Vous est-il déjà arrivé de tilt en pleine partie après une latence capricieuse ? Forcément.
Vous devenez plus concentré sur le décalage entre vos clics et la réaction du jeu plutôt que de gagner la partie. Jouer devient inconfortable. Le plaisir disparaît instantanément. Déstabilisant n’est-ce pas ?
Maintenant, allons plus loin.
Aimeriez-vous vivre dans un pays où moins de la moitié de la population possède un accès à internet ?
Aimeriez-vous voir les éditeurs de vos jeux préférés ignorer votre situation et ne prenant même pas la peine de parier sur votre futur en installant des serveurs de jeu près de chez vous ?
Auriez-vous l’envie de vous connecter en Europe ou en Asie pour jouer contre des personnes qui ne comprennent pas la chance qu’ils ont de jouer avec 10 de ping et qui seraient prêtes à balancer leur box à travers la fenêtre au moindre lag ?
Voudriez-vous rejoindre une équipe qui n’a aucun moyen de gagner de l’argent ou de vous aider à atteindre le haut niveau ?
Auriez-vous envie de vendre un rein pour participer à la seule compétition esport disponible, à plusieurs milliers de kilomètres de chez vous ?
Nous sommes d’accord. Jamais nous ne voudrions vivre notre passion de cette façon.
Pourtant, voilà à quoi ressemble l’esport en Afrique.
Ce n’est pas notre réalité, donc nous n’y attachons que peu d’importance.
La communauté esport africaine mérite bien mieux. Il lui manque juste un peu d’aide pour déployer ses ailes.
Ces joueurs ont autant envie que nous de voir des champions se forger une grande carrière, de se rendre dans des compétitions toujours plus spectaculaires ou de pouvoir vivre pleinement leur passion au quotidien.
La situation de l’Afrique est loin d’être simple, à tout niveau. Ce n’est un secret pour personne. Difficile de faire émerger l’esport dans un continent où la majorité de la population n’a pas d’accès à l’électricité ou l’eau potable.
Pourtant, de nombreux fans répondent présents et n’attendent qu’à être divertis.
Nous sommes loin des grands rassemblements de fans et des millions de dollars de cashprize, et pourtant, l’Afrique vient de vivre un moment clé de son esport.
Le 16 décembre dernier, et pour la première fois, l’ESWC Africa pose ses bagages au Maroc, et plus précisément à Casablanca, lors de l’Africa Gaming Fest pour organiser un événement esport majeur.
Au sortir de phases qualificatives préliminaires disputées en ligne dans 6 pays, 4 équipes se sont réunies sur scène pour s’affronter sur Counter Strike : Global Offensive et partager 15.000$ de Cashprize.
L’équipe tunisienne Limitless.gg en ressort vainqueur face à Atlas Lions, l’équipe marocaine locale, et empoche 7.000$. Pour toutes les informations sur la compétition, cliquez ici.
Le cast était assuré par deux commentateurs français reconnus : François ‘CND’ Balembois et Benjamain ‘BENJ’ Cremieux.
Juste avant la finale, les organisateurs de l’ESWC Africa ont également eu l’idée de proposer aux spectateurs un show match Fortnite en invitant des personnalités telles que Nameless, Dylan Del Rey, Poncefesse et Prince.
Comment le public a accueilli l’événement ? Est-ce une réussite ? Que cela signifie-t-il pour l’évolution de l’esport en Afrique ? Peut-on espérer d’autres événements esport majeurs pour 2019 ?
Je suis parti à la rencontre de Julien Brochet, directeur de l’ESWC, pour en discuter et apporter des éléments de réponses à ces questions.
Bonne lecture à tous !
Bonjour Julien Brochet, pour débuter cette interview, pouvez-vous présenter votre parcours et vos activités au sein de l’ESWC ?
Bonjour, je m’appelle Julien Brochet, je suis l’actuel directeur de l’ESWC depuis que Matthieu Dallon m’a donné la main. Je suis en charge du développement stratégique de la marque, pionnière dans l’esport. On a fêté nos 15 ans tout récemment. Au quotidien, je dirige une équipe de 4 personnes intégrée dans le groupe Webedia, un des plus grands groupes esport au monde.
Mon principal objectif et de développer l’activité, notamment à l’international.
Comment êtes-vous arrivé à l’ESWC ?
Comme beaucoup de personnes dans l’esport, je suis moi-même un joueur depuis longue date. J’ai joué à Counter Strike, Warcraft III et j’avais aussi un bon niveau sur Dota. J’ai rejoint l’ESWC en 2006 comme stagiaire. J’ai monté les échelons à force de produire des événements.
Avant de parler de l’ESWC Africa, pouvez-vous nous parler du marché de l’esport sur le continent africain Julien Brochet ? Comment se développent les équipes et les joueurs ?
Nous n’avons pas spécialement étudié le marché pour cet événement esport. On constate son évolution depuis longtemps. L’ESWC, dans son ADN, est une compétition ouverte à tous. On a été parmi les premiers à faire des compétitions féminines ou à nous diriger vers des jeux comme Dota, Just Dance ou Clash Royale, alors que c’était décrié.
Nous essayons toujours de tester de nouvelles choses, c’est la même idée pour les pays et continents. Ça fait 15 ans que nous avons des qualifications sur le marché africain. Nous avions déjà des retours, notamment de nos partenaires présents sur place.
On sait par exemple que Counter Strike : Global Offensive et FIFA sont des jeux forts là-bas. On constate toujours la même chose. Il y a une énergie de dingue, des passionnés, pas mal de joueurs, mais un gros manque de structure. Bien évidemment, la première raison à ça est le manque de moyen. C’est un continent extrêmement hétérogène.
Dans certaines villes, il y a de grosses infrastructures, de la fibre, la population est bien équipée, notamment avec des ordinateurs hauts de gammes, et de l’autre côté, les gens n’ont pas accès à l’électricité. L’esport doit trouver sa place dans cet écosystème.
Aujourd’hui, c’est un continent encore très peu équipé. Même pour les joueurs ayant des PC et une connexion, c’est malheureusement très difficile de performer puisqu’ils n’ont pas de serveurs basés en Afrique. Ils doivent jouer constamment avec des pings assez élevés. Forcément, c’est plus difficile d’arriver en haut de la pyramide.
Dans un tel environnement, forcément, ta base de joueurs est moins forte et c’est très difficile de faire émerger de bons champions. C’est comme le serpent qui se mord la queue. Comme il y a peu de choses, personne ne vient, donc rien ne change.
Pour créer une bascule et que le territoire puisse exploser, il faut, à minima, que les joueurs puissent bénéficier de serveurs de jeux dédiés au continent.
Les éditeurs n’avancent pas dans ce domaine ?
Très peu. Ça se voit assez facilement quand vous lancez n’importe quel jeu. Vous pouvez aller dans les préférences de joueurs et le constater. On peut jouer partout en Europe, notamment en Russie où le pays est très performant, on peut jouer en Amérique, mais impossible d’aller sur un serveur africain.
C’est pareil pour le joueur situé en Afrique, il peut aller jouer en Europe ou partout ailleurs, mais pas chez lui. Admettons que tu sois en Afrique du Sud, pour aller te connecter, ne serait-ce qu’en Espagne, c’est difficile, donc vous ne pouvez pas jouer dans de bonnes conditions.
Au-delà de cette volonté avant-gardiste, quelles étaient les volontés profondes de l’ESWC pour faire cette édition africaine Julien Brochet ?
Nous sommes dans la continuité de ce qu’on fait déjà depuis plusieurs années, c’est-à-dire, être présent. Jusque-là, nous nous arrêtions à des qualifications. C’était important pour nous de faire un événement esport majeur. Ce sont des actions qui prennent du temps, mais nous voulions vraiment le faire.
Il y avait une belle opportunité, car ça bouge beaucoup au Maroc, notamment sous l’impulsion d’INWI, notre partenaire, fournisseur d’accès internet. Ils développent beaucoup l’esport. D’ailleurs, ils viennent de lancer la plus grande salle dédiée au gaming d’Afrique. Ils ont aussi leur propre ligue en ligne. Ils comprennent que c’est important et qu’il se passe des choses. Malheureusement, il n’existe pas encore beaucoup de contenus à partager aux joueurs sur le continent, même si, pour eux, l’enjeu est plutôt marocain.
C’est une évidence pour nous de les accompagner à rayonner et créer des opportunités. D’autant plus qu’ils étaient déjà partenaires par le passé avec nous.
Je vais revenir sur INWI juste après. Quel développement avez-vous pu constater au fil des années en Afrique ? Il me semble que c’est le premier événement physique que vous réalisez là-bas ?
Il y a déjà eu des qualifications offlines, mais elles n’étaient pas forcément d’envergures, donc c’est très difficile de les suivre depuis l’extérieur. En tout cas, c’est effectivement la première fois qu’on fait un événement esport sur scène et diffusé en ligne comme on le fait en Europe.
Il y a une amélioration dans le nombre d’équipes participantes, de spectateurs, partenaires ou d’audience générale ?
Ce qu’on voit, c’est qu’à chaque événement esport en Afrique, ça répond plus fort que prévu. C’est aussi le cas ici. L’événement a duré toute la journée et l’amphithéâtre était rempli du début à la fin. Nous aurions pu accueillir plus de personnes avec l’événement, c’est certain. Depuis plusieurs années, à chaque qualification, il y avait plus de demandes d’inscriptions que de possibilités de participations.
Comme il existe peu de chose, dès qu’on commence à produire du contenu, il y a une demande énorme. Il y a une énergie dingue. C’est pour ça qu’il nous paraît évident de continuer nos efforts en Afrique.
Justement, vous me parliez d’INWI. Comment sont créés les liens avec l’entreprise, sponsor de la compétition ?
Ça remonte à quelques années. Ils avaient déjà été partenaires de nos qualifications, notamment via l’INWI E-League qui offrait des places à nos événements finaux. Notre relation s’est bâtie dans le temps et sur la confiance. Ce sont des acteurs sérieux. Ils ne sont pas là simplement pour du marketing. Ils veulent structurer l’esport en Afrique.
Au-delà de développer leur clientèle, quelles sont leurs attentes ? Ont-ils d’autres actions pour développer l’esport ?
Ils ont un positionnement plus général basé sur l’innovation. Pour eux, c’est très important d’être les premiers à se positionner sur des phénomènes émergents, comme l’esport. On le sent vraiment, ce sont des passionnés. Ils n’ont pas juste regardé une étude en se disant que c’était à la mode, ils le vivent eux-mêmes et l’accompagnent. Ils ont une relation sincère à l’esport et ça nous plaît.
Après, effectivement, l’intérêt pour eux, comme pour n’importe quelle marque qui investit l’esport, c’est d’approcher les nouvelles générations. C’est difficile d’aller les toucher dans ce qu’ils font, parce que justement, il y a tellement de contenus différents qu’ils s’éparpillent très vite. Avec l’esport, on peut leur donner rendez-vous et leur parler.
Finalement, ça rassemble des jeunes, des moins jeunes, des hommes, des femmes, qui vont jouer à plusieurs types de jeu. Ça touche un grand public dans ce qu’ils aiment et dans leur passion nouvelle. Il y a un message extrêmement novateur et puissant derrière.
Les utilisateurs d’esport sont des gens extrêmement exigeants. Leurs retours sont qualitatifs sur les produits et l’utilisation qu’ils en font. Pour un fournisseur d’accès internet, avoir les retours de cette communauté pour améliorer leur offre, c’est important. Avec la compétition, ils touchent une communauté d’élite pouvant offrir de vrais conseils pour le futur.
Un grand merci à @OMENbyHP_fr pour son soutien tout au long de l’année 2018, de Metz à #PGW, et d’avoir traversé les continents pour l’#ESWCAfrica 🇲🇦 en offrant aux champions les meilleures conditions de jeu
Découvrez toutes les offres OMEN by HP sur https://t.co/B2QqJkHPbL pic.twitter.com/fjrEclVaZe
— ESWC FR (@eswc_fr) 23 décembre 2018
Avez-vous tenté d’approcher d’autres partenaires africains ou même des marques européennes pour aller supporter cette initiative ?
Bien sûr ! Webedia possède une branche en Afrique. Elle n’est pas centrée que sur l’esport, mais ça existe. Dans ce cadre, on est allé voir d’autres marques. Certaines nous ont accompagnées comme Omen by HP pour les PC et les écrans, Quersus, pour les sièges et Plantronics pour les casques.
Pour un premier événement esport en Afrique, c’est un succès de venir avec 4 marques. Il sera plus simple d’aller voir d’autres partenaires pour leur faire une démonstration et créer un événement encore plus gros dans le futur.
Arrivez-vous à évoluer avec des chiffres précis pour le marché africain, notamment sur le nombre de joueurs ? Est-il croissant ? Sur quels jeux jouent-ils ? Ont-ils une consommation différente de l’Europe ?
Ce sont des données que nous essayons d’avoir, mais nous n’en avons pas fait une réelle étude de marché. C’est très difficile. C’est valable pour le monde entier. Certaines études dans l’esport existent. Elles donnent de bonnes indications, mais quand on connait bien le secteur, c’est facile de les remettre en question sur de nombreux points. Ça reste tout de même de bons indicateurs.
On se base beaucoup sur nos partenaires avec qui nous avons l’habitude de travailler en Afrique. Ils nous conseillent sur les jeux qui marchent bien en ce moment. On a aussi la chance de disposer de sites francophones extrêmement puissants qui possèdent une audience au Maroc et dans différents pays d’Afrique. Ça nous permet de suivre les tendances de consommations.
L’esport en Afrique grossit, comme partout dans le monde. Mais leur particularité, c’est qu’il existe une frustration du marché. On pourrait faire 1000 fois plus. D’un regard extérieur, on peut penser qu’ils ne sont pas concernés par l’engouement, alors que si, totalement. Il y a des joueurs, des fans, de potentiels champions qui, avec plus d’accompagnements, pourraient participer aux tournois majeurs des plus grandes compétitions.
Justement, comment s’est faite la sélection des pays pour l’ESWC Africa ?
Pour être transparents, nous avions trop de critères cette année. On a eu la validation de l’événement seulement 1 mois et demi avant la date finale. On a dû s’organiser très vite.
A la vue des délais, malheureusement, on n’a pas pu ouvrir à tous les territoires souhaités. C’est d’ailleurs une des raisons qui nous poussent à vouloir faire une nouvelle édition au plus vite. A terme, on aimerait l’ouvrir à tous les pays africains.
Nos choix se sont tournés vers les endroits où il y a une communauté forte sur Counter Strike: Global Offensive, mais surtout capables d’organiser des qualifications dans un laps de temps très court tout en garantissant la venue des joueurs. Parfois, entre certains pays, c’est plus compliqué, donc il fallait s’assurer que le passeport de chacun soit valable pour venir au Maroc.
Je pense aussi à l’Afrique du Sud, qui possède une scène CS : GO très développée. On a l’habitude d’aller là-bas, mais à cause du délai, nous n’avons pas pu les faire participer et assurer la venue de l’équipe qualifiée. Mais ils font partie des pays exemples qu’on aimerait voir à la prochaine édition.
Avez-vous réfléchi en amont aux problématiques liées au langage, aux coutumes ou aux habitudes de consommation, bien différents d’un pays à l’autre en Afrique ? Ça pourrait être un blocage ?
Un blocage, je ne pense pas, mais en effet, on a du étudier et arbitrer certains choix. Sont-ils bons ? C’est encore trop tôt pour le dire. Par exemple, nous nous sommes vite posé la question sur le langage à adopter pour faire le commentaire des matchs dans la salle de spectacle. Doit-on le faire en français ? En anglais ? En arabe ? Si on le fait en arabe, dans quel dialecte ? Car il en existe plusieurs typologies propres à chaque région.
Ce sont des questions assez complexes. Finalement, nous avons opté pour le français car nous avions la chance d’être au Maroc. La population est à l’aise avec cette langue. Cela dit, on a également proposé un cast arabe en parallèle, qui devait être compréhensible dans le plus grand nombre de pays possibles.
Évidemment, il faut s’adapter. Proposer l’événement un dimanche est aussi un choix réfléchi. Culturellement, c’est le jour le plus simple pour cette population de sortir. On s’améliore au fur et à mesure des années. Nous sommes très attentifs. Il est hors de question pour nous de débarquer avec nos gros sabots comme si de rien n’était. On doit leur proposer des événements esport en respectant leurs habitudes, notamment avec nos partenaires comme INWI.
On peut aussi parler de MGE (Moroccan Gaming Evolution, ndlr), une société spécialisée dans le développement dans l’esport qui nous a accompagnés sur l’événement. Nous faisons ça intelligemment, avec des personnes locales.
Nous ne pourrons pas tout le temps être là-bas. Dans le meilleur scénario, nous ferons 1 ou 2 événements par an. L’esport en Afrique doit vivre 365 jours par an. Il est nécessaire qu’il y ait des forces locales qui se sentent concernées et intégrées au projet. Pour nous, c’est hyper important d’échanger avec ces joueurs et ces partenaires locaux pour répondre au mieux à leurs besoins, mais effectivement, il reste encore beaucoup de choses à améliorer.
J’aimerais revenir sur le nom de la compétition : ESWC Africa. Il me semble que c’est la seule compétition qui reprenne un branding lié à un continent. Pourquoi ce choix ?
C’est une bonne question ! C’est un rendez-vous de plusieurs pistes stratégiques qui remontent à quelques années. Depuis quelque temps, l’ESWC réfléchit à continentaliser certaines compétitions pour ne plus être dépendant d’un événement final et international regroupant tous les continents en même temps. C’est lourd à organiser et il n’y a jamais la garantie que l’on puisse avoir tout le monde.
Ça permettrait de multiplier les événements, mais en effet, l’ESWC Africa est une première. Pourquoi pas Casablanca ? Il y a des équipes de toute l’Afrique. Dans le message, nous voulons faire passer que c’est un événement esport international et non local.
Nous n’avons rien à annoncer officiellement aujourd’hui, mais on espère pouvoir mettre en place prochainement un ESWC Asie, un ESWC Europe ou un ESWC Amérique… Ce ne sera pas réservé qu’à l’Afrique.
Attaquer le marché africain ne doit pas être simple au niveau local…
En réalité, attaquer le marché de l’esport, ce n’est pas simple de base. C’est important de le dire. Les fans voient le phénomène grandir, car il y a beaucoup plus de compétitions, de joueurs pros, des montants délirants… Ils ont l’impression que l’argent coule à flots, mais ce n’est pas vrai.
A chaque fois, il faut aller convaincre des personnes que c’est le bon moment, le bon jeu ou la bonne typologie… Ce n’est facile pour personne. Même pour les éditeurs avec de gros moyens, c’est une organisation lourde. Nous sommes au cœur des nouvelles technologies, avec plein de paramètres qui font que les choses peuvent ne pas marcher.
Bien sûr, c’est plus compliqué en Afrique, car ils possèdent moins de moyens et de projecteurs. Vous pouvez vous demander si les gens vont s’intéresser à ce que vous faites, mais si c’est difficile, c’est 95% dû au fait que l’esport est difficile, et seulement 5% parce qu’on est en Afrique.
C’est peut-être aussi lié au public ?
Le public, il est là, il existe. Ce qui lui manque, c’est du contenu. Ils sont condamnés à regarder ce qu’il se passe sur le net. Ils n’ont absolument rien de façon locale.
Sur un plan plus économique, comment l’ESWC est parvenu à organiser l’événement en Afrique ? Quels retours sur investissements vous en attendez ?
On ne peut pas se vendre comme organisateur d’événements internationaux si nous n’essayons pas de toucher tous les pays. Faire exclusivement de l’Europe ou les USA, ce n’est pas être international.
Il faut aller chercher tous les continents. Ça fait longtemps que c’est notre objectif. Le premier critère n’est pas financier aujourd’hui. Il est plus stratégique. On ne va pas là-bas pour gagner de l’argent, ou du moins, pas à court terme. Effectivement, si notre activité se développe, à long terme, ça sera intéressant et on pourra proposer de plus grands événements. Il faut générer des revenus pour vivre, comme toute société, mais ce n’est pas notre moteur sur cet événement, sinon, il y aurait des gens qui y seraient allés avant nous.
Comment débloque-t-on l’argent pour lancer ce genre d’événement esport en Afrique ?
De la même façon qu’un événement plus classique sur un autre continent. On part à la rencontre des partenaires technologiques et financiers. On discute avec eux des possibilités et pour voir s’ils peuvent et veulent nous accompagner.
L’objectif est, au moins, d’éviter les pertes financières pour l’ESWC. De notre côté, on leur garantit un niveau de visibilité suffisant comme investissement marketing sur lequel ils ont un retour d’image.
On a trouvé un bon équilibre. Nous sommes assez confiants pour renouveler l’édition.
Vous avez choisi Counter Strike : Global Offensive pour la compétition. Pourquoi ce choix et non un Rocket League ou encore un League of Legends ?
Le choix d’un jeu pour une compétition, c’est toujours un sujet de grand débat avec des pour et des contre. Je peux te répondre succinctement sur la vision globale que nous avons eue. Nous ne voulions pas faire un événement trop ambitieux techniquement pour notre première édition. On a éliminé directement les Battle Royale. Ça évite d’avoir 100 personnes connectées en simultané sur un même lieu.
On voulait également que tous les matchs se passent sur scène pour offrir de la visibilité à toutes les équipes. Ensuite, pourquoi pas du League of Legends ? C’est vrai qu’il existe des communautés assez fortes en Afrique sur le jeu, mais on avait des délais plutôt courts. Sur CS : GO, nous étions plus libres d’opérer.
Et puis, les différentes qualifications qu’on a pu faire par le passé nous ont offerts des retours évidents sur CS et FIFA. En Afrique, on retrouve tous les jeux forts, notamment Clash Royale aussi.
CS : GO est un jeu qui peut faire peur selon les marques, pour le message qu’il peut faire passer, notamment en France. Nous n’avions pas cette contrainte-là pour l’événement au Maroc, donc ça devient vite une évidence.
Vous parlez de liberté sur Counter Strike : Global Offensive. Certains éditeurs rendent l’utilisation de leur jeu plus difficile en événement ?
Oui. Pour faire un événement esport avec un minimum d’envergure, il faut le faire valider auprès de l’éditeur. C’est un processus qui prend du temps. Il faut s’inscrire dans un calendrier de compétition, soit ne pas le faire pour ne pas perturber la compétition officielle, mais ce sont des choses qu’il faut discuter en amont.
Valve (éditeur de CS : GO, ndlr) a cette particularité de laisser gérer les organisateurs d’événements entre eux. Comme nous devions aller vite, c’était un critère important. Par contre, il ne faut pas penser que CS : GO est un choix par défaut. Depuis que l’ESWC existe, il n’y a pas eu une seule année sans une compétition Counter Strike. Comme nous n’avons pas pu l’organiser à la Paris Games Week, il était important pour nous de ne pas la louper en Afrique.
L’esport mobile est plus avancé en Afrique que l’esport PC. Vous êtes-vous posé la question de faire ça sur Clash Royale ou un nouveau jeu mobile en espérant attirer plus de joueurs ?
On veut absolument refaire des compétitions en Afrique. Est-ce que ça sera sur CS encore une fois ? Pourra-t-on proposer d’autres jeux supplémentaires ? On y pense. Évidemment qu’on a pensé à des jeux comme Clash Royale ou même Brawl Stars (nouveau jeu de l’éditeur Supercell, ndlr), qu’on suit de très près pour le lancer en Afrique et d’autres territoires.
Comment se sont passées les phases qualificatives Julien Brochet ? Aucune équipe ne s’est inscrite au Sénégal par exemple. Comment ça s’est passé pour les autre pays ? Avez-vous été satisfaits du nombre de participants ?
Globalement, nous sommes très satisfaits. À la base, nous avions ouvert les inscriptions à 8 équipes par pays pour la phase de qualification. Très vite, nous avons eu d’autres demandes donc on a étendu le nombre de places disponibles.
Au Sénégal, nous n’avons pas pu remplir le tournoi, mais l’explication est simple. On en revient au premier point abordé en début d’interview. Il y a un manque flagrant de structuration. Le pays dispose de beaucoup de joueurs, qui nous ont d’ailleurs contactés, mais la plupart n’avaient pas d’équipes, et quand c’était le cas, elles ne pouvaient pas assurer le déplacement pour la phase finale.
Même si de l’extérieur, ça peut résonner comme une défaite, on espère que ça éveillera des consciences. Ils ne voudront pas que ça se reproduise donc les joueurs sénégalais joueront ensemble pour pouvoir répondre présents à ce genre de rendez-vous. Ce n’est pas parce qu’il y a eu 0 demande concrète dans le pays qu’il n’y a pas de demande globale. Il faut juste un peu plus de temps.
Et sur les autres pays, il y a eu assez de participants ?
Comme je le disais, on voulait ouvrir 8 places par pays. Finalement, nous sommes montés beaucoup plus haut, notamment pour certains pays comme le Maroc, la Tunisie, l’Égypte ou l’Algérie où ça marche très fort.
Naturellement, ce sont ces pays-là qui ont fait émerger les meilleures équipes, car la base de joueurs est plus conséquente.
Le pays favori pour la compétition était la Tunisie. Ils ont été peu inquiétés lors de la compétition, sauf face à l’équipe marocaine en finale, mais la logique est respectée.
En tout cas, ces qualifications sont un succès de manière globale. Ça a répondu très fortement présent.
Julien Brochet, avez-vous vu une hausse significative de participants par rapport aux années précédentes ?
Clairement. En plus, nous avons la sensation de pouvoir faire encore mieux avec des délais plus confortables. Entre l’annonce et les qualifications, il s’est passé une semaine. Tout est allé très vite.
La phase finale s’est donc déroulée à Casablanca. Comment ça s’est passé ? Que ce soit sur la production, la présence du public, etc. Avez-vous eu de belles surprises, ou au contraire, des mauvaises ?
Notre première crainte était technique. Il fallait opérer sur un territoire qui n’est pas le nôtre. On l’a fait, car on avait été mis en confiance par MGE et INWI. La collaboration entre notre équipe technique et eux s’est très bien passée. On a pu produire ce que nous souhaitions.
C’est aussi notre première satisfaction. Il n’y a eu aucun souci majeur. L’ensemble de l’événement s’est déroulé sans accroc ou sans retard, et il en est de même pour la connexion internet et la stabilité de la fibre.
L’aspect production était primordial. Nous sommes très contents.
Le public sur place était réceptif Julien Brochet ?
Notre compétition était inscrite dans un autre événement : l’Africa Gaming Festival. Les deux parties de l’événement étaient en permanence remplies. Sur la journée, nous avons accueilli 8000 visiteurs cumulés sur l’ensemble des espaces, ce qui est largement au-dessus de nos attentes. On aurait eu du mal à attirer plus de personnes. Malheureusement, sur Casablanca, il n’y a pas de lieu beaucoup plus gros. Il faudra se poser des questions de ce côté-là pour les prochaines éditions.
J’ai du mal à me projeter sur le chiffre. Ça représente quoi par rapport à un événement français ?
Pour comparer, on peut parler de l’ESWC Metz. On a eu plus de 17000 visiteurs, mais le lieu était beaucoup plus spacieux. A Casablanca, on ne pouvait pas faire plus. C’était déjà beaucoup. Cela dit, il y a eu beaucoup de familles qui sont venues pour découvrir l’événement, mais elles ne sont pas restées longtemps. Ça a permis une rotation assez forte des visiteurs.
Concernant la compétition CS : GO, il y avait plusieurs centaines de fans d’esport présents constamment dans l’amphithéâtre. Nous avons aussi proposé une animation Fortnite où des streamers connus ont fait le show, notamment Prince.
Ça a bien marché auprès du public marocain qui a répondu présent. Ils ont fait un carton. Sans parler de l’équipe CS marocaine quand elle était sur scène. Le public hurlait à chaque remontée possible ou prise de round. Il y avait une forte ambiance.
Les retours du public étaient positifs, mais également ceux des joueurs qui étaient vraiment contents de vivre cette expérience. Nous avons eu des discussions avec les commentateurs et les talents venus pour l’occasion. Ils ont l’habitude de faire ce genre d’événements et ils en étaient vraiment satisfaits.
C’est très encourageant ! Même en Europe parfois, on a du mal à capter les fans et à attirer du monde en salle. S’ils ont répondu présents à Casablanca, c’est très bon pour la suite. Et justement, vous parlez du show match Fortnite qui a eu lieu juste avant la finale. Pourquoi ce choix Julien Brochet ? Quelle était l’intention derrière ?
Il fallait toucher le public le plus large possible. Nous sommes très contents, car l’événement est un succès. Mais avant de le faire, jusqu’au jour J, on a la crainte que ça ne marche pas. On ne peut jamais être sûr du résultat.
Avec Fortnite, ça permettait de véhiculer un message encore plus grand public. Ça a permis d’attirer du monde, notamment via les Youtubers. En touchant plusieurs communautés, ça nous garantissait d’avoir plus de monde.
Ce n’est pas réservé qu’en Afrique cela dit. C’est quelque chose que nous faisons sur nos autres compétitions. On mélange toujours un show match un peu plus fun à nos compétitions officielles. Ça permet de donner du rayonnement à l’événement ou de faire découvrir l’esport à des joueurs qui ne savent pas le phénomène qu’est l’esport.
On rencontre de plus en plus cet aspect de show match dans les compétitions esport. C’est intéressant comme vecteur pour développer l’esport en Afrique.
Et puis aussi, disons-le, c’est difficile de faire un événement esport sans Fortnite en 2018. Le phénomène est tellement énorme. Si on peut l’intégrer, on le fait.
MERCI CASA, MERCI LE MAROC 🇲🇦 JE VOUS AIMES ❤️💚 pic.twitter.com/sntUuAyT1T
— PR!NCE (@PRINCEFR_) 16 décembre 2018
La compétition a été retransmise et vous vous êtes appuyés sur deux casters français connus (CND et BENJ, ndlr). Julien Brochet, L’audience a répondu présente en ligne ?
Il commence à y avoir une saturation du contenu esport, notamment sur Counter Strike. On savait que l’audience de la compétition serait plus faible que ce qu’on peut voir en Europe ou aux USA. En plus, il y avait d’autres compétitions sur le jeu ce week-end-là.
Notre objectif était principalement pour le public local et leur dire qu’il se passait des choses chez eux. En tout cas, oui, nous avons comblé nos attentes. Effectivement, nous faisons habituellement des événements avec plus d’audience, mais ce n’était pas le critère le plus attendu. Nous n’avons pas été surpris, le chiffre était dans les eaux de ce qu’on visait.
Congrats @limitlessggUK ! 👏👏👏#ESWCAfrica 2018 Champions 🏆 #AFGbyinwi @inwi pic.twitter.com/pZ27ItcGHi
— ESWC (@eswc_en) 16 décembre 2018
Les pays africains sélectionnés sont majoritairement francophones, ça peut également aider au début pour développer l’audience.
Ils ne sont pas tous francophones, mais en effet, à terme, on aimerait proposer, au minimum, un stream anglais. Le but est également d’ajouter d’autres langues afin d’être réellement suivi dans toute l’Afrique, mais aussi dans le monde entier.
Nous voulons créer une compétition d’un niveau suffisant pour donner envie aux autres continents de suivre la compétition. Si je fais le parallèle avec le football et la CAN (Coupe d’Afrique des nations, ndlr), ce n’est pas le tournoi le plus relevé, mais il fait des audiences dans le monde entier, simplement car les joueurs et les équipes sont exceptionnels. Il faut réussir à recréer ça avec l’esport.
Aujourd’hui, les audiences sur un contenu 100% africain ne sont pas fortes, mais c’est normal. On ne commence jamais en haut de l’échelle. On est sûr qu’il y a un potentiel. Pour les joueurs africains, le but n’est pas de se limiter à savoir qui sera le meilleur du continent. Il faut viser plus haut. Il faut penser que le spectacle sera bon et qu’il pourra offrir aux fans du monde entier une compétition relevée qui donne envie de découvrir.
C’est en multipliant les événements comme vous le faites que l’on arrivera à ce résultat. Que retirez-vous de cette première expérience offline sur scène et quelles sont vos attentes pour les prochaines éditions Julien Brochet ?
C’est un succès. Tout le monde est très content que ce soit le staff de l’ESWC, les partenaires, les joueurs, le public…
On se penche dès maintenant sur les prochaines éditions pour établir un plan des événements à venir de plus en plus dirigés vers l’international. Nous ne nous contentons plus de faire des événements franco-français. Concernant l’ESWC Africa, je ne peux pas encore l’annoncer, car nous sommes en réflexion, mais tous les voyants sont verts pour une prochaine édition !
Vous avez déjà des nouveautés en tête que vous aimeriez implanter, notamment pour la possible édition de l’ESWC Africa 2019 ?
Oui, nous avons des premières pistes. Mais je ne peux pas les partager maintenant. Je ne veux pas créer de déception si derrière on ne fait pas ce que je dis maintenant [rires].
Tout ce que je peux dire, c’est qu’on voit les choses de manière ambitieuse. Nous voulons faire encore mieux, ouvrir à plus de pays, proposer plus de jeux…
Avez-vous un dernier point à ajouter sur l’ESWC Africa Julien Brochet ?
J’espère que cette première édition fera naître des idées, et pas que chez nous ! J’aimerais que de nouvelles vocations locales se créent, voire même chez nos concurrents qui pourraient se dire qu’il y a des choses à faire.
J’espère que l’esport africain va être regardé sérieusement dorénavant et que les éditeurs, notamment, puissent développer des serveurs de jeux à cette population.
Il faut donner de bonnes conditions à ces joueurs pour qu’à terme, ils puissent être présents dans nos compétitions officielles à la hauteur de leur énergie et de leur passion pour l’esport.
Merci Julien Brochet !
L’interview avec Julien Brochet touche à sa fin. J’espère qu’elle vous permet d’en apprendre plus sur l’évolution de l’esport en Afrique.
L’ESWC y est présente depuis 15 ans, à travers ses phases qualificatives. Pour la première fois, Julien Brochet et ses partenaires se sont lancés le défi de produire leur premier événement offline majeur et en ressortent satisfaits.
Une salle comble durant toute la compétition. Aucun accroc majeur concernant la connexion ou le déroulement des matchs. Des joueurs satisfaits et enfin mis à la lumière du public. Des partenaires durables entre l’ESWC et des acteurs locaux.
Ça ne peut être qu’une bonne nouvelle pour l’amélioration de l’esport en Afrique.
Cette entrevue avec Julien Brochet aborde de nombreux points importants à retenir.
L’Afrique est un continent extrêmement hétérogène. Certains pays auront toujours plus de mal à développer leur esport, mais c’est normal. Il en est ainsi sur chaque continent. Chacun doit jouer avec ses forces. La vraie question est de comprendre comment nous devons les aider afin d’offrir des conditions acceptables pour ces joueurs passionnés.
Comme le souligne Julien Brochet, la base de joueurs en Afrique est moins forte qu’ailleurs. La probabilité d’en sortir des champions est logiquement plus mince.
C’est le chantier principal sur lequel l’esport africain doit travailler.
Et pour ça, les éditeurs sont en première ligne. La situation est simple. Aucun (ou presque) serveur de jeu n’est disponible. Mes connaissances ne sont pas assez pointues pour détailler objectivement ces choix.
Mais il est possible de comprendre assez vite qu’il soit compliqué économiquement de développer une base de serveur en Afrique. Plusieurs études ont été faites pointant en ce sens. Pourtant, il est certain que les éditeurs gardent un œil sur l’évolution de ce marché.
L’Afrique est vouée à devenir une énorme puissance économique dans les décennies à venir.
Malgré tout, l’esport repose principalement sur les éditeurs. Il est, à mon sens, nécessaire qu’ils s’emploient plus activement à dépasser cette vision mercantile court terme. C’est le vrai point d’inflexion à la progression de l’esport en Afrique.
Selon Julien Brochet, le public existe. Les moyens sont, certes, inférieurs à l’Europe, l’Asie ou les Amériques, mais par des événements comme l’ESWC, nous voyons bien qu’il est possible de faire avancer les choses.
Julien Brochet le distingue. Chaque année, il existe une réelle évolution de la demande des joueurs, des fans et des organisateurs d’événements. Le contenu manque, mais il arrive.
Finalement, l’explosion de l’esport en Afrique est latente. C’est comme si elle était très proche et éloignée à la fois. Il ne manque pas grand-chose pour lancer véritablement la machine selon Julien Brochet.
L’importance des acteurs locaux comme INWI ou MGE est également indéniable.
Il reste de nombreuses questions. Mais il ne fait aucun doute que le seul manque véritable à combler pour développer l’esport en Afrique, c’est le temps comme le dit Julien Brochet.
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