Le jeu vidéo a transposé tout ce que l’humain pouvait imaginer et inventer : des paysages somptueux, des architectures futuristes aux bestiaires infinis et armes inventées de toutes pièces. Oeuvres artistiques à part entière, les jeux vidéo mobilisent des thématiques propres aux époques auxquelles ils ont été conçus : le rapport à la violence, à la mort, à l’aventure et pour ce qui nous intéresse aujourd’hui, à l’amour.
L’amour dans le jeu vidéo, compris comme spectre et vecteur des relations amicales, amoureuses et sexuelles, tient une place majeure dans l’engagement émotionnel des joueur·euses.
De toute ma carrière de joueur, c’est la relation d’amour entre Ellie et Joel dans The Last of Us qui m’a le plus touchée. J’ai aussi été embarqué émotionnellement dans celles innombrables de Spiritfarer, mais aussi par la relation d’amour qui lie Max et Chloé dans le premier opus de Life is Strange.
En discutant avec des amis, je me suis rendu compte qu’on avait du mal à lister des relations amoureuses qui nous avaient vraiment touchées. Même si on en a discuté entre hommes, j’ai l’impression que ces thématiques sont très peu explorées. Dans le genre grand public, je dois avouer qu’elles restent maladroites et souvent mal amenées. Plusieurs fois, les scénaristes n’ont pas réussi à m’engager émotionnellement dans les histoires d’amour qu’ils me proposaient.
En me lançant dans ce papier, j’avais envie de comprendre comment les créateur·rices construisaient leurs scénarii de romance. Comment s’y prennent-ils pour élaborer les psychologies des personnages ? Comment les personnages sont amenés à entretenir ou non des relations amoureuses, romantiques et sexuelles ?
Interroger la production des relations d’amour dans le jeu vidéo revient à questionner le travail de création des jeux vidéo. Comment les travailleur·euses produisent des imaginaires, des représentations stéréotypées ou non des personnages féminins et/ou masculins… Quoiqu’il arrive, les jeux vidéo restent vecteurs d’une certaine vision du monde. Ils sont le reflet des cultures dans lesquelles ils sont produits, et participent à créer ou recréer des imaginaires collectifs. L’amour et ses représentations n’y échappent pas.
Est-ce que le jeu permet d’entretenir des relations amoureuses et/ou sexuelles ? Est-ce que le joueur a le choix entre plusieurs prétendant·es ? Peut-il décider de ne pas en avoir ? Les personnages rentrent-ils tou·tes dans les canons de beauté ? Sont-ils sexualisés, de quelles manières… En bref, comment sont pensés aujourd’hui les relations sexuelles et l’amour dans le jeu vidéo ?
C’est dans ces questionnements que j’ai envie de vous emmener avec moi aujourd’hui.
Construire des relations amoureuses dans le jeu vidéo, un choix politique
En tant que joueur·euse, nous avons été très tôt habitué·es à jouer des hommes et des personnages aux propriétés masculines. Si je dois faire l’inventaire de mes premiers jeux vidéo : Donkey Kong, Spyro, Crash Bandicoot, Snake de Metal Gear Solid, Sonic, Mario et Zelda nous font jouer des personnages masculins (en tout cas dans les premiers jeux).
Les personnages féminins étaient à la fois proches (une alliée, un amour à sauver) et distanciés (impossibilité de jouer avec). Mario et Zelda ont vraiment cristallisé cette approche, avec le fameux “save the princess”.
Ces choix d’écriture ont eu un impact sur les imaginaires des joueurs et des joueuses de jeux vidéo. Et bien évidemment sur les façons dont nous avions de voir les relations interpersonnelles.
Avec seulement 22% de femmes dans les studios de développement, et une part très minoritaire de personnes non-binaires (~5%) et trans (~2%), le jeu vidéo reste un secteur où sont surreprésentés les hommes cisgenres. Forcément, les idées et productions artistiques suivent la marche. Cette réalité du jeu vidéo est savamment critiquée et remise en cause par les organisations féministes de l’industrie. Afrogameuses, Game Impact, le RIJV, le STJV, Women in Games militent pour plus de diversité et de représentations des personnes marginalisées dans la production des jeux vidéo. Un objectif qui permettrait de renouveler l’offre et la demande des thématiques abordées dans les créations culturelles vidéoludiques.
Aujourd’hui, on retrouve en majorité des éléments bien définis, parfois stéréotypés, dans les romances ou les relations sexuelles.
Ces choix sont politiques, puisque l’amour est un objet politique.
De la difficulté de parler d’amour
Selon le trésor de la langue française informatisée, l’amour est défini comme “une attirance, affective ou physique, qu’en raison d’une certaine affinité, un être éprouve pour un autre être, auquel il est uni ou qu’il cherche à s’unir par un lien généralement étroit”.
Les manières dont nous choisissons de représenter la romance et l’amour dans le jeu vidéo est politique. Comment sont construits physiquement et psychologiquement les personnages ? Comment interagissent-ils entre eux ? Est-ce qu’ils peuvent nouer des relations amoureuses ? Peuvent-ils relationner avec plusieurs personnes ? Tous ces choix sont des choix politiques.
Ces choix vont participer à définir la romance. Elle sera plus ou moins conforme à l’idée que les travailleur·euses du jeu vidéo s’en font. Dans l’imaginaire collectif, l’amour relève du privé et reste plutôt réservé aux femmes qu’aux hommes. Les différences des socialisations genrées, les stratégies marketing à destination des garçons, et les stéréotypes de genre ont probablement eu des impacts sur les représentations de l’amour dans le jeu vidéo.
Il existe une multitude de façons de parler d’amour. L’amour va prendre des formes différentes selon les personnes, leurs parcours de vie, leur âge, leur classe sociale… Chacun·e va en parler de manière différente. Les visions de l’amour, les mots que l’on met sur la romance, la drague vont diverger selon les individus.
Pour ces raisons, il va être particulièrement difficile de faire adhérer un maximum de personnes à sa définition de l’amour. Créer des histoires romantiques, et des relations amoureuses sincères et cohérentes est un défi pour les créateur·ices de jeux vidéo.
En interrogeant mon entourage sur les relations amoureuses marquantes, c’est Mass Effect qui est revenu le plus souvent. En permettant d’entretenir des relations amoureuses, sincères, multiples et homosexuelles, Mass Effect a participé à élargir l’éventail des possibles des romances dans le jeu vidéo.
Il laisse libre cours au joueur ou à la joueuse de décider. Soit de ne s’engager dans aucune romance (le fait que ce soit possible est vraiment intéressant !), soit de s’engager dans une romance (qu’elles soit hétérosexuelle ou homosexuelle) et même de s’engager sexuellement avec plusieurs partenaires. En plus vous pouvez relationner avec des aliens, avec toutes leurs spécificités anatomiques et culturelles !
Pour autant, le jeu a été pensé de telle manière à ce que le polyamour ne soit pas possible. Au moment où vous relationner sérieusement avec une personne, les autres ne chercheront plus à relationner avec vous.
Pour trouver des exemples concrets d’amour dans le jeu vidéo, il faut se tourner vers les jeux de romance. Les jeux vidéo de type dating game en sont l’un des principaux porte-étendards.
Les otome game, véritables hymnes à la romance
Un otome est un genre de jeu vidéo qui consiste à développer une romance entre la joueuse et un personnage. C’est un jeu de drague, souvent développé sous la forme de visual novel ou roman vidéoludique en français. Le genre otome game est spécifiquement associé à la culture japonaise. En Europe ou aux Etats-Unis, on préférera parler de dating game ou de jeu de romance.
“Au Japon, les otome game ont été créés pour encourager les jeunes filles à s’intéresser à des loisirs liés à la technique. C’est seulement plus tard que le marché a évolué pour s’adresser aux étudiantes et aux femmes proches de la trentaine, qui ont de l’argent” précise Leticia Andlauer, docteure en sciences de l’information et de la communication, qui a fait sa thèse sur Amour Sucré, un dating game français, qui se considère comme « un jeu d’amour et de drague pour filles ».
Les dating game respectent un certain schéma canonique : jeu prévu pour les femmes, le personnage principal est un personnage féminin, et son crush presque exclusivement toujours un homme.
Véritables jeux de romance, les dating game correspondent aux archétypes et aux stéréotypes liés aux questions de genre, de drague… Pour prendre les exemples d’Amour Sucré et Is It Love ? les équipes créatives s’appuient sur les retours des joueuses, que ce soit via des groupes Facebook ou des forums.
“Il y a eu un retour d’un jeune homme, qui disait qu’il était parfois dérangé par la musculature représentée chez les jeunes garçons du jeu. Proposer ce genre de représentations de l’homme très musclé à 17 ans, très peu réaliste, ce n’est pas sain” analyse Leticia. Elle rajoute “C’était obligé pour elles [les créatrices] d’avoir des clichés parce que ce sont des codes déjà existants dans le genre otome games, et dans toute une tradition du loisir féminin et des produits culturels destinés aux femmes. Quand on veut créer ce genre de produits, c’est indispensable de reprendre certains codes et stéréotypes de genre : le bad boy, le premier de la classe, l’ami d’enfance etc.”
Les stéréotypes de genre poussent parfois les communautés de joueuses à valider ou invalider les choix des équipes scénaristiques. Martin, ancien game designer pour Is It Love ? l’explique assez justement : “On avait une audience assez vieille et très engagée notamment vis-à-vis des considérations culturelles et politiques. On a construit une histoire lesbienne et créé des personnages secondaires homosexuels, et beaucoup de joueuses de la première heure sont montées au créneau. Moins par homophobie que par un conservatisme général, parce qu’on avançait pas sur les histoires déjà créées. Je pense que faire des personnages non-binaires ce sera très compliqué […] Les joueuses engagées sont plus conservatrices et paient le plus : on ne pouvait pas se fâcher avec. On s’est trop focalisé dessus et ça nous a empêché d’évoluer.”
Il n’existe pas à proprement parler de formations pour écrire des histoires d’amour. C’est en autodidacte et grâce aux aller-retours constants avec la fanbase que les créateur·rices se forment et co-construisent des romances qui tiennent la route. Leticia parle de « construction culturelle commune, des joueuses et des créatrices ».
Dans les jeux grand public, les romances et les relations amoureuses restent des thématiques secondaires. Parce qu’historiquement, on a décorrélé l’amour de ce qui est fun, engageant pour les joueuses et les joueurs. C’est l’aventure, l’exploration et tout un système de violences qui ont pris le devant de la scène.
Les jeux de romance, dont les otome game ne sont qu’une incarnation, restent l’un des rares accès à une autre manière de jouer aux jeux vidéo, comme peut l’être par exemple le slow running. Replacer l’amour au centre des considérations des travailleur·euses du jeu vidéo pourraient permettre au genre grand public de raconter d’autres histoires.
Cela pose aussi la question des intérêts qu’on alloue aux sujets de l’amour dans le jeu vidéo. En en faisant une thématique secondaire, le travail d’écriture s’en ressent. Rares sont les histoires d’amour qui arrivent à placer la barre haute sur ces sujets.
Du côté de la scène indépendante, les sujets de l’amitié et de l’amour avec un grand A ont le droit à un rayonnement plus important. Dernièrement, c’est le jeu Spiritfarer qui m’a touché, tant les équipes ont placé l’amour et l’amitié comme thématique centrale de leur œuvre. Dans un style entièrement textuel, le jeu Queers in love at the end of the world, aborde les dix dernières secondes entre deux amant·es queer avant que la Terre n’explose. L’œuvre stimule les imaginaires de l’amour en utilisant l’écrit et en faisant appel aux affects des joueur·euses.
Les représentations des relations sexuelles dans le jeu vidéo
En dehors de la scène indé, les sujets de l’amour et de la romance manquent terriblement au medium du jeu vidéo. Mais l’amour, même s’il est moins prégnant que la violence, reste relativement visible en tant que tel. De l’autre côté du spectre, la thématique du sexe et des relations sexuelles restent franchement le parent pauvre du médium.
Les communautés de jeux vidéo ont longtemps pointé du doigt la virilisation à l’excès des personnages masculins, et surtout la sexualisation des personnages féminins. Un phénomène d’ampleur qui a poussé dernièrement l’association Women in Games à renverser ces représentations stéréotypées via une vidéo de gender swap. Un travail qui a cristallisé les critiques de certaines féministes, qui dénonçaient les relents queerphobes et homophobes de l’action.
Les manières dont nous choisissons de représenter les corps féminins et masculins en disent long sur les représentations stéréotypées à la fois des créateur·rices, mais aussi du public visé. Les relations sexuelles dans le jeu vidéo n’échappent pas à ces stéréotypes de genre.
En listant les occurrences de relations sexuelles dans les jeux vidéo grand public, je me suis rendu compte que les scènes de sexe restent le plus souvent suggérées, alors que les scènes de violences et les assassinats en tous genre sont légion dans le medium.
De manière générale, la sexualité dans le jeu vidéo se restreint à tout un ensemble de représentations hétéronormées. La majorité des personnages jouables ont des propriétés masculines. Ces personnages sont créés par des hommes et pour des hommes.
Sortir du male gaze pour diversifier le jeu vidéo
Le male gaze ou regard masculin en français, est un concept féministe qui explique comment la culture visuelle est essentiellement créée et construite par les hommes (cisgenres et hétérosexuels), et donc via le regard masculin. Cela participe à créer des œuvres (photographies, vidéos, films, fictions) qui s’attachent à montrer les femmes via des prismes paternalistes, sexistes, voyeuristes. Dans le jeu vidéo, ça a forcément un impact sur les manières dont les personnage joués vont voir et interagir avec les autres. Et comment ils vont engager des relations amoureuses et sexuelles.
Les relations hétérosexuelles restent la norme et les scènes de sexe restent souvent suggérées. L’acte de pénétration est un passage obligé tandis que le reste de la relation sexuelle reste vanille (comprendre conventionnel).
Un constat que partage Kenzie Wintermelon, développeuse du jeu Hardcoded, véritable ode à la représentation des relations amoureuses et sexuelles des personnes trans, volontairement pornographique :
C’est l’une de ces choses qui fait qu’un jeu ne semble pas réaliste. Comment être stupéfaite alors que, parmi tout un casting de personnages, aucun ne demande à se faire marcher dessus, humilier ? Pas de little (ndlr, pratique qui consiste à jouer le rôle de quelqu’un de plus jeune) ? Pas de furries (ndlr, animaux aux caractéristiques humaines) ? Où est la salope qui n’arrête pas de se tortiller parce qu’elle a fait voeu de chasteté ? J’adore ce genre de choses, je trouve ça mignon, mais c’est aussi une facette de la création que les auteurs sous-utilisent. Je ne sais pas pourquoi les jeux détestent la perversion.
Dans les jeux où des relations sexuelles sont possibles entre personnages, visibles et non-suggérées, les actes de pénétration restent la norme. Le sexe oral reste peu visibilisé, bien qu’on en ait eu dernièrement des exemples avec Cyberpunk 2077 (lesbianisme, fellations et cunnilingus), The Last of Us Part II (lesbianisme, cunnilingus) ou encore GTA IV et V (fellations).
Pour avoir accès à un éventail des possibles plus élargi en termes de représentations des sexualités, il faut se tourner vers les jeux vidéo à tendance pornographique ou qui s’assument totalement comme tel. Donc vers le +18 et l’indépendant.
La limite entre l’érotisme et la pornographie, c’est vraiment une distinction de culture bourgeoise
Hormis quelques jeux flash dans les années 2000, je dois avouer que mes connaissances en jeux vidéo pornographiques sont nulles. J’ai donc été à la rencontre de Charlotte Courtois, doctorante à l’UdeM qui rédige sa thèse sur l’histoire des jeux vidéo pornographiques, notamment sur les micro-ordinateurs Commodore 64 et ZX Spectrum.
Selon Le Larousse, la pornographie est définie comme la “présence de détails obscènes dans certaines œuvres littéraires ou artistiques ; publication, spectacle, photo, etc., obscènes”. La subjectivité de ce que l’on définit comme obscène rappelle d’ailleurs les liens que l’on peut faire entre l’érotisme et la pornographie, que détaillent Charlotte.
« Les définitions les plus courantes de la pornographie, c’est “tu sais que c’en est quand t’en vois”, ce qui est pas très scientifique mais quand même assez éclairant. De façon plus théorique, j’écrirais que c’est le degré d’explicite dans le texte ou les visuels. Je pense même que la barrière entre érotisme et pornographie n’a pas beaucoup d’importance, elle relève sans doute d’une culture bourgeoise. Je pense qu’on a plutôt tendance à dire que l’érotisme c’est ce qui est écrit, parce que le littéraire c’est plus légitime. La pornographie, ce serait la mauvaise représentation du sexe, ce qui est avide d’argent, c’est ce qui est plus cru, mal fait, pas beau. C’est superficiel comme séparation, c’est vraiment fait pour légitimer sa culture sexuelle.”
En effectuant ses travaux de recherche et après avoir collecté plus de trois cent jeux vidéo pornographiques sur Commodore 64 et ZX Spectrum, Charlotte Courtois a tissé très vite des liens entre les premier·e·s créateur·ice·s de jeux vidéo porno, les hobbyistes, et les travailleur·euses indépendants d’aujourd’hui.
« On fait en général un parallèle entre le sexe et l’argent qui vend beaucoup. Pourtant historiquement les jeux vidéo pornographiques ont l’air d’avoir été faits par des gens qui ne gagnaient pas de thunes grâce à leur pratique et créaient par goût pour le développement. Beaucoup de jeux que je vois sont marrants et ne prennent pas forcément la sexualité de façon sérieuse et négative. Le ton est plutôt enjoué, beaucoup de jeux sont des célébrations de la sexualité. »
Les thématiques de l’amour et de la sexualité restent minoritaires comparées à celles de la violence, des armes. Le médium jeu vidéo reste l’apanage d’une certaine culture violente, viriliste et colonialiste, comme nous en avions longuement discuté avec Mehdi Derfoufi. Un constat que partage Charlotte : « Les jeux vidéo sont rattachés à l’histoire du medium informatique qui est lui-même intimement lié à des innovations faites pour le milieu militaire, pour les armées, le gouvernement, pour être utilisé sur des champs de bataille. Aujourd’hui, il y a des pilotes de drone qui utilisent des manettes de Xbox : les liens entre l’armée et les jeux vidéo, ça a été tout au long de l’histoire.«
Redonner une place à la romance et aux sexualités dans le jeu vidéo
Charlotte plaide « pour qu’une place soit légitimement faite aux jeux où la sexualité, qu’elle soit pornographique ou érotique, est épanouie : l’histoire est passée complètement à côté des jeux vidéo porno, par snobisme, parce que c’était pas assez légitime à étudier. Il est temps aujourd’hui d’assumer ces jeux qui font partie de l’histoire du medium, parce qu’il y a des choses fantastiques qui ont tout autant leur place dans l’histoire du jeu vidéo.«
Même son de cloche pour Kenzie, qui émet une critique sur la façon dont on crée des jeux vidéo aujourd’hui. Elle en profite pour partager son ressenti sur les questions de diversité appliquées à Hardcoded.
« J’ai l’impression que Hardcoded n’a pas sa place dans une méta où les gens sont attirés par la diversité. Je n’essaie pas d’atteindre la diversité, je veux juste que le jeu soit réel. Si un jeu ne représente que des hommes blancs, valides et baisant de manière morne, alors il est simplement fait par quelqu’un qui n’a pas d’amis, boit du Soylent au petit-déjeuner et vit dans un appartement monochrome et préfabriqué. Hardcoded a un casting coloré, mais il n’inclut que très peu les différences culturelles et d’autres choses qui, selon moi, doivent être incluses si la diversité est le but recherché […] Concernant les problématiques pour plus de diversité, je ne sais pas comment résoudre ce problème. J’imagine qu’une réponse qu’on pourrait apporter serait d’engager un personnel moins homogène et de virer les connards. »
La sexualité et par extension la pornographie, sont les enfants pauvres du jeu vidéo grand public. Même un jeu comme GTA n’ose presque pas proposer des scènes de sexe. Alors même qu’il met en scène de la violence inouïe, la consommation de drogues et le travail du sexe. La pilule passera toujours mieux pour mettre en scène la violence physique que la vision de relations sexuelles. Même en PEGI 18.
La sexualité féminine dérange parce qu’on a du mal dans nos productions culturelles à parler de sexualité de façon crue lorsque les produits sont destinés aux femmes
Sans forcément parler de puritanisme, il y a un malaise autour de la sexualité dans le jeu vidéo. Sans imposer le sexe pour le sexe, on peut légitimement poser la question du traitement de ces thématiques par les travailleur·euses du jeu vidéo. Surtout pour les éditeurs de jeux à succès comme GTA, Assassin’s Creed et tant d’autres (PEGI 16 et 18 notamment).
Pour Leticia Andlauer, « la sexualité féminine dérange parce qu’on a du mal dans nos sociétés et dans les productions culturelles à parler de sexualité de façon crue lorsque les produits sont destinés aux femmes. C’est venu par la fanfiction. Pour les lectrices, ça manque de sexualité dans les productions qu’on leur propose et c’est pour ça qu’elles ont commencé à écrire. La fanfiction, de base, c’est une sexualité très crue, c’est du porno très descriptif et très détaillé. Il n’y a pas de niche de production culturelle qui va s’y attaquer. Ce n’est pas bien reçu et c’est compliqué pour des créateurs qui voudraient s’y attaquer. Ça reste quelque chose d’indépendant, de niche.
Pour poursuivre dans la direction proposée par Leticia, dans Is It Love ? Martin explique qu’ « il n’y a pas une seule histoire où il n’y a pas de relations sexuelles. En 2012, les otome étaient principalement japonais et il n’y avait pas de sexe. Ils se sont basés sur un public européen, où ça parle culturellement beaucoup plus de cul […] J’ai le sentiment que c’est attendu par les joueuses. Les secret scene qui annoncent du cul sont généralement les plus ouvertes par les joueuses.«
Selon les propos de Leticia et Martin, il y a une demande féminine pour la romance et la sexualité. Les sujets avancent, à tel point que les débats sur la diversité et l’inclusion ont imposé certaines métriques aux équipes de création. Alors que ce n’était pas forcément le cas avant, pour Is It Love ? Martin assure que désormais, « il faut clairement qu’il y ait du consentement, dans le sens où ce n’était pas forcément le cas avant. Et il faut aussi qu’ils aient des relations protégées !«
Sans aller jusqu’à dire que le jeu vidéo est un accélérateur inouï des idées progressistes et des représentations liées à l’amour et la sexualité, il reste que pour Leticia, les otome game « ont été pour certaines filles des sources d’interrogation, parce que c’est à partir des otome game qu’elles ont commencé à s’intéresser aux questions de consentement, de sexualité, de féminisme, de représentations médiatiques des femmes. »
C’est peut-être aussi ça qu’il faut aller chercher : créer des jeux vidéo qui permettent à des jeunes femmes, des personnes trans, en situation de handicap, d’avoir accès à un univers des possible qu’on leur a refusé jusque-là. Pour ça, on peut évidemment s’appuyer sur la scène indépendante qui en regorge d’exemples. Mais aussi et surtout renverser le rapport de force de la scène générale pour produire d’autres types de jeux vidéo.
On pourrait conclure ce papier sur le sexe et l’amour dans le jeu vidéo sur un constat relativement simple : les jeux vidéo doivent à terme mieux représenter ces thématiques, mais on peut aussi parler de la sous-représentation des sujets comme le handicap, les souffrances psychologiques, et tant d’autres.
En réalité, ce qui se joue en sous-jacent, ce sont tous les aspects qui participent à promouvoir la diversité. Diversité de thématiques abordées dans les jeux vidéo, mais aussi et surtout de la diversité des équipes créatrices. On en a eu des exemples ces dernières années, avec les efforts conjugués des associations et organismes citées plus haut. Les initiatives libérales qui consistent à appuyer et favoriser les carrières des personnes marginalisées déjà en place est une chose. Mais comment aboutir à un vrai renversement des rapports de force dans l’industrie ?
La diversité des représentations des sexualités et de l’amour dans le jeu vidéo passe aujourd’hui abondamment par la création indépendante. Relativement passée sous les radars, puisqu’invisibilisée du fait de leur absence de lien avec les investisseurs et les grands éditeurs, la scène indépendante a le mérite de faire exister ce qui ne se fait pas/plus pour le grand public.
Si la scène indépendante reste complètement libre, les grosses productions restent dépendantes des critères de classification et de distribution de leurs jeux. Cette auto-censure impacte aussi la diffusion des contenus à caractère romantiques et/ou adultes sur les plateformes vidéo et les réseaux sociaux. Ça peut de fait limiter les communautés à des forums type Reddit ou des canaux communautaires plus restreints.
On pourrait se prendre à rêver et vouloir décorréler la création artistique vidéoludique des impératifs capitalistes des investisseurs. A moins d’une grève généralisée chez tous les éditeurs, je pense qu’on peut faire une croix dessus.
Sans aller jusque-là, on peut tenter de favoriser de vraies initiatives en faveur de la représentativité dans les studios de développement français du jeu vidéo. On fera l’impasse sur les organismes qui nouent des partenariats avec les géants du secteur, qui multiplient au mieux les sorties nulles et au pire entretiennent un climat anxiogène et dangereux pour les personnes marginalisées.
Les influenceur·euses pourraient aussi mettre la thématique de l’amour dans le jeu vidéo sous les feux des projecteurs. Si et seulement si leur influence n’est pas complètement parasité par les opé spé des grands groupes.
Des associations plus radicales aux syndicats du jeu vidéo, tou·tes proposent de changer drastiquement les règles du jeu. Il faut qu’on arrive à se donner les moyens de faire du jeu vidéo autrement, de laisser la place à d’autres thématiques, et à créer des passerelles entre la liberté d’expression créative de la scène indé et la scène vidéoludique dominante. A nous de jouer.