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Nicolas Maurer : « À tout moment, Vitality pouvait exploser en vol ! »

Par Alexandre Hellin
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Créer une équipe esport comme Vitality il y a 5 ou 10 ans procurait cette douce sensation que vous pouviez atteindre des sommets grâce au coup de pouce du destin. Une bonne dose de travail et du flair sur de bons joueurs et voilà que votre histoire devenait crédible aux yeux du monde.

Aujourd’hui, le marché a changé. Il est devenu cruel. Créer une structure esport devient une affaire sérieuse. Il implique une organisation précise, des processus bien rodés, une analyse des équipes concurrentes ou encore une image de marque solide. Vous ne pouvez plus compter sur la chance de trouver la perle rare qui vous élèvera jusqu’au haut-niveau. On vous l’aura acheté avant.

Ceux qui essayent vous le diront mieux que moi, c’est difficile (mais pas impossible) d’y arriver. Comment faire les bons choix ? Comment être sûr que vous n’êtes pas en train de gaspiller votre énergie dans une bataille perdue d’avance ? C’est certains, l’esport manque de ressources sur lesquelles s’appuyer. Même si votre expérience personnelle reste le plus important, disposer d’un maximum d’informations des personnes qui ont réussi est une aide inestimable.

C’est exactement pour ça que je suis parti à la rencontre de Nicolas Maurer, CEO de Team Vitality. C’est aujourd’hui la plus grande équipe esport française et l’une des plus prometteuses sur le plan international.

Il me semblait bon d’échanger avec lui sur les meilleures façons de gagner de l’argent pour une équipe esport. Pour ça, nous nous appuierons sur le business model de Vitality. Pour tous les ambitieux qui veulent se lancer dans l’aventure, mais aussi ceux qui veulent comprendre comment fonctionne une telle équipe, cette interview est un excellent support pour comprendre les enjeux business d’une équipe esport.

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Bonjour Nicolas, pourrais-tu te présenter et expliquer ta fonction au sein de Vitality aujourd’hui ?

Oui bien sûr ! Je m’appelle Nicolas Maurer, j’ai 32 ans, j’ai cocréé Vitality avec Fabien ‘Neo’ Devide, qui est la figure publique de l’équipe. Nous nous sommes rencontrés au travail où nous étions tous les deux monteurs vidéo. C’est lui qui m’a fait découvrir l’esport de façon plus poussée. Après mes premiers déplacements en LAN, on a décidé de monter Vitality en 2013. Je ne vais pas refaire l’historique, mais on a démarré par une équipe Call of Duty sur console pour en arriver là où nous sommes aujourd’hui.

Mon rôle est clairement défini dans la structure puisque je suis directeur général. Je m’occupe principalement de la partie business de Vitality, donc tout ce qui se rattache à la signature des sponsors, le recrutement, le développement de l’activité, trouver de nouvelles sources de revenus, lever de l’argent aussi… On est dans un moment charnière où l’esport en a besoin.

Quelle est la semaine type de Nicolas Maurer ?

Difficile quand on fait nos métiers de répondre à cette question. Ce sont des journées variées. Je suis énormément en déplacement pour du business à l’international. Quand ce n’est pas le cas, je suis à Paris dans nos bureaux et on fait des réunions d’équipe pour travailler sur les sujets du moment et l’organisation interne. À côté de tout ça, j’essaie de cultiver mon réseau et d’interagir avec pas mal d’acteurs, que ce soit en direct ou via des mails pour prendre le pouls de l’écosystème.

Néo et toi avez les mêmes activités ou vous vous imposez des frontières ?

Depuis le jour 1, c’est très clair avec Néo. On ne sait pas faire les mêmes choses. On sait où chacun est fort. Je ne vais pas aller m’occuper des contenus que l’on crée par exemple. Je donne mon avis, mais je ne supervise pas. C’est pareil pour la direction de la marque ou le merchandising. C’est son domaine. A l’inverse, c’est moi qui vais aller signer les contrats et dire que ce n’est pas ce montant qu’on doit signer. Après, on sait travailler ensemble, c’est plus fluide que ça dans les faits. On a chacun nos sujets. On va avancer séparément, mais à la fin de l’histoire, on se voit tout le temps, c’est notre aventure. Les grandes discussions stratégiques, elles sont faites ensemble.

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Fabien ‘Néo’ Devide (gauche), Nicolas Maurer (centre) et Lucas ‘Cabochard’ Simon-Meslet (droite) exultent pour leur qualification au championnat du monde 2018 de League of Legends. Crédits : Riot Games.

Peux-tu nous expliquer comment se structure une équipe comme Vitality ?

On a 3 compartiments différents. Il y a d’abord l’équipe à Paris. Nous sommes une quinzaine située à Station F, l’incubateur de start-up de Xavier Niel dans le 13e arrondissement. C’est là où Fabien et moi travaillons mais il y a aussi notre pôle création de contenus, nos commerciaux, le social media, la communication, la finance etc. Je pense que je n’oublie pas les grandes lignes. Il y a aussi des gens qui sont reliés à la direction commerciale, ce qu’on appelle des account manager. Ils sont là pour supporter nos partenaires. Aujourd’hui, c’est très important pour nous tout ça. C’est le squelette qui fait vivre l’équipe.

Derrière, tu as le sportif. On a 2 gaming houses. Une à Berlin et une autre en région parisienne principalement pour l’équipe League of Legends LCS et académie respectivement. Le reste de nos joueurs restent chez eux la majeure partie de l’année. On les fait venir en bootcamp quand nous en avons besoin. Si on considère tout le monde, on est à peu près 80.

Vous êtes arrivés sur Call Of Duty console. Depuis toutes ces années, que ce soit via les sponsors où vos investissements sur de nombreux jeux, on a l’impression que tout vous sourit. Quel est votre secret ?

Évidemment, il n’y a pas de secrets [rires]. C’est un équilibre. Je ne peux pas juste dire qu’on a travaillé. Il y a eu des bons choix. De l’extérieur, on peut penser que tout nous sourit mais je te garantis que ce n’est pas si simple. Il y a beaucoup de haut et de bas. On a fait des mauvais choix et des erreurs qu’on ne peut voir que de l’intérieur.

C’est hyper important que les gens le comprennent dans ce cas. Finalement, c’est une grande lutte !

Oui en effet. Il y a plusieurs aspects. Ça fait 5 ans que Vitality existe. Quand tu deviens entrepreneur, tu apprends à faire des erreurs. Le but, c’est d’en faire le moins possible. Ça ne se voit pas toujours de dehors, évidemment, comme tu le dis, il y a l’aspect externe. Par contre, quand tu le vis au quotidien, tout ne va pas comme tu le veux ou aussi vite que tu le voudrais.

Actuellement, on est sur une dynamique hyper positive que ce soit sur la signature de sponsors ou le développement sportif. On a réussi à obtenir des investissements l’année passée qui nous ont grandement aidés également.

Il y a 3 choses qui ont fait la différence. La première, elle est toute simple. On a eu la chance de se lancer avec Gotaga qui était déjà très exposé à l’époque. Il nous a fait confiance et on se l’est bien rendu. On a toujours une excellente relation aujourd’hui. C’est un véritable accélérateur de particules. Grâce à lui, on a été plus vite, mais derrière, nous avons fait les bons choix.

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Session dédicace pour Néo (gauche) et Gotaga (droite). Crédits : SteelSeries.

Ce qui nous caractérise, c’est l’ambition. On a toujours voulu aller dans les grandes compétitions et sur les grands jeux. On aurait pu jouer la sécurité et se dire qu’on pourrait être simplement bon en France mais ce n’est pas notre état d’esprit. Nous, ce qu’on voulait, c’était aller aux LCS sur LoL, mais aussi sur d’autres jeux et tout gagner. On a toujours voulu être tout en haut.

Ça n’a aucun intérêt de se limiter. Quand tu aimes l’esport et que tu t’y investis, tu as envie de jouer les premiers rôles. Tu ne veux pas te limiter à la 2e division. On a fait des choix très risqués pour aller vite. À tout moment on pouvait exploser en vol, mais l’esport va se structurer très vite comme le sport, il fallait bouger.

Je vais te prendre une analogie très simple avec le football. Dans ce sport, il y a un monde à deux vitesses. D’un côté, tu as des équipes comme le Real Madrid ou Manchester et de l’autre, tu as Bordeaux qui se situe plutôt dans le tiers 2. Même s’il n’y a aucun manque de respect, ce sont deux galaxies complètement différentes, que ce soit en termes de revenus, de passion, de valeur de marque etc.

Si tu fais ça tous les jours et que c’est ta passion, tu veux forcément être dans les plus grands. On se l’est toujours dit depuis le début. On a tout tenté pour arriver là. Il valait mieux tout risquer que de rester moyen. C’est comme ça qu’on fonctionne pour tout.

Tu fais une analogie intéressante avec le foot. Vous avez créé un véritable engouement autour de votre marque à tel point que Vitality dispose d’une association officielle de supporters aujourd’hui. Comment avez-vous reçu la nouvelle ? D’ailleurs, quelle est la recette pour construire une marque aussi forte autour de Vitality ?

L’association de supporters existait déjà de manière informelle depuis pas mal de temps. On avait un noyau dur de personnes qui se déplaçait à énormément d’événements. Les mecs étaient à fond derrière nous. On était tout le temps agréablement surpris.

C’est un phénomène qui s’est créé autour de la marque et c’est génial. Ces gars sont vraiment passionnés. Au départ, ça se faisait via Twitter, c’était fait un peu à l’arrache mais au fil du temps, ils ont su se structurer. On connait les mecs qui organisaient tout ça donc on a discuté un peu avec eux. Ils nous ont fait part de leur souhait de monter une association. On trouvait ça marrant. Ça existe dans les clubs de sport alors pourquoi pas nous ?

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Golden Hornets, l’association de supporters officielle de Team Vitality. Crédits : Golden Hornets

On trouvait ça génial d’avoir des supporters toujours derrière l’équipe, même dans les mauvais moments. C’était une fierté lorsqu’ils nous ont annoncé leur intention. Bien évidemment, on leur a dit de foncer. Ils ont tout notre soutien. Pour le coup, c’est une association indépendante, mais si on peut les aider via nos sponsors pour leurs déplacements de temps en temps, on sera partant.

Mais surtout, ce qui est sympa je trouve, c’est que c’est leur projet. On est dans un rapport très positif. C’est très marrant de se dire que demain, on pourrait en avoir 5 et que l’une d’elles pourrait ne pas être contente des dirigeants. On n’en est pas là, mais ça viendra. Ils auront leur mot à dire, même si au final, c’est nous qui prenons les décisions.

En ce qui concerne la recette pour construire un engouement autour de la marque, il n’y en a pas [rires]. Plus globalement, ce qui a caractérisé Vitality, c’est aussi le souci du détail et de faire les choses bien. On essaie de faire des contenus différents et surtout de ne pas reproduire ce que fait tout le monde. On ne veut pas servir la même soupe. Bien sûr, on ne met pas tout le monde dans le même panier. Les autres équipes font aussi des trucs excellents, mais parfois, on peut remarquer une sorte de fainéantise en reprenant les mêmes choses tout le temps. On essaie toujours de se challenger sur ça car même si c’est bien fait, les fans n’en auront rien à faire s’ils l’ont déjà vu ailleurs.

On apporte un vrai soin à notre communication. On va prendre le temps de faire nos contenus. Certaines de nos vidéos ne sont jamais sorties car elles n’apportaient pas assez de nouveautés ou n’étaient pas assez bonnes à nos yeux. On veut servir le meilleur pour notre communauté car on sait qu’elle nous le rendra. Parfois, on se plante, mais l’important, c’est le soin qu’on met à faire les choses.

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La marque Vitality, c’est un peu sacré. Dans tout business model, c’est important la valeur d’une marque. On essaie d’être excellent quitte à prendre trop de temps ou rater des opportunités. Au-delà du discours que je t’explique, dans les faits, les gens le voient. Cet amour et l’attention qu’on donne à la marque et à nos contenus, ça plait beaucoup à nos fans. Ce n’est pas la seule explication de notre succès mais ça joue énormément.

Ces derniers mois, il est vrai que vos vidéos, par exemple, ont vraiment franchi un palier et sont devenues des exemples de storytelling pour toutes les équipes esport à l’international. En France, que ce soit sur vos contenus ou vos décisions business, vous êtes souvent avant-gardiste.

Être les meilleurs en France, c’est une évidence. On ne va pas faire de fausse modestie. Mais ce n’est pas là qu’on regarde. On aime cette scène mais notre ambition est internationale. Si je fais un contenu, je n’ai pas envie qu’on me dise que c’est mieux qu’LDLC ou Solary. On met les moyens pour le faire donc c’est normal. Nous, on veut entendre que c’est mieux que C9, TSM ou Fnatic. Je ne dis pas qu’on arrive à le faire, mais c’est ce qu’on vise.

Notre ambition c’est d’être l’équipe leader à international. Dans tout ce que nous faisons, c’est une exigence de tous les jours. Ce n’est pas un vain mot, ce n’est pas du marketing.

J’ai pu regarder à peu près toutes les interviews que tu as faites depuis la création de Vitality pour préparer la mienne et, en 2016, tu expliquais, aux côtés de Néo, que Vitality était assez mauvais en merchandising. Comment se passe aujourd’hui ce cœur de métier chez vous ?

Sujet piquant [rires]. Tous les jours, on reçoit 500 messages de nos fans adorés qui nous demandent quand ils pourront acheter le maillot. Depuis le 8 Octobre, c’est le cas puisqu’on a enfin ouvert notre boutique en ligne !

Sur la question du merchandising, on a pris notre temps pour faire quelque chose de très bien. Je ne suis pas à courir après quelques centaines de milliers d’euros comme ça. Pourtant, en réalité, on pourrait faire de l’argent facile. Ça ne serait pas bon pour nous à la fin de l’histoire. Il faut sortir un produit excellent et être fier de ce que l’on propose.

Si notre fan achète quelque chose qui n’est pas de qualité, il sera déçu. La marque Vitality doit représenter beaucoup pour lui. Il doit être content quand il achète un item Vitality. Si le fan ne retrouve pas ça, tu as tout perdu car à la fin tu perds la connexion avec lui. S’il faut sacrifier 6 mois pour que ce soit excellent, on préfère le faire même s’il y aura une frustration.

Quelques mois après ces mots concernant vos compétences en merchandising, vous arrivez à nouer un partenariat avec un équipementier comme Adidas ! Peux-tu nous expliquer l’ensemble du processus ?

Carrément ! Le case studies Adidas est très intéressant car c’est comme ça que fonctionnent beaucoup de marques avec l’esport.

À la base, on a réussi à être en contact avec une personne en interne chez la marque. Comme tu le dis, on était nul en merchandising mais on voulait plus que tout réussir à attirer des marques non endémiques comme tout club de sport peut avoir.

On n’a pas de limites dans le secteur. On voulait des marques premium, et typiquement Adidas ça fait rêver. En 2016, on était tout petit encore, mais on avait l’ambition de grandir avec elles. On a commencé à parler avec eux et par chance, notre contact était connecté au sujet. C’était une base à exploiter car ce n’est pas forcément le cas chez toutes les marques.

Le gars voulait suivre et voir ce que ça pouvait donner comme résultat. L’idée a fait son chemin en interne et ils ont commencé à s’y intéresser quand ils ont vu notre fanbase et l’engagement qu’on arrivait à susciter. A partir de là, tu les revois, tu établis une possible stratégie. Tout ça, ce sont des choses qui prennent du temps en interne, car finalement, il faut convaincre les décideurs. C’est eux qui ont l’argent donc ça dépend sur qui tu tombes. Tu as des marques qui sont tenues par des mecs de 70 ans qui ne comprennent rien au sujet. Si c’est le cas, il peut bloquer les choses. Puis, tu as des marques avec des gens à la pointe, comme Adidas.

Il a fallu faire pas mal d’allers-retours pour qu’ils comprennent ce qu’on fait et ce qu’on raconte.  Pour le coup, Adidas a vu la porte d’entrée FIFA. C’était logique car ça connecte leur cœur de métier. Nous, on a dû leur expliquer tout de suite que FIFA, même si c’est une belle vitrine grand public, dans l’esport ce n’est pas si gros. L’esport ce n’est pas juste FIFA, c’est beaucoup d’autres choses. Ils l’ont vite compris mais ils voulaient commencer comme ça au départ.

Les premières modalités d’un premier accord d’un an étaient trouvées. C’était une nouvelle expérience pour eux d’aller dans l’esport. Adidas c’est une marque qui se veut novatrice donc ils ont voulu tester.

Dès le premier jour du partenariat, ils ont été surpris. Deux heures après notre annonce, en termes d’engagement, on a fait plus que n’importe lequel de leur contenu sportif.

Ça fait plaisir d’être tout de suite validé. Une relation, ça se construit, mais ça partait plutôt bien [rires]. Les mecs se sont dit tout de suite « Ah, c’est ça Vitality ?! ».

Tout ce processus a pris près d’un an. Plus la marque est importante et plus tu te retrouves dans ce genre de délai. Mais en soi, les décideurs sont allés plutôt vite et ils ont compris rapidement ce qu’on pouvait leur apporter que ce soit en France et en Europe. Pour ça, il ne faut pas avoir peur de faire 15 rendez-vous sans l’assurance d’avoir quelque chose à la fin. Ça peut arriver, c’est le jeu.

Ça doit être hyper important pour la confiance quand tu vois qu’en 2h, ton nouveau partenaire sait déjà qu’il ne va pas le regretter.

On le sait que le partenariat avec ce genre de marque, ça va être canon. Il faut que ce soit eux qui le comprennent. On est toujours en confiance car on connait notre audience. On sait que si on s’associe à une marque prestigieuse, ça va marcher, il n’y a pas de raison. On choisit bien les partenaires et on prend le temps d’établir une relation saine avec eux. On connait suffisamment notre audience pour savoir comment les choses peuvent se dérouler. Pour Adidas, on savait que ça allait faire du bruit.

Forcément, le fan d’esport, quand tu t’associes à une marque mainstream, ça légitime sa passion. Tu es fan et tu vois ton équipe qui s’associe avec des marques comme Orange ou Adidas, ça veut dire que ces marques nous considèrent ! Si tu travailles bien, tu sais que les réactions à ces partenariats vont être excellentes. Que les partenaires le constatent, c’est le véritable enjeu en fait. Donc on était ravi quand on a vu ça pour Adidas, mais ce n’était pas une surprise.

On est parti sur un cas intéressant avec Adidas mais ils pouvaient potentiellement mieux le comprendre que d’autres marques. Comment on aborde le sujet de l’esport avec Volvic ou Renault ?

Il y a un double travail à réaliser. Pour faire adhérer les marques à Vitality, c’est à nous de jouer. Il faut qu’on montre notre puissance et la relation spéciale de l’équipe avec ses fans. En soi, tu te vends, tu expliques tes forces. C’est surtout le travail chez eux qui peut être plus difficile.

C’est quoi l’esport ? Qu’est-ce qu’on fait dessus ? Comment on y va ? Les marques sont aujourd’hui dans une problématique spéciale. Elles savent qu’il faut aller dans l’esport pour interagir avec les jeunes. On va employer ce terme cliché mais, « les millenials » ne regardent plus la télévision. Donc l’esport devient une porte d’entrée évidente dans leur esprit. Le problème, c’est qu’elles ne connaissent pas la culture, elles ne savent pas quoi faire avec le milieu. Ça c’est notre travail. On se place dans le rôle d’une agence comme ça peut exister dans le sport.

On leur propose une stratégie qui synergise entre nos 2 marques. Il faut qu’à la fin, les fans puissent comprendre comment la marque aide l’esport et Vitality.  Ce n’est pas juste une histoire de logo. Si tu fais les choses à l’envers, que tu proposes des contenus mauvais, que tu ne comprends pas les codes, tu as tout raté.

Il y a plein d’exemples de mauvaises associations de marque. C’est ce qu’on veut éviter. C’est comme un cercle vertueux. Si tu vas voir une marque et que tu lui avoir déjà travaillé avec Adidas ou Renault, c’est plus simple. Comme dans tout business, une fois que tu as prouvé, tu as fait le plus dur.

Oui, aujourd’hui, c’est beaucoup plus simple pour vous d’aller démarcher de grosses marques.

C’est le jeu. On a l’expérience et on est plus gros. Une fois que tu as la mécanique, ça va plus vite. Un sponsor qui pouvait se poser des questions sur nous ou nos contenus, on lui montre ce qu’on fait déjà et ça marche. Attention, je ne dis pas qu’il n’y a plus de travail à fournir, mais notre position est plus fluide et agréable qu’avant.

Quels sont vos rapports au quotidien avec des marques comme Volvic ou Renault pour la création de contenus ou des activations particulières ?

Question hyper importante ! Aujourd’hui, tu as beaucoup d’équipes esport qui vont signer des contrats et qui ne vont pas assurer derrière parce qu’ils ont trop promis. On la connait celle-là. Soit, ils n’ont pas les ressources, soit ils n’en font rien du tout. Tu as signé c’est bien, tu as mis un logo c’est bien, mais tu fais quoi au quotidien ?

On a beaucoup embauché sur ce sujet-là pour suivre la relation avec nos partenaires et leur parler. Un interlocuteur chez nous échange tous les jours avec eux pour apporter plein d’idées et lancer de nouveaux projets. En fait, c’est juste la clé d’un partenariat vraiment gagnant. Tous les clubs de sports marchent comme ça avec le sponsoring. Il ne faut pas juste signer et se barrer avec la caisse.  Beaucoup le font encore dans l’esport.

Sur quels critères choisissiez-vous les marques avec qui vous vous associez ? Pour Volvic, comment ça s’est fait ?

Quelqu’un nous a présentés pour Volvic. Tu as plusieurs façons de faire. Dans le sport traditionnel, tout est cadré. Les équipes ont des commerciaux qui vont démarcher des marques toute la journée. C’est comme une centrale d’appel même si je caricature un peu. C’est fin et très bien ciblé mais on est entré dans une ère industrialisée.

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Dans l’esport, on est à la croisée de tout ça. Oui, on a des commerciaux, on peut aller voir des marques où on sent que ça va être intéressant mais tu as aussi les appels entrants, qui n’existent plus trop dans le sport. Dans l’esport, c’est le cas, tu peux être appelé ou recevoir des mails. Ça s’est passé comme ça avec plusieurs de nos partenariats.

Ça se joue aussi énormément avec ton réseau. Quelqu’un qui entend parler de toi… Quelqu’un qui te met en relation… Tu as plein de scénarios même si l’esport se dirige vers un modèle commercial calqué sur le sport.

Comment tous ces sponsors vous aident financièrement ? Quelles sont leurs attentes réelles au-delà de la visibilité ?

On a une philosophie très claire sur les chiffres. On ne veut pas surpromettre. C’est une posture de vendeur de tapis sur le court terme. Tu es forcément perdant quand tu fais ça car par définition, tu ne peux pas délivrer l’impossible.

À la fin du partenariat, les mecs te regardent et te disent que tu n’es pas sérieux. Tu vends du rêve et tu déçois. Oui, tu peux signer un gros deal car tu peux bullshit une fois, mais l’année d’après, tu t’effondres.

Notre enjeu, ce n’est pas de faire des contrats d’un an. Si tu regardes bien, presque tous les sponsors de Vitality ont été reconduits au fil des années.

On raconte des histoires sur la durée. On a HP depuis 3 ans. Mon but, ce n’est pas de passer de Predator à Lenovo dans les années qui suivent. Qu’est-ce que ça raconte à nos fans ? Créer une relation sur la durée, c’est beaucoup plus fort qu’un one shot. Pour toutes ces raisons, on a aucun intérêt à surpromettre. Voilà ce qu’on sait faire, voilà l’audience qu’on arrive à toucher, mais par contre, tout ce qu’on vous dit, on le fait, ça va se matérialiser ! C’est ce qui se passe avec nos partenaires.

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Vitality souhaite créer une connexion forte avec ses fans. Crédits : Team Vitality

Avez-vous des indicateurs clés de performances à suivre ?

Bien sûr, tu peux fixer des indicateurs. Il y a plein de façon de faire. Les sponsors travaillent différemment. Le tout est de comprendre ce qu’on leur promet. Oui, il y a la visibilité, le branding, tout ça… C’est nécessaire car tu voudras toujours un logo sur un maillot. Mais aujourd’hui, toutes les marques sont à la recherche d’engagement, de contenu et d’activation. C’est ça qu’on travaille. Au-delà du branding, de quelle manière on va créer du contenu ensemble ? Comment on va mettre la marque en avant auprès de nos fans ? Comment on fait des activations communes ?

C’est ça le réel enjeu stratégique pour les marques. C’est ici qu’on leur répond car c’est une grosse force de Vitality. On est capable de leur proposer plein d’idées. Le but à la fin, c’est qu’elles nous donnent de l’argent effectivement. On ne fait pas de partenariat non financier. C’est l’argent qui fait vivre Vitality.

Un sponsor potentiel qui te dit qu’il t’apporte simplement de la visibilité, tu lui réponds que tu ne comptes pas signer 45 partenariats. Tu ne peux pas faire apparaitre une infinité de logos sur ton maillot donc ceux que tu décides de mettre en avant, il faut que ça fasse vivre l’équipe. Il y a des esportif à payer. C’est comme dans le sport, les joueurs créent la valeur donc c’est eux qui récupèrent beaucoup de cette masse entrante.

Notre principal poste de dépense, c’est la masse salariale, et le sponsoring y joue un rôle. Un sponsor qui te dit qu’il t’apporte de la visibilité, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant, en tout cas, pas pour nous.

L’aspect financier est toujours existant, selon différents degrés. Après, on peut recevoir de l’aide matérielle comme avec HP qui nous fournit en PC, Adidas qui s’occupe de nous envoyer des vêtements…  Il existe aussi des échanges de visibilité. Je te donne le meilleur exemple : le logo Vitality sur la formule 1 Renault à Silverstone. C’est un rêve de gosse mais c’est exactement ça ! La marque apporte du financement mais aussi de la visibilité. Là, c’est à un très haut niveau pour cet exemple, mais il faut être créatif ! Il y a plein d’autres façons de faire.

Combien il faut d’argent pour faire tourner une équipe comme Vitality ?

Je ne peux pas te donner de chiffres exacts. La question est complexe. On n’est pas un business existant depuis 20 ans avec des ajustements annuels. Ça double tout le temps. Que ce soit ce qu’on rentre ou ce qu’on sort…

Ce que je peux te dire, c’est que les grosses équipes esport en Europe, on tourne à un budget de 5 millions d’euros à l’année. Aux USA, ils tournent plutôt à 10 millions mais ça reste de grandes masses. Ça donnera certainement une première bonne idée des sommes en jeu à l’esport de haut niveau.

Je pense que c’est nébuleux pour beaucoup effectivement. On voit de grosses marques arriver, des salaires qui explosent donc la communauté peut légitimement se poser ce genre de questions. La marge que tu nous donnes est intéressante.

Récemment, vous avez annoncé un partenariat avec Orange. Dans l’un des communiqués, tu expliques que cette alliance initie un partenariat unique en France et en Europe. Si je comprends bien, vous allez créer une activation marketing plus poussée qu’un simple sponsoring ? Une sorte de co-création de contenus plus distincte entre vos deux entités avec un potentiel changement du rapport entre la marque et l’équipe ?

Créer des contenus pour nous, c’est clé, parce qu’on adore ça ! Néo et moi venons de l’audiovisuel et du monde de la télévision. C’est ce que nous savons faire et ça a clairement joué dans toute l’histoire de Vitality. Ce background nous a bien aidés même si notre qualité est bien mieux aujourd’hui [rires].

En 2013, c’était déjà ce qui se faisait de mieux dans l’esport et on arrivait à se différencier. On a cette culture de la création de contenu, et c’est un joker pour notre relation avec les sponsors. Est-ce que ça va changer la façon de faire du business ? On multiplie nos façons de gagner de l’argent, ce qui nous permet de baisser notre dépendance au sponsoring, même si le chemin sera long avant de pouvoir s’en passer… Si ça arrive un jour !

Justement, c’est bien que tu évoques le modèle du sponsoring. J’ai pu interviewer Romain Bigeard et ce dernier évoquait qu’il était important pour l’esport que le sponsoring ne soit plus le modèle primaire et qu’il fallait essayer de progresser sur le merchandising et les contenus in-game.

Je ne sais pas ce qui devrait être la meilleure source de revenus. Dans 10 ans, si toutes les équipes vivent très bien du sponsoring, qui ira se plaindre ? Tout ça, c’est un peu de la théorie. Ce que soulève Romain, et c’est très pertinent, c’est qu’il ne faut pas être dépendant d’une seule source de revenus, surtout avec le sponsoring. Demain, s’il y a une crise financière, les budgets sponsoring peuvent être divisés par 3.

Toi en tant qu’équipe, si ça correspond à 90% de tes revenus, ça te met en danger instantanément.  Je pense que Romain s’exprimait dans ce sens-là, auquel cas, je suis complètement d’accord. Sur la question de savoir ce qui serait le mieux, regardons d’abord comment fonctionne le sport. Oui, pour eux, le sponsoring aura une part plus faible car ils se sont diversifiés. Ils possèdent une énorme typologie de revenus qu’on ne possède pas dans l’esport.

On se raconte que l’esport est comme le sport, mais c’est aussi notre propre modèle à nous. A nous de trouver des solutions même si je pense qu’on a le temps de chercher ces différents modèles et d’expérimenter. Peut-être que dans 5 ans, le sponsoring correspondra à 10% de nos revenus. Peut-être que la création de contenu générera énormément, ou pas du tout…

Notre univers bouge vite ! Ce qu’il faut, c’est ne pas avoir des idées préconçues et foncer dans une seule direction. Il faut absolument s’adapter et analyser comment les choses évoluent. Il faut être plus malin que les autres et prendre le bon train en marche. Il n’y a pas de règles. Certaines choses bougent doucement, d’autres très vites. La seule chose qui est sûre, c’est qu’il faut panacher les revenus, et là-dessus, je suis d’accord avec Romain.

Avez-vous des discussions avec les éditeurs sur ces problématiques car c’est de leurs produits qu’on parle finalement ?

Oui tout le temps, que ce soit sur du revenu sharing avec les items en jeu ou d’autres sujets. Les éditeurs ne sont pas tous au même niveau dans leurs démarches. Certains sont plus conservateurs que d’autres et ne font absolument rien par exemple. A côté, tu as des entreprises comme Riot Games qui te proposent des icônes ou des skins de champion pour les championnats du monde par exemple. On l’a cette année et c’est une véritable fierté. Call of Duty le fait aussi sur des skins d’armes etc.

Il y a quelques jours, on a listé sur Twitter toute notre présence dans des contenus in-game. C’est assez marrant à voir. Tu as des éditeurs qui accélèrent beaucoup sur le sujet. Ubisoft, notamment, qui propose aux fans d’acheter des skins d’armes à l’image des équipes présentes en Pro League sur Rainbow Six. Pour eux, le modèle de revenu d’une structure esport doit se baser là-dessus en grande partie.

Donc oui, c’est un sujet qui revient souvent sur la table. On est là pour expliquer aux éditeurs nos problématiques d’équipes. En soi, le modèle n’est pas compliqué. Des skins ou des items aux couleurs d’une équipe, ça semble basique, mais dans tous les cas, c’est gagnant-gagnant. Les éditeurs sortent le produit, les fans vont l’acheter pour supporter leur équipe, ça leur fait du revenu en plus et nous aussi. On est content, les fans aussi. C’est un modèle vertueux et sain.

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Le modèle de contenus en jeu pourrait être la clé pour pérenniser les structures esport. Crédits : Ubisoft/Vitality

En parlant de ces différentes sources de revenus, je lisais un article paru chez un confrère US où Noah Whinston, CEO d’Immortals, expliquait que l’esport devait tenter de s’orienter vers un marketing plus physique à l’instar du sport. Ça passe par l’ouverture de boutiques, une entrée plus facile pour les fans dans une partie de vos locaux afin de rencontrer les joueurs etc. Vous réfléchissez à ce genre de problématique ?

Oui, que Noah dise ça, c’est pertinent. Il a les Los Angeles Valiant sur Overwatch, MIBR sur CS :GO etc. Il est vraiment dans cette idée américaine de développer l’esport par ville et donc le marketing physique par la même occasion. Mais ce qu’il dit s’applique en général aux clubs de sport. Eux, ils essaient de se digitaliser pour parler à leurs fans sur les réseaux sociaux, nous c’est tout l’inverse, on doit aller chercher l’interaction physique en partant à la rencontre de la communauté. Il y a plein de choses à faire. Après, entre tes pistes de réflexion et ce qui prendra vie, il y a un écart. Mais bien sûr, ce sont des sujets auxquels on pense.

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On risque de voir arriver un maillot France sur la boutique Vitality ?

Je n’ai pas de réponse à t’apporter. Ce qu’ont fait G2 et Ocelot, c’est très sympa. Même s’ils n’ont pas été en finale à Madrid pour les LCS EU, ils ont joué le jeu. Ponctuellement, c’est une bonne idée, mais il ne faudrait pas qu’en plus des maillots de l’Espagne, la France ou la Belgique, ils sortent des maillots de 50 pays ! C’est plus fort quand c’est exceptionnel.

Si on se lance dans une telle idée, on essaiera d’innover et de faire autrement.

C’est à espérer en tout cas ! Ça montre que l’activation locale reste un enjeu important alors que vous essayez de toucher absolument l’international avec Vitality.

Oui, on est l’équipe en Europe qui est la plus apte à parler de ce côté local car on est une marque française et c’est assumé. Si tu regardes des concurrents comme G2 ou Fnatic, ce sont des marques qui se veulent purement internationales et qui le sont. Nous, on a ce prisme français parce que c’est de là qu’on vient, c’est notre communauté.

Comment on fait cette transition entre top team française et internationale ?

On a toujours eu l’ambition d’être internationaux dès le départ mais par nature, tu te crées sur un marché donc tu évolues dessus. On a eu de la chance car le marché français est sensationnel en termes d’engagement. L’évolution s’est faite naturellement en allant sur des jeux avec une aura internationale comme notre entrée en LCS sur LoL en 2016. Avec cette acquisition, on savait très bien que notre expansion serait accélérée. On a ensuite continué nos efforts en recrutant de nouvelles équipes et en investissant d’autres jeux. Ça passe aussi par le recrutement de joueurs avec des nationalités différentes.

On a passé notre communication en anglais car pour le coup, ça n’avait plus de sens de poster en français. Certains fans ont râlé car ils ne comprennent pas la langue. Ils pouvaient se poser des questions sur notre nature. On a dû rassurer tout le monde en produisant aussi du contenu en français et en interagissant avec eux.

La transition était risquée ! Vous auriez pu perdre votre aura française et devenir personne à l’international.

Oui, le risque était de végéter en Europe en arrière-plan. Mais bon, évidemment, il fallait prendre le risque. On est ambitieux, on savait qu’on allait y arriver, on n’avait pas le choix.

L’esport évolue tout le temps. Comment vous préparez l’avenir avec Vitality ?

Toujours pas de recette miracle [rires]. Il faut connaitre ton marché et avoir la tronche dedans. Il faut analyser tout ce qu’il se passe et partout. Mais surtout, il faut avoir un coup d’avance. C’est du travail stratégique. Ce n’est pas comme si je me posais tous les mercredis à 11h pour en parler avec Néo. C’est perpétuel. Énormément de choses se passent. C’est un travail sous-jacent au quotidien.

Regarder ce qu’il se passe ce n’est pas suffisant, il faut anticiper. Parfois, tu peux te planter mais tu dois essayer de faire des projections. C’est le boulot de tous les dirigeants d’entreprise.

Justement, comment on arrive à avoir ce « coup d’avance » ?

Il y a deux aspects. La première c’est comment tu perçois le marché et comment tu te prépares avec un plan. De manière traditionnelle, tu vas réfléchir sur des questions comme « Tu veux aller où ? » « Combien ça coûte ? » « Comment j’y vais ? » « Pourquoi ? »

Dans l’esport, c’est un peu différent. Ça va tellement vite que, parfois, l’opportunité, elle est maintenant. Ton plan tu le feras plus tard. Tu dois sentir les choses et prendre des risques. Soit tu y vas maintenant, soit tu attends 2 ans. Savoir saisir les opportunités maintenant dans l’esport, c’est important car on ne sait pas comment le milieu va évoluer.

Vitality est un véritable modèle à l’international mais surtout en France. Que donnerais-tu comme conseil à un jeune dirigeant de structure qui n’a pas encore de sponsor mais qui a de l’ambition ?

Je vais être pragmatique. Je ne veux pas être déprimant mais plutôt difficile. Se lancer sur l’esport aujourd’hui pour jouer les premiers rôles, c’est compliqué. C’est un fait de marché. Il y a 5 ans, il y avait encore de la place.

Après, quand on s’est lancé, on n’a pas calculé tout ça. Comme plein d’équipes concurrentes, on voulait faire un truc sympa. Rien ne nous disait qu’on allait réussir mais on est arrivé au bon moment. Avec un cerveau, des bonnes idées et 3 sous, tu pouvais te lancer. Aujourd’hui, si tu n’as pas d’argent, ça va être très compliqué. L’esport a muté. Tu arrives sur un marché qui devient de plus en plus franchisé et où les places sont déjà prises.

Par exemple, sur LoL, c’est trop tard. Mais c’est pareil si tu veux te lancer sur Counter Strike, ça coûte extrêmement cher si tu veux jouer les premiers rôles. Ce n’est pas un message encourageant mais je le pondère en disant que le plus important c’est d’être passionné. Si tu veux en faire ton entreprise, il faut que tu fonces, que ça marche ou pas. Tu apprendras en cours de route. Si tu écoutes les gens qui te disent que ce n’est pas possible, tu n’avances pas. Il faudra trouver d’autres voies. Juste, il ne faut pas te lancer sur LoL ou un jeu du genre car tu seras en concurrence frontale avec les gros. Il faut essayer de se lancer sur des jeux prometteurs car il y a plein de coups à jouer.

Sur le streaming, c’est le même cas de figure. Souvent les nouveaux se lancent sur des jeux comme LoL mais ils ne peuvent souvent rien faire. Je vais juste revenir sur les franchises LCS comme tu en as parlé. ESPN vient de confirmer votre présence. Comment on recherche de tels financements et surtout comment on se prépare à payer des millions chaque année pour tenir une équipe ?

C’est la question où je ne vais pas être très causant. J’aime être transparent et partager, c’est bien pour l’écosystème mais je suis sous NDA (accord de non-divulgation, ndlr). Ce que tu appelles confirmation par ESPN, malheureusement, ce sont des rumeurs donc je ne peux te faire aucun commentaire.

Sur le sujet de la recherche de financements, je ne vais pas rentrer dans les détails non plus mais j’en ai parlé avec Timo Verdeil dans son interview sur l’historique de nos levées de fonds.

Il faut aller au charbon. C’est difficile de lever de l’argent dans l’esport. Le sujet n’est pas bien compris par tout le monde. Certains investisseurs peuvent être frileux. Tout le monde pense que tout est facile pour Vitality. Eh bien non, c’est un sujet complexe, même pour nous. On a quand même la chance d’être entouré.

Un dernier mot à rajouter concernant Vitality sur le business model ou un conseil particulier pour ceux qui veulent lancer leur propre équipe ?

Ceux qui ont envie de se lancer, lancez-vous et plantez-vous. C’est hyper important. Tu apprends énormément de choses. Si tu fais des bons choix et que tu es au bon moment au bon endroit, tu peux avoir une belle boite. En fait, même si ce n’est pas le cas, tu t’éclates au quotidien. La seule chose qui soit sûre, c’est que si tu ne tentes pas, il ne se passera jamais rien. Après, il ne faut pas être angélique. Ce sont des milieux très fermés.

Il ne faut pas partir en se disant « je vais faire tel truc et ça va marcher 100% ». Il faut beaucoup d’ambition, foncer mais rester humble. Avec Vitality, on pourrait se dire que ce qu’on fait, c’est génial. Pas du tout. On a envie d’apprendre, et tous les jours c’est le cas. Il ne faut jamais se dire qu’on est le plus fort. Si tu l’es, tu vas le montrer. En attendant, analyse ce qu’il se passe autour de toi. Cette soif d’apprendre est la clé, rien de plus. Même dans la vie de manière générale, c’est ce qui te fait avancer. Tu dois devenir meilleur tous les jours. Fonce et tu verras bien ce qu’il se passe mais dans tous les cas, mets-y tout ton cœur.

Merci Nicolas !

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J’espère que l’interview vous aura apporté une aide précieuse pour vous lancer dans l’aventure.

Team Vitality est un exemple pour nous tous. Plusieurs leçons sont à retirer de cet échange. Le premier et le plus important, c’est d’avoir de l’ambition. Personne ne réalisera vos rêves à votre place. Créer une équipe esport performante est très difficile, mais sans réelle ambition, comment pouvez-vous espérer réussir le pari ? Vous devez voir grand, mais de façon réfléchie.

Nicolas Maurer nous le rappelle, ce qui permet à Vitality d’arriver où ils sont, c’est leur souci du détail et l’envie de créer continuellement de la nouveauté. C’est en grande partie pour ça que leur image de marque est si solide.

Pour y arriver, il n’y a pas de secrets. Oui, vous devez obtenir des résultats avec vos joueurs, mais vous devez aussi raconter une histoire, notamment sur les réseaux sociaux. Je traite du sujet avec l’un de mes derniers articles : comment améliorer la visibilité d’une équipe esport sur les réseaux sociaux ?

Même si mes mots dans ce contenu pourront vous aider, Nicolas vous décrit l’essentiel dans notre interview. Vous devez créer des contenus nouveaux qui plairont à vos fans. L’idée n’est pas d’obtenir le même résultat que Vitality si vous n’en avez pas les moyens (et c’est probablement le cas), mais plutôt d’essayer de proposer quelque chose de rafraîchissant, à votre niveau. Le reste suivra. Il est toujours bon de le rappeler : Rome ne s’est pas faite en un jour.

L’autre point clé de l’interview concerne le sponsoring et les différentes façons de gagner de l’argent pour votre équipe esport. N’essayez pas de réunir tous vos œufs dans le même panier. Même si votre budget se résume à vos économies et que vous avez la sensation d’étouffer à chaque LAN qui arrive, ne tentez pas de courir dans une seule direction. L’esport devrait se structurer en grande partie comme le sport, mais rien n’indique que de nouvelles sources de revenus ne doivent être envisagées. Partez à la conquête de sponsors potentiels, mais ne jetez pas toute votre énergie dans cette bataille. La rémunération d’une audience peut se faire de bien des manières…

Cependant, si vous êtes sur le point de nouer un partenariat avec une marque, n’essayez pas de surpromettre. Nicolas a été d’une grande aide sur le sujet et le prouve dans ses mots : cela n’apporte rien de bénéfique sur le long terme. Créez un vrai contact permanent et apportez votre soutien de manière pérenne à la marque. Elle vous le rendra 1000x plus fort.

Enfin, et c’est encore une fois une notion importante qui en ressort de cette interview, évitez au maximum de vous lancer sur des jeux mainstream comme League of Legends ou CS : GO si vous voulez être sur le devant de la scène (sauf si vous avez quelques millions en réserve, et encore). Dans tout business, il est toujours plus compliqué de se faire une place sur un marché quand celui-ci est déjà plein à craquer.

Je nuancerai tout de même les propos de Nicolas en vous rappelant que dans tous les cas, vous devrez prouver à la communauté que vous êtes une équipe à suivre. Là où il y a de l’audience, il y a toujours des possibilités, même si c’est plus difficile. Essayer de prédire le succès d’un jeu ou d’un joueur peut s’avérer être une option bien plus intéressante, c’est vrai, mais tout aussi risquée.

N’oubliez jamais que peu importe votre envie, le défi est de taille. Vous risquez de faire des erreurs sur le chemin de la réussite, mais le plus important, c’est d’en retirer à chaque moment, une leçon.

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1 Commentaire

Pierre Acuña : « si une équipe esport est prête à se démarquer, elle peut avoir n'importe quelle marque ! » - Esport insights 4 décembre 2018 - 17 h 32 min

[…] eu l’occasion d’interviewer Nicolas Maurer, co-fondateur de Vitality avec Néo et effectivement, ça se ressent … Il nous a offert des mots très pertinents sur la manière d’évoluer aux côtés d’une marque […]

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