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Dina Belenkaya : Je me considère autant streameuse que joueuse pro, Checkmate #2

Par Dimitry Bigot
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Il y a maintenant plusieurs semaines de cela, je lançais mon objectif Checkmate. L’idée était alors simple, me lancer dans une aventure et partager les joies et peines de ceux qui cherchent à devenir joueurs professionnels. Mais je vous avais aussi promis d’explorer le monde des échecs et c’est ce que je vous propose de faire dans ce deuxième article avec Dina Belenkaya ! 

Si vous suivez les échecs, ce nom vous dit forcément quelque chose. Dina est officiellement Grand maître féminin des échecs depuis 2016 ! En plus de ces performances et de son talent, elle brille aussi par son investissement sur Internet.

Il y a quelques années de cela, elle a décidé de sauter le pas et de se lancer dans le streaming ! Ces dernières années, les échecs sont devenus l’une des disciplines majeures du site de streaming Twitch. Comme l’a montré l’évolution de la plateforme ces dernières années, la diversification des contenus sur Twitch a rendu possible l’émergence de nouvelles pratiques, qui ne sont pas uniquement liées aux jeux vidéo.

Mais pour revenir à Dina Belenkaya et cette interview, j’ai voulu en savoir plus sur ses envies dans le streaming, sa vision des échecs ou encore malheureusement ce qu’elle pouvait subir en tant que femme sur la plateforme. Vous retrouverez toutes ces réponses dans notre interview.

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Bonjour, peux-tu te présenter toi et ton parcours ?

Je m’appelle Dina Belenkaya et je suis Grand Maitre International féminin. J’ai commencé à jouer aux échecs à l’âge de 3 ans et la compétition à 5 ans. Ma mère est professeure d’échecs, elle a notamment entraîné Anish Giri (aujourd’hui dans le Top 10 mondial).

J’ai toujours partagé mon aventure de joueuse professionnelle sur les réseaux sociaux et, il y a 3 ans, j’ai profité de la pandémie et de l’engouement renforcé pour ce sport afin de me lancer dans le streaming en créant une chaine Twitch puis une chaine Youtube. J’ai donc ajouté tout une activité de « content creator » à ma carrière.

Justement, tu m’as devancé ! Je voulais savoir comment t’es venue l’idée de te lancer dans le streaming ?

Durant la pandémie, avec la fin des compétitions, j’ai découvert une notion très étrange et extrêmement rare pour un joueur professionnel : le temps libre ! J’ai été invitée à un tournoi en ligne diffusé sur Twitch par Alexandra Botez et j’ai beaucoup aimé la façon de mélanger « entertainment » et échecs.

Pour être honnête, tu parlais dans ta série « devenir joueur pro en 6 mois » de la dimension économique et il est clair que le potentiel du streaming est attractif pour une joueuse, les échecs féminins étant assez peu sponsorisés. Puis j’ai commencé à me prendre au jeu, à créer une communauté, me faire accompagner par une agence et des sponsors. Aujourd’hui, je me considère autant comme une streameuse que comme une joueuse professionnelle.

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Dina Belenkaya a rejoint Stakrn Agency, une agence de représentation de talent, orienté esport à sa création (Crédit : Stakrn Agency)

Twitch est à la base un site de streaming de jeux vidéo, comment ont été accueillis les échecs sur la plateforme ?

La véritable question, c’est plutôt comment le monde des échecs a accueilli le streaming et sa nouvelle génération de streamers échecs, très loin des codes assez traditionnels de ce sport et avec des profils beaucoup plus extravertis (et un niveau parfois en dessous des standards des joueurs pros) ! Du coté de Twitch, leur population d’utilisateurs passionnés de jeux de stratégie et prête à rester plus de 4 heures concentrés devant un écran était parfaite pour nous accueillir.

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A ce sujet, avec la démocratisation des sites d’échecs en ligne, est-ce que la frontière avec le jeu vidéo n’est pas en train de disparaître d’une certaine façon ? Est-ce qu’on pourrait même se risquer à parler d’esport ? 

Partons d’un postulat de base. Dès lors que tu considères qu’un sport est un affrontement au sein d’un cadre défini avec pour objectif la victoire d’un participant sur l’autre, alors il n’y a aucune différence entre le sport et l’esport.

En revanche, les échecs en ligne n’ont pas de dimension vidéoludique, c’est-à-dire que le but n’est pas de créer une œuvre avec une dimension artistique pour te permettre de t’évader, ce qui est le cas dans le (bon) jeu vidéo. C’est pour cela que les échecs ou même le poker en ligne seront toujours différents d’un The Witcher ou Skyrim mais assez proches d’un LoL, et que tu trouves des créateurs de contenus qui font cette passerelle.

Selon toi, est-ce que ça a permis de redonner une sorte de seconde jeunesse à un jeu qui pouvait avoir une image parfois un peu “rigide” ou « vieillotte » ?

Exactement ! D’abord en raison du profil des participants. Quand tu compares les idoles de ma génération comme Judith Polgar et Alexandra Kosteniuk aux sœurs Botez, tu te rends comptes que l’on est beaucoup moins dans une pratique rigoriste et dédiée à la beauté des échecs, mais plus dans un show sur fond de parties d’échecs.

Le deuxième facteur important, c’est l’aspect économique. En attirant un public plus large, on attire plus de sponsors et donc les capitaux nécessaires pour créer des événements et du contenu plus ambitieux. Finalement, une jeune de 14 ans se retrouve à regarder une fille qui lui ressemble avec des milliers d’autres jeunes et à découvrir les échecs par des médias comme TikTok avec lesquels elle a l’expérience la plus appropriée.

Dans ma jeunesse post-soviétique, j’alternais entre de vieux bouquins en russe et des heures de bus pour aller m’entraîner ! Je viens de me rendre compte que je deviens vieille haha…

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En stream, Dina Belenkaya « dépoussière » l’image des échecs.

En parlant de seconde jeunesse, j’imagine que le Jeu de la dame (Queen’s Gambit) a participé à cela. Comment vois-tu cette nouvelle vague ? Est-ce que cela s’est ressenti sur ton propre stream ?

Je pense que tu as deux épiphénomènes : le COVID, qui fait que les gens avaient du temps à tuer et la série qui a redonné une exposition aux échecs. Pour moi, le vrai facteur de fond, c’est tout simplement le développement de l’esport et le fait que les échecs sont en train d’en devenir un représentant.

Que ceux qui me disent le contraire regardent à quoi jouent les plus gros streamers d’échecs en dehors de ce dernier et les produits que cherchent à promouvoir les sponsors esport qui les sponsorisent !

Quand on joue aux échecs, cela demande énormément de concentration. Or, en stream, il y a aussi une partie animation. Comment tu arrives à gérer les deux ?

Tu sais, quand tu atteins le niveau nécessaire pour pouvoir te concentrer sur une partie de 8h face à un adversaire qui cherche à t’oblitérer et avec parfois la pression de 2 mois de préparation, tout parait facile dans la vie !

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En voyant la scène de streaming des échecs qui se développe, ça m’évoque un parallèle avec le jeu vidéo. Les meilleurs joueurs vivent de la compétition, mais le streaming ouvre de nouvelles portes et permet à d’autres joueurs de vivre de leur passion. Est-ce que tu partages aussi cet avis ?

Exactement ! L’exemple que j’aime citer c’est que le cashprize de la gagnante de la coupe du monde d’échecs féminin est de… 50 000 euros. Ce n’est pas une énorme somme pour la consécration d’une vie d’entrainement n’est-ce pas ?

En revanche, Twitch et Youtube peuvent permettre à un content creator positionné sur les échecs de gagner cette somme en un mois depuis sa chambre sans rencontrer le moindre adversaire. Bien sûr, je caricature volontairement, car l’effort de créer et d’animer une communauté est aussi intense que le sport de haut niveau, mais on voit clairement le potentiel économique.

J’aimerais revenir sur un tweet que tu as posté. Quel est le contexte de cette prise de parole par rapport au monde des échecs et du streaming ?

Il faut être honnête : beaucoup de viewers sont attirés en premier lieu par notre physique puis restent ensuite pour la qualité du contenu. Tout l’exercice réside dans le fait de ne pas être hypocrite, à savoir que le physique d’une joueuse est aussi un argument pour développer sa carrière.

Mais il ne faut pas la réduire uniquement à cela. Le vrai sujet de fond, c’est comment on créé un écosystème qui permet aux streameuses d’avoir toutes les ressources possibles avec une communauté qui ne soit ni dans l’adulation, ni dans la toxicité.

Justement ce tweet fait écho à des plaintes actuelles de streameuses françaises sur des comportements inacceptables vis-à-vis de leur personne. Est-ce que c’est aussi en partie vers ce genre de comportements qu’était adressé ton tweet Dina Belenkaya ?

Non pas vraiment. Je ne suis pas au courant de ce qui s’est passé, mais pour moi il y a autant une responsabilité chez les viewers de créer un environnement sain, que chez les streameuses elles-mêmes de dénoncer et sanctionner les comportements de la façon la plus objective et ferme possible.

Est ce que cela a parfois été jusqu’à te faire poser des questions sur le fait d’arrêter de streamer, même temporairement ?

Je suis née dans la Russie des années 90, d’une mère qui m’a élevé seule et j’ai passé ma vie à affronter des adversaires dans des compétitions. Le jour où je baisserai les bras à cause d’un anonyme derrière un écran n’est pas près d’arriver.

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Et voilà, ceci conclut notre interview avec Dina Belenkaya ! Merci à elle de nous avoir consacré un peu de son temps pour évoquer le sujet des échecs sur Twitch. D’ailleurs, il est très intéressant de voir le parallèle que celle-ci fait avec l’esport. 

En effet, en lançant cette expérience, c’était un parallèle que j’avais déjà fait. Toutefois, voir que même des joueurs aussi respectés comme Dina Belenkaya le font aussi ne fait que le confirmer. Oui, aujourd’hui les échecs sont loin de l’image qu’ils pouvaient avoir il y a encore quelques années. 

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Du moins, une partie de cette image évolue. Pour reprendre un poncif célèbre que l’on utilise souvent pour le Japon, aujourd’hui, les échecs se situent un peu entre tradition et modernité. D’un côté, on a la scène professionnelle classique avec ses codes qui peuvent paraître stricts et austères. 

De l’autre côté, on a la scène du streaming qui se développe avec un visage souvent plus extraverti comme le soulignait Dina Belenkaya. Mais ce qui est intéressant, c’est de voir que justement, elle fait partie des personnes qui font une passerelle entre ces deux mondes. Alors, comment vont évoluer les échecs dans le futur ? Personne ne le sait vraiment, mais c’est une évolution qui sera assez excitante à suivre !

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