La question de la popularité des streamers et youtubers n’est pas nouvelle. Parmi les plus connus, certains ont acquis une énorme visibilité, concurrençant sans peine des personnalités issues des médias traditionnels. Ils cumulent des millions de vues, rassemblent des communautés énormes. Quelques rares élus brassent même des sommes allant du minimum vital au faramineux. Mais streamer sur Twitch, est-ce aussi magique cela ?
Streamer sur Twitch : eldorado ou rêve d’Icare ?
Les plates-formes d ‘hébergement et de streaming vidéo continuent à progresser, notamment portées par un public jeune et demandeur d’un média qui se veut proche de leurs aspirations au divertissement. Les vidéastes qui alimentent Twitch et Youtube portent, de manière plus ou moins appuyée, une certaine image publique. Le passage par les réseaux sociaux est un élément important, si c n’est vital, dans la diffusion et le développement de cette image. De leur côté, les médias historiques tels que la télévision ne s’y sont pas trompé et investissent depuis quelques années énormément de moyen pour se tailler la part du lion.
Ce sont quelques éléments qui font de Twitch et Youtube des supports influents et occupant une place privilégiée auprès d’une large audience. De manière première, ces sites sont conçus comme ouverts à tous, ne nécessitant qu’un compte gratuit pour y poster et partager du contenu. Cette simplicité d’accès permet en théorie à tout un chacun de se lancer et de proposer ses propres productions. Tout comme les personnalités vedettes en leur temps, nombreux sont ceux qui souhaitent se lancer dans l’aventure, parfois à corps perdu. La concurrence est présente et les places difficiles à atteindre au vu de la diversité et de l’ancienneté de ces plate-formes.
Qu’ils proviennent de personnes cherchant à se faire connaître ou d’illustres acteurs, des événements invitent régulièrement au débat sur la perspective de carrière potentiellement offerte aux utilisateurs. Au-delà de la seule volonté de partager du contenu, certains d’entre eux se fixent comme objectif de vivre pleinement de leur passion en en faisant leur activité principale. Bien qu’elles soient loin de résumer à elles seules l’entièreté de l’expérience apportée par Twitch ou Youtube, des affaires trouvent régulièrement une résonance dans les médias et sur les réseaux sociaux.
Il s’agit d’aller plus loin que le simple fait divers et de comprendre les enjeux et les problématiques qu’elles soulèvent. Pour illustrer ces propos, nous avons choisi de traiter du témoignage d’un streamer sur Twitch qui a trouvé un écho inattendu. Filmé sur le mode la confession, il exprime des dérives symptomatiques de certaines pratiques liées à une activité.
L’histoire de Yuber
Le 24 mai 2018, Yuber, un streamer gaming publie une vidéo sur sa chaîne Youtube. Il bénéficie d’une audience très réduite et de quelques 6 000 abonnés sur Twitch, autant dire un chiffre d’audience dérisoire à l’échelle de la plate-forme. Épuisé par six mois d’intense activité en stream, il déclare se retirer définitivement. Il apparaît particulièrement affecté émotionnellement et souhaite délivrer de manière directe un message qui n’est pas destiné à être reçu que par très peu de personnes. À la suite du visionnage de sa vidéo, un de ses anciens amis online avec qui il avait rompu le contact choisit de la partager sur le très populaire forum Reddit, faisant exploser les compteurs de vue.
Au travers d’un discours non préparé, Yuber se livre sur son expérience. Après 3 ans à s’investir sur Twitch, il en ressort épuisé. Il qualifie ce média « d’endroit dangereux » où il est facile de perdre de vue des éléments structurant de la vie sociale comme les proches ou les amis. Malgré le plaisir qu’il en retiré il se retrouve confronté à un isolement profond. Cela s’avère selon d’autant plus douloureux que Twitch s’offrait à lui comme un moyen de vaincre l’isolement tel qu’il l’avait déjà connu au travers de sa scolarisation à distance.
Pour autant, il n’incrimine pas directement Twitch qui constitue un outil et un moteur de premier choix pour vivre sa passion du gaming. Malgré son acharnement à streamer régulièrement et sa volonté de produire un contenu varié, il n’a pas atteint le but qu’il s’était fixé : vivre de son travail sur Twitch. Il affirme avoir cherché à s’adapter , tenté d’être parmi les premiers à jouer à un titre, avoir essayé les plus petits jeux comme les TripleA mais rien n’y fait. Poursuivre le but de vivre de Twitch implique le plus souvent de s’y consacrer à temps plein.
Devant également subvenir à ses besoins il a longtemps exercé le métier de livreur pour poursuivre son projet. En s’efforçant de concilier un « vrai travail » dont il se désintéressait avec le streaming, Yuber a progressivement vu ses relations avec ses proches se détériorer. Ce travail est un des nombreux choix « par dépit » que Yuber a concédé pour tenter de percer.
On peut y voir une forme de cercle vicieux auxquels mêmes les streamers professionnels sont confrontés. Qu’il s’agisse d’acquérir ou bien de conserver une certaine visibilité, il n’y a le plus souvent pas d’autre choix que de rester très actif et régulier. À compter du moment où il constitue votre principale source de revenus, le stream devient un des aspects centraux qui organisent votre emploi du temps. Un des risques est donc de voir le stream prendre le pas sur d’autres aspects, entre autres en terme de vie sociale.
En plus de cela, un « plafond de verre » important persiste pour bon nombre de vidéastes et d’animateurs qui se lancent sur Twitch. Animer une communauté, choisir un jeu populaire ou entretenir ses réseaux sociaux ne suffit pas toujours. Sans promotion ou mise en avant, il est extrêmement difficile et hasardeux de progresser « rapidement ». Les seule solutions sont alors d’être relayé par des acteurs plus influents ou d’avoir de la chance au bon endroit au bon moment. Malgré le rêve poursuivi, un développement suffisant reste un objectif impossible à atteindre pour la plupart des personnes.
L’envahissement de sa vie par le stream se retrouve jusque dans son environnement. Il présente à la caméra la pièce depuis laquelle il a l’habitude de streamer sur Twitch et qui est également sa chambre. Les fenêtres sont occultées et tout est centré sur son bureau. Les emballages ainsi que le matériel informatique et vidéo s’entassent partout jusque sur son lit. Cet aspect représente témoigne pour lui une forme de perte de contrôle sur sa capacité à organiser et prendre en main sa vie comme il l’entend. C’est dans ce décor qu’il s’adresse aux « rares personnes » qui verront cette vidéo en leur conseillant de ne pas imiter son exemple. Il invite ses spectateurs à reconsidérer ce type de projet en ne perdant pas de vue sa propre vie sociale.
Un rêve qui comporte des risques
Yuber a fait le choix de porter la faute de son échec en reconnaissant qu’il a consacré trop de temps à la pratique du jeu vidéo alors qu’il aurait pu jouer de manière plus « casual » et conserver du plaisir en streamant. En se fixant comme but premier de vivre de Twitch, il a perdu de vue ses besoins personnels mais s’est également subordonné à une tâche qui ne lui offrait pas les retours qu’il attendait. Bien qu’elle puisse prendre des formes diverses et plus ou moins intenses, la situation décrite par Yuber s’avère relativement banale.
Son expérience démontre un déséquilibre paradoxal entre l’investissement consenti par le streamer et les éléments externes sur lesquels il n’est pas en mesure d’agir seule. Ainsi, la majeure partie du succès repose sur des paramètres plus ou moins aléatoires mais également et de manière non négligeable sur les réseaux de connaissances et les opportunités. Toutefois, même une fois la notoriété acquise, le chemin est encore semé d’embûches. La viabilité du modèle économique de ces plate-formes vidéos est régulièrement remise en cause.
Concernant Youtube, le retrait d’une partie des annonceurs ou encore la manque de transparence et contrôle au sujet de l’algorithme participent à fragiliser les sources de revenus. De manière plus général, les revenus sont fluctuants et restent soumis à énormément d’éléments conjoncturels qui échappent aux utilisateurs. Cet écart est d’autant plus grand que ces mêmes utilisateurs sont tributaires des politiques édictées par Youtube et Twitch.
Censée être confidentielle à l’origine, la vidéo de Yuber compte aujourd’hui plus de 800 000 vues. Il a reçu beaucoup de témoignages de soutien, aussi bien de la part d’anciens proches que d’internautes touchés par son témoignage. Il a également gagné en notoriété et a dépassé les 20 000 abonnés Twitch. En s’appuyant sur ces nouveaux éléments, Yuber a décidé de continuer le stream mais en essayant de tirer les leçons de ses déboires.
Malgré tous ces apports positifs, il convient de rester prudent face à ce regain. Même spectaculaire, une progression n’est jamais garantie de rester pérenne. Encore une fois, il s’agit de relativiser la perspective de vouloir vivre du stream comme objectif principal. Si ce projet est potentiellement louable et excitant, il comporte énormément de risques dont la plupart échappe à la volonté de l’utilisateur, aussi bonne soit elle.
Le revirement opéré par Yuber ne doit pas faire oublier la situation qui l’a amené à poster se vidéo. S’il semble avoir retrouvé une forme d’équilibre, cela est certainement dû au fait qu’il s’agissait d’une personne relativement équilibrée à la base et modérément affectée par des éléments de fragilisation sociale. De surcroît, l’engouement qu’il a reçu n’était pas, contre toute vraisemblance, prémédité et aurait pu tout aussi bien ne pas advenir voire même ‘enfoncer sa situation. Ce dernier insiste d’ailleurs à ce propos sur le fait qu’il n’a « rien fait » pour provoquer ce résultat. Il ressort de cette forme de thérapie avec la tête froide, en tout cas à l’heure actuelle.
La menace de céder à l’escalade au buzz n’est pas négligeable et ce ne sont pas les exemples récents qui manquent, à l’exemple de quelques dérapages du youtubeur américain Logan Paul. Ce type de comportement doit amener, comme pour tout phénomène générant de la visibilité dans l’espace social, à garder du recul sur la popularité des streamers et youtubers. Ils restent pour la plupart des personnages à l’écran, aussi bien pour satisfaire leur audience que pour tenter de préserver leur vraie personnalité. La notoriété représente toujours une menace potentielle pour la vie sociale s’il n’est pas accompagnée d’éléments structurants et stables. Il faut différencier les risques, c’est-à-dire les éléments que l’on juge souhaitables et acceptables de mettre au service du projet, et le danger inconsidéré. Il convient mieux dans un premier d’apprendre à streamer sur Twitch sur des bases saines et solides avant de s’engager pleinement.
La perspective véhiculée de vivre de ses productions en reussisant à streamer sur Twitch, parfois malgré elles par les personnalités du web, renvoie à la dangerosité des exemples uniquement vue par le prisme des médias quels qu’ils soient ; surtout quand ces mêmes médias possèdent toutes les cartes et entretiennent des rapports de force aussi inéquitables avec leurs utilisateurs. Entre le fantasme et l’exercice réel du métier de vidéaste, il reste encore de nombreuses dimensions sur lesquelles il est important d’attirer l’attention.
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[…] sur la plateforme Twitch mais bien lors des prochains rendez-vous majeurs de la scène. Pour lui, ce n’est pas une option de dériver vers le streaming pour subvenir à ses besoins financiers. Il reste avant tout un compétiteur et ses résultats […]