Jamais par le passé, l’humanité a été exposée à autant d’images au quotidien. Qu’elles soient audiovisuelles, photographiques, dessinées, peintes, les images sont omniprésentes.
Notre imprégnation est forte, au point que la majorité d’entre nous ne comprend pas toutes les significations sans en avoir conscience.
L’esport est un secteur qui ne fait pas exception. Il s’agit même d’un milieu qui utilise énormément d’images, que ce soit pour son aspect artistique issu du jeu vidéo, son besoin de communication issu du sport ou à cause de son support principal, internet.
Nous consommons énormément d’images, mais nous ne possédons aucune éducation particulière nous permettant de bien saisir leur message ou leur portée potentielle.
Le novice a la même richesse d’analyse face au nouveau logo de la LEC ou face à La Nuit étoilée de Van Gogh, un rapide coup d’œil et une critique de comptoir. Pourtant les débats existent dans l’espace public lorsqu’une image étonne, choque ou surprend le public.
Le logo de la LEC a fait couler de l’encre tout comme celui de l’équipe Paris Eternal d’Overwatch. Ces différents débats se jouent avant tout sur les réseaux sociaux et permettent au tweetos le moins informé de jouter avec le plus fin des graphistes.
L’extension de notre espace de parole montre bien vite les limites des échanges entre spécialistes et néophytes. Néanmoins, il nous éclaire sur le décalage qui existe entre les masses et la faible population de connaisseurs.
Plusieurs questions se sont formées dans mon esprit, en partie grâce aux différents débats internes à Esport Insights. Tout d’abord, lorsqu’il a été nécessaire de créer notre identité visuelle. Choisir une couleur spécifique, un logo ou les différents assets du site.
Pour chacune de nos publications, nous produisons des visuels spécifiques. Vous connaissez bien le travail de Kini, notre graphiste, si vous êtes habitué au site. Nous sommes extrêmement satisfaits de pouvoir rendre honneur à son travail à chaque publication et d’avoir à nos côtés ses illustrations pour accomplir nos articles.
Pour autant, qu’est-ce qui nous permet de revenir sur le travail de notre spécialiste de l’image ?
Pour essayer de cerner la question de l’image, il me fallait des avis compétents. J’ai donc demandé à Kini le sien, mais aussi son aide pour réunir plusieurs personnes qui travaillent l’image au quotidien.
Nous avons formé une petite équipe : Mademoiselle Camille, directrice artistique et illustratrice freelance, Eric “Noki” Pochez, directeur artistique d’O’Gaming ainsi que Kini, graphiste pour Esport Insights et freelance.
En réunissant ses trois talents, j’ai eu pour ambition de donner quelques éléments de réponses à une question générale : qu’est-ce que l’identité visuelle de l’esport ?
Plusieurs axes sont nécessaires pour appréhender le sujet.
Avant même de parler de design, je pense qu’il est essentiel d’évoquer les personnes qui s’attellent à la création. Quelles sont les modalités de travail qui leur sont proposées, leur quotidien, leurs attentes, des éléments importants pour mieux comprendre dans quelles cadres l’identité visuelle de l’esport se compose.
Par la suite, il sera plus simple de voir ce qui fait l’identité visuelle de l’esport, ses caractéristiques, ses origines et son évolution. Comment l’esport est-il devenu, d’abord une sous-culture, puis un produit marketing, pour finalement être envisagé comme une forme de life style.
Je pense qu’il est très important pour ne pas vous laisser sur votre faim et d’ouvrir la question de la créativité. Celle-ci est toujours réévaluée par des propositions avant-gardistes, bien que le milieu se veuille toujours plus inclusif.
Cet article, ambitieux dans sa réalisation reste néanmoins limité dans son champ d’action. Il s’agit d’informer sur la nature du travail de graphiste et des possibilités qui sont aujourd’hui celle de l’esport en tant qu’objet culturel. Il reste beaucoup à dire sur le sujet et j’espère que d’autres auteurs se pencheront sur la question.
Travailler l’identité visuelle dans l’esport au quotidien
Que ce soit pour la promotion d’une compétition, le storytelling autour d’un joueur ou l’annonce d’un nouveau patch de jeu, tout passe par le visuel.
Autant d’images nécessitent beaucoup de mains-d’œuvre.
Ce n’est pas un hasard si la quantité de graphistes disponible a augmenté avec la démocratisation d’internet. L’accès aux logiciels est essentiel pour voir apparaître de nouvelles vocations, pour le meilleur et pour le pire.
Afin d’être plus clair sur ce qu’est un graphiste, un directeur artistique ou un illustrateur, je vous propose de faire un tour d’horizon du travail quotidien que représentent ces différents métiers. De plus, vous avez la chance de pouvoir retrouver un article fraîchement publié par Mademoiselle Camille sur les métiers de graphiste et de directeur artistique.
Être un graphiste dans l’esport en quelques points
Les métiers de la production visuelle sont composés de différentes branches qui vont de la création d’objets visuels jusqu’à la relation client. Au quotidien, il s’agit d’un équilibre entre le temps de création, la relation client, les échanges avec d’autres créateurs et la gestion de son image de marque.
Le cœur du métier, c’est avant tout la création. Elle va de la conception d’une identité graphique pour une entreprise ou un privé, à la réalisation d’assets pour le bon fonctionnement d’une émission. Tous les éléments proposés participent à la bonne communication d’une entité vers son public.
L’information doit être lisible, facile d’accès et appropriable par l’audience concernée. Pour réussir, des outils sont essentiels. Ils sont souvent bien connus, comme Photoshop, ou plus spécialisés comme InDesign.
Il s’agit d’un quotidien vraiment agréable quand tu es pris dans tes projets. Tu as la possibilité de chercher des idées, de rencontrer d’autres graphistes et échanger. C’est riche lorsque l’on reste actif, mais il devient plus complexe dès que l’on nous refuse un budget lors d’un appel d’offres. Mademoiselle Camille
La nature des créations est très diverse et adaptée au temps mis à disposition. Cela peut aller d’une simple bannière à toute une série d’images adaptée à la diffusion d’une compétition. Le nombre d’images créées chaque jour peut varier drastiquement et rendre le quotidien très différent.
La communication est devenue un enjeu majeur pour faire carrière en tant que graphiste.
La place croissante de la communauté dans le travail quotidien a amené le métier à évoluer. On retrouve une multitude de communautés autour de streamers, de joueurs professionnels, de jeux spécifiques, la demande est plurielle.
Tout comme les streamers, vidéastes ou animateurs reconnus, les graphistes peuvent développer une communauté de fans, qui réagissent et promulguent leurs travaux sur les réseaux sociaux.
Ce seul biais peut faire toute la différence et même suffire dans certains cas, à remplir un planning de travail hebdomadaire. Il faut donc s’investir et animer ses réseaux sociaux, une tâche supplémentaire qui n’existait pas il y a dix ans de cela.
Il est important de créer une histoire autour du créateur, afin d’engager les personnes à connaître et interagir avec son œuvre. Au même titre que l’on cherche à connaître les vies de peintres en visitant des musées dédiés, en regardant des biopics sur leur vie, on peut s’apparenter au travail d’un graphiste en s’identifiant à son image.
Une part souvent négligée, mais importante du travail reste l’apprentissage et l’échange de connaissances.
Il n’y a pas à ce jour de communauté de graphistes ou de ressources adaptées pour échanger. La raison est assez simple. Le besoin de communiquer est réel, mais le secret doit être conservé pour protéger son œuvre.
Aujourd’hui, il existe une sorte de méfiance malveillante et en même temps un véritable besoin d’entraide. Il faut savoir faire confiance, exposer des problématiques et ne pas trop donner de jus même si on connaît la personne. Il faut réussir à passer la barrière de la méfiance pour échanger. C’est la force des agences, ils ont 50 créatifs qui peuvent échanger et apporter des connaissances très variées. Noki
Avoir l’accès à d’autres avis critiques est un avantage conséquent pour les structures capables d’embaucher plusieurs créateurs. Les différents retours et la multiplication des approches possibles renforcent la richesse des créations.
Cette année encore, on retrouve un nouveau challenge pour O’Gaming avec le lancement de la LFL, dont la réalisation est due à la coopération de l’entreprise avec Webedia et Riot Games. Ce genre de projet d’envergure est difficilement réalisable avec une seule paire de mains et l’entraide est nécessaire pour réussir.
J’ai toujours été seul dans mon travail et je ne reçois des retours que par les clients ou mes amis. Je pense qu’ils ont un avis assez objectif, il n’est pas technique, mais je m’appuie sur eux, car ils sont les premiers touchés. Les principaux avis concernent le ressenti, mais je dois me débrouiller pour la technique. Kini
Comment travaille un graphiste ?
La plus grande qualité de tous les graphistes, c’est l’adaptation. Qu’ils jonglent d’un projet à un autre, dans des délais très courts et/ou avec des moyens précaires, ils s’adaptent toujours afin de trouver une solution.
L’esport est un secteur particulier, car les créations sont vouées à connaître différentes formes d’existence.
Il faut savoir maîtriser tous les formats, être conscient de l’environnement économique et jauger son travail en conséquence des opportunités.
Le graphiste contemporain est un véritable homme orchestre et son œuvre doit répondre à tout type de demande. La spécialisation est difficile alors que la maîtrise doit s’étendre à la photo, la vidéo, le dessin, la motion design et tant d’autres supports.
Beaucoup de graphistes ne se limitent pas qu’à une pratique dans l’esport pour diverses raisons. La première, la question budgétaire. La demande dans le secteur est forte, mais les moyens sont souvent limités. Pour assurer un planning de travail complet, il est difficile de prendre pour seul cadre l’esport et son environnement.
Je ne fais pas que de la production dans l’esport sinon mes semaines ne seraient pas pleines. Je propose mes services dans le sport, des enseignes locales pour refaire des logos ou quelques planches. J’aime faire varier les choses, ce n’est pas super sain de se limiter à ce seul environnement. Il faut garder un esprit créatif et ne faire que de l’esport c’est vite se limiter. Kini
Même pour ceux qui font de l’esport leur source de travail principale, l’ouverture vers d’autres horizons est essentielle. Comme tout secteur, l’esport a ses codes, ses particularités, qui le rendent attrayant. Faire de l’esport sa seule activité, c’est limiter son champ des possibles et réduire le champ créatif à disposition. C’est en cassant les codes que l’on parvient à faire émerger de nouvelles logiques.
Il arrive très souvent que les délais de production soient très faibles. Parfois une semaine, quelques jours voire quelques heures, pour un prix qui peut être dérisoire. Les graphistes répondent à des besoins qui ne sont pas toujours bien déterminés.
J’ai fait moi-même mes premiers pas grâce à différents fans art pour la communauté. L’engagement pour mes créations était très fort et la communauté était très demandeuse. Il faut pouvoir répondre à ce besoin et cela peut rapidement devenir une source de travail régulier. Mademoiselle Camille
La nature des projets peut varier du tout au tout, le principal, c’est d’acquérir une expérience nouvelle.
Les travaux sur le long terme sont souvent très rémunérateurs à ce propos. Il s’agit généralement d’un travail de fond, où il est nécessaire d’aller dans le détail, parfois dans des domaines dont on ne sait pas grand-chose, mais qui ouvre une nouvelle fois le champ des possibles.
De la même manière, les petits projets, divers et variés sont très inspirants. En multipliant les expériences dans différents domaines, il est possible de se constituer une solide culture graphique ainsi qu’une maîtrise très complète de différents modèles.
Beaucoup de graphistes travaillent à domicile. L’isolement est une des problématiques récurrentes de ce mode de travail souvent solitaire. Chaque structure possède son graphiste ou fait appel à des entrepreneurs freelance. Cependant, il n’existe pas de communauté qui réunit les graphistes pour échanger les uns avec les autres.
Je pense qu’il est important aujourd’hui, qu’un réseau se mette en place pour permettre à ces acteurs, qu’ils soient graphistes, directeurs artistiques ou illustrateurs, d’échanger au quotidien sur leur travail. L’avis des professionnels a une valeur importante et aujourd’hui, il ne se divulgue qu’à travers les écoles, les livres, les conférences ou les rapports privés.
La plupart des graphistes, issus d’écoles ou de réseaux extérieurs à l’esport rencontrent une véritable difficulté à intégrer le secteur. Même en ayant des avis de professionnels, il existe toujours une barrière entre leur savoir et les besoins d’une communauté à la culture pointue.
Distinction entre amateurs et professionnels
Il est très difficile de distinguer le graphiste amateur et le professionnel sans avoir quelques connaissances de base.
La majorité des professionnels sont freelances et très peu sont officiellement rattachés à une structure. Noki est un cas assez unique de directeur artistique et cofondateur d’O’Gaming, ce qui permet d’identifier son travail facilement.
Le manque de discernement entre le professionnel et l’amateur entraîne généralement une dévaluation du travail qui est proposé.
L’éducation à l’œuvre est très importante pour permettre au plus grand nombre de saisir le travail effectué. Qu’il soit au niveau d’un seul logo, d’une série d’assets pour une compétition esport ou sur l’identité visuelle d’une marque, il faut prendre en compte différents codes, des techniques et des formes d’expressions souvent méconnues.
Que des jeunes ou des amateurs puissent s’essayer au graphisme, c’est une bonne chose et c’est une bonne motivation pour lancer des vocations.
En revanche, il est dangereux de voir certains clients dévaloriser le travail des professionnels sous prétexte qu’un amateur le fera à moindre coût. Il y a un véritable manque de sérieux à ce sujet dans le secteur de la part de nombreuses personnes et malgré une demande forte en identité, il n’y a que très peu de capacité à mettre les moyens nécessaires à leur réalisation. Noki
Les amateurs proposent souvent un service gratuit ou à prix extrêmement faible, car ils ne possèdent pas la notoriété suffisante pour faire valoir leur expérience. Il est très important de pouvoir profiter de travaux non rémunérés pour expérimenter et avoir un background qui justifie le passage en professionnel.
Critique moi et je te dirais qui tu es
Cependant, il faut bien distinguer ces deux pratiques et savoir ou se positionner lorsqu’il s’agit de facturer son travail. Faire une production en bénévole, c’est un choix personnel et assumé qui ne mène pas obligatoirement à la professionnalisation. L’expérience acquise n’est pas à remettre en cause, mais un professionnel ne dépend pas que de son expérience, mais aussi de son expertise. Les amateurs sont loin des responsabilités et garde le droit à l’erreur.
Généralement, les critiques sont rapides à formuler. Après tout, il suffit d’un regard rapide sur une œuvre pour se faire un premier avis. J’aime, je n’aime pas, bof, pas mal… Le professionnel n’a pas le droit d’arrêter son approche à une formalité aussi basique que le premier ressenti.
Il est important de savoir argumenter son raisonnement pour légitimer un choix ou une critique. Cette réponse argumentée est fondamentale pour distinguer l’amateur du professionnel et trop souvent, on s’intéresse uniquement au résultat d’une production sans passer par le cheminement mental qui a permis sa création.
En 1999, Wip3out était arrivé avec un design très adulte, alors que la PlayStation vantait les mérites de la 3D, ils ont fait le pari d’un flat design. Il y a eu beaucoup de critiques à l’encontre de ce choix, mais aujourd’hui, c’est ce choix qui reste et qui fait l’unanimité. Noki
Beaucoup d’amateurs apprennent à manipuler des logiciels grâce à des tutoriels, sur différents sites ou en vidéo sur YouTube. Cette approche est très riche, mais ne permet pas de confronter son travail avec celui d’autres créateurs. Dans l’esport, il y a une véritable conscience d’un besoin de toujours surpasser son travail et les normes mises en place.
La mobilité du secteur rend les amateurs ambitieux et prêt à donner le meilleur d’eux même. Néanmoins, ils n’apprennent pas forcément pourquoi le public aime ou n’aime pas un produit, ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas ou encore comment faire valoir une approche avant-gardiste plutôt qu’une copie d’un format déjà mainstream.
L’éducation aux pratiques visuelles
La créativité de l’artiste va toujours connaître une limite, celle du besoin de son client qui ne veut pas forcément d’une création abracadabrantesque, mais d’un objet efficace, facile d’usage et qui parle.
Néanmoins, vouloir un visuel ne veut pas dire que l’on sait ce qui est bon et la relation entretenue entre le graphiste et son client est importante dans l’approche de la création.
Quelques limites sont imposées par ce rapport, à commencer par le désir du client, les moyens qui sont investis, le temps qui est donné au graphiste. Aujourd’hui, la plupart travaillent sans appuis supplémentaires que leurs propres connaissances, même si les agences sont généralement supportées par des études quantitatives.
L’outil le plus rudimentaire et qui remplace ces données précieuses, c’est l’intuition. Il faut réussir à se mettre à la place de son client, comprendre son besoin, ses objectifs s’il en a déjà fixé pour réaliser la production la plus soignée.
Rien de simple, car dans l’esport, un client, cela peut être Riot Games qui possède des plans bien précis comme un jeune joueur de 14 ans qui perce sur le dernier Battle Royale et qui a besoin d’être visible sur les réseaux.
On doit savoir tout faire, mais le client ne comprend pas toujours les enjeux, les codes communautaires. C’est une part importante dans l’éducation et il faut savoir forcer la main pour choisir le bon produit. Mademoiselle Camille
Pour saisir les besoins de son client, il est souvent nécessaire de sonder sa connaissance du graphisme et d’apporter un peu d’éducation à la question.
Reconsidérer la relation client producteur
Certaines demandes se font sans aucune idée fixe, mais d’autres sont beaucoup trop spécifiques, malgré des erreurs évidentes dans le choix qui a été fait. Il ne faut pas voir cela comme une critique négative, l’éducation au visuel est difficile et il est normal de pouvoir se reposer sur des spécialistes lorsque l’on ne connaît rien au sujet.
En revanche, il arrive bien souvent que cette part d’éducation soit mal reçue ou négligée par la plupart des commanditaires. Recevoir une leçon de son prestataire, ce n’est jamais très agréable, mais c’est sûrement la raison pour laquelle il est embauché
Dans l’esport en particulier, les demandes peuvent être fantaisistes et à raison, la liberté d’expression reste forte. Néanmoins, il existe des limites à la fantaisie, lorsque celle-ci n’est pas de “bon goût”.
Le goût est subjectif, jusqu’à un certain point. Une fausse note ne devient pas bonne par bon goût. Pour le graphisme, il existe de fausses notes que les professionnels sont capables de voir venir.
Évidemment, les graphistes peuvent aussi avoir tort, ils sont humains après tout (même si cet aspect est souvent oublié pour bien des raisons). Que ce soit d’un côté ou de l’autre de la relation, il faut réussir à garder un esprit ouvert à la critique et aux attentes de l’autre.
Les moyens ont artificiellement augmenté, car la demande auprès d’un graphiste est plus importante que par le passé. Les équipes sont plus consciencieuses sur leurs besoins, mais gardent souvent une approche fantaisiste. Il faut savoir ramener le client à la réalité ou sur le rail. En tant que professionnel, il faut savoir proposer autre chose en plus de la demande pure pour créer des ouvertures. Noki
Les libertés qui sont prises aujourd’hui dans l’esport dépassent tous les standards de la création. Des créateurs amateurs qui vendent des projets pour quelques pièces ne font pas que dévaloriser leur produit, mais aussi l’image du projet dans sa globalité. Il en va des clients, de comprendre qu’un produit acheté à sa juste valeur, comprend un travail de qualité.
Beaucoup d’entreprises y compris dans l’esport ne prennent pas leur identité visuelle au sérieux et abusent de la position de faiblesse des amateurs.
Progressivement, il y a une régulation qui se fait par mimétisme. Les graphistes reprennent des travaux reconnus, les entreprises investissent plus de budgets et le champ d’action des graphistes amateurs est réduit dans les plus hautes sphères.
Petit à petit, on voit cette dynamique étendue au champ des professionnels. Avec les besoins de plus en plus conséquents des productions majeures, il est nécessaire de faire reposer le travail sur des agences.
La plupart des agences ne sont pas spécialisées dans l’esport, bien que le mouvement vienne à apparaître un jour ou l’autre. Aujourd’hui, ils ne sont pas encore assez habitués au fonctionnement de l’environnement, à ses codes ou aux moyens mis à disposition, mais la situation viendra à changer dans 5 ou 10 ans.
Définir l’identité visuelle de l’esport
L’esport est transmedia et sans moyens. Il possède les mêmes besoins que le sport, une multitude de savoir-faire pour des supports très différents. Il s’agit d’un grand mélange de code traditionnel de la compétition, mais aussi de culture geek parfois un peu brouillon. Son avantage est presque son principal défaut : une très grande liberté dans les formes d’expressions ce qui rend difficile la création d’un contenu bien cadrer.
Voici une première tentative de définition de ce que peut être l’identité visuelle de l’esport et très rapidement, on se rend bien compte de la difficulté de saisir un objet aussi difforme.
Le meilleur exemple est le plus parlant: les logos. Ils sont présents partout et sous différentes formes. D’abord sur le web, mais aussi en vidéo, sur des maillots, des affiches, parfois animés ou transformés. Pour permettre le travestissement de l’objet, il est nécessaire à sa création d’avoir conscience de ce besoin cosmopolite.
Le manque de moyen est décisif dans l’identité de l’esport, car les artistes ne reposent sur presque aucun fond. De fait, l’identité visuelle de l’esport est marquée par ces origines.
Une émulsion créative ressort de cet aspect de précarité, des astuces dans la création, des idées parfois détournées, manipulées, qui constituent le socle commun de la sous-culture de l’esport.
Do it Yourself
Au départ, l’esport a beaucoup appris de cette culture de la débrouillardise issue des écoles d’ingénieurs. Le besoin de représentation visuelle existe, mais il n’y a pas de véritable ambition. Le logo comme support est un outil de communication, l’application à sa réalisation reste alors très secondaire.
C’est une culture du Do It Yourself, mais on ne peut aujourd’hui plus associer esport et création de bric et de broc… Il y a eu depuis une uniformisation peut-être par volonté de sortir de cette image décalée qui s’était installée, et de se forger une véritable identité. L’évolution des créations correspond à ce besoin et à l’arrivée d’acteurs extérieurs à l’esport, un tournant décisif dans les créations. De plus en plus, les logos reprennent les formats classiques, une illustration et de la typographie plutôt que des formes fantaisistes. Mademoiselle Camille
Les joueurs allaient en LAN sans avoir des ambitions de professionnalisation comme nous connaissons aujourd’hui. Ces LAN garages accueillaient très peu de joueurs qui portaient des maillots d’équipes. Pour l’époque, il s’agissait déjà d’une façon d’appréhender la compétition par le prisme du sport, un cas minoritaire qui a fait sa loi depuis.
Durant les dernières années, les fonds ont été augmentés et des codes se sont installés avec l’arrivée de nouveaux investisseurs extérieurs à l’esport. Le modèle de logos, principalement basés sur des modèles animaliers, a perdu de leur splendeur pour favoriser des jeux de formes plates.
Pour autant, la sous-culture n’a pas disparu, il y a toujours cette approche vindicative de l’image qui est récurrente à tous les niveaux, toujours très tournée vers les jeunes hommes.
L’identité visuelle de l’esport, de la sous-culture au life style
L’esport est associé à une sous-culture, tout comme le skate-board ou le sport extrême, il possède un langage, des codes graphiques très particuliers.
L’arrivée d’investisseurs comme Nike, Adidas ont très largement apporté à l’esport des ressources pour parler en termes de life style plutôt que par son expression exclusive.
L’aspect sportif de l’esport ou son approche compétitive sont similaires à celui des autres sous-cultures. Elles sont comme l’esport, des pratiques qui dépendent avant tout de leur force culturelle plutôt que de leur attrait sportif.
L’esport s’exprime par un style et une influence geek, alliant désormais à cela un langage très urbain et un style de vie qui répond aux attentes des pratiquants.
Une des particularités de l’esport, c’est le détachement très net entre l’objet et le public. La plupart des équipes esport n’ont aucune histoire, elles vivent rarement plus de quelques années et leur identité visuelle doit se créer sans aucune base. Il faut réussir à donner envie à son spectateur d’aimer une structure qui n’a aucune origine et créer l’histoire avant qu’elle ne soit écrite. Kini
L’évolution des pratiques a amené la sous-culture à être moins vindicative et plus inclusive. Il n’y a pas que l’élite qui peut toucher à l’esport, mais tous ceux qui veulent rejoindre la communauté.
On peut naturellement se demander si cette dynamique va complètement dépasser la sous-culture à l’origine de l’esport ou d’une entente possible.
Jusqu’ici, la sous-culture et les apports extérieurs ont beaucoup dialogué, donnant à l’un comme à l’autre des raisons de se mélanger. On le voit avec des équipes, qui décident de jouer la carte de la sous-culture comme image de marque, en premier lieu Unicorns of Love sur League of Legends.
Les libertés qui sont prises dans l’esport sont très rares dans la majorité des secteurs du spectacle et de la représentation.
Certains graphistes font encore le choix de mettre en avant des logos en forme de blason, avec une référence animale, car le modèle est bien connu dans le sport et l’esport. Il s’agit d’une référence qui parle, qui permet de montrer l’expérience, la connaissance du secteur.
Du haut en bas de l’échelle, il est très important dans l’esport de savoir paraître professionnelle. Quant bien même il s’agit d’une association sans budget et aucune véritable forme de professionnalisme, l’image doit obligatoirement en avoir au moins l’air.
La sous-culture ne s’affiche pas forcément comme très professionnelle, mais elle peut parler comme telle.
Il va falloir que tous arrivent à se différencier. Toutes les entités possèdent un socle commun qui joue sur l’évolution des genres, mais c’est avec l’aide d’agence et de studio que le changement et la démarcation vont vraiment pouvoir se faire. Noki
Si des sociétés au sommet comme Nike ou Adidas continuent de prendre des libertés, les créateurs de l’esport en feront de même.
L’esport reste encore une pratique ascendante qui plane en dessous des radars. Cette situation permet aujourd’hui une communication d’underdogs, prometteuse et cavalière, alors que les sports traditionnels sont bien ancrés dans leurs positions.
La culture de la performance
Certaines structures comme Fnatic ont toujours voulu montrer leurs approches du monde compétitif en reprenant les codes du sport et particulièrement du football. Le logo de la structure déjà très mainstream à l’époque, le merchandising devenu omniprésent, Fnatic avait dès 2012 une gaming house estampillée par l’équipe du sol au plafond.
Le langage est très fort et va dans un même sens, la performance. On cherche la performance et pendant longtemps, c’est le seul message qui était véhiculé dans les différentes créations.
Le public visé, des hommes jeunes qui vont réussir grâce à une souris plus performante, de meilleurs écrans, un meilleur casque, une meilleure chaise. L’arrivée des sections gaming dans les magasins parle de ce besoin de performance et montre à quel point la communication et les images ont servi ce besoin.
Cette tendance vient à changer pour être plus inclusive et moins agressive. Il ne s’agit plus forcément d’atteindre les hommes, mais aussi les femmes. La performance n’est plus le seul objectif, le spectateur peut lui aussi être présent et concerné par cette communication.
C’est grâce à l’arrivée d’agences extérieures à l’esport que l’on voit des réalisations totalement différentes voir le jour. L’approche de la compétition se rénove dans l’image, à commencer par le logo de la LEC. Il ne s’agit plus comme pour les LCS NA d’un blason, mais d’une couronne. Le message change, la compétition reste.
Petit à petit, on ne vend plus la performance par le produit, mais le style de vie que l’on obtient grâce à celui-ci. Vous connaissez sans aucun doute le communiquant le plus inclusif et qui valorise un style de vie plus que son produit : Apple.
De plus en plus, le message rejoint cette forme de communication ou tous ceux qui vivent l’esport possèdent un style de vie qui se veut urbain, détendu, moderne et geek. Le geek peut-être chic : l’arrivée de marque comme Champions USA pour s’occuper du magasin de Fnatic ou Dignitas le prouve.
Vivre esport
Des créations sont encore possibles et rappellent le potentiel d’une sous-culture à petit budget. C’est en manifestant une différence qu’il est possible d’être visible afin d’attirer l’attention sur une pratique encore vindicative.
Il ne saurait tarder de voir de grands noms de l’industrie du textile donner à une gamme de produits un accent sur le gaming, en commençant par produire du matériel de jeu à leur nom. Ce genre de choix aura un impact conséquent sur la façon d’appréhender l’esport en apportant une nouvelle façon, une approche beaucoup plus mainstream au phénomène.
L’esport sera Mainstream lorsqu’on pourra voir des affiches de compétitions, un Schalke vs G2 sur un panneau d’affichage dans la rue. Avoir au milieu d’affiche de concert ou de politique à la colle de poisson ce genre de rendez-vous, ce sera le plus gros marqueur d’évolution. Noki
De plus en plus, la pratique va dans ce sens comme en témoignent les différents barcrafts qui ont émergé en France. On ne peut passer à côté des Meltdowns, aujourd’hui présents dans presque toutes les villes de France. De même, de nouvelles initiatives dont je vous parlais récemment comme la Source vont dans ce sens d’occupation de l’espace public.
Une différence cependant entre les bars qui sont des lieux d’échanges, mais qui jusqu’ici font plutôt le pari d’attirer les connaisseurs plutôt que le tout venant, et La Source qui veut faire le pari d’accueillir un public très large.
Dans les deux cas, il s’agit d’adhérer à un style de vie qui émerge dans l’occupation de l’espace public. Les devantures des Meltdown aux couleurs saturées donnent le ton, il s’agit de faire savoir en un coup d’œil qu’à cet endroit, on parle jeu vidéo et esport. Ce choix exclusif va attirer les fans, peut-être rebuter les moins curieux, mais c’est une première occupation dans l’espace public qui ne doit pas être négligée.
Quelle place pour la créativité ?
Devant l’évolution progressive d’une sous-culture jusqu’à une pratique mainstream, je me suis questionné sur le danger de voir cette sous-culture disparaître du paysage. L’esport peut-il totalement devenir mainstream, de la même manière que Fortnite a pris possession des chaumières en l’espace d’un an ?
Le nouveau visage plus inclusif de l’esport évite de voir un appauvrissement de sa culture, bien au contraire. Des codes du sport sont repris dans l’esport et des connexions se sont créées d’un côté comme de l’autre.
De plus, on voit l’arrivée de l’esport féminin et de questions autour de ce sujet, une source possible de renouvellement de la sous-culture. La pratique compétitive féminine reste encore à ce jour un objet particulier de communication puisqu’elle ne rentre pas dans les critiques de l’esport classique.
On ne parle pas d’hommes, mais de femmes, on ne parle pas forcément de performance, mais de mixité, une autre approche de l’esport qui rafraîchit notre façon d’appréhender la question.
Les influences internes et externes à l’identité visuelle de l’esport
On doit en partie à Riot Games et Valve l’identité visuelle de l’esport. Il arrive que l’on retrouve sur différents articles, des vidéos ou sur des brochures, les mêmes photographies des mêmes événements. Les Worlds de League of Legends, The International de Dota 2 et la Dreamhack Katowice pour Counter-Strike : Global Offensive.
Ces images ne sont pas là que pour parler des événements qu’elles capturent. Elles sont utilisées à toutes les fins nécessaires pour parler d’esport.
J’ai moi-même fait l’expérience lorsque je couvrais l’actualité sur Heroes of the Storm, en utilisant ce genre d’images pour couvrir différents sujets. De même, pour mon sujet sur la violence dans l’esport, c’est avec ce genre d’image que j’ai cherché à peindre l’ambiance latente lors d’un match compétitif.
Tout le monde s’appuie sur ces références et vend ce type d’image en particulier lorsqu’il s’agit de lever des fonds pour préparer un événement, obtenir un sponsor d’équipe ou bien récupérer une exclusivité.
Le geste paraît anodin et pourtant, une fois l’image montrée, il est difficile de totalement s’en détacher. Les Worlds de League of Legends sont devenus une référence à laquelle on ne peut plus échapper dès que l’on parle de mise en scène. Résultat, les créations se ressemblent, puisent dans la même source d’inspiration, sans prendre véritablement de risques.
La place de la création est bien limitée dans cette configuration. Quelques évolutions ont lieu, principalement du côté de Riot ou de Valve qui cherchent continuellement à se surpasser. Quelques tentatives expérimentales vont aussi dans ce sens et parviennent parfois à prendre leurs marques.
C’est en appelant à des références, des codes spécifiques, qu’il est possible de montrer au public un autre regard, parfois exclusif, mais qui fait la différence avec la majorité des propositions. C’est l’un des enjeux forts des créatifs d’aujourd’hui : savoir être différent en copiant le même modèle que les autres.
Si l’on compare à différentes échelles les créations pour le sport et l’esport, il s’agit du jour et de la nuit. Les clubs sportifs à la plus petite échelle ne possèdent presque ou pas d’identité visuelle, bien qu’elle puise dans une histoire commune, là ou l’esport en développe une même s’il n’y a aucune racine.
Ce qui rend l’esport si attractif aujourd’hui, c’est la quantité monumentale de travail à faire pour considérer qu’il soit fait. Il y a de très nombreux nouveaux créateurs qui intègrent les structures esportives car le travail ne manque pas. Le secteur vise la pointe de la technique et il est possible de l’intégrer sans avoir une expérience conséquente ou des diplômes comme pourrait le vouloir la mode.
La mobilité de l’esport n’est pas inconnue, elle est même dans la plupart des esprits et au niveau créatif, la multiplication des designs est un bon exemple à ce besoin toujours changeant.
Cette dynamique peut être enviée à l’esport qui est l’un des seuls secteurs à avoir cette force. L’esport commence lentement à influencer d’autres espaces, pas seulement dans le but d’attirer les joueurs vers des marques, mais aussi parce que le savoir-faire, les techniques, le style de l’esport attirent.
Les premiers touchés, ce sont les clubs sportifs qui ont investis dans l’esport. Le PSG, premier en France à intégrer l’esport, a refait toute son image pour son club compétitif plutôt que de reprendre celui de la structure.
Plusieurs clubs suivent le mouvement et réadapte leur image depuis que FIFA les met à l’honneur chaque année. La communication et le rythme de production changent pour rejoindre la dynamique de l’esport.
Dans l’audiovisuel, l’esport est déjà une référence technique. Les besoins d’une régie esport sont conséquents et en France, il est difficile pour les professionnels du métier de suivre la cadence. Il faut faire appel aux plus grandes régies européennes pour faire en sorte qu’un match à Bercy de League of Legends soit bien mené.
Aujourd’hui ce qui montre le mieux le rayonnement de l’esport en termes de création, c’est l’Emmy Award pour le dragon animé aux World 2017. Au milieu de créations du concert de Lady Gaga, d’un clip de rap, on retrouve le live act de l’esport. C’est sans aucun doute, le plus grand haut fait de l’esport en dehors de son secteur. Noki
L’identité visuelle de l’esport autrement
C’était probablement l’enjeu principal de cet article. Nous parlons beaucoup de la relation entre sport et esport en exposant la compétition comme principal argument.
Petit à petit, le débat se cristallise et l’identité de l’esport reste incertaine tout comme son identité visuelle. Il est très difficile aujourd’hui d’avoir une définition qui ne soit pas lacunaire, au même titre que le sport qui évolue.
En vous proposant de comprendre ce que représente l’esport par son identité visuelle, comment il se caractérise, comment il se travaille et pourquoi il se transforme, je pense qu’une piste d’analyse est ouverte.
L’esport est autant un média qu’il est un sport. Il est à la marge entre deux univers qui se côtoient déjà, mais qui avec l’esport, ne font plus qu’un ensemble difficile à appréhender. Alors que notre définition de ce point de vue semble difficile à concrétiser, la réalité des productions visuelles est saisissable.
Cependant, cette ouverture ne permet pas de couvrir le spectre des pratiques des joueurs, du jeu en lui même, mais plutôt la façon dont on peut montrer aux spectateurs et au reste du monde ce que l’esport peut représenter.
La communication joue un rôle clé, possible uniquement grâce à la préparation de visuels léchés.
Comme dit en introduction, il reste sûrement beaucoup à dire sur la question de l’identité visuelle de l’esport, autant pour le statut de graphiste ou de directeur artistique que pour les créations en elles même.
Le secteur continue d’évoluer et progressivement, ces questions vont elles aussi évoluer. Alors que les agences vont pouvoir prendre la main sur les organisations endémiques comme Riot Games, quelle place sera encore possible pour les professionnels freelance et les amateurs ?
Je ne tenterai pas les prédictions à la boule de cristal, mais je pense que le débat deviendra vif sur la question dans les années à venir.
Je remercie les trois intervenants qui ont donné de leur temps à cet article sur l’identité visuelle de l’esport : Mademoiselle Camille, Noki et Kini. Leurs mots ont été repris, synthétisés pour la lisibilité de cet article, mais il va de soi que tout le crédit leur revient de droit.