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Nicolas Cerrato : « L’esport est devenu un buzzword qui veut dire argent ! »

Par Alexandre Hellin
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Ce qu’il se passe dans l’esport est incroyable.

Des marques internationales comme Coca-Cola, Redbull ou Mc Donald’s investissent des millions de dollars pour nous raconter des histoires (et vendre leurs produits).

Les audiences des plus grandes compétitions deviennent conséquentes et réunissent plusieurs millions de fans devant leurs écrans (ça fait beaucoup de millions, je sais).

Les joueurs professionnels commencent à toucher des salaires qui leur permettent d’envisager l’avenir avec tranquillité.

Tout ça, c’est bien génial, mais se pourrait-il que nous soyons face à de fausses croyances ? Et si tout ça ressemblait plutôt à une bonne vieille carte postale de Tahiti ?

Vous êtes tous déjà tombé sur un article ou un tweet à côté de la plaque expliquant que l’esport fait autant d’audience que les plus grands sports traditionnels comme le Football ou le Basket. Il suffirait même de quelques années pour devenir le spectacle le plus consommé du monde.

Ah ? On ne vous l’avait pas dit ? Certains seraient prêts à faire n’importe quoi pour vendre leur bout de gras. Quitte à mentir pour se donner bonne image. Et avec tous les consultants esports autoproclamés qui se baladent dans la nature pour perpétrer cette tendance, on ne peut pas s’étonner.

Même pour les professionnels les plus compétents du milieu, prédire ce que va devenir l’esport est un véritable casse-tête chinois. Vous imaginez bien que pour tous les acteurs extérieurs, l’esport ressemble plus à du charabia qu’à un concept prometteur (quoi que, on avance sur le sujet).

Imaginez la tête de Kévin (désolé, c’est pas personnel), responsable marketing dans une grosse boite, quand son stagiaire de 3ème lui raconte que l’esport, c’est LE truc à la mode pour toucher les jeunes.

Kévin n’en revient pas (forcément) et se demande pourquoi il n’y a pas pensé plus tôt. Ça sonne bien dans son oreille puisque son gosse de 12 ans passe ses nuits sur Fortnite à faire le Bambi et gueuler top 1 depuis sa chambre à 3h du matin.

Tout fier, Kévin débarque dans l’open space et s’écrie « Hey les gars, j’ai une idée de génie pour faire décoller nos ventes auprès des jeunes ! ».

Sauf que Kévin ne sait pas ce qu’il est en train de faire, parce qu’il a autant de visibilité sur l’esport que Lee Sin en plein ulti de Nocturne.

Ce n’est pas forcément de sa faute. Il ne s’y connait pas vraiment, et en plus, les acteurs de l’esport ne lui diront pas toute la vérité.

Il suffit de faire quelques recherches sur Google pour se rendre compte que l’esport, ça met des étoiles dans les yeux. Surtout lorsqu’on s’intéresse aux levées de fonds que réalisent certaines équipes comme Cloud 9, Team SoloMid, Vitality ou toutes ces nouvelles marques créées autour d’Overwatch. C’est un excellent indicateur pour comprendre que l’esport intrigue.

Mais quelle est la rentabilité de toutes ces actions ? Sommes-nous face à une croissance vertueuse ou une bulle économique qui va faire « paf » en moins de temps qu’il n’en faut pour l’imaginer ?

Plusieurs grands noms de l’esport bienveillants commencent à déclencher la sonnette d’alarme sur cet emballement médiatique. Le risque ? Faire éclater une vérité au grand jour sur un esport qui pourrait ne pas être si rentable qu’on le prétend, ou du moins, sur le court terme.

Ce n’est un secret pour personne. Les équipes prennent le pari de capitaliser sur leurs marques pour espérer devenir rentables un jour (et se vendrent très cher). Mais pour combien de temps encore ?

Quel serait le résultat si une telle chose arrive seulement dans 10 ou 15 ans ? Une fuite des investisseurs et des marques, et surtout, une perte de crédibilité assurée pour de longues années.

Le pire, c’est que nous n’avons aucune réelle visibilité sur le budget et les revenus de nos équipes, puisque celles-ci se confortent dans une culture du secret. Pourquoi ?

Sans parler de Fortnite dont le succès laisse à penser que tout va bien dans le meilleur des mondes avec des cash prizes toujours plus indécents (et probablement malsains pour la cause).

Il n’y a qu’une chose qu’on ne peut pas réfuter. Il a fallu seulement 10 ans pour que l’esport réussisse ce que le sport a fait en 100 ans. C’est incroyable, mais gardons en tête qu’il est possible de faire dire n’importe quoi aux chiffres qu’on trouve un peu partout sur internet.

C’est pour cette raison que je me suis dirigé vers Nicolas Cerrato, fondateur de Gamoloco, pour en parler. Ce dernier a une expérience dans l’esport que peu de personnes peuvent se targuer d’avoir aujourd’hui.

Nicolas Cerrato est présent depuis le début de l’histoire, au même titre que d’autres noms connus tels que Samy Ouerfelli, ancien directeur France de Turtle Entertainment (ESL), ou Rémy « Llewellys » Chanson.

Ils ont tous connu l’effervescence des premières LAN, le besoin de se connecter à une HLTV pour regarder une partie de Counter Strike 1.6 ou encore les galères pour trouver des marques prêtes à sponsoriser des jeunes qui passent leur temps derrière un écran.

Lorsque j’ai préparé mon interview de Nicolas Cerrato, j’avais envie de lui poser un milliard de questions. J’ai dû faire des choix, mais vous remarquerez que cette entrevue apporte un contenu extrêmement dense. Peut-être même que vous ne le lirez pas en une seule fois. Mais ce qui m’importe, c’est vous donner l’accès à un maximum d’informations pertinentes pour vous aider à comprendre notre esport.

Ensemble, nous avons parlé d’audience, d’argent, du passé, du futur, de l’esport, mais aussi du sport sans oublier de nombreuses anecdotes dévoilées par Nicolas Cerrato qui prêtent le sourire. C’est une expérience riche qui permettra, je l’espère, de faire avancer l’esport de la bonne façon.

J’aime absolument toutes les interviews que j’ai pu faire. Elles apportent toutes un peu de lumière sur des questions profondes et légitimes que vous pourriez vous poser. Mais celle-ci avec Nicolas Cerrato apporte quelque chose de spécial, car nous abordons des sujets importants liés à la vitalité de notre écosystème à travers ces notions d’audience et d’argent.

L’esport se développe-t-il de la bonne manière ? Quels sont les risques d’une telle croissance ? Est-ce une bonne chose de pousser toujours plus haut nos cash prizes ? L’Overwatch League est-elle la représentation ultime des pires erreurs à faire pour créer de l’esport ? Ou encore, les Battle Royale pourraient-ils apporter encore plus à notre communauté ?

Autant de questions auxquelles nous avons essayé d’apporter des éléments de réponses. Les points de vue de Nicolas Cerrato ne résonneront pas forcément tous en vous. Cependant, ils permettent d’élever un débat trop longtemps laissé de côté.

Bonne lecture !

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Bonjour Nicolas Cerrato ! Tu possèdes un très long parcours dans l’esport. Pour débuter cette interview, je te propose de nous expliquer ton histoire.

Je vais essayer de faire la version courte dans ce cas [rires]. Je m’apelle Nicolas Cerrato. J’ai grandi avec les jeux vidéo dans les années 1980 sur des consoles comme la Sega Master System, les consoles 16 bits comme la Super Nintendo, la Megadrive… J’étais complètement fou !

Vers 18 ans, en 1998, je découvre Starcraft. Ça m’a mis une claque monumentale. D’ailleurs, je ne m’en suis jamais remis, car je suis là à te parler. Je me rappelle encore mes premières sensations. Je me disais clairement que j’allais y jouer toute ma vie. Cette version évoluée des échecs me passionnait.

Je passais tout mon temps dessus, mais un jour, je découvre Battle.net. Je me suis rendu compte que je pouvais jouer avec le monde entier. Dès cet instant, j’ai compris qu’il y aurait des Michael Jordan du jeu vidéo. Je voulais absolument faire partie de cet univers.

Adolescent, j’étais aussi fan de NBA. Quand j’ai eu mes premières sneakers Jordan, c’était excitant. On peut comparer ça à un joueur de World of Warcraft qui obtient son objet légendaire après des mois de farming. J’étais une victime du marketing, d’une certaine manière, mais c’était magique. Et je savais que ce truc-là allait arriver dans le jeu vidéo.

Ce que je n’assimilais pas encore, c’est qu’il y avait déjà des tournois et qu’on appelait ça de l’esport. Je me suis tout de suite rendu en salle de réseau pour jouer contre ces champions, et sans surprise, je me faisais détruire [rires].

A cette période, je commence des études en journalisme. Mais moins de 2 ans après, j’arrête tout pour ouvrir ma propre salle de jeu en réseau. J’ai vite été dégouté quand j’ai appris l’envers du décor, notamment sur les « fake news ». Ça ne date pas d’aujourd’hui, malgré ce que la plupart des gens peuvent penser.

J’avais des amis aussi passionnés que moi sur des jeux comme Starcraft ou Quake. J’organisais des tournois, et quelques mois plus tard, j’ai eu l’envie de créer une équipe, notamment sur Starcraft. Je voulais un projet sérieux avec des sponsors et un minimum de moyen.

Sauf qu’à l’époque, on jouait tous à Starcraft et Quake, mais tout d’un coup, il y a un nouveau jeu qui crée un raz-de-marée, un peu comme Fortnite ou Apex Legends aujourd’hui. Ce jeu, c’était Counter Strike. On avait beau penser que c’était un jeu pour « Newbie », on ne pouvait pas passer à côté.  On s’est pris au jeu pour tester, et finalement, on a tous « kiffé » [rires].

Je décide de créer mon équipe sur le jeu. Elle s’appelait GoodGame (tag : GG). On a pris tout ça au sérieux, et grâce à ça, on devient la première équipe championne de France à CS 1.6, mais sur Starcraft aussi. D’ailleurs, Elky, le joueur de poker reconnu étant devenu numéro 1 mondial à une certaine époque, était l’un des fondateurs de notre équipe.

Ce projet a pris 7 ans de mon temps. On a réussi à attirer des sponsors, voyager à travers le monde pour aller en tournoi, porter des maillots qui ressemblaient aux standards sportifs, etc.

Durant cette période, j’ai pu être le premier à donner des cours sur Counter Strike dans le pays, mais aussi à créer le premier média esport en France, avec Elky et Sylvain Maillard (actuel directeur des contenus de l’ESWC, ndlr), du nom d’Esport France.

En 2007, j’arrête l’équipe, car je ne m’en sors plus financièrement. J’avais plus de mal à faire fonctionner l’équipe. Par la suite, on me propose de produire une émission sur Game One, qui était la première émission esport diffusée à la télévision française. Elle s’appelle « Arena Online ». C’est marrant, car je croise souvent des personnes de 20 ans qui me disent m’avoir regardé quand elles avaient 8 ans et ça fait plaisir [rires].

J’en fais partie aussi ! J’avais une quinzaine d’années. Je pense même que c’est cette émission qui m’a poussée à me dire « c’est là-dedans que je veux travailler ». Maintenant que tu me le dis, je me rappelle aussi que tu étais un peu sur l’aspect technique et Julien Tellouck, ton co-présentateur, était là pour mettre l’ambiance. À l’époque, le streaming et tout ce qu’on connait aujourd’hui n’existaient pas, donc c’était magique [rires] !

Ça fait plaisir, merci ! C’est vrai que c’était sympa à faire. Au tout départ, je pensais que Counter Strike était pour les « newbies ». C’est un message pour l’esport d’aujourd’hui avec Fortnite. Bien sûr que le jeu est « skillé », sinon, on n’aurait pas des joueurs aussi talentueux à découvrir. À savoir s’il deviendra vraiment esport, c’est un autre débat, mais la question est intéressante.

On dit souvent que Fortnite, c’est le jeu des enfants. Mais il ne faut pas oublier qu’à une époque, c’était Counter Strike, le jeu des enfants. Personne ne respectait la scène CS. Puis j’ai commencé à m’y intéresser plus profondément. Pour donner mes cours dessus ou quand je devais enfiler la casquette de coach, je lisais des livres de stratégies militaires ou des œuvres comme « L’art de la Guerre ». Je mettais en place des strats que je pouvais théoriser, etc.

L’objectif était de poser des bases saines sur le jeu à l’époque. Par exemple, quand tu écoutes les commentateurs d’une game de CS aujourd’hui, tu entends des noms de zones sur chaque carte. Certains de ces noms, ce sont des joueurs de mon équipe, en 2003, qui les ont inventés. Sur Counter Strike, tu ne pouvais pas dire « le mec est derrière la caisse ou derrière le mur ». Il fallait indiquer chaque endroit stratégique de façon claire pour gagner en réactivité.

Suite à mon passage chez Game One où l’émission est arrêtée sans m’informer des raisons, je décide de quitter l’esport. J’avais la sensation d’avoir fait le tour et je n’y croyais plus. Je ne voyais pas l’esport devenir ce que je voulais qu’il soit. D’ailleurs, je n’arrivais plus à trouver de sponsors, car la dynamique de Counter Strike était sur le déclin.

Désolé pour ceux qui aiment le jeu, mais je pense que l’arrivée de Counter Strike : Source n’y est pas étrangère. Il a fait du mal à la scène en la divisant. Et en plus, objectivement, il est moins bien que sa version 1.6, il n’y a pas de débat.

Quelques années plus tard, en 2010, je rencontre Pomf & Thud alors qu’ils descendent de scène pendant un événement. Ils venaient de commencer un match d’Elky. Je l’ai senti tout de suite. Ces gars avaient une certaine force en eux.

On discute, et ils m’annoncent qu’ils faisaient 300.000 visiteurs uniques sur leur chaine YouTube qui n’avait pas 3 mois. J’entends ces chiffres et tout s’emballe. J’avais une certaine expérience dans la vente de sponsoring, etc. Je savais que je pouvais les aider. Ça tombait bien puisque j’avais besoin de retravailler.

De fil en aiguille, je les aide, puis on crée O’Gaming avec, notamment, Chips & Noi. Nous étions 8 fondateurs au total, il me semble. Tous ces mecs-là ont une énergie de dingue. Ce qu’ils créaient, ça me paraissait fou. Moi j’avais toujours connu l’esport sous le prisme de la compétition et du sérieux. Eux, ils voulaient faire la fête, partager leur passion, et c’était énorme.

J’avais quitté l’esport, et m’y voilà de retour avec Starcraft 2 et League of Legends en pleine ébullition. On a enchaîné une série d’événements à Paris avec l’Iron Squid, on a pu aller au Grand Rex, au Palais des congrès, on a pu créer Tales of The Lane, etc.

Je tiens à le préciser, car c’est important, mais ces événements ont été arrêtés par Blizzard & Riot Games. S’ils n’avaient pas dit à l’époque « non, c’est à nous tout ça », on aurait continué. Où serait O’Gaming aujourd’hui sans cet arrêt ? Je ne sais pas, mais vu l’ampleur des évènements, on aurait été loin.

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L’iron Squid au Palais des Congrès est un événement succès pour la bande d’O’Gaming. Crédits : O’Gaming.

Seulement, au début des années 2010, les éditeurs se sont rendus compte que l’esport, c’était puissant. Même si Riot Games a bien géré son truc, je pense qu’ils ont été, à un moment, trop loin dans leur volonté d’avoir la mainmise sur tout. C’est un peu dommage, mais c’est comme ça.

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En 2013, je quitte O’Gaming, où je tenais le rôle de directeur commercial, pour créer Gamoloco à l’été 2014. C’est arrivé, car je faisais le rapprochement entre l’audience de Twitch et la puissance des jeux esports tels que Counter Strike ou Dota 2. Chez O’Gaming, nous faisions les meilleures audiences en France. J’avais toujours besoin d’expliquer aux gens que je rencontrais que nous étions numéros 1, mais c’était difficile à démontrer.

Je me suis dit que ça allait être le problème de tout le monde. Les jeux qui cartonnent en stream, ce sont ceux qui ont fait naître l’esport 10-15 ans auparavant. Rien n’a changé. C’est là que j’ai véritablement compris la puissance de Counter Strike ou de Dota par rapport aux jeux vidéo classiques. C’est la même chose pour League of Legends qu’on verra encore dans plusieurs années.

Ces jeux-là ont une grosse audience, surtout pour LoL, à l’époque, qui venait d’emporter une nouvelle vague de fans. Ça veut dire que grosse audience = gros potentiel pour l’esport. J’ai commencé à me demander comment je pouvais faire avancer les choses là-dedans et j’ai fondé Gamoloco.

Justement. Quelle est ton activité au sein de Gamoloco Nicolas Cerrato ?

C’est une très bonne question. Gamoloco, c’est un projet technologique en ingénierie informatique. Pendant 2 ans, j’ai eu des problèmes avec le projet. Je ne pouvais pas avancer comme je voulais. J’essayais de régler les problèmes d’ingénierie par moi-même, mais je ne suis pas ingénieur. Donc je passais mon temps à apprendre. Et là, depuis 1 mois, au contraire, on est sur une folie furieuse où tout s’accélère.

Je passe mon temps à regarder des audiences, à jongler avec les chiffres et analyser à quoi ça correspond. Est-ce qu’il y a des événements en face de certains gros chiffres ? Qui a lancé un stream ce jour-là ? Y’a-t-il eu des changements dans un jeu ? Je mets des chiffres les uns à côté des autres, je les compare et fais plein de courbes.

J’extrais du savoir de toute la data disponible sur les plateformes de streaming. J’écris une petite partie de ce travail, tous les mois, dans la newsletter de Gamoloco. Je ne mets pas tout, car ça reste mon métier et on parle d’un business avec un fort potentiel stratégique pour les éditeurs et les marques.

Par exemple, quand je dis depuis 2 ans qu’Overwatch n’a pas le potentiel de percer dans l’esport, je ne le dis pas pour embêter Blizzard. Ils sont milliardaires, j’aimerais plutôt que ce soient mes amis [rires]. De la même manière que je ne cherche pas à me mettre les fans du jeu à dos. C’est juste que j’ai étudié la question dans tous les sens, et je sais qu’il n’y a aucune chance qu’il y arrive dans sa version actuelle. C’est pareil pour Clash Royale où j’explique que lui, il a le potentiel pour devenir un titre esport majeur.

J’aurais justement l’occasion de te titiller plus tard là-dessus. Avec Gamoloco, tu travailles avec des partenaires qui peuvent avoir accès à ta plateforme pour analyser la data via un abonnement mensuel. Nicolas Cerrato, quels sont les types de partenaires avec lesquels tu évolues aujourd’hui ?

Je travaille avec tout le monde. Que ce soit des éditeurs, l’esport, des agences, des professionnels d’industries éloignées, des investisseurs, des producteurs de contenus, etc. L’esport intéresse beaucoup de monde en ce moment.

Vois-tu des différences dans leurs utilisations de la data ? J’imagine que tu es en contact avec eux de manière approfondie ?

Oui ! Il n’y a pas de différence entre des gens qui évoluent dans l’esport ou ailleurs. C’est plus une question d’individus. Ce que je peux dire, c’est que ce n’est pas une question de diplômes ou de titres dans une société. J’ai pu évoluer avec des personnes dont c’est leur quotidien de gérer la data. Mais ça se voit qu’ils n’y comprennent rien. Au contraire, j’ai pu discuter avec des gens qui y sont étrangers, et pourtant, ils ont un vrai sens de la réflexion. Donc, cette différence ne vient pas du secteur en soi.

Peux-tu nous parler de l’évolution du streaming depuis ces 3 dernières années, et notamment avec l’arrivée de Fortnite ?

Je ne vais rien dévoiler de nouveau, mais le streaming et l’esport sont enfin sortis de leur niche. Je distingue deux types d’activités sur Twitch. Pour résumer, il y a le day-to-day, c’est-à-dire les personnes qui streament 5 à 12h par jour sans s’arrêter, et les événements qui ont été dominés historiquement par l’esport.

Les plus gros volumes d’audiences venaient toujours de ces derniers. Maintenant, ça s’équilibre, notamment grâce à Fortnite et des gens comme Ninja qui peuvent générer des volumes d’audiences semblables et seuls. Sous l’impulsion des Battle Royale, les streamers ont pris plus de poids.

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Des streamers comme Ninja sont aujourd’hui capables de réunir les foules comme n’importe quel événement esport. Crédits : Ninja

Ensuite, en voyant plus large, le streaming sur Twitch, ce n’est plus seulement du jeu vidéo. Les catégories de contenus IRL et de live chat représentent une part grandissante de la plateforme.

D’ailleurs, c’est assez marrant puisque Twitch découle directement de Justin TV qui faisait déjà du généraliste. Twitch a été mis en ligne pour être spécialisé dans le gaming et finalement, il emprunte le chemin inverse. Et justement, niveau audience, tu sens qu’il y a un après Fortnite Nicolas Cerrato ? Est-ce que Fortnite arrive à driver de l’audience sur des compétitions d’autres jeux, par exemple ?

Oui, Fortnite a fait du bien à Twitch en tant que diffuseur. Mais il n’y a pas de passation d’audience. Un fan qui regarde du Fortnite ne va pas aller sur Twitch en se disant qu’il va potentiellement aller voir du Counter Strike ou du League of Legends à côté. Pareil pour le fan de CS qui n’ira pas forcément voir du Fortnite, parce que c’est le jeu à la mode. Ce sont des communautés différentes.

Les audiences s’emballent, notamment sur Fortnite. On entend souvent que l’esport fait plus d’audience que le sport aujourd’hui. Quelle est la réalité des chiffres Nicolas Cerrato ?

Il y a une différence à faire. L’audience du streaming monte, mais pas celui de l’esport. Et s’il augmente, c’est en Chine, mais je ne regarde pas ce marché. J’ai les mêmes infos que tout le monde en lisant les articles publiés sur le sujet.

En Asie, c’est certain, ça grandit, mais pour l’occident, ça n’a pas été le cas ces dernières années. Il y a une certaine omerta à ce sujet. Personne ne veut le dire, car tout le monde a peur qu’on finisse par nous ignorer.

On vend l’esport comme un eldorado. Si on commence à dire le contraire, tout va mal se passer. Mais moi, c’est le contraire que je vois. Il faut se mettre dans la position des personnes qui arrivent dans le milieu en analysant notre culture.

Si demain, quelqu’un invente un nouveau sport et qu’il raconte à tout le monde que c’est « The Next Big Thing » en nous expliquant que tout le monde va pratiquer son sport, le vivre, et acheter tous les produits dérivés, on va le regarder en lui disant qu’il est ambitieux [rires].

Avec son sport, il veut dépasser le football ou même le basket… Si tu compares en 2010, les éditeurs sont arrivés avec ce même projet et en expliquant exactement la même chose. Forcément, c’est super ambitieux de te vendre comme ça.

Il faut comprendre que les phénomènes comme Counter Strike, ça a 20 ans, ou même Dota ou LoL qui ont entre 10 et 15 ans d’ancienneté. Culturellement, c’est puissant parce qu’ils ont réussi à grignoter toute cette attention en si peu de temps. L’impact est exceptionnellement rare.

Pourtant, l’esport baisse depuis 3 ans. C’est difficile et ce n’est pas un eldorado. Il y a encore plein de façons de se casser la gueule. Bien sûr, ça ne va aller qu’en grandissant, car le concept est fort. Ça mixe le digital et la compétition, qui fait partie intégrante de la nature humaine. D’autant plus que les jeux sont toujours plus spectaculaires.

Mais on pourra parler de révolution dans 50 ans. D’ici 3 ou 5 ans, il ne faut pas être bête et grandir sainement. L’argent investi par Blizzard, notamment pour l’un des cash prizes de Heroes of the Storm qui est historiquement le 3ème plus gros à ce jour, c’était du gâchis. Pourquoi faire ça ? Peut-être que les gens vont finir par se rendre compte que ce sont des erreurs.

Il suffit juste de regarder les audiences. Le jeu n’intéresse personne. Il faut arrêter de jeter de l’argent par les fenêtres avec les cash prizes. Et ça sert à ça la data. Seulement, les éditeurs et autres personnes intégrantes de l’esport professionnel n’ont pas envie d’entendre la vérité. Ils veulent que tout soit facile.

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Malgré de lourds investissements, notamment sur certains Cash prizes allant jusqu’à 4 millions de dollars, la scène esport d’Heroes of the Storm n’est plus suivie par Blizzard aujourd’hui. Crédits : Blizzard.

C’est peut-être une prise de risque importante à prendre pour tenter de faire survivre son jeu. Je pense notamment à Magic qui dévoile son Mythic Invitational à 1 million de dollars de gain alors qu’il n’y a aucune communauté sur le jeu.

Oui, et c’est là qu’on arrive à la question de savoir pourquoi tous les nouveaux arrivants, en 2010, nous disaient qu’on n’était pas professionnels ?

Investir de telles sommes dans le cash prize, c’est ça qui n’est pas professionnel plutôt. C’est une bêtise. Et s’ils avaient considéré l’avis des gens présents avant eux, peut-être qu’on aurait pu éviter certains événements malheureux.

Ils ont raison d’avoir peur que ça ne marche pas. On ne sait jamais si un événement sera un succès, sauf quand tu fais un major sur CS. Mais mettre un gros cash prize, c’est la pire des solutions. J’ai d’ailleurs écrit un article pour expliquer pourquoi un cash prize important ne peut pas assurer le succès d’un événement sur le blog de Gamoloco.

Ce n’est ni un driver d’audience, ni d’inscription. Pour que ça le soit, tu dois intégrer une notion de hasard comme le Loto. Quand tu as 100 millions sur la table et qu’il y a 10 millions de joueurs, tout le monde se dit qu’il peut gagner. Mais quand tu rentres sur un événement CS ou Quake, il y a les meilleurs joueurs du monde en face, tu crois que tu ne sais pas que tu vas perdre [rires] ? Évidemment, qu’on le sait, on le sait tous [rires].

Un gros cash prize, pour cette raison, ce n’est pas un driver de succès, mais seulement d’intérêts médiatiques. C’est ce qu’on voit avec The International sur Dota. La seule personne que ça enrichit, c’est le gagnant, mais en termes de probabilité, ce n’est pas du tout intéressant, car tous les autres joueurs, ils ne gagnent rien.

Ça génère des relations presses et d’un coup, les journalistes se disent que ça vaut le coup d’en parler, mais, dans les faits, sur le long terme, est-ce que plus de personnes arrêtent leur vie pour se mettre devant le stream ou pour aller acheter des places pour l’événement ? Pas plus, non. Il faut travailler d’autres leviers plus sains.

Ce n’est déjà pas mal du tout ce que ça donne aujourd’hui, mais ces derniers temps, le paysage médiatique de l’esport pour le business, c’est des conneries.

Les articles qui t’expliquent que l’esport est plus gros que la NBA en comparant une compétition entière sur un seul match, c’est risible. Effectivement, avec la Chine, ça donne des chiffres énormes. Mais pour le reste du monde, on est encore loin des chiffres du sport.

Tu veux que je te dise la moyenne des spectateurs d’une finale NBA ? C’est 10 millions, seulement sur le territoire américain, en excluant le Canada, l’Amérique du sud, l’Europe, etc. L’esport en est très loin, et tant mieux en fait.

Même si on prend TF1 sur une émission comme The Voice le samedi soir, ça fait près de 10 millions de spectateurs moyens rien qu’en France, par exemple.

Oui, et les gens ne veulent pas l’entendre. Il y a une levée de fonds générale depuis 18 mois dans l’esport. Les professionnels du milieu relaient de belles promesses, et on ne peut pas leur en vouloir. Mais les gens au cœur du phénomène se rendent bien compte que ça ne grandit pas tant que ça.

Par contre, les nouveaux entrants se frottent les mains en pensant qu’on est un eldorado et ça fait rire. Personne n’a envie de leur dire « Attends, en fait, peut-être pas… ». [rires].

L’esport dépassera le sport en termes d’audience d’après toi Nicolas Cerrato dans 10 ou 20 ans ?

Ce que je pense, c’est qu’il va y avoir une fusion. Pendant un moment de ma vie, ça ne m’intéressait plus l’esport. Ça m’a fatigué de passer mon temps assis. Bouger, c’est important pour la santé, mais aussi pour le spectacle. C’est quelque chose d’intégré qu’on oublie souvent dans le foot par exemple. Il faut savoir qu’il y a des dizaines de caméras qui font des gros plans sur les joueurs en permanence et on nous en montre à peine 5% à l’antenne.

Ce qu’on voit, ce sont des athlètes surentrainés en pleine expression de leur art. Ils courent, ils se rentrent dedans, ils tombent, ils jonglent, etc. C’est pareil pour la NBA avec un Michael Jordan et son côté gracieux quand il est en l’air. Dans l’esport, ça n’existe pas. Un moment, ça sera un mur à franchir.

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Vers une fusion future du sport et de l’esport pour une pratique ultime ? Crédits : NBA / Michael Jordan

Il existe un nombre incalculable de personnes qui ne s’intéressent pas à l’esport parce qu’ils se disent « Oui, je veux bien croire que c’est compétitif, mais voir des gens assis toute la journée, bof… ».

La technologie va évoluer. Le sport et l’esport vont, pour moi, fusionner avec la réalité augmentée. Dans 30 ans, Faker et Lebron James seront une seule et même personne surentrainée, avec des réflexes et une approche mentale ultra avancée.

Le sport manque peut-être de spectacle, tu ne crois pas ? Effectivement, on voit des corps bouger, mais voir des joueurs courir pendant 90 minutes dans le football, ce n’est pas ce qu’il y a de plus marrant à regarder. Alors que League of Legends ou Counter Strike, ça dure 30mn et l’action est permanente.

Oui, il y a cet aspect fictionnel qui rentre en compte. Tuer un dragon à coup de boules de feu, c’est riche, et c’est fait exprès ! C’est d’ailleurs une des forces de l’esport. On vit des histoires incroyables grâce à ça, car les jeux sont développés pour créer des rebondissements permanents.

Par contre, les personnages bougent de la même façon. Les animations sont identiques, ils visent et sortent leurs armes sans différence à l’œil, donc tu perds forcément à la qualité du spectacle, sauf que ce n’est pas perçu consciemment encore. Cela dit, ça n’en reste pas moins important.

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Avec la réalité augmentée, tu auras la singularité du sport physique et les boules de feu [rires]. Aujourd’hui, on pourrait dire qu’on préférerait rester assis à notre ordinateur, mais là, on parle des générations futures. On les regardera faire et on se dira « la jeunesse, ce n’est plus ce que c’était » [rires].

Sur Esport insights, on a pu interviewer DaKinMan pour parler de l’esport VR. Il a créé la VR Master League et nous disait que, pour lui, ces deux types d’esport vont se développer différemment et grandir l’un sans l’autre. Peut-être que la réalité augmentée évoluera de la même façon Nicolas Cerrato ?

Peut-être, mais des sportifs musclés qui sautent haut et courent vite, ça deviendra, à mon sens, encore plus mainstream puisque tu sais que cette condition d’excellence est encore plus difficile à atteindre. Si tu réunis le sport et l’esport dans un seul et même spectacle, c’est le truc ultime.

J’aimerais changer fondamentalement de sujet et revenir sur Overwatch. Nicolas Cerrato, quel regard as-tu sur le jeu quand on sait qu’ils dépensent des millions en créant de nouvelles marques et franchises pour voir que, finalement, le jeu atteint la 7ème place en termes d’audience sur Twitch en 2018, derrière un jeu comme Hearthstone qui demande moins d’investissements ?

C’est du gâchis. Je ne suis pas du tout optimiste pour l’Overwatch League. Quand on voit ce qui est arrivé à Heroes of the Storm, on ne peut plus penser que le jeu aura un destin différent quand on analyse les courbes d’audiences.  

D’ailleurs, si les gens de Blizzard veulent savoir pourquoi je pense ça, je suis disponible et serais heureux de leur expliquer pourquoi en partageant mes informations. L’audience a énormément de sens. Un fan qui regarde un stream, c’est quelqu’un qui s’arrête de vivre pour suivre ton programme. C’est vrai que parfois, il va mettre son stream à côté et faire autre chose, mais globalement, c’est l’idée. Ce fan t’apporte de l’attention. Il y a une forme d’investissement. Surtout, on oublie ceux qui sont à fond et qui réagissent constamment sur le chat.

Il y a une vraie valeur là-dedans. Pourquoi certaines personnes s’arrêtent de vivre pour ton suivre ton jeu ? En quoi est-il plus excitant qu’un autre ? Et c’est là qu’on se pose cette question : ça veut dire quoi excitant ? C’est là où les vrais débats commencent.

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L’Overwatch League, vers le plus gros loupé de l’esport à ce jour ? Crédits : Blizzard

Évidemment, Fortnite a plus de potentiel qu’Overwatch, mais malheureusement, certaines personnes ne veulent pas l’entendre. On voit plusieurs professionnels expliquer que si Fortnite fonctionne, c’est parce que les influenceurs ont décidé d’aller dessus. Mais c’est ridicule de dire ça. C’est la réponse d’un fan qui a le cœur blessé, car son jeu favori n’est pas le numéro 1. On est dans le jeu vidéo, donc il y a beaucoup d’émotions dans tout ça.

Seulement, quand tu vois les efforts de Blizzard et les résultats, c’est décevant et inquiétant pour tout l’esport.

Je vais tâcher de faire l’avocat, mais ils prévoient des choses pour les saisons prochaines, et surtout, on remarque une audience en hausse de 30% entre 2018 et 2017.

Oui, mais il y a eu une saison entière de l’Overwatch League.

Là où League of Legends et Counter Strike ont stagné en faisant 0% de croissance tous les deux avec le même type d’investissements.

La production de la scène CS coûte infiniment moins cher qu’Overwatch. Je connais moins bien League of Legends sur cet aspect, mais je ne serais pas étonné si l’investissement était lui aussi inférieur.

En 3ème année, ils veulent ouvrir plus de stades et faire déplacer les équipes pour profiter des fuseaux horaires favorables pour toutes les régions, etc.

C’est intéressant que tu dises ça pour LoL et Counter Strike, car ils font partie des jeux leaders dans l’esport. Et eux-mêmes sont déjà en difficulté pour leur croissance. S’ils se stabilisent, comment on pourrait dépasser le football ou la NBA dans les prochaines années ? Même s’ils grandissent de 5 ou 10% par an, ça ne se fera pas comme ça. Même dans 25 ans, on n’y est pas.

C’est compliqué, ou alors ça doit passer par d’autres jeux. Les gens sont à fond sur Overwatch, mais il fait moins d’audience que ceux qui ne font pas encore assez d’audience pour appuyer ce que tout le monde dit sur les chiffres. C’est pour ça que j’explique qu’il y a un truc qui ne va pas quand tu fais des centaines de millions d’investissements. Le coût par spectateur est démentiel.

Alors, oui, Overwatch connait une croissance de 30%, mais ils ont eu leur nouvelle saison, qui aurait dû, d’après moi, l’emmener sensiblement plus haut.

Ça pourrait créer un faux intérêt selon toi ? Voire même une bulle qui explose ? Nicolas Cerrato, on entend partout que l’esport est un terrain d’investissements sans risque avec sa croissance annuelle à deux chiffres, pourtant, des jeux comme LoL ou CS ne progressent plus tant que ça, si on exclut l’Asie. Les jeux ont même du mal à renouveler leurs bases de joueurs.

Non, pour moi, ça va continuer de monter. Demande au boss de l’ESL qui était là y a 20 ans, il te dira la même chose quand on connait les étapes par lesquelles on est passées. Ça ralentit un peu, mais il ne faut pas s’inquiéter non plus. Seulement, on voit ceux qui tirent la langue sans connaitre l’esport parce que c’est devenu le cheval de bataille de leur vie. Ils ont de l’argent et du pouvoir, mais la question, c’est plutôt de savoir qui va trouver son chemin.

Il y a quelques années, j’ai eu peur que ça aille trop loin, car on n’avait rien en face. On avait qu’Overwatch qui ne marchait pas et League of Legends qui peinait à croitre. Les gens me disaient que j’étais fou, mais il n’y avait pas les Battle Royale. Overwatch, c’était déjà acté pour moi, et on le voit, ça ne tire pas Twitch vers le haut.

La révolution est venue sur le côté par un jeu créé par des joueurs avec Fortnite, PUBG ou Apex Legends. Personne ne s’y attendait. Donc aujourd’hui, je n’ai plus peur de savoir si l’esport fonctionnera ou pas. J’ai aussi pu me rendre compte de la vitalité de la scène CS sous l’impulsion de la communauté ou encore des acteurs communautaires comme ESL.

Il y a une graine d’esport dans les Battle Royale. Une puissance qu’on n’a encore jamais vue. Je ne sais pas comment elle va se transformer, même si ça va venir, ou en combien de temps… Ça ne sera pas forcément sous la forme d’un Battle Royale, mais d’un mode de jeu qui s’y inspire pour faire quelque chose de nouveau.

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Fortnite & co, la préface d’un nouveau visage pour l’esport ? Crédits : Epic Games

CS GO semble tout de même plus spectaculaire à regarder qu’un Fortnite, non Nicolas Cerrato ?

Tu vois, Counter Strike est sorti sans le mode diffuse de bombe. Il n’y avait que les otages, et c’était déjà le jeu numéro 1. J’avais ma salle en réseau et les enfants de 12 ans ne jouaient qu’à ça. Il fallait libérer les otages à l’époque. On organisait des tournois et ça marchait plutôt bien. Les joueurs s’entrainaient, et il y a avait de vrais talents.

Quelques mois après, ils sortent enfin le mode bombe, et là, tout a changé. Le jeu était déjà incroyable, mais là, c’est devenu mor-tel [rires] !

Là, le Battle Royale comme on le connait, ce n’est pas adapté à la compétition. Si on veut espérer couvrir la compétition, il faut au moins 30 spectateurs in-game avec des réalisateurs de l’extrême pour ne rien louper. Ça ne rendrait pas bien, on ne peut pas suivre toutes les actions de la carte.

Mais le jeu doit muter pour donner naissance à un format d’esport solide, et le jour où ça arrivera, il va y avoir une secousse dans l’esport comme jamais on ne l’a encore vécu. Surtout qu’avec l’arrivée des modes créatifs, c’est la porte d’entrée à cette révolution.

Ça ne parait pas comme ça, mais personne n’aurait imaginé qu’implanter une bombe dans Counter Strike allait impliquer tout ça, pas même le mec qui a eu l’idée [rires]. La différence dans le game design entre le fait de sauver des otages et désamorcer une bombe est subtile. C’est difficile de prédire ce qui fonctionnera. Il y a une part d’alchimie incontrôlable.

J’imagine bien des potes entre eux qui imaginent un mode dans leur coin, un peu comme ça s’est passé avec la création de Dota.

Avec Apex Legends qui vient de sortir, ça me fait mentir pour le moment, mais on sent que la hype esport entraîne les éditeurs à créer des jeux taillés pour la compétition. Pourtant, aucun d’eux n’a encore véritablement trouvé la recette, car tous les succès esport comme CS, Dota ou LoL, sont des concepts éprouvés depuis 10 ou 20 ans, et ça ne sort pas, généralement, des gros studios Triple A.

Oui, ces jeux ont été créés par des personnes qui ne cherchaient pas à faire de l’argent, ni même de l’esport. Ça fait longtemps que je réfléchis à cette question, bien avant la création de Gamoloco.

Pourquoi Dota fonctionne ? Pourquoi Starcraft a été le succès qu’on connait ? Pourquoi League of Legends perdure comme ça ? Pourquoi pas les autres jeux sortis entre temps ? Là, on parle de 3 jeux sur 20.000 qui sortent depuis tout ce temps.

Ça fait 15 ans que j’y pense avec passion. Je faisais des consultations à l’époque pour ces éditeurs. Je n’avais pas encore toutes ces connaissances liées à la data, mais je leur disais déjà à l’époque qu’il fallait faire vivre leurs jeux après la sortie. Ils me répondaient souvent qu’une fois leur jeu en vente, ils passaient au suivant. Seulement, ils ne comprenaient pas encore que quand leur jeu sort, c’est le début de l’aventure pour les joueurs, pas la fin comme eux le pensait.

Seulement, le décalage était trop fort et j’ai arrêté d’essayer de leur dire. Aujourd’hui, quand je retourne les voir, ils me demandent si j’ai déjà créé un jeu qui marche dans l’esport. Bien sûr que non, donc je comprends leur réaction de rejet, mais ça n’empêche pas que la question me passionne. C’est une clé de réussite.

Justement, c’est quoi la recette d’un bon jeu esport ? Hormis Rainbow Six : Siege ou Apex Legends, les éditeurs ont du mal à s’en sortir, même si on sent qu’ils commencent à comprendre les subtilités de l’esport. Je sais que la question est difficile Nicolas Cerrato [rires].

Oui [rires]. Il y a une vraie réponse, mais on en aurait pour longtemps, car il faut expliquer toute la démarche, donc je vais te faire une version simple qui dit la même chose sans les explications.

Il faut que le « core gameplay » soit profondément compétitif, mais simple à comprendre. Ensuite, il faut construire une popularité avant de penser esport. Ça, c’est Fortnite, même si les gens ne veulent encore pas l’accepter. Il faut un jeu que les spectateurs puissent s’approprier.

Pour reparler du cas d’Overwatch et de ses problèmes d’audience, pour moi, ça commence à la base : quand je regarde du OW, il m’arrive souvent de ne pas savoir qui a remporté la manche qui vient de se finir. Je ne suis pas un joueur aguerri d’Overwatch, mais un grand fan d’esport : si un grand fan d’esport ne peut pas obtenir instinctivement l’information de qui a gagné la manche en regardant le jeu… Comment veux-tu qu’il décolle auprès d’un large public ?

On dit souvent qu’un jeu esport doit être simple à regarder, mais même League of Legends ou Counter Strike, je ne les trouve pas « simples » à regarder pour un spectateur extérieur. Je ne jouerais pas aux jeux vidéo, j’aurais du mal aussi à comprendre. Counter Strike est spectaculaire, mais pas si compréhensible non plus en réalité.

Alors, je te réponds Clash Royale. C’est le jeu le plus facile à comprendre. Je le montre à ma grand-mère et elle comprend. C’est comme les échecs. Il faut tuer le roi. Pour Counter Strike, c’est l’un des jeux qui fait les plus gros pics d’audience en occident parmi les jeux learders de l’esport et ça reste le plus simple à comprendre.

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CS : GO, probablement le jeu le plus spectaculaire de l’esport. Crédits : IEM / Valve

Pour les MOBA, effectivement, ils sont encore complexes. Je le dis depuis des années. Les jeux sont fermés. League of Legends réussit le tour de force de le rendre le genre populaire. Ça ne veut pas dire que Dota est mauvais. De plein de manières différentes, je le trouve mieux construit que League of Legends, mais il reste plus ouvert. Ça amène des gens, donc forcément ça t’amène l’indice que les jeux du futur doivent être plus simples à comprendre.

Avec Fortnite, tu perds ça, car tu dois suivre 100 personnes sur une île trop grande pour tout suivre. Mais il y a une règle simple : il ne doit en rester qu’un. Ce n’est pas un hasard si c’est la devise d’Highlander ou que Booba le répète autant dans ses chansons. C’est une idée inconsciente et excitante pour un homme d’être le meilleur qui reste en haut de la colline.

Mais bien sûr, je suis d’accord, les jeux esport ne sont pas encore assez simples à regarder pour envisager pouvoir attirer une masse importante de fans supplémentaires. Quand j’ai vu Clash Royale en 2016, je me suis dit que c’était une superbe version d’esport ouvert et accessible, tout en étant profondément compétitif. Les meilleurs joueurs du monde restent. Les mecs sont des génies de Clash Royale, et ça ne change pas, malgré les mises à jour du jeu. En termes de game design, c’est incroyablement efficace et difficile à décrire.

Il y a 2 ans, peut-être que ça a fait sensation, mais le jeu s’essouffle aujourd’hui, non Nicolas Cerrato ?

Je ne suis pas sûr de ce qu’il se passe. Supercell  a pris les choses par le mauvais bout, clairement. Ce qu’ils faisaient au départ était bénéfique pour la communauté, alors que maintenant, c’est moins vrai. Lorsqu’ils ont voulu se diriger vers l’esport, ils ont fait toutes les erreurs possibles qu’un éditeur puisse faire.

A un moment, il y avait une façon simple d’identifier les gens qui venaient de débarquer dans l’esport et n’y comprenaient pas grand-chose : ces gens ont tous appelé leurs ligues « Championship Series » en copiant tout simplement l’appellation à succès de Riot Games pour les « League Championship Series », comme s’il n’y avait qu’une façon de nommer une ligue esportive… Ça a été le cas pour Clash Royale et Rocket League notamment.

Cela dit, la finale de leur Clash Royale League a réuni 310.000 spectateurs, c’est autant que celle de l’Overwatch League à quelques dizaines près de mémoire, alors que Supercell a fait beaucoup d’erreur tout au long de sa saison. Ils ont sorti un gros budget pour leur finale, mais ça n’a rien avoir avec celle d’Overwatch, et pourtant, ils ont la même audience à l’arrivée.

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En plus, je pense que Clash Royale aurait pu mieux faire en construisant davantage leur communauté tout au long de l’année, même si leur production était intéressante.

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Clash Royale possède les épaules pour devenir un titre moteur de l’esport. Crédits : Supercell

On parle d’audience, donc ça passe grandement par Twitch. Ils font un super boulot, notamment sur l’accompagnement des streamers et des compétitions esport. Seulement, les situations de monopole, on sait que ce n’est jamais ultra-positif. Tu en penses quoi Nicolas Cerrato ?

Le monopole de Twitch est moins probant aujourd’hui qu’il y a un an parce que YouTube commence à grignoter de bonnes parts de marché. Ça va surprendre certains, mais les plus gros chiffres d’audiences sur Fortnite, ils sont sur YouTube. Certains streaming sont montés à 1 million de spectateurs, bien devant ce que fait Ninja sur Twitch. Le problème, c’est qu’on ne couvre pas ces chiffres avec Gamoloco. La plateforme Mixer commence à faire des choses intéressantes également, même si c’est tout petit encore, par rapport aux deux autres.

Twitch a une aura qui sera difficile à rattraper. Ils ont pris beaucoup d’avance. Je ne suis plus trop en contact avec les créateurs de contenus, donc je ne connais pas leur avis, mais Twitch semble faire un sacré boulot pour les accompagner.

Ils ne font pas les erreurs que peuvent faire certains acteurs du secteur. Ils savent d’où ils viennent et ils font bien la mission qu’ils se donnent : rendre plus heureuse la communauté. C’est la raison de leur succès. Est-ce que du point de vue des producteurs de contenus, ils se sentent prisonniers de Twitch ? Je ne pense pas. Ils n’étaient pas tous seuls et ils le sont devenus, car ils ont fait des décisions favorables pour ces créateurs de contenus.

Il n’y a pas que l’esport qui nourrit la plateforme, mais aussi les streamers. On entend même peu à peu le terme « esportainment », avec une qualité de production toujours plus conséquente. Quelle est la place de ces créateurs de contenus dans l’esport et le rapport qu’ils entretiennent avec les éditeurs et les marques Nicolas Cerrato ?

C’est super compliqué comme question. J’y ai déjà réfléchi, et j’ai ma propre opinion qui pourrait clore ce débat sur l’esportainment. Selon moi, il faudrait parler d’esport casual et d’esport professionnel.

Je regroupe des personnes comme Ninja ou Gotaga dans l’esport casual avec ce qu’ils font à Las Vegas ou avec Redbull par exemple. L’esport professionnel, ce sont les Majors, les Worlds de League of Legends, The International de Dota, etc.

Le mot esportainment n’est pas un problème, mais ça le devient quand les gens pensent qu’on parle de l’esport comme nous on l’entend. Le lendemain du Z Event de Zerator, j’écoutais France Info et ils ont parlé de l’événement. Le commentateur expliquait que c’était de l’esport, alors que pas du tout.

On a un sérieux problème sur le mot « esport » tout court. Les gens mettent n’importe quoi dedans. L’esport est devenu un buzzword qui veut dire argent. C’est comme si tu gagnais 20% sur ta commande quand tu emploies le mot pour te donner un genre.

C’est complètement le fond de mon questionnement quand je t’emmène sur ce sujet.

Si les gens dans l’esport se mettaient d’accords pour dire que Gotaga & co, ils font de la compétition de manière « casual », ça règle tout. Non, Ninja ne fait pas d’esport, mais lui te dira que si, et qu’il est l’un des meilleurs. Le pire, c’est que quelque part, il a raison. Il joue à un jeu difficile où il parvient à faire des performances honorables. Tu ne peux pas lui dire le contraire, mais il y a quand même une dimension casual dans sa pratique.

C’est comme les Harlem Globetrotters au basket. Ce n’est pas de la vraie compétition, mais dans le fond, quand même un peu, même si c’est avant tout un spectacle. Ça plait aux fans et surtout aux enfants. Avec ça, tu peux intéresser des marques tout en introduisant ton sport.

D’ailleurs, si j’avais été Supercell, j’aurais fait un tournoi de célébrité avant de faire des ligues. Tu aurais pu faire un contenu cool et compétitif à la fois. C’est une superbe introduction pour montrer aux gens que derrière tout ça, il y a de vrais champions qui s’entraînent comme des acharnés.

C’est ce qu’Apex Legends fait avec le Twitch Rivals.

Oui, et ils ont raison. C’est une introduction aux compétitions qu’ils préparent. Je pense que si on regardait tout ça sous cet angle, on se prendrait moins la tête, et surtout, on aurait moins de problèmes.

En parlant de ces créateurs de contenus, je me suis amusé à comptabiliser le nombre de spectateurs moyens, si on englobe la totalité des streamers à un instant T, notamment avec les chiffres qu’on retrouve sur Gamoloco. On se rend compte qu’il y a 20 spectateurs moyens par chaîne. Bien sûr, 80% de l’audience est accaparée par 20% des plus gros streamers, si on suit la loi de Pareto. Est-ce qu’il n’y a pas trop de rêves autour du métier de streamer Nicolas Cerrato ? D’ailleurs, on en parle sur Esport insights en revenant sur les déboires du jeune Yuber.

Ça dépend comment tu vois les choses. C’est important que les gens se divertissent et qu’ils essaient. Le phénomène est énorme et ne fait que grandir. D’une certaine manière, on peut dire que c’est un danger, mais le mal vient toujours avec le bien.

Tu peux raisonner de manière négative comme certains le font en disant que ça reste des gens assis devant leurs PC comme des légumes à regarder d’autres joueurs et que ça fait mal à la jeunesse. Mais il ne faut pas le voir comme ça. Ce qui est intéressant, c’est la création. Ça apporte de nouvelles choses.

Le nombre de nouveaux créateurs, c’est le chiffre qui augmente le plus sur Twitch. La seule chose que ça veut dire, c’est que c’est devenu le nouveau job de rêve pour les jeunes du 21ème siècle. De la même manière quand tu veux devenir chanteur, ça peut créer des problèmes de vies ou des désillusions, mais comme dans tout domaine où tu veux percer. On ne peut pas dire qu’il y a trop de gens, c’est juste un phénomène sociomédiatique incroyable.

L’esport ressemble à la musique. Plein de personnes veulent en vivre, mais au final, tu en as que quelques-uns qui arrivent à s’en faire un métier comme monsieur tout le monde. Puis, tu as le 1%, c’est Drake & Rihanna.

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Streamer, le nouveau métier de rêve de la jeune génération ? Crédits : Gotaga

Dans l’esport, c’est la même chose encore aujourd’hui. L’an dernier, les salaires des joueurs de G2 sur Counter Strike Global Offensive ont été dévoilés. On parlait de 25.000€ par mois, mais ils faisaient partie des mieux payés. Si tu passes du 5ème au 15ème joueur le mieux payé, tu descends en faisant x10, et c’est encore pire quand tu vas dans la tranche des joueurs qui se positionnent à la 50ème place.

Oui, c’est un peu comme League of Legends où les joueurs de LEC / LCS auront un salaire à plusieurs dizaines de milliers d’euros par mois, alors qu’en LFL, qu’on peut considérer comme la ligue 2, sera sur des salaires avoisinants 1000 à 2000€ mensuels en moyenne. Quelles sont pour toi les prochaines tendances de l’esport Nicolas Cerrato ?

J’attends fermement le prochain mode de jeu Battle Royale qui va tout débloquer, même si il n’arrivera peut-être jamais. Fortnite n’a pas encore dévoilé tout son potentiel esport. En plus, ils ne font pas vraiment de meilleures audiences quand ils réalisent des compétitions. Il n’y a qu’avec un mode de jeu vraiment plaisant pour les joueurs esports que ça apporterait de la valeur ajoutée, et donc que les audiences suivent.

Epic Games se concentre trop sur l’évolution de son jeu, plutôt que de pérenniser sa scène professionnelle. Si Fortnite devient un truc sérieux, les équipes pourront vraiment développer des stratégies de jeu et pas juste faire de la figuration pour les sponsors.

En fait, il faudrait 2 serveurs. Un pour les joueurs compétitifs et un autre pour les joueurs dits casuals, comme ça, ils peuvent continuer leur délire d’ajouter des sapins et des avions pour le serveur grand public, et stabiliser l’autre pour la compétition.

Concernant Clash Royale que j’apprécie particulièrement, je pense qu’il y a encore un vrai potentiel également. Supercell ne fait pas un super boulot actuellement. Ils font aussi des mises à jour tous les mois, alors que c’est catastrophique, mais ils ne s’en rendent pas compte. Les gens qui sont censés être leurs spécialistes esport n’y connaissent rien, et visiblement, c’est la même chose sur beaucoup de jeux.

Apex Legends, ça va être également une belle surprise sur toute l’année. A la vue des 10 premiers jours, il sera le jeu #1 sur Twitch en 2019. Cela dit, le problème de l’esport est le même que pour Fortnite.

Je pense que League of Legends va faire de belles audiences cette année. Ils ont enfin compris qu’un moment, ils étaient en train de faire du corporatisme. Là, ils ont mis le paquet sur le rebranding de leurs compétitions en Europe et en Amérique du Nord. D’autant plus qu’ils ont une meilleure relation avec la scène globale aujourd’hui.

C’est compliqué pour un éditeur, et il faut le comprendre. Il faut savoir tracer la ligne entre ton business et celui des gens qui font vivre ton écosystème. Ce qu’on constate aujourd’hui, c’est que les choses se rééquilibrent. La LEC, les ligues nationales, ce de bonnes choses également. On commence à sentir les effets positifs de tout ce travail.

Pour CS GO, j’imagine que l’audience va continuer de monter de manière régulière, mais lentement.

Penses-tu que Fortnite puisse faire un mal irréversible à Counter Strike sur le long terme Nicolas Cerrato ?

C’est une question qu’on peut se poser, et qui se pose d’ailleurs, du côté de la scène CS GO. C’est aussi une des raisons qui poussent certains à faire de la mauvaise pub à Fortnite. Le jeu fait peur et on essaie de détruire sa crédibilité.

Je pense que Counter Strike va avoir du mal à gagner de nouvelles parts de marché. Il pourra prendre 15% de croissance, puis en reperdre 7% l’année d’après. Le jeu a 15 ans, alors que Fortnite amène de nouvelles choses.

Clash Royale par exemple, c’est un chef d’œuvre en termes de game design. Ils ont réussi à regrouper les forces de Dota, League Of Legends, Starcraft et même les échecs. Il y a l’essence pour en faire un concept ultra-puissant. En plus, la recette est super bien amenée. Peut-être même que la suite de ça, c’est un jeu mobile qui finit par percer profondément comme l’a fait Fortnite auprès du grand public.

J’ai envie de parler de Rainbow Six aussi. De manière générale, j’adore cet exemple, car c’est le seul jeu qui possède une croissance régulière dans ce paysage chaotique. Ubisoft fait les choses intelligemment. Ils prennent le virage en tête, qui fait partie de l’avenir des grands éditeurs de jeux vidéo qui consiste à produire des titres au long cours.

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Rainbow Six : Siege, le jeu esport avec une croissance pérenne et continue. Crédits : Ubisoft

Pour conclure Nicolas Cerrato, j’aimerais aborder l’esport à la télévision. On parle d’un besoin de relai de croissance avec des émissions sur Bein ou une chaine comme ES1. Bien ou pas ?

Forcément, ce sont de bonnes choses. C’est plus de contenus créés, de nouveaux points de vue, une nouvelle expérience. Ça apporte un intérêt aux personnes qui ne connaissent pas encore le phénomène. Quand je parlais d’esport en 2002, on me prenait pour un fou. Le voir aujourd’hui à la TV, c’est positif.

Maintenant, je pense que ça n’ira pas loin, parce que mettre l’esport à la télévision, c’est un rêve de cinquantenaire qui connait l’esport et qui veut le mettre sur son média. Quand tu regardes les enfants de 12 ans, ils ne regardent vraiment plus la télévision. Quand on le disait il y a 10 ans, on pouvait ne pas te croire, maintenant, c’est acté, c’est une évidence. C’est le média de papa et maman.

Quand on te disait à l’époque que la télévision était en noir et blanc, jamais tu n’aurais voulu y penser. On vit un peu la même chose aujourd’hui. D’ailleurs, l’esport grandit. Et où est-ce qu’il le fait le plus ? Sur des plateformes de streaming.

Quand tu mets l’esport à la télévision, tu essaies de conquérir un public de vieux qui ne sont pas ceux que tu vises vraiment, car toi, tu veux les nouvelles recrues de l’esport : les jeunes générations.

Tu aurais un dernier mot pour terminer cette interview Nicolas Cerrato ?

Je te remercie ! Les questions étaient intéressantes et ça m’a fait plaisir de m’exprimer.

Merci à toi Nicolas Cerrato !

separateur rose esport insights

L’interview de Nicolas Cerrato touche à sa fin. J’espère qu’elle vous aura permis d’en apprendre plus sur le business de l’esport et tous les enjeux qui s’y rattachent.

Je remercie grandement Nicolas Cerrato pour son précieux temps et l’ensemble de ses mots qui poussent à réfléchir. Il est sûr qu’il reste de nombreuses choses à faire avant de prouver le potentiel latent de l’esport, mais nous sommes sur une voie positive !

Voici à mon sens, les 9 leçons à retenir de cette entrevue avec Nicolas Cerrato :

  • L’esport, surtout en occident, n’est pas sur une croissance d’audience aussi spectaculaire qu’on essaie de le vendre un peu partout selon Nicolas Cerrato.
  • Il ne faut pas oublier que l’esport est un jeune média qui s’est construit en 20 ans. Nous avons réussi à attirer une forte attention, mais nous sommes loin des résultats conquis par le sport.
  • Pour Nicolas Cerrato, là où les événements esport étaient les plus gros drivers d’audiences sur Twitch, il faut dorénavant compter sur les streamers comme Ninja, en tête de proue, pour réunir les foules.
  • Vouloir mettre des sommes astronomiques pour les gains de compétition n’est pas la solution idéale pour construire une communauté fidèle autour de son jeu esport. Pour Nicolas Cerrato, c’est même une erreur.
  • Le futur de l’esport pourrait être directement lié avec le sport grâce à la réalité augmentée. Projection intéressante qui pousse à la réflexion sur notre modèle actuel.
  • Les investissements employés pour des événements comme l’Overwatch League semblent être un problème plus profond qui s’étend à l’esport en général. Le coût par spectateur est probablement le plus gros jamais pratiqué à ce jour.
  • Les jeux comme Fortnite et autres Battle Royale devraient amener une nouvelle forme d’esport selon Nicolas Cerrato pour véritablement exploser au niveau compétitif.
  • La recette du jeu esport est simple : simple à comprendre pour les spectateurs extérieurs et disposer d’une popularité certaine (cf. Fortnite actuellement).
  • Pour améliorer la compréhension du terme esport, Nicolas Cerrato préconise l’utilisation des termes « Esport casual » & « Esport professionnel ».

Selon moi, toutes ces informations de Nicolas Cerrato peuvent se résumer en une seule et unique idée.

Il est préférable de construire l’esport de manière saine, réfléchie et sérieuse, plutôt que de tenter des « quickwins » avec une vision court-terme destructrice pour l’ensemble de la communauté.

N’hésitez pas à suivre Nicolas Cerrato sur Twitter. Il y offre ses analyses très régulièrement.

Pensez à partager cette interview de Nicolas Cerrato autour de vous. Je pense qu’elle offre un début de discussion sérieuse pour l’ensemble des acteurs de la communauté.

Et n’hésitez pas à venir me MP sur Twitter pour me dire si vous avez réussi à la lire jusqu’au bout. Je serais heureux d’avoir vos retours ! 😉

Enjoy et à très bientôt !

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2 Commentaires

Pierre Bourillot 22 février 2019 - 14 h 10 min

Mais bien sûr que j’ai lu jusqu’au bout et en une seule fois ! Et je vais le relire parce que cet article est une vraie perle 🙂 La réflexion qui est menée est tellement intéressante, greed is feed alors faisons attention à ne pas survendre notre passion en voulant développer le milieu.
Merci à Nicolas Cerrato qui est définitivement une personne formidable et à toi alexandre pour ton article que je me permets de partager

Reply
Alexandre Hellin 28 février 2019 - 14 h 34 min

Bonjour Pierre,

Merci beaucoup pour ton commentaire ! Il fait plaisir 🙂

Effectivement, Nicolas est une personne pleine de ressources, avec une expérience incroyable. Et il a totalement raison, il ne faut pas survendre notre passion au risque de nous griller économiquement.

Merci pour le partage et à bientôt sur le site ! 🙂

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