la stratégie marketing d’un club Esport dans le cadre du processus d’identification des fans. Ce dernier point me permet de souligner le fait que ces derniers se rendent plus souvent au stade que de simples consommateurs. D’où l’importance de développer une brand equity forte. On peut dresser le même constat concernant les revenus liés au merchandising.
Les clubs de sport ont souvent noté une consommation plus importante de leurs produits dérivés lorsqu’ils avaient des communautés de fans engagés et fidèles. Ces biens sont importants car ils peuvent incarner certains aspects de l’histoire d’une équipe et offrir des bénéfices sociaux à leurs consommateurs. Ces derniers peuvent par exemple consommer certains éléments pour les gains symboliques et lifestyle qu’ils peuvent en tirer. Le merchandising peut donc aussi intégrer la stratégie marketing d’un club Esport à l’image de ce qu’a fait le PSG dans le cadre de son partenariat avec la marque Air Jordan.
Le dernier élément que j’ai identifié qui pourrait aussi permettre de développer les sources de revenu d’un club Esport concerne l’utilisation d’un stade dans une optique de diversification des activités. En effet, dans l’industrie du sport les rencontres compétitives sont des événements épisodiques. Il y a donc de nombreuses plages horaires libres dans le planning d’occupation d’un stade. Il en sera probablement de même pour les équipes Esports. Il est donc important de trouver un moyen de rentabiliser au maximum ces infrastructures en s’ouvrant à d’autres activités. En Jeep Elite, certaines équipes organisent dans leur stades des camps d’entraînement pour permettre à leurs fans de venir s’entraîner pendant l’été dans des conditions optimales et en compagnie de joueurs professionnels. C’est le cas par exemple du Club Cholet Basket qui met à disposition la Meilleraie pour organiser ses camps d’été. Cet élément permettrait aussi de rapprocher une communauté de supporters et des joueurs d’une équipe. Ces idées pourraient tout à fait intégrer la stratégie marketing d’un club Esport dans le cadre du développement d’une brand equity forte. Après avoir étudié les potentielles conséquences business B2C, il convient d’en faire de même pour les revenus B2B des équipes Esports s’implantant dans des marchés locaux à travers des stades.
B) Les nouvelles opportunités B2B
La majeure partie des revenus d’un club Esport sont issus du sponsoring actuellement et une implantation physique via un stade pourrait permettre de participer à la croissance de cet élément. Comme nous l’avons souligné dans l’introduction, les montants liés aux revenus de partenariat devrait augmenter principalement grâce aux marques non endémiques. Cependant, la complexité de l’écosystème Esport et de ses codes peut rendre la lecture de ce marché complexe pour des acteurs exogènes. De plus, les métriques utilisées sont éloignées de ce qui peut se faire dans d’autres industries plus classiques. Il est encore difficile de calculer et d’évaluer son retour sur investissement sur le marché de l’Esport. Ce phénomène est en parti lié au fait que les clubs Esport sont très actifs sur des plateformes digitales nouvelles : les sites de streaming. Cependant, un stade pourrait permettre de créer une passerelle entre le monde de l’Esport et celui du divertissement grand public, un secteur qui offre plus de repères aux sponsors non endémiques. C’est sans doute une des raisons qui a poussé la marque Jack in the Box a signé avec l’équipe d’OWL Dallas Fuel qui a accueilli les premiers matchs à domicile de l’histoire de la compétition.
Les stades pourraient aussi offrir un nouveau type d’opportunité aux clubs Esports en terme de sponsoring : les partenariats naming. D’après l’Esport Playerbook 2019 Nielsen, c’est le modèle de partenariat le plus intéressant pour les marques de par les résultats qu’il permet d’obtenir en terme de notoriété de marque. Il faudra cependant faire attention à un élément concernant ce genre de collaboration. Dans l’industrie sportive, les contrats de naming sont parfois mal perçus par les supporters de certains clubs de sport. En effet, les stades et leurs noms peuvent renvoyer à l’histoire d’une équipe et donc susciter un fort sentiment d’affiliation de la part des fans de ce dernier. Un sponsor endommageant cet héritage pourrait subir un violent retour de médaille et cela risquerait même d’endommager son image à termes. Cela irait à l’encontre même de ce qu’une marque recherche.
En effet, d’après la littérature qui traite de ce sujet, l’objectif d’un partenariat entre une marque et un club de sport est pour ces premiers de développer une image positive auprès de l’audience de ces derniers. Le sponsor cherche aussi à développer la reconnaissance et la mémorisation de la marque dans l’esprit des consommateurs ainsi qu’à influencer leurs intentions d’achats. Obtenir un résultat contraire à ces facteurs serait donc catastrophique pour une marque. Il y a donc certaines précautions à prendre pour réaliser un partenariat naming. Il a par exemple été démontré qu’il est préférable d’initier un contrat naming à la création d’un stade pour ne pas endommager l’héritage historique d’une infrastructure et le sentiment d’affiliation qui unit une équipe de sport et ses supporters. La situation financière d’un club est un autre paramètre qu’il peut être intéressant de prendre en compte dans le cadre de ce type de collaboration. Si le public d’un club pense que cette opération leur permettra d’être plus compétitive grâce au support financier d’un nouveau partenaire, leur réaction sera positive. À cet égard, il a été prouvé que les consommateurs s’identifiant en tant que fan d’une équipe ont tendance à avoir des réactions positives vis-à-vis des sponsors de leur club. Des consommateurs lambda, de leur côté, n’y voient qu’une simple opération commerciale et ne développe pas de biais dans leur comportement vis à vis de la marque partenaire. Cela prouve encore une fois l’importance du développement d’une brand equity forte.
Le dernier élément permettant aux clubs Esports de générer de nouvelles sources de revenu à travers les stades dans le cadre d’opérations B2B concerne une nouvelle fois la diversification des activités. Ainsi, il peut être intéressant de mettre à disposition ces infrastructures pour d’autres activités que celles rattachées au monde de l’Esport. C’est dans ce cadre-là qu’il devient possible d’organiser des séminaires, des concerts, des spectacles. Les enceintes modernes tendent à pouvoir s’adapter à n’importe quel type d’événement. C’est par exemple ce que l’on retrouve à la U Arena qui en plus d’être le lieu où a élu domicile le club de rugby du Racing 92 accueille un vaste panel de spectacles.
IV. A quoi pourrait ressembler le stade d’un club Esport ?
Même s’il apparaît difficile de se projeter sur les composants qui constitueront les stades des clubs Esports, il est possible d’avancer certaines pistes de développement. Il apparaît bien évidemment important d’avoir les équipements nécessaires à l’organisation et la diffusion des rencontres compétitives de jeux vidéo mais il ne faut pas se limiter à cet élément. Pour alimenter notre réflexion, nous nous baserons sur les éléments théoriques et pratiques avancés précédemment, certains exemples tirés de l’écosystème Esport ainsi qu’une interview réalisée auprès de Dustin Sweeney Senior Designer Esports chez HKS. Il sera important de garder les challenges marketing et business des équipes Esports en tête.
A) La diversification des activités, une thématique au coeur des stades des clubs Esports
Dans l’industrie du sport, la tendance actuelle concernant les stades va à la diversification des activités. L’attention ne se porte plus seulement sur les rencontres compétitives. Cela permet de rentabiliser plus amplement ces infrastructures et peut aussi représenter un intérêt marketing. Il serait donc intéressant que les équipes eSports s’alignent sur cette mouvance et développent dans leurs infrastructures des services qui ne soient pas uniquement liés aux événements compétitifs.
La création de zones communautaires dans les stades pourrait être une première piste à explorer dans une optique de diversification des activités. Il peut être intéressant de s’inspirer de ce que fait l’arène Esports de Las Vegas à cet égard. Les joueurs peuvent venir jouer sur un matériel de qualité comme dans n’importe quel PC Bang coréen, des tournois amateurs/semi-professionnels y sont même organisés. Des événements pourraient aussi s’organiser autour de ces nouveaux équipements afin de supporter des causes caritatives pour renforcer le lien qui existe entre les équipes Esports et leurs audiences locales. Il y a donc un intérêt marketing et business à développer ces idées dans les stades de clubs Esports.
Il paraît indispensable que des boutiques officiels figurent dans ces derniers de par leur capacité à générer des revenues mais pas seulement. En effet, au-delà de la partie business de cet attribut, il est aussi possible de l’utiliser à des fins marketings via l’organisation d’activations tels que la présentation d’un nouveau maillot ou sponsor au public ainsi que l’organisation de sessions de dédicaces. À travers les précédents éléments cités, les clubs Esports pourraient offrir un service gaming s’adressant au grand public ainsi que des expériences sociales et communautaires fortes.
Autre élément important qui concerne ici la diversification des activités, il serait intéressant que les équipes Esports offrent la possibilité à des entreprises d’utiliser leurs infrastructures. Ces dernières pourraient permettre d’organiser des séminaires ou des activités de team building. C’est pour cette raison qu’il faut notamment envisager la présence de loges. Les zones communautaires présentés précédemment peuvent aussi servir pour organiser des activités à destination des professionnels. Certaines compagnies sont très intéressées par la possibilité d’utiliser le gaming et l’Esport pour développer leurs images de marque employeur.
Pour terminer, il convient de couvrir rapidement l’organisation des matchs compétitifs dans les stades d’équipes Esports dû à certaines spécificités de l’écosystème. En effet, contrairement aux clubs de sport, ceux Esports sont pour la plupart multidisciplinaires. Il faut donc envisager l’organisation de rencontres compétitives sur différentes disciplines. Cependant, ces dernières n’ont pas le même niveau de popularité. Il existe des disparités importantes. C’est à cet effet qu’il faudra adapter les stratégies de communication et de la billetterie. Il serait alors intéressant pour les compétitions moins populaires de proposer des tarifs peu élevés ainsi que de communiquer autour des divertissements annexes et de l’opportunité sociale que représente ces événements. C’est une des raisons qui explique pourquoi il est important de réfléchir au développement des éléments qui agrémenter les matchs Esports.
B) Comment les stades des clubs Esports peuvent répondre aux spécificités de l’écosystème des rencontres compétitives
À l’occasion d’une interview réalisée avec Dustin Sweeney, ce dernier a souligné qu’un événement/match Esport peut avoir une durée moyenne plus longue que certains événements sportifs. Ces derniers sont le plus souvent déterminés dans le temps ou tendent à le devenir ce qui n’est pas forcément encore le cas des principales disciplines Esports. Il serait donc intéressant pour éviter un phénomène de fatigue de l’audience de mettre en place des activités externes aux compétitions pour segmenter les tournois en différentes parties .La nature de ces activités dépendra des valeurs que souhaitent inscrire les équipes Esports dans leur brand equity.
Les clubs Esports souhaitant par exemple développer une image de marque divertissante pourraient à cet égard s’inspirer de ce qui se fait déjà à l’occasion d’événements Esports majeurs. Ces derniers se déroulant la plupart du temps sur plusieurs jours, il n’est pas rare d’y voir se mettre en place des activités avant, pendant et après les rencontres compétitives afin de divertir les spectateurs. Riot Gaming dans le cadre des World Championship 2018 sur le jeu League of Legends a par exemple organisé via un partenariat signé avec Mastercard un stand accueillant les fans en préambule de la finale du tournoi. Les IEM ont tendance de leurs côtés à permettre aux marques partenaires d’avoir des stands pendant leurs événements pour qu’elles proposent des activités en marge des compétitions principales et dans les enceintes les accueillant. Pendant les IEM Chicago 2018, on pouvait ainsi retrouver sur les stands Red Bull, Acer’s Predator, Intel, AT&T des PC et/ou consoles offrant la possibilité aux visiteurs de jouer à différents types de jeux. Les sponsors peuvent donc jouer un rôle prépondérant dans le développement de ces activités secondaires.
Les exemples développés précédemment ne pourront cependant pas convenir à toutes les équipes Esports. Il faut, comme évoqué précédemment, que ces éléments soient en adéquation avec l’image de marque que les clubs Esport souhaitent développer. Pour ceux souhaitant développer une brand equity en lien avec des valeurs plus authentiques, il faudra limiter le développement de divertissements externes et se concentrer sur la mise en scène de rituels et symboles autour des compétitions. Cela peut alors passer par la création d’hymnes musicaux ou d’opérations de naming des infrastructures pour renvoyer à des valeurs historiques. Ce dernier paramètre pourrait aussi être développé mais surtout entretenu via l’installation de musées dans les infrastructures sportives des clubs Esports.
De nombreux autres exemples existants dans l’industrie du sport pourraient venir illustrer les points développés dans cette partie, cependant il faudra faire attention à respecter la culture et les codes de l’écosystème Esport. Il ne faut pas vouloir importer un modèle de divertissement global dans cette industrie car tout laisse penser que cela pourrait être dangereux pour les clubs Esports. C’est un des nombreux risques auxquels doivent faire attention les équipes Esports souhaitant se développer dans des marchés locaux via des stades.
V) Quels sont les risques auxquels s’exposent les clubs Esports ?
Le processus de transformation qu’impliquerait l’implantation de clubs Esports dans des marchés locaux via des stades pourrait receler certains risques. À cet égard, il est possible de s’appuyer une nouvelle fois sur l’industrie du sport pour faire certaines projections. Dans cette dernière, la globalisation de l’expérience consommateur dans les stades est une des tendances majeures de ces dernières années. On peut expliquer ce phénomène à travers deux concepts : la Disneyisation et la MCdonalisation du secteur de l’entertainment. Cependant, cette tendance pourrait représenter certaines menaces pour les équipes Esports. Ces dernières pourraient faire face à un autre péril conséquent, à savoir le mauvais calibrage des infrastructures physiques.
A) Pourquoi l’Esport de par ses spécificités ne peut s’intégrer à un modèle de divertissement global
Le marché du divertissement et notamment celui du sport s’est fortement inspiré de ce qui se fait outre atlantique ces dernières années. On peut définir ce modèle à travers deux concepts, celui de disneyisation et celui de macdonalisation. L’objectif derrière ces éléments théoriques est de créer un service de divertissement unique et standardisé où il est possible de rationaliser les coûts ainsi que d’optimiser les bénéfices. C’est ainsi qu’on constate par exemple un processus de diversification parfois extrême. Afin d’augmenter la rentabilité de ces services de divertissement, leurs noms s’organisent autour de thématiques simples pour faciliter leur identification et leur lisibilité auprès du public. Enfin, il y a une volonté affichée d’exercer un contrôle global sur les produits mis en ventes. Ce modèle est assez particulier de par le fait qu’il considère toute audience générée par une activité divertissante comme étant constitué de simples consommateurs. Les fans de clubs de sport ne sont donc plus considérés en tant que tel. Les éléments qui composent ce modèle pourraient s’exporter à l’écosystème Esport, qui fait parti de l’industrie du divertissement, notamment à travers l’expérience consommateur proposée dans les stades des équipes Esports. Cependant, ce processus pourrait exposer ces dernières à de nombreux risques.
L’industrie Esport possède en effet ses propres codes et valeurs. Il serait donc risqué de vouloir importer des éléments issus d’un modèle de divertissement global dans l’écosystème Esport. Il existe des exemples assez frappants démontrant ce point. En effet, de plus en plus d’organisateurs d’événements Esports ont fait le choix d’intégrer des éléments issus du secteur de l’entertainment grand public dans leurs tournois, notamment à travers l’organiser de concerts de musiques en préambule des compétitions de jeux vidéo les plus prestigieuses. Cependant, l’accueil réservé par le public vis-à-vis de ce type de prestation n’est pas toujours positif. L’Overwatch League et la Charleroi Esport en ont fait l’amer expérience. Cela ne signifie pas qu’il est impossible d’introduire ce facteur dans un événement Esport mais il doit s’adapter à la culture de l’écosystème. Riot Games a parfaitement intégré cet élément ce qui lui a permis de produire la chanson K/DA qui fut un succès internationale. Les clubs Esports risqueraient aussi de dénaturer leurs images de marques en utilisant le modèle de divertissement américain. Cela pourrait s’exprimer notamment à travers un processus de commercialisation excessif que ce soit en matière de merchandising ou même de sponsoring. Ce risque est d’autant plus important que les millennials représentent un public averti à ces pratiques commerciales et pourraient les trouver trop intrusives. Il en va de même pour les simples campagnes promotionnelles ayant pour objectif de développer une image de marque globale.
Les clubs Esports devront de façon plus générale porter une attention toute particulière aux stratégies de communication qu’ils emploieront. En effet, il n’est pas certains que les codes de communication utilisés par les acteurs issus d’autres secteurs du divertissement puissent s’appliquer aux équipes Esports surtout si ces dernières décident de s’implanter dans des marchés locaux. En effet, les clubs de sport tendent par exemple à communiquer avec leurs audiences régionales via des supports traditionnels tels que des spots publicitaires, des journaux locaux, des billboards, etc. Cependant, ces éléments n’attirent pas les milléniaux, le coeur de cible de l’écosystème Esport. Même dans une optique où les équipes Esports souhaiteraient s’ouvrir à des audiences plus mainstream, elles ne doivent pas perdent le lien qui les unit à leur cible de prédilection. À cet égard, un challenge important attend les clubs Esports à termes. Être en capacité de nouer un lien avec leur coeur d’audience dans des marchés locaux malgré l’utilisation d’outils de communication digitaux et donc globaux. Cette problématique semble assez complexe car les équipes Esports ne pourront certainement même pas utiliser comme alternative la mise en avant de figures locales pour y répondre étant donné que les joueurs sont généralement très volatiles. De plus, la course au talent et à la performance pousse les équipes à recruter des talents internationaux. C’est notamment le cas chez les London Spitfire qui officient en OWL et représentent la ville de Londres. Leurs joueurs sont tous coréens.
Le risque à travers ces différents éléments étant que les club Esports n’arrivent pas à s’intégrer dans la vie de tous les jours des communautés où ils s’implantent. Ils ne pourraient alors pas capitaliser d’un point de vu marketing et business sur leur implantation dans des marchés locaux via des infrastructures physiques. Mais ce n’est pas le seul risque auquel doivent faire face les équipes Esport.
B) Comment calibrer correctement les projets de construction de stade des clubs Esports
Il apparaît important que les clubs Esports calibrent correctement la taille des projets qu’ils monteront afin de s’implanter physiquement dans des marchés locaux. Deux écueils liés l’un à l’autre sont à éviter à cet effet. Dans le monde du sport, les budgets de construction de certains stades peuvent atteindre le milliard d’euros, c’est le cas notamment du nouveau stade du club de football de Tottenham. Les frais initiaux, auxquels il faut ajouter ceux d’entretiens par la suite, peuvent donc s’avérer assez importants. Cependant, le chiffre d’affaires des équipes Esports est encore très loin des clubs de football. Dans l’écosystème Esports, Cloud9 mène la danse de ce côté-ci avec 22 millions de dollars pour l’année 2018. Tottenham affiche un revenu total de 446 millions d’euros pour la saison 2017-2018. Il apparaît donc important de proposer des projets qui soient cohérents vis-à-vis du niveau de revenu des clubs Esports. Dans le cas contraire, il paraît dans un premier temps peu probable que les fonds nécessaires soient réunis pour en assurer le financement. Dans un second temps, les frais d’entretien pourraient représenter des charges trop lourdes pour des clubs Esports dans le contexte actuel.
À ce premier écueil, il faut ajouter le fait que l’industrie Esport reste un marché de niche. Il ne faut pas surévaluer le phénomène et son pouvoir d’attractivité. En France, certains clubs de football éprouvent des difficultés à remplir leurs stades. Pour prendre un exemple concret, l’OGC Nice a dans le cadre de l’Euro 2016 construit une enceinte flambante neuve pour un coût total d’environ 400 millions d’euros. Sur la première partie de la saison 2016 le club peinait à occuper ne serait ce que la moitié de son bâtiment. Ce dernier élément peut alors créer une sensation de vide pendant les rencontres compétitives. Les conséquences peuvent alors être très négatives pour l’image de marque du club en question et désastreuse pour sa trésorerie. C’est pour cette raison qu’il faut axer la réflexion autour d’infrastructures cohérentes vis-à-vis de l’audience potentielle que peuvent attirer les équipes Esports.
Les clubs Esports doivent donc proposer des projets qui s’adaptent aux réalités du marché. C’est d’autant plus important qu’il faudra très certainement convaincre des investisseurs extérieurs. Ils seront probablement l’une des sources de financement principale des infrastructures des équipes Esports. Il faudra donc très certainement avoir une approche progressive et expérimentale dans un premier temps afin de, justifier des investissements plus importants par la suite.
Conclusion
À travers cette article, nous avons mis en évidence que la construction de stade et donc l’implantation physique des clubs Esports dans des marchés locaux ouvrent des perspectives marketing et business assez intéressantes. Pour ne citer qu’elles, cette implantation permettrait de différencier les marques les unes et des autres ainsi que de renforcer leur brand equity. Comme cette dernière intervient dans le processus d’identification des fans, cela pourrait permettre de transformer les simples consommateurs d’Esports en fans à travers ces nouveaux outils. La fidélité de ces groupes d’individus sera alors soumis à l’attractivité de cette même brand equity, mais il reste encore à vérifier quels leviers pourraient intervenir dans ce secteur pour améliorer la fidélité d’un fan Esport.
Avec ces changements, l’impact sur les revenus des clubs Esports pourrait être conséquent, tant à travers l’argent généré directement par les projets attenants à un stade que via la consommation accrue des supporters, suscitée par leur identification à la marque. Cette implantation physique et locale pourrait aussi permettre d’ouvrir la discipline à une audience plus mainstream en jouant sur le sentiment de fierté des communautés géographiques dans lesquelles s’installent les clubs Esports. D’autres éléments identitaires pourraient aussi être développés (sociologique, politique, historique) par la suite, bien qu’ils semblent moins évidents.
Il est encore difficile de proposer une stratégie à suivre qui assurerait la réussite de ce type de projet. Nous ne pouvons avancer à l’heure actuelle que des éléments concrets tirés de la littérature sportive et des exemples déjà existants. De plus, des connaissances inhérentes à l’écosystème Esport pourraient assurer une certaine cohérence à cet ensemble.
Quoi qu’il en soit, on assistera très probablement à une évolution progressive de ce domaine, engendrée majoritairement par la construction de centres d’entraînement ou d’arènes gaming ouvertes au public. C’est notamment le choix fait par des organisations tels que Misfits ou G2 Esports.
Je profite de cet aparté pour revenir rapidement sur ces deux organisations qui prévoient d’ouvrir des infrastructures à Berlin. Actuellement en LEC (Championnat d’Europe de League of Legends), ces deux structures souhaiteraient installer leur équipe dans le même marché géographique que celui où se déroule leur compétition. Dès lors, il risque d’être plus difficile pour l’un de ces clubs de monopoliser l’intérêt de la communauté locale avec la présence de deux marques en compétition. Néanmoins, la situation n’est pas inédite et existe aussi dans l’industrie sportive.Il faut cependant garder à l’esprit que l’intérêt de l’implantation physique dans un marché local est de développer une brand equity plus forte mais surtout différente vis-à-vis de compétiteurs directs. Excell, Origen et Vitality ont ainsi fait le choix d’installer des infrastructures ailleurs qu’à Berlin, ce qui semble stratégiquement plus intéressant. Reste désormais à en faire bonne usage et à activer correctement les outils évoqués dans cet article.
L’approche donc progressive choisie par certains acteurs permettrait entre autre d’éviter des dépenses trop importantes pour ces infrastructures. Dans le monde du sport, les stades peuvent représenter un gouffre financier important. Cet élément est à éviter pour les clubs Esports, qui s’avèrent d’ores et déjà majoritairement déficitaires. À cela s’ajoute le fait que les investissements pour de telles infrastructures tendent à devenir de plus en plus privés, puisque les villes prennent désormais moins part à ce type de projet. Il apparaît donc illusoire que les équipes Esports puissent à ce jour rassembler les montants nécessaires à la construction de stades de sport modernes. De plus, il s’agit d’une initiative qui ne ferait pas grand sens vis-à-vis de l’audience moyenne que peut offrir l’écosystème Esport à ce jour, en tout cas pas sur le marché occidental.
L’OWL fait figure d’exception à cet égard, encore que ce marché pourrait ne constituer qu’un crash-test pour le reste du monde. En effet, peu d’éléments métriques peuvent justifier des investissements tel que celui réalisé par Comcast pour le stade de l’équipe des Philadelphia Fusion (50 millions de dollars). Un montant qui pourrait cependant se justifier si cette infrastructure remplit d’autres rôles et diversifie son activité. A priori, elle devrait aussi servir de centre d’entraînement, de studio et de bureaux.
En somme, de nombreux challenges attendent les clubs Esports souhaitant tenter ce processus de transformation. Ils devront assurer une transition leur permettant de s’afficher comme des acteurs légitimes auprès des communautés dans lesquelles ils s’installeront, tout en respectant les codes et valeurs du monde de l’Esport. Il est d’ailleurs possible que certaines équipes ne parviennent pas à s’adapter à la culture locale. En effet, les outils de communication utilisés habituellement pourraient poser problème puisqu’ils sont naturellement tournés vers des audiences plus globales. Il sera alors important de trouver des relais locaux adaptés au cœur de cible : les millenials. Aussi, cette démarche devra se faire dans le respect de la marque et des valeurs propres à chaque club Esport, au risque d’entraîner des conséquences néfastes sur l’ensemble de la marque.
Ce dernier point ouvre justement sur une ultime question qui a son importance : la globalisation des marques Esports. Car, si cette implantation physique et locale permet bel et bien de différencier les marques et de développer des communautés de fans plus fidèles, comment développer chez un club Esport une brand equity forte, attractive et différenciante de manière globale, le tout dans le cadre des contraintes et spécificités de l’industrie Esport ?
Retrouvez ci-dessous la bibliographie complète de ce dossier et les différentes sources référencées :
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