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Comprendre le boycott d’Hogwarts Legacy

Par Tony Rubio
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Howarts Legacy est sans aucun doute l’un des jeux les plus attendus de 2023. Ce RPG d’action-aventure, développé par Avalanche Software, vous promet d’incarner un sorcier ou une sorcière dans l’univers d’Harry Potter.

Pour les fans de longue date de la saga, dont je fais partie, c’est tout ce dont nous pouvions rêver. Les avancées technologiques du jeu vidéo sont aujourd’hui telles que les développeurs sont capables de rendre compte à la perfection de l’univers d’Harry Potter.

Un Poudlard majestueux, des sortilèges et potions à foison, un bestiaire et un jeu magnifique : depuis plus d’un an, la hype est crescendo. Les fans de la première heure ont hâte de pouvoir mettre la main sur le jeu.

Pourtant, malgré l’allégresse liée à l’annonce du jeu, la sortie d’Hogwarts Legacy pose problème pour des raisons morales et politiques. Retour sur la polémique autour d’Hogwarts Legacy.

Sur les réseaux sociaux, plusieurs voix se sont élevées pour critiquer le jeu et ce qu’il apportera en royalties à Joanne K. Rowling. L’autrice à succès d’Harry Potter est critiquée depuis plusieurs années pour ses prises de positions transphobes et ses actions en faveur d’associations transphobes (qui participent activement à réduire les droits des personnes trans, notamment au Royaume-Uni).

La question d’acheter ou de boycotter Hogwarts Legacy est devenue épidermique.

Pour comprendre ce qui se joue derrière les critiques adressées au jeu et à J. K. Rowling, je suis parti à la rencontre de plusieurs streameur·euses qui ont fait le choix de ne pas acheter, ni jouer à Howgarts Legacy.

Un appel au boycott d’Hogwarts Legacy

Avant de parler de J. K. Rowling, arrêtons nous d’abord sur les critiques qui sont assénées à l’univers d’Harry Potter et à celui d’Hogwarts Legacy.

Celle que l’on retrouve le plus dans l’univers d’Harry Potter, ce sont les allégations d’antisémitisme qui peuvent transparaitre dans les ouvrages et les films.

Pour Résurgence, streameur·euse et ancien psychologue social, « les gobelins, c’est des banquiers (un trope récurrent dans l’antisémitisme) et ils ont à peu près tous les traits des caricatures antisémites. Dans le jeu, c’est censé être un peuple qui se révolte et qui veut tenter de renverser le monde. C’est aussi un trope de l’antisémitisme : les juifs présentés comme des maîtres comploteurs. Il y a peut-être beaucoup trop de parallèles pour que ce ne soit qu’un élément de ligne éditoriale. »

Même son de cloche pour Adèle* (son pseudo a été modifié), streameuse depuis 5 ans, qui considère que « J. K. Rowling est un peu trop obsédée par les juifs, entre l’étoile de David sur le sol de la banque de Gringotts (visible dans le film, ndlr) et les gobelins qui enlèvent des enfants. »

Les fans font le rapprochement avec le scénario du jeu, dans lequel les gobelins sont représentés comme des antagonistes et ont entamé une révolte pour faire valoir leurs droits.

gobelins hogwarts legacy

En 2021, alors que le jeu présente ses premiers trailers, une affaire vient rajouter du grain à moudre aux pro-boycott d’Hogwarts Legacy. Troy Leavitt, le lead designer du jeu y annonce sa démission sur Twitter. Loin d’être anodine, elle fait suite à la découverte de sa chaîne Youtube, réactionnaire et antiféministe, érigée sur les braises du Gamergate.

Objectivement, ces dernières années nous ont prouvé que les studios de développement de jeux vidéo sont loin d’être des espaces safe pour les personnes de genre marginalisé. Riot Games, Blizzard ou encore Ubisoft ont été épinglés et critiqués pour leur culture de boy’s club où règnent les comportements problématiques, entre sexisme, misogynie et harcèlements.

Le cas de Troy Leavitt est l’exemple de l’arbre qui cache la forêt. Il a suffi pour discréditer le jeu pour une partie de la communauté.

Pour autant, la symbolique dans Harry Potter a pu être importante pour certaines personnes trans. Elles ont pu y faire un rapprochement avec leur propre parcours de vie. Dans la saga, Harry est malheureux et maltraité dans sa famille, coincé dans un placard et dans une vie qui ne lui plaît pas. Son arrivée à Poudlard, la découverte d’un monde magique et enchanté, son amitié avec Ron et Hermione participent à une sorte de plénitude. Certain·es y ont vu une analogie avec les parcours de vie des personnes trans entre l’avant et l’après coming out/période de transition (même si tout n’est évidemment pas si simple).

Les personnes trans partagent des parcours de vie parfois similaires (mais pas forcément homogènes) et luttent constamment contre la discrimination, contre le harcèlement, contre l’obstructionnisme médical et contre leur exclusion de la vie publique. C’est probablement ces faits matériels et objectifs qu’il faut prendre en compte pour comprendre les levées de bouclier contre Hogwarts Legacy.

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Concrètement, qu’est-ce qui est reproché à J. K. Rowling ?

La sortie d’Hogwarts Legacy a cristallisé un nombre incalculable de critiques envers l’autrice d’Harry Potter. Tout le monde n’étant pas au fait de ce qu’à pu dire ou faire Rowling, je vous propose aujourd’hui un retour historique pour mieux comprendre les critiques qui lui sont adressées.

Il faut revenir cinq ans en arrière pour comprendre comment tout a commencé.

Au départ, c’est un simple like, lourd de conséquence, qui mettra la lumière sur l’autrice à succès, qui avait jusque-là était épargnée de toute vindicte populaire. J. K. Rowling like un tweet – qu’elle qualifiera plus tard d’accidentel – qui compare les femmes transgenre à des « hommes en robe ».

L’année suivante, toujours sur Twitter (avec son blog et ses écrits, ce sera son principal outil de communication), J. K. Rowling apporte son soutien à Maya Forstater. La jeune femme vient de voir son contrat de travail non reconduit suite à ses commentaires jugés transphobes sur les réseaux sociaux.

Comme l’explique très justement Katy Montgomerie dans son article Medium, “il ne s’agissait pas d’un simple tweet anodin, mais de plusieurs mois de campagne visant à retirer aux femmes transgenres les droits dont elles disposent aujourd’hui pour se protéger contre le sexisme, la misogynie et la violence sexuelle dont elles sont victimes en tant que femmes, et à refuser de respecter les personnes transgenres pour ce qu’elles sont.”

Depuis, Maya Forstater a cofondé l’association et lobby Sex Matters. L’association plaide et produit des ressources pour “rétablir l’importance du sexe dans les règles, les lois, les politiques, le langage et la culture.” Sur le site, on retrouve pêle-mêle des actions transphobes liées à l’éducation, de la désinformation sur les thérapies de conversion, des livres contre le « trans-activisme » et les mouvements en faveur des personnes trans.

Adèle confirme ses informations et appuie pour dire que « l’association Sex Matters lutte vraiment en défaveur des droits des personnes trans et essaie de faire passer des lois anti trans. C’est très concret. »

Ce premier tweet d’une longue série est la première pierre d’un discours qualifié de transphobe par les personnes et associations LGBTQIA+ et leurs allié·es.

La transphobie peut être définie comme l’aversion pour les personnes transgenre, c’est-à-dire les personnes dont l’identité de genre ne correspond pas au sexe biologique qui leur a été attribué à la naissance. Par exemple, une personne née avec un sexe biologique dit masculin, un pénis, mais qui se sent femme (une femme trans).

En dehors de l’aversion, la transphobie englobe aussi tous les actes verbaux, matériels et politiques qui visent, de manière consciente ou non, à réduire les droits des personnes trans.

C’est précisément ce qui est reproché aujourd’hui à J.K Rowling. Pour les streameur.euses, l’autrice ne fait pas qu’écrire des tweets offensants : elle se sert de son influence et de son argent, en bref de son pouvoir, pour réduire les droits des personnes trans, notamment en Grande Bretagne.

Comme l’évoque Résurgence, « JK c’est une personne publique qui prend la parole pour attaquer des minorités, mais en plus elle a des moyens financiers et politiques qu’elle met en action. Elle a une visibilité phénoménale, ces discours sont entendus et validés par une quantité phénoménale de personne. En plus, elle a une machine médiatique et monétaire qu’elle met en action pour financer des partis et des personnes anti-trans. Il y a cinq ans d’éléments qui prouvent qu’elle est transphobe, qu’elle s’attaque aux droits des trans, qu’elle finance des personnes qui s’attaquent aux droits des trans, et c’est grave. Le fait que des gens lui trouvent encore des excuses sur ses sorties est une hypocrisie.« 

En 2020, elle fait la promotion d’une boutique qui ne cache pas sa transphobie. Plus tard, elle critique le terme “personnes qui ont leurs règles”, une expression qui a le mérite d’inclure également les hommes transgenre.

En 2022, l’autrice s’est opposée à un projet de loi de réforme sur les personnes trans en Ecosse.

Pour les personnes peu politisées ou peu averties des problématiques des luttes en faveur des droits des personnes trans, ces tweets et leurs impacts ne trouvent pas forcément une explication limpide.

Inscription dans une mouvance TERF

Ils s’inscrivent pourtant dans toute une histoire et une stratégie politique transphobes plus ou moins conscientisées.

Les idéaux et les stratégies politiques de J.K Rowling se rapprochent des mouvements féministes TERF (pour Trans-exclusionary Radical Feminist, des “féministes” qui excluent les personnes trans de leurs combats). En France, cette idéologie est incarnée depuis plusieurs années par Marguerite Stern, et plus récemment par Dora Moutot (la personne à l’initiative du compte Instagram t’asjoui ?).

Cette idéologie considère entre autres que les personnes trans, et plus particulièrement les femmes trans, seraient un danger pour les femmes cis (cis pour cisgenre, les personnes dont l’identité de genre correspond à leur sexe attribué à la naissance, une personne née avec un pénis qui se sent homme). Avec l’idée qu’une femme trans resterait un homme, donc un potentiel agresseur pour les femmes cis.

Les mouvements TERF cumulent des points de vue ethnocentrés (femmes cis blanches bourgeoises), essentialistes et enclavés dans la désinformation (consciente ou non).

Ce mouvement de pensée minoritaire dans les courants féministes est également critiqué par sa collusion avec les mouvances et idéologies d’extrême droite. La présence de Marguerite Stern et Dora Moutot sur la chaîne YouTube de Valeurs Actuelles en est l’un des derniers exemples.

De manière synthétisée et non exhaustive, voilà ce qui est reproché à J. K. Rowling.

Si vous souhaitez en apprendre plus, La gazette du sorcier tient régulièrement à jour les positions transphobes de J.K Rowling sur son site et je vous conseille également la vidéo de la streameuse Contrapoints, qui analyse très justement la portée politique des actes de J. K. Rowling et du mouvement TERF (en anglais mais avec sous-titres en français).

Si l’on met de côté ces considérations, les streameur.euses mettent aussi l’accent sur les royalties que J.K. Rowling touchera des ventes d’Howgarts Legacy. C’est là aussi l’une des raisons de leur boycott d’Hogwarts Legacy.

Résurgence maintient sa position : « j’ai dit que je ne l’achèterai pas, je ne le ferai pas, je ne le streamerai pas. Je comprends qu’il y ait des gens qui veulent absolument le faire et ils en ont le droit. Ceci dit, autant le pirater ou donner de l’argent à des associations qui vont protéger les personnes trans.« 

Pour Joy_Sticks, streameuse depuis plus de cinq ans, “c’est un non, je ne veux pas le streamer et donner envie à des gens d’y jouer et de l’acheter. Je ne peux pas me permettre de faire de la publicité pour une personne qui met en danger d’autres personnes.”

Militantisme sur les réseaux sociaux

Sur Twitter, depuis l’annonce de la sortie d’Hogwarts Legacy, c’est la guerre. Entre les extrêmes irréconciliables, beaucoup de personnes qui n’y connaissent pas grand-chose. Des personnes qui s’y connaissent un peu plus tentent d’alerter sur les tenants et aboutissants d’un achat et/ou d’un stream du jeu.

Malgré ce que certains appellent des « dramas », ces débats ont eu cet intérêt de faire la lumière sur les problématiques autour de la transidentité en France.

Que l’on soit pour ou contre Hogwarts Legacy, finalement peu importe. Puisque bon an mal an, le sujet a fait son chemin et des personnes sont ressorties avec plus d’armes pour comprendre les combats que mènent aujourd’hui les associations et personnes LGBTQIA+

Pour Résurgence, « parler de ces combats là, les faire exister dans la place publique, ça donne de la visibilité. Même les avis éclatés sur Twitter participent à donner de la visibilité aux causes et il y a des personnes qui peuvent être touchées. Dans notre vie privée, on peut avoir des impacts sur certaines personnes et leur faire prendre conscience de certaines choses, de certaines causes. »

Bien que cisgenre, Adèle a « partagé des thread de personnes concernées » tandis que le tweet de Joy_Sticks a « pu toucher des personnes qui se sont senties soutenues et informé des personnes qui ont été choquées par ce qui s’était passé. »

Elle rajoute que « ce n’est pas parce qu’on est pas directement concerné par un sujet, qu’on ne peut pas agir pour aider les autres. Je suis pas concernée par la transidentité, mais je trouve ça normal que n’importe quel être humain sur terre ait les mêmes droits que tout le monde. Qu’on soit aujourd’hui obligé de se battre pour avoir le droit d’exister, je trouve ça extrêmement violent. »

Faut-il boycotter Hogwarts Legacy ?

C’est la question à 10 000 dollars. Est-ce qu’il faut oui ou non boycotter Howgarts Legacy ?

Eh bien, c’est un choix moral et politique, et il vous appartient. Le fait de ne pas regarder la coupe du monde au Qatar, ne pas vouloir acheter de vêtements d’entreprises qui font travailler les Ouïghours, arrêter ou réduire sa consommation de viande en sont d’autres exemples.

trans rights now

Oui, J.K. Rowling se servira certainement des royalties du jeu pour faire progresser son idéologie et aider les associations transphobes à réduire les droits des personnes trans. Elle le fait déjà, bien assise sur une fortune qui approche du milliard. Que le jeu fasse un flop ou qu’il soit une réussite, cela ne changera probablement rien pour elle.

Joy_sticks veut faire de la prévention et réitère que « beaucoup de gens ne se sentent pas concernés par ça, et c’est pour ça que ça pose problème. N’oublions pas que ce jeu finance J.K Rowling, et qu’elle a ouvertement dit que si on achète le jeu, c’est qu’on est d’accord avec ses idéaux. C’est une personne qui agit et finance des actes dangereux. »

Bien que les streameur·euses confirment qu’ils n’interdisent pas aux gens d’acheter le jeu, iels estiment qu’il y a d’autres façons d’apporter son soutien aux personnes trans.

Sur ce sujet, Adèle avance que « la vie des gens vaut plus que le plaisir de jouer à un jeu. D’autant plus qu’on ne demande pas aux gens de ne pas jouer au jeu : on leur demande juste de peut-être trouver une alternative, se le faire prêter, l’acheter sur le bon coin en seconde main. » Un argument aussi partagé par Joy_Sticks, « pirater le jeu, acheter d’occasion, ça ne lui donnera pas de thunes directement. Tout ce qu’on fait, tout ce qu’on consomme, c’est politique. Les jeux vidéo, c’est politique. »

Les streameur·euses ne sont d’ailleurs pas les seul·es à user de leur voix pour parler de ces sujets. Dernièrement, le média spécialisé Gamekult a lui aussi préféré ne pas faire de test du jeu et s’est expliqué dans un thread sur Twitter.

Hogwarts Legacy sort demain, vendredi 10 février, et sera sans aucun doute un succès. Les discussions entamées sur les réseaux sociaux et dans les articles de presse vont être étouffées par les notes du jeu et les streams sur Twitch.

Elles auront eu l’intérêt de faire exister, ne serait-ce qu’un temps, des conversations en faveur des droits des personnes trans. Malheureusement, elles auront aussi participé à rendre visibles les violences verbales antitrans et les discours de l’extrême-droite. Les échanges sur Twitter ont été artificiellement mis dos à dos comme deux parties valides et égales du spectre militant : celui des pro-boycott et celui des propos transphobes (dont on rappelle qu’ils constituent un délit passible de 3 ans d’emprisonnement de 45 000 euros d’amende). Les propos discriminatoires sur la plateforme sont désormais légion et peu modérés depuis le rachat de Twitter par Elon Musk. Et ce, alors même que les personnes marginalisées avaient trouvé avec Twitter un moyen de faire prospérer leurs luttes sur internet.

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