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Pierre Acuña : « si une équipe esport est prête à se démarquer, elle peut avoir n’importe quelle marque ! »

Par Alexandre Hellin
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Vous souvenez-vous l’époque où l’esport n’intéressait personne ? L’ensemble des joueurs qui se réunissaient avec un écran cathodique sous le bras pour en découdre dans une salle à peine chauffée étaient considérés comme des extraterrestres.

Tout le monde nous ignorait.

Petit à petit, nous avons fait notre chemin. Les jeux évoluent. Les stades se remplissent. Les joueurs se retrouvent par millions à jouer ensemble. Les gains explosent. Les équipes se professionnalisent.

Nous avons créé une audience. Mais surtout, nous avons prouvé que l’esport n’est pas un phénomène de passage ou une mode pour de jeunes « geeks ».

Tout naturellement, il n’a pas fallu longtemps pour que les grandes marques prennent le contrôle du marché et commencent à y injecter beaucoup d’argent. Au départ, des fabricants d’ordinateurs. Aujourd’hui, Audi, Gillette, Orange, Coca Cola

La liste devient longue et ne cessera de grossir dans les prochaines années. Plus les marques seront nombreuses à dévoiler leur intérêt pour l’esport, plus elles seront nombreuses à se présenter à notre porte.

Même si nous accueillons chacune d’elles comme un trophée, l’esport reste actuellement un marché d’expérimentation. Les acteurs du milieu n’ont aucun doute sur la force de notre passion à rassembler des communautés et répondre présent.

Mais qu’en est-il des marques ? Comment souhaitent-elles s’investir dans l’esport ? Quelles images ont-elles de nous ? De quels montants parlent-on ? Allons-nous devenir aussi lucratifs que le sport ? Et surtout, à quoi peut-on s’attendre à l’avenir ?

Pour répondre à ces questions, je me suis approché de Pierre Acuña, responsable gaming et esport au sein d’Havas Sports et Entertainment, une agence leader sur le marché du marketing sportif !

À la fin de cette interview avec Pierre Acuña, les attentes d’une marque pour l’esport n’auront plus aucun secret pour vous !

Bonne lecture.

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Bonjour Pierre Acuña, pourrais-tu te présenter et revenir sur ton parcours, notamment au sein d’Havas Sport & Entertainment ?

Je m’appelle Pierre Acuña, j’évolue depuis 6 ans au sein d’Havas Sport et Entertainment qui est une agence de communication dont le crédo est : « nous croyons au pouvoir des passions ».

Les gens ont des passions multiples qui se retrouvent dans le sport ou les activités culturelles. Chez Havas, nous pensons que ces passions constituent des canaux de communication permettant aux marques de s’adresser aux fans dans des prédispositions différentes autour de ce qu’ils affectionnent.

Si un annonceur s’inscrit dans une conversation où le fan y porte déjà un intérêt, celui-ci sera plus enclin à recevoir le message de la marque et à s’engager pour mieux la connaitre et l’apprécier.

Havas construit cette expertise depuis longtemps sur le sport et, depuis 2014, nous avons étendu ce savoir-faire à d’autres univers comme l’esport et le gaming.

L’agence dispose de plusieurs départements. L’un d’eux se concentre sur les études marketing dans lequel j’ai fait mes premiers pas il y a 6 ans en tant que chargé d’études. À cette époque, je réalisais des rapports d’analyses ou des benchmarks qui visaient à apporter de la connaissance à nos clients ou un recul sur des stratégies ou des opérations mises en place.

On travaillait notamment pour un grand opérateur de télécommunication pour lequel nous avions besoin de détecter des tendances fortes pour le sponsoring sportif et l’entertainment. Nous devions être en veille permanente de manière très poussée car nous étions sur des missions étalées sur l’Europe et l’Afrique.

En 2013, complètement par hasard, j’ai été invité à l’Iron Squid 2 au palais des congrès. J’étais impressionné qu’une salle comme celle-ci puisse être pleine à craquer pour des matchs de jeux vidéo. J’y suis allé avec un bon ami qui est un grand fan de Starcraft 2. Il a pu m’expliquer et me traduire tout cet engouement autour de l’événement. Sans ça, j’aurais sans doute pu me dire « C’est quoi ce truc, c’est absurde ?! ».

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Iron Squid 2, le départ d’une belle aventure esport pour Pierre Acuña. Crédits : O’Gaming

Venant du sport business, j’ai instantanément senti le potentiel de l’esport. On y retrouve la même ferveur et les fans sont ultras passionnés. De par mon travail, j’ai creusé le secteur pour commencer à en dégager des contours et pouvoir le présenter à des clients. Au départ, ce n’était pas forcément pour qu’ils investissent dessus, mais plutôt pour les prévenir que ça existe.

Courant 2013, Coca Cola devient partenaire de League of Legends aux États-Unis. L’année suivante, ils se sont investis ensemble au niveau international. On travaillait beaucoup pour eux à l’époque. Nous avons été missionnés pour les aider à activer le All Star Game au Zenith, en mai 2014. Quand Coca Cola t’interroge dessus, tu sais qu’il faut y aller. C’est à ce moment-là qu’on s’est dit qu’il fallait absolument lancer une nouvelle offre pour l’agence.

J’ai continué à croiser mes missions avec l’esport en y portant de plus en plus d’intérêts car mon envie de développer le secteur devenait toujours plus grande.

Début de l’année 2015, je passe au planning stratégique. Sur ce poste, je devais créer des stratégies pour des appels d’offres, nos clients et annonceurs avec lesquels nous travaillons. À cette période, j’ai présenté l’esport à la direction et, très vite, nous sommes arrivés à la même conclusion sur son potentiel pour nos clients.

Nous avons commencé à rencontrer nos premiers prospects en ce sens. Mais ça a été long. Hormis Coca Cola, nos premières campagnes dans l’esport datent de la fin d’année 2017. L’univers n’est pas encore totalement mâture, de plus, l’écosystème est fragmenté. C’est très compliqué de se repérer pour les annonceurs. C’est pareil pour les personnes du milieu, alors tu imagines les décideurs qui sont au bout de la chaîne ?

Fin 2017, j’ai émis le souhait de me consacrer totalement au gaming et à l’esport. Je ne voulais plus faire ça à moitié avec des projets parallèles liés au sport. J’ai demandé à l’agence de devenir la personne référente dans le domaine et elle m’a accordé ce privilège.

Aujourd’hui, mes missions se concentrent sur le développement de notre clientèle sur ce secteur mais aussi et surtout d’accompagner nos partenaires actuels en déclinant leurs stratégies dans l’esport, ou en leur imaginant des nouvelles.

À partir du moment où nous avons des retours positifs de nos idées, il faut construire toute la stratégie, et mettre en place le concept.

J’ai plusieurs responsabilités dans l’agence. Nous avons plusieurs départements qui s’occupent notamment du planning stratégique, la conception etc. Comme peu de personnes sont encore familières avec l’esport autour de moi, je suis multicasquettes. Je dois faire de la pédagogie en interne mais aussi en externe. Je dirais que j’ai un rôle de couteau suisse.

Depuis, nous avons accompagné un certain nombre de marques. Malgré son dynamisme actuel, l’esport reste encore un territoire avec un très fort potentiel peu exploité. Le marché français est assez spécifique et il est loin d’être simple à appréhender. 

Il existe encore une grande méfiance des annonceurs. Ils souhaitent prendre du recul et analyser le phénomène. Les choses se font à leur rythme. Néanmoins, si on se base sur le marché du sport business qui existe depuis beaucoup plus longtemps, il n’y a aucune inquiétude à avoir. Il y a eu différentes phases par lesquelles nous allons aussi passer dans l’esport.

Le marché américain et plus globalement les marchés anglo-saxons construisent et établissent des bases de ce qui va nous arriver. Par exemple, aux USA, ils sont très en avance sur l’investissement des marques, les types de jeux investis et les montants conséquents. En Europe, nous y arriverons bientôt. Mon travail au sein de l’agence se résume aussi à analyser ces tendances en plus des spécificités françaises.

Tu étais joueur avant ta découverte plus complète de l’esport en 2013 à l’Iron Squid ?

Oui, j’ai toujours joué aux jeux vidéo. Mon père est un vrai fan de nouvelles technologies. À l’époque, il achetait toutes les premières consoles comme la master system, la master system 2, la megadrive etc. On jouait énormément tous les deux, également sur PC d’ailleurs. Je faisais beaucoup de sport donc j’affectionnais pas mal les simulations. Il nous arrivait aussi de jouer à tout type de jeu comme des FPS ou de l’action aventure.

J’ai continué à jouer après mon départ du foyer familial, mais avec une fréquence beaucoup plus faible. Aujourd’hui, je joue principalement sur mobile. C’est un support que me plait particulièrement car il est en phase avec mon mode de vie. Je suis tombé dans l’esport en 2013 mais j’ai toujours appréhendé le jeu vidéo comme une compétition car je l’ai toujours rapproché au sport.

J’ai fait énormément de rugby dans ma vie. Je me rappelle d’un jeu qui s’appelait Jonah Lomu Rugby sur Playstation 1. Graphiquement, il est vilain, mais c’est la simulation qui a réussi à s’approcher le plus de la réalité. Avec mes amis, on faisait souvent des tournois sur ce titre. C’était notre esport à nous.

Pierre Acuña, tu nous expliques avoir la casquette esport au sein d’Havas. As-tu déjà réussi à mettre certains de vos clients historiques dans l’esport ? Ou au contraire, existe-t-il des réticences ?

Oui, nous avons parlé de l’esport à la majorité de nos clients. Tout dépend des situations. Il y a 2-3 ans, nous avions un intérêt poli où nous faisions de la prévention envers eux. L’intérêt s’est renforcé mais nos clients sont souvent déjà un peu au fait de ce qu’il passe sur le marché. Ils ne connaissent pas parfaitement comment il fonctionne mais ils en ont déjà un début de compréhension. Très souvent, cela vient du fait que d’autres acteurs ou agences leur ont fait des présentations.

Ce sont principalement de grands comptes clients ?

Oui, des groupes du CAC 40. Pour leur parler d’esport, nous utilisons des outils d’études internes qui permettent de quantifier l’ampleur du phénomène, de présenter les profils de fans, leurs attentes, les marques qu’ils associent le plus etc. Ensuite, selon la demande de nos clients, nous allons calibrer nos présentations pour leur expliquer toutes ces données. Il nous arrive également d’utiliser des données publiques prélevées sur des études fiables ou encore des funfact sur les jeux ou la communauté.

On essaie de mettre en avant l’esport de la meilleure des manières. Notre rôle est de détecter comment faire entrer nos clients sur le marché de façon optimale et de raconter belle histoire.

Peux-tu nous citer quelques réalisations que vous avez pu mettre en place ?

Une des campagnes majeures que je peux te citer concerne EDF. C’est un client historique de l’agence et du groupe Havas plus globalement. On a commencé à leur parler d’esport en 2016 en leur présentant le phénomène.

La formalisation de la première campagne s’est faite en fin d’année 2017. Ce fut long car l’esport est compliqué à comprendre pour une marque. Il faut bien appréhender les résultats qu’on peut en retirer. Il a fallu les accompagner et leur faire la meilleure proposition possible pour les convaincre.

Heureusement, EDF a toujours été une marque pionnière dans ses métiers et la manière dont elle appréhende la question de l’énergie. Ils avaient déjà un pied dans le sponsoring sportif en investissant des territoires nouveaux comme la natation ou le handisport. Notre proposition autour de l’esport leur a paru très intéressante pour accentuer leur positionnement de marque pionnière.

Comment la campagne s’est matérialisée et quelles étaient leurs attentes ?

EDF réalise principalement des partenariats avec des athlètes qu’ils regroupent sur tous les sports qu’ils investissent. Ils ont des nageurs, des kayakistes, des footballeurs, des handisportifs… L’idée la plus simple était d’intégrer un pro gamer. On a décidé de le faire également avec un team manager car nous souhaitions raconter une histoire autour de la marque employeur avec un grand nombre de dimensions.

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Pour mener à bien la campagne, nous avons approché Néo, co-fondateur de Vitality et Steeelback (à l’époque, également chez Vitality). Ils sont tous les deux rentrés dans la team EDF. Ils y sont toujours d’ailleurs.

Nous avions envie de tourner autour de cette fameuse question « est-ce que l’esport est un sport ? ». Notre but était d’apporter notre modeste pierre à l’édifice en essayant de nourrir cette comparaison avec des rencontres.

C’est là où on en vient au contenu de cette campagne. Elle s’est divisée en deux contenus différents. Le premier concerne la venue d’Alain Bernard (nageur et champion olympique, aujourd’hui retraité. Ndlr) dans la Gaming House de Vitality à Berlin en compagnie de Néo et Steeelback. Ça a donné lieu à un live sur Twitch dans lequel Alain Bernard et Steeelback échangent sur leur quotidien pour se rendre compte des points communs qu’ils ont autour de leurs disciplines. Ensuite, Alain Bernard a été initié à League of Legends.

Le second contenu se veut plus grand public en direction de la télévision avec un format d’émission de 26mn diffusée sur Canal +. Ça retrace un voyage à Pékin pour la finale des Worlds 2017 de League of Legends entre Néo et Arnaud Assoumani. Cette rencontre avait un sens profond puisqu’Arnaud est devenu champion paralympique 9 ans auparavant dans le nid d’oiseau (nom donné au stade national de Pékin), où se passe la finale des Worlds 2017.

Pour raconter cette histoire, nous avons voulu montrer les similarités dans la manière dont on appréhende l’entrainement, mais aussi les contraintes impliquées par le statut d’athlète de haut niveau dans l’esport. L’un des objectifs était aussi de montrer à quel point les événements deviennent de plus en plus gros et n’ont rien à envier au sport traditionnel.

Ce contenu, destiné au grand public, permet d’amener de la matière au débat sans forcément ancrer la marque EDF dans un avis tranché. Ils apportent néanmoins des preuves de la force de l’esport.

Cette campagne est une grande réussite de l’agence parce que l’engagement d’EDF est toujours présent. Ils continuent de s’investir, notamment en devenant partenaires de l’équipe de France d’efoot. Steeelback et Néo sont toujours dans la team EDF et continuent de rencontrer les autres athlètes. Il y a également eu des études démontrant que leur entrée dans l’esport avait été bien acceptée par les fans. Je pense qu’ils ont envie de pérenniser ces investissements aujourd’hui.

Cette campagne illustre parfaitement comment les grandes marques appréhendent l’esport et le processus qu’ils mettent en place. Évidemment, c’est long, mais c’est difficile de faire autrement. Au départ, on parle d’esport à travers des simulations comme FIFA. Mais le second exercice est de pousser leur compréhension plus loin en leur expliquant que les plus grosses audiences se trouvent plutôt du côté d’un jeu comme League of Legends. Ensuite, il faut définir comment on se positionne et avec quel talent on s’associe pour raconter une histoire.

Avec EDF, nous n’avons pas fait les choses à moitié. Créer un reportage en Chine, au-delà de l’esport, c’est un projet très ambitieux car c’est un pays à part. Toutes ces choses représentent l’illustration de mon travail.

Je dois faire énormément de pédagogie, ce qui rend les échanges longs, mais d’un aspect positif. Nous voulons être précis pour faire en sorte que nos clients s’approprient les campagnes qu’ils mettent en place à travers nous pour la marque.

Nous essayons aussi d’être ambitieux. Comme toute agence de communication qui se respecte, tes campagnes sont tes vitrines, donc tu veux y mettre la plus grande qualité possible. Il y a de réels enjeux. Il faut être perfectionniste et ne pas bâcler ton travail.

Concernant la réalisation ou le timing, notre collaboration avec EDF est un parfait exemple. Nous continuons de prêcher la bonne parole de l’esport envers nos clients, et les retours sont majoritairement positifs.

Pierre Acuña, peux-tu revenir sur le choix de Néo et Steeelback ? Pourquoi eux ? Pourquoi League of Legends ? Serait-ce principalement car l’équipe Vitality et LoL ont une énorme audience ou d’autres raisons ont trouvé leurs places ?

Effectivement, ça se base un peu sur tout ça. Aujourd’hui, dans la présentation que je fais de l’esport, je parle forcément des données d’audiences, de l’intérêt des fans, du nombre de joueurs, des infrastructures de l’écosystème League of Legends… C’est un jeu très intéressant pour ça car c’est le mieux structuré. Il attire de grosses audiences, il possède un grand nombre de talents.

Si tu regardes seulement le paysage des équipes françaises, tu te rends compte qu’elles sont nombreuses à se lancer sur League of Legends. En plus, elles se structurent de mieux en mieux.

Pour identifier les meilleurs partenaires, c’est plus simple. À l’époque de la campagne, Steeelback est transféré d’Unicorns of Love à Vitality. C’était un grand joueur français et européen, et ça le reste aujourd’hui d’ailleurs. Ça faisait sens de miser sur lui car c’est un joueur phare du jeu.

Quant à Néo de Vitality, c’est un self-made-man et un exemple de réussite dans le milieu. On ne s’est pas trompé en le recommandant parce que derrière, il est choisi comme manager de l’équipe de France d’efoot. Il est invité par tous les grands médias et possède une aura importante dans l’esport.

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Fabien « Neo » Devide, manager de l’équipe de France d’efoot. Crédits : L’Equipe

J’ai de très bonnes relations avec l’équipe de Vitality. Ils travaillent très bien et facilitent beaucoup les choses car ils comprennent parfaitement ce qu’attendent les marques.

J’ai eu l’occasion d’interviewer Nicolas Maurer, co-fondateur de Vitality avec Néo et effectivement, ça se ressent qu’ils sont préparés. Il nous a offert des mots très pertinents sur la manière d’évoluer aux côtés d’une marque donc ce n’est pas surprenant.

Peux-tu nous expliquer comment une marque définit la façon dont elle va intégrer l’esport ? Chaque jeu possède son écosystème et il existe pléthores d’investissements possibles comme le sponsoring d’équipe et/ou d’événement etc.

La connaissance est inégale entre tous les annonceurs. Parfois, ils ne maîtrisent absolument rien au sujet et parfois, ils sont au point et possèdent une idée de ce qu’ils souhaitent faire. Cela dit, c’est rare que leurs connaissances leurs permettent de pousser le raisonnement plus loin, notamment sur chaque jeu. C’est tellement fragmenté.

Dans le sport, c’est pareil. Souvent les marques signent des partenariats avec des équipes mais c’est nous qui réalisons l’activation. C’est exactement ce qu’il se passe avec l’un de nos clients qui est devenu partenaire d’une compétition de football. Ils ont déjà tout signé mais nous arrivons pour la partie créative.

Ça se fait tout seul car les détenteurs des droits, les ligues ou les clubs ont des services commerciaux pour que ça marche. Sur la partie esport, hormis quelques structures, il n’y a pas assez d’outils pour faire ça. Ils n’ont pas la capacité de contacter toutes ces marques comme leurs confrères du sport.

Si on couple ça à la méconnaissance de  la marque pour le secteur, c’est difficile pour elle de savoir où et comment se positionner. On leur présente la vision de la chaine de valeur en positionnant les éditeurs au début, puis les événements, ensuite les équipes et athlètes et enfin, les diffuseurs, sans oublier les influenceurs.

C’est à ce moment-là qu’on met une frontière entre esport performance et esport divertissement. Dans chacun de ces maillons, les marques ont de potentiels partenariats possibles. On peut l’associer directement à un éditeur, un événement, une équipe, un athlète, un média, un caster ou un influenceur. Ensuite, on croise ce choix avec les jeux. Le plus souvent, ça reste très rationnel et basé sur l’audience pour maximiser les retombées. Mais parfois, il existe un filtre émotionnel ou en lien avec l’ADN de la marque qui vient corriger les résultats de l’analyse rationnelle, car elles ne veulent pas s’associer avec des jeux violents.

C’est le cas typique de Counter Strike : Global Offensive qui est éliminé dès le départ. Ça véhicule de mauvais souvenirs en France malgré une scène très ancienne et développée avec des joueurs français et une communauté incroyables.

Les marques le disent vraiment ou vous ne prenez pas la peine de le positionner Pierre Acuña ?

Nous parlons à chaque fois du jeu mais c’est difficile de faire entendre raison. Nous l’avons fait une fois avec Invictus de Paco Rabanne et aAa.

Nous avons fait une analyse matricielle qui permet de croiser tous les jeux esport avec une multitude de critères propres au marché. Il y a par exemple les audiences, la taille du jeu, leur structuration etc. On couple toutes ces informations aux critères du parfum et à la marque. Pour l’exemple, Invictus, c’est un parfum très masculin sur des codes de séduction et de la domination mâle alpha.

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Le partenariat entre la structure aAa et la marque Invictus de Paco Rabanne est géré par Havas Sports & Entertainment. Crédits : aAa / Paco Rabanne

À la fin de notre analyse, deux jeux ressortent. League of Legends et CS GO. Il n’y a aucune concurrence sur CS GO en France concernant des marques non endémiques. Paco Rabanne a décidé de s’y lancer en proposant à aAa de reforger une équipe. La campagne a eu de très bons résultats et l’association des deux entités a également été bien reçue de la part des fans et des lecteurs ô combien exigeants de leur site.

C’est un exemple un peu isolé aujourd’hui. Le marché français est très différent des autres. Le jeu ne transforme pas bien ici par rapport aux USA ou à l’Europe du nord. La Suède, la Finlande ou le Danemark sont très décomplexés vis-à-vis de la licence. Chez eux, beaucoup de marques variées s’y investissent.

Voilà un petit peu la manière dont on présente le phénomène aux marques. Souvent, les annonceurs commencent d’abord par réfléchir aux simulations de sport. Ils ont aussi le réflexe de se dire qu’ils peuvent intégrer directement le jeu. Ce à quoi on leur répond que c’est possible, mais pour une question de budget, d’accords avec les éditeurs et les attentes des fans, ça risque d’être compliqué.

Ils s’attendent à investir le gaming comme les panneaux que l’on retrouve aux abords des terrains de sport. Ça peut être une bonne opportunité mais ce n’est pas forcément la meilleure option.

Hormis l’audience et la facilité de toucher la génération Y, existe-t-il des enjeux supplémentaires pour ces marques d’intégrer l’esport ?

On parle souvent des Millenials dans l’esport, mais c’est loin d’être la seule raison. La nouvelle génération arrive (individus nés après 2000, ndlr). Elle est extrêmement consommatrice de jeux vidéo. C’est une génération qui joue beaucoup à Fortnite, pour citer le jeu, mais qui est encore plus difficile à atteindre pour les médias traditionnels. L’esport le fait bien car ces jeunes jouent beaucoup et consomment facilement les nouvelles plateformes. Leur attention est également beaucoup plus courte.

Mettre un pied dans l’esport devient un réel enjeu stratégique car le carrefour d’audience devient véritablement important. Ensuite, c’est aussi une question d’innovation. La marque souhaite rajeunir son image et se poser comme une entité dans l’air du temps qui modernise son message tout en se réinventant.

Quand on communique de cette manière-là, c’est qu’on a cette velléité de casser une image vieillissante ou de se démarquer de ses concurrents qui appréhende l’esport de manière plus traditionnelle.

On l’oublie trop souvent mais avec ce genre d’investissements, on vient également répondre à des enjeux de communication interne. Les grands groupes ont besoin de fédérer leurs salariés. C’est aussi un excellent moyen de séduire de nouveaux talents et de les attirer. L’entreprise d’aujourd’hui n’est pas seulement concurrencée sur sa clientèle mais aussi sur ses collaborateurs. Je pense qu’une bonne marque employeur qui s’appuie sur l’esport, c’est très important.

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Mais pas que ! C’est aussi une solution pour enrichir son offre et ses services. Quand je vois ce que fait Samsung avec Fortnite, ce n’est pas de l’esport, mais c’est une bonne utilisation de tout le potentiel du jeu pour nourrir une proposition marketing. Les téléphones ont des fonctionnalités de plus en plus similaires. Les consommateurs n’arrivent plus à faire la distinction de manière immédiate entre deux produits. Inclure son bénéfice avec un jeu comme Fortnite est un bon support pour se démarquer.

Le gaming et l’esport sont de bons moyens pour venir créer un engouement autour de ta marque. Demain, un influenceur ou un pro gamer peut te permettre de co-créer un produit avec sa marque personnelle. On pourrait imaginer un téléphone Samsung Gotaga. Derrière, tu crées une distinction claire avec un concurrent comme Apple par exemple.

Toutes ces possibilités sont hyper intéressantes et c’est passionnant de se poser des questions sur le chemin que l’on doit emprunter.

Tu évoques Fortnite Pierre Acuña. As-tu déjà eu certains de tes clients qui ont émis l’envie d’entrer sur le marché via ce jeu avec l’effervescence qu’il y a autour ?

Non, mais son explosion a beaucoup aidé à démocratiser encore un peu plus le jeu vidéo comme l’a fait à une époque Pokémon Go. Ça lui permet de sortir de ses frontières. Aujourd’hui, quand on présente le jeu vidéo ou le phénomène esport, on s’appuie également sur Fortnite. Ça permet aux annonceurs de mieux se projeter. Mais pour répondre à ta question, nous n’avons pas eu de demandes spécifiques. Elles restent encore très génériques. Les marques sont encore sur des questionnements plus larges. C’est à nous d’offrir des réponses en entonnoir pour arriver au choix d’un jeu.

L’esport encore est secteur encore vierge concernant les marques. Nous sommes loin du niveau d’un football ou d’un basket. Pourtant, doit-on forcément se diriger vers un modèle proche du sport traditionnel concernant notre fonctionnement avec elles ? Peut-on imaginer de nouvelles choses notamment avec les éditeurs ou les équipes ?

Les codes de construction et l’ADN de l’esport sont comparables au sport mais, il aura ses spécificités. Notre pratique vit dans le monde virtuel. Par essence, un éditeur ne pourra pas vendre ou proposer la même visibilité qu’une ligue de football ou une fédération.

Rien que l’affichage publicitaire à terme sera différent. Il faudra inventer la manière dont une marque intègre le stream ou la carte du jeu. Les principes et les mécanismes seront identiques mais les supports changeront. Les éditeurs vont monter en compétences et avoir des propositions marketing de plus en plus sérieuses et formalisées. Cela permettra aux marques de mieux s’investir.

Les équipes aussi vont se construire et contrôler ce qu’elles vendent. En ce moment, nous sommes sur une logique très positive. Cependant, je pense que l’évolution principale doit venir des éditeurs car, contrairement au sport qui n’appartient à personne, ce n’est pas le cas pour l’esport qui vient directement d’eux. 

Les annonceurs qui souhaitent investir et créer des campagnes vont devoir, un moment ou un autre, s’appuyer sur le jeu et devront montrer patte blanche à l’éditeur. Cela aidera aussi à résoudre cette question de la propriété intellectuelle et garantir la légalité dans toutes les actions marketing concernant les équipes, les talents ou les médias.

Avec la maturité du secteur, les marques auront plus de résultats. Les annonceurs parlent entre eux. Ils savent combien ça coûte, ce que ça rapporte. Il y aura forcément beaucoup plus de connaissances et de partage de l’information. On peut rapprocher aussi cette tendance aux agences qui n’ont pas de recul sur l’esport aujourd’hui. Nombreuses ne se sont pas encore positionnées dessus. Ça peut nous causer du tort car c’est de l’argent qui ne rentre pas dans notre écosystème au profit d’autres campagnes traditionnelles, peut-être, moins efficace. C’est autant de marques qui n’investissent pas dans l’esport car on ne les accompagne pas en ce sens.

Il nous faut beaucoup plus de gens formés pour arbitrer une proposition esport et une proposition non esport. C’est ce qui va permettre de continuer à être sain pour le secteur. Des marques de différents horizons vont investir car l’éducation aura bien avancé. La manière dont on active les campagnes aussi va changer.

Aujourd’hui, dans le sport, nous avons de grandes agences de communication et de publicité qui maîtrisent parfaitement les codes du sport et qui créent des campagnes extrêmement inspirantes et puissantes. Très peu le font dans l’esport. Avec le temps, ça va se démocratiser et donc, nous aurons un traitement plus créatif envers le sport électronique. Actuellement, nous sommes encore principalement sur des partenariats qui se limitent à un logo sur un maillot. Il faut voir plus loin. La visibilité, c’est bien, mais derrière, nous devons réussir à créer du storytelling qui va offrir des émotions aux fans.

Pierre Acuña, à quel moment la marque est satisfaite de sa campagne ? Quels sont les indicateurs que vous utilisez ?

Nous accompagnons beaucoup de marques qui réfléchissent sur la partie média. Leurs indicateurs tournent autour de la portée du message, le nombre d’impressions et de vue sur les réseaux sociaux ou en télévision par exemple.

À partir du moment, où pour le même montant, tes investissements dans l’esport dépassent tes résultats sur un média classique, tu es satisfait. Nous avons des indicateurs marketing aussi. Ils arrivent doucement et commencent à devenir la norme. Cette fois, on se demande quel impact le message a eu sur les ventes.

Pour revenir sur notre campagne de Paco Rabanne, les retombées médias et marketings ont été très satisfaisantes. Que ce soit sur la portée du message, l’engagement des fans ou le développement des ventes du produit. Nous avions même pu distribuer des échantillons du parfum durant la Paris Games Week 2017 et c’était une réussite.

Il existe des dizaines d’études sur l’esport et sa rentabilité. Sur certaines d’entre elles, on peut décrypter que finalement, le secteur n’est pas forcément encore hyper rentable malgré de lourds investissements. Aux USA, le marché est immense, mais est-ce que le marché français est si intéressant que ça pour une marque Pierre Acuña ?

Ce qui est sûr, c’est que si tu veux toucher une cible très globale, l’esport, et même le jeu vidéo, ne rivalisent pas avec la musique, le cinéma ou le football. Ce sont des territoires majeurs compliqués à challenger.

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L’esport est encore loin de rivaliser avec les audiences du sport, de la musique ou du cinéma. Crédits : Nicole Yarwood

Là où l’esport a ses avantages, ce sont sur des cibles plus fines et masculines. À ce niveau, le marché est plus intéressant, surtout si on souhaite lancer une campagne digitale.

Sur l’aspect financier, c’est également important. Dans le sport, les partenariats se chiffrent rapidement en millions d’euros. Dans l’esport, et notamment en France, nous ne sommes pas sur les mêmes montants, ce qui en fait une réponse plutôt performante. Il y a l’aspect encombrement à ne pas écarter. L’esport possède moins de marques dans le paysage, donc tu as plus de chances d’éviter tes concurrents.

Cela dit, si on parle seulement de chiffres bruts, en termes d’intérêt, l’esport et le gaming ont une puissance différente. Ce qui est paradoxal quand on sait que 2 tiers des Français jouent aux jeux vidéo et que FIFA est le premier produit culturel.

L’esport n’est pas forcément la meilleure des réponses possibles pour une marque. Avant d’y aller, il faut se poser les bonnes questions. Je suis convaincu que toutes les marques ont leur place dans le milieu. Maintenant, il faut réussir à créer du sens. Pour une marque qui possède une cible très féminine, ça peut être plus compliqué de recommander l’esport même si cela pourrait permettre de raconter une histoire intéressante. Lorsqu’on creuse un peu, pour ce genre de client, on peut très vite se dire qu’il y a autre chose à mettre en place.

Pierre Acuña, tu évoques les montants entre le sport et l’esport. Sur quel ordre de budget sommes-nous quand on est une marque du CAC 40 qui investit l’esport ? Et surtout, qu’est-ce que cela représente sur leur budget global Pierre Acuña ?

Par rapport au sport, nous sommes sur des montants qui varient entre 50.000€ et 500.000€ actuellement. Dans un partenariat, il y a ce qui s’appelle des droits. C’est ce qui permet de devenir partenaire d’une marque et de mettre en place une campagne d’activation. Dans le sport, dès lors qu’une marque investit, elle dépasse très souvent le million d’euros, simplement pour acquérir les droits marketing. Ce n’est pas comparable avec l’esport qui reste minime à ce niveau.

J’ai envie d’en faire le parallèle avec les petites entreprises. Je sais que ce n’est pas le type de structures avec lesquelles tu évolues mais, dans le sport, on voit ces entreprises investir dans des clubs locaux. L’esport dispose d’un modèle qui se base en ligne sans point de chute géographique. Cela peut-il porter préjudice à l’écosystème amateur ou semi-professionnel ? Est-il possible de faire quelque chose sur ce sujet d’après toi ?

Je pense que ça viendra. Les équipes devraient finir par se localiser parce qu’elles vont bénéficier d’aides de la région et d’un tissu économique favorable. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, l’ensemble des équipes se battent ensemble sur le plan national pour trouver des partenaires. En intégrant une région, elles pourront démarcher des partenaires locaux.

Il faut que les créateurs d’équipes intègrent ces questions. Elles peuvent s’affirmer grâce à une identité locale. En plus, elles pourront se positionner favorablement vis-à-vis de la région car certaines d’entre elles considèrent le phénomène avec une grande bienveillance.

Demain, si tu crées une équipe qui affirme son identité locale dans son nom ou qui possède une gaming house, elle pourrait toucher une subvention et sera présentée à l’ensemble des entreprises de la région. Ce sera peut-être plus facile pour elle d’exister.

Le problème, c’est qu’aujourd’hui, nous ne sommes pas encore dans ce schéma. Mais pour moi, ça passera forcément par là quand tu vois ce qu’essaie de mettre en place Overwatch en implantant des franchises par ville.

Cela dit, le phénomène est né sur le digital. La logique me fait dire qu’il faut un ancrage local fort mais si ça se trouve, l’esport continuera à se développer sans ce paramètre car il est propre au sport et ils ne voudront pas calquer ce modèle pour se différencier.

Justement, je ne sais pas si tu es sur ce volet-là avec Havas mais, en tant qu’équipe esport comme Vitality, Gamers Origin ou même un acteur moins important, comment approche-t-on une marque ? Doit-on passer par une agence comme Havas ? Peut-on directement voir l’annonceur ? Quelles sont les démarches à effectuer ?

Il existe différentes manières de procéder. Il y a des agences spécialisées dans la vente de droit qui vont créer et t’accompagner dans la formalisation de ton dossier de propositions marketing. Ils construisent l’offre, contactent les marques et négocient avec elles en cas d’intérêt.

Il commence à y avoir des agences 100% esport qui se positionnement sur le marché, mais aussi des agences historiques du sport. Il faut une équipe solide et installée pour ce genre de missions. Très souvent, elles prennent une commission sur le partenariat, soit sur objectifs et résultats, soit sur le volume du montant signé.

C’est également possible de faire du démarchage en direct. Aujourd’hui, il y a pas mal d’outils ou de réseaux sociaux professionnels qui permettent de rentrer en contact avec des décideurs. Ça peut être plus rapide et agile de pratiquer ce système mais ce n’est bien souvent, pas la même force de frappe qu’une agence. Cela dit, ça vous permet de défendre votre projet et vos idées.

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Le sport est structuré de telle sorte que ce sont les agences spécialisées qui s’occupent de cette partie. Cela dit, les clubs de L1, dans le foot notamment, ont un service en interne et ils se débrouillent plutôt bien.

Pierre Acuña, Nicolas Maurer nous expliquait comment ils avaient procédé avec Vitality pour nouer un partenariat avec Adidas. Aurais-tu des conseils à donner pour les équipes qui aimeraient démarcher des marques de ce niveau-là ? Par exemple, y’a-t-il un seuil critique d’audience à avoir Pierre Acuña ? À quel moment peut-on être prêt ?

Pour répondre à ta question plus générale, à partir du moment où on a une offre construite et des contre parties intéressantes, rien n’est impossible et il n’y a pas de seuil particulier à atteindre bien qu’il faille, bien évidemment, un minimum de visibilité.

Quels types de contre parties attends-tu Pierre Acuña ?

Généralement, de la visibilité sur le maillot et les réseaux sociaux de l’équipe à travers des contenus. Mais on peut imaginer des contreparties différentes et spécifiques car ces solutions sont encore très classiques. Si une équipe arrive à se démarquer, elle est prête à avoir n’importe quelle marque.

Plus les marques seront importantes, plus elles attendent de grands résultats. Si l’audience ou l’engagement ne suit pas, notamment sur les réseaux sociaux, je pense que c’est compliqué d’aller les démarcher. Surtout si les joueurs aussi ne disposent pas d’une fanbase importante. Il faut placer le curseur au bon endroit et suivre les marques qu’on contacte.

Après, rien n’est impossible. Il faut que l’équipe soit capable de faire sa propre sélection au niveau des marques. D’ailleurs, si l’une d’elles investit sur une autre équipe, il ne faut pas hésiter à aller voir les marques concurrentes en expliquant les possibilités et se positionner avec elles.

Il y a plein de croisements à imaginer. Je l’avais étudié dans Fortnite. À un certain moment, ils ont intégré une mise à jour qui permettait aux joueurs de récupérer de la barre de vie en mangeant des pommes. À ce moment-là, tu peux aller voir des entreprises qui ont une vraie spécificité pour ce secteur. Par exemple, les grandes surfaces, même si c’est caricatural ici.

Une fois qu’on est à l’aise avec ces croisements, on a une accroche valable pour contacter des marques et leur offrir une autre raison d’exister. Ça peut aussi être valable quand un de tes joueurs adore un produit particulier. S’il aime bien boire du Pepsi et le revendique, rien ne t’empêche d’aller les voir. Si on a une bonne proposition avec des contreparties innovantes, ça peut vraiment marcher. Il ne faut pas avoir peur d’y aller.

On est dans un environnement concurrentiel. Il faut se démarquer à tous les niveaux. Si votre idée autour d’un produit ou d’un joueur se justifie, ça peut être favorable si vous êtes en concurrence avec une offre basique avec le placement d’un logo sur un maillot ou du contenu sur les réseaux sociaux. Il faut dépasser ça. Les marques en attendent plus. Il faut créer un sens. Ça ne suffit pas de dire que vous avez les mêmes valeurs. Il faut du lien car tous les fans qui gravitent autour de l’équipe trouveront ça justifié. C’est à partir de ce moment-là que vous pouvez construire sur un terreau très favorable.

Oui, il existe encore beaucoup d’équipes qui n’arrivent pas à trouver ce sens et proposent simplement le placement d’un logo sur un maillot. Je pense que tes mots auront une forte résonance auprès des lecteurs. Quelle est la campagne qui t’a marqué le plus dans l’esport Pierre Acuña, qu’elle vienne d’Havas, ou non ?

Je vais être bon joueur et je ne citerai pas Havas et Pierre Acuña. Celle que je trouve excellente concerne ce qu’a fait Mc Donald’s avec CS GO. Je trouve ça très malin. Je ne connais pas la hauteur du deal, mais on est vraiment sur un croisement du vocabulaire du jeu avec tes produits sans problématiques de propriétés intellectuelles, car, par essence, le vocabulaire appartient au domaine public.

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Mc Donald’s tire dans le mille avec sa publicité sur Counter Strike : Global Offensive. Crédits : Mc Donald’s

La marque réussit à apostropher tous les fans du jeu à un instant T durant une compétition au Danemark. Il crée de la sympathie et honnêtement, ils sont très forts pour ça. Ils sont reconnus pour engager la cible jeune de manière efficace. Même s’ils ont de la concurrence sur la restauration rapide, ils ont toujours un coup d’avance sur leur partie image et communication. Ils sont obligés, car les autres aussi réalisent des campagnes pertinentes.

Pour cette campagne liée à CS GO, si tu es joueur et que tu la vois, tu te dis qu’ils sont géniaux et derrière, tu vas manger chez eux. Enfin, sans ça, tu y vas aussi mais ça apporte une touche d’émotions qui te reste en tête. Ils te font comprendre qu’ils savent pourquoi tu es là. C’est hyper intéressant.

Je peux citer une autre campagne intéressante. Cette fois, je dirais celle de la marque Céréales Lion avec l’agence Hurrah. Leurs campagnes sont bien mises en place et les contextes sont toujours bien choisis. Par exemple, leur concours de quatrain pour gagner une place pour les finales du LoL Open Tour à Disney, c’est génial et dans la tonalité de ce que l’on voit sur Twitter.

Derrière, les gens se prêtent au jeu et ça crée une proximité entre les fans et la marque. C’est une bonne approche. C’est une bonne manière de créer du sens.

Mc Donald’s et Céréales Lion sont relativement éloignés mais, sans nourrir les stéréotypes, c’est la nourriture des joueurs. Ils ne sont pas forcément attendus là et pourtant, ils s’en sortent très bien.

Un dernier mot Pierre Acuña ?

L’esport est un phénomène différent et avant-gardiste qui se démarque des autres passions. Il faut essayer de garder cette différenciation. Quand on est à la tête d’une agence ou d’une équipe, il faut toujours se questionner sur la manière de garder cette singularité par rapport au sport par exemple. C’est une force. Il ne faut pas aller à la facilité en copiant d’autres modèles. Nous sommes un média nouveau et il faut continuer à le cultiver. Ne faisons pas de l’esport une passion comme une autre.

Merci Pierre Acuña !

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C’est une interview riche en enseignements. Pierre Acuña nous livre une vision passionnante de l’esport. Plusieurs idées majeures sont à retenir.

Nous sommes tous conscients de la chance que nous avons. La croissance actuelle de l’esport ouvre la porte à un futur radieux. Pourtant, nous devons garder à l’esprit que notre discipline manque de maturité concernant l’aspect business.

Pour une marque, il est difficile d’en appréhender tous les codes et les possibilités offertes.

L’audience globale de l’esport est en hausse. C’est vrai. Nous arrivons à atteindre un seuil de visibilité critique pour attirer l’attention des marques. C’est vrai aussi. Mais nous devons arrêter de nous comparer à des sports comme le football ou le basket.

L’esport possède un double visage. Celui de la réussite et d’une audience extravagante sur ses principaux jeux, mais aussi celui d’un écosystème fragmenté et amateur que l’on tient à cacher dans l’ombre.

Il est bon de le rappeler, car les acteurs de l’esport ont souvent le discours inverse. Bien évidemment, nous devons nous vendre auprès du grand public. Mais si nous continuons à véhiculer l’image de l’esport comme The Next Big Thing, on risque de se griller. Il n’y a qu’à voir certains chiffres sortis d’un chapeau comparés à l’incomparable.

Au risque d’en décevoir plus d’un. Non, l’esport ne rivalisera pas avec le sport de sitôt.  Est-ce là notre seul objectif ?

L’esport dispose d’un potentiel énorme que nous n’exploitons pas. Comme le dit Pierre Acuña, nous n’avons aucune inquiétude à avoir. Les étapes par lesquelles nous passons sont inhérentes à notre développement.  

L’esport a les armes nécessaires pour continuer sa croissance. Les événements deviennent gigantesques et n’ont plus rien à envier aux grandes compétitions de sport traditionnel. La fanbase s’amplifie et notre compréhension du besoin des marques devient claire.

Pourtant, l’esport a encore du mal à s’offrir une force de frappe cohérente avec ses attentes. Les investissements deviennent énormes mais la majorité des acteurs manquent de moyens pour aller au bout de leurs envies.  

Heureusement, investir l’esport devient un enjeu stratégique et marketing fort, et à plus d’un titre selon Pierre Acuña.

Deux critères sont principalement pris en compte par une marque pour se décider d’investir selon Pierre Acuña. Le premier concerne l’analyse statistique. En tant qu’équipe esport, c’est là que votre audience, notamment sur les réseaux sociaux, rentre en jeu. Comment permettez-vous à la marque de véhiculer son message ? Combien de personnes touchez-vous ?

Le deuxième critère selon Pierre Acuña concerne l’affectif et l’ADN de la marque. Quelles émotions ai-je envie de rattacher à mon image ?

Le sponsoring est très intéressant de ce point de vue. Il permet à la fois pour la marque de se lier à des notions positives comme le dépassement de soi, la ferveur, le courage ou encore l’esprit d’équipe apportées par le sport mais aussi aux valeurs qu’une équipe esport peut lui offrir à travers ses joueurs ou les dirigeants.

L’exemple de Team Vitality est encore une fois pertinent. Durant mon interview avec Nicolas Maurer, son cofondateur, celui-ci a eu des mots très justes. Il explique simplement avoir une notion très importante du détail concernant la création de leurs contenus ou la création de valeur pour leurs fans.

En d’autres mots, ils veulent construire une relation saine et durable avec eux en faisant attention à tout ce qu’ils proposent. Quelle marque ne rejoindrait pas ce genre de message ? Avec une telle mentalité, vous avez tout gagné.

Les marques ont besoin de s’adapter à notre culture. Elle est différente de tout ce qu’ils connaissent. Nous devons leur laisser du temps pour qu’ils puissent affiner leur compréhension du secteur et proposer de meilleures campagnes créatives. Il en existe encore trop peu actuellement, et c’est normal.

Mais ce n’est en rien la faute seule des marques. Les agences et les acteurs de l’esport doivent se joindre à la réflexion pour proposer de meilleures solutions et faire cohabiter tout l’écosystème de manière créative.

J’ai tendance à penser que le sport est une référence surexploitée à tort car nous ne savons pas où nous diriger. Cette comparaison bride nos idées. Comme le dit très justement Pierre Acuña, nous devons cultiver nos différences.

Pour nous, l’arrivée des marques est un véritable chamboulement comme le dit Pierre Acuña. À grande échelle, l’esport reste cependant un marché restreint. Aussi surprenant que cela paraisse, le jeu vidéo est logé à la même enseigne. Nous ne pouvons promettre des résultats comparables au sport, à la musique ou au cinéma.

Avant de penser à ce genre de futur, essayons déjà d’apporter du sens aux marques qui nous font confiance et aident l’esport à mûrir. Prouvons que notre écosystème n’a rien à envier non plus aux idées créatives et aux histoires qu’ils racontent.

Grâce à ça, il sera plus simple d’attirer de nouveaux partenaires et observer le nombre d’opportunités grandir.

J’aimerais conclure cette interview par les mots les plus précieux de Pierre Acuña durant notre entrevue : « si une équipe est prête à se démarquer, elle peut avoir n’importe quelle marque. »

N’hésitez pas à suivre Pierre Acuña sur son Twitter !

A bientôt !

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2 Commentaires

Pierre Bourillot 10 janvier 2019 - 16 h 18 min

Encore une fois un superbe article Alexandre ! Je suis chaque fois impressionné par la qualité de la recherche d’information et la profondeur de la réflexion en fin d’article. Je dois dire que je suis agréablement surpris de constater que la conclusion majeur que tu tires c’est que nous devons arrêter de constamment comparer et vendre l’esport par rapport au sport traditionnel, ça n’est pas une réflexion qui va de soi et pourtant avec ton argumentation elle fait sens et devrait plus souvent être une priorité des stratégies d’organisation esport, Alors cultivons notre différence et en route vers de nouveau partenariats retentissants !

Reply
Alexandre Hellin 10 janvier 2019 - 16 h 52 min

Un énorme merci pour votre commentaire Pierre ! Celui-ci me touche grandement. J’essaie, tant bien que mal, d’apporter une consistance aux propos des personnes que je rencontre. Je suis heureux qu’elle vous plaise. Et vous avez raison, nous devons apprendre à cultiver notre différence et profiter de cette opportunité pour dépasser ce simple questionnement « l’esport est-il un sport ? ». Les marques non-endémiques ne le feront pas pour nous, car elles auront tendance à rapprocher l’esport à ce qu’elles connaissent. Malheureusement, ce n’est pas aussi simple.

A très vite pour de prochains contenus. 🙂

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