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Baptiste Huriez : « On veut que l’esport devienne une activité à part entière au FC Nantes »

Par Tifenn Dibout

On ne compte plus les structures qui emploient des coachs, des anciens sportifs et des méthodes empruntées au sport traditionnel. Bien plus qu’un effet de mode, on commence à voir les résultats de grosses équipes comme Astralis et son entraînement de pointe. L’idée d’associer la formation avec un encadrement emprunté au sport traditionnel fait de plus en plus de chemin dans l’esport. A l’instar d’autres structures sportives, le FC Nantes a ouvert une section esport depuis maintenant trois ans. Pour se développer dans ce domaine et conquérir de nouveaux terrains, le club de foot signe désormais un partenariat de trois ans avec la G. Academy, « spécialisée dans les nouveaux métiers de l’esport ». Pour comprendre comment cette transition peut se concrétiser, nous avons profité de l’annonce du partenariat pour en discuter avec Baptiste Huriez, Directeur Marketing du FC Nantes.

 

Pour comprendre votre parcours en amont, est-ce qu’on pourrait revenir sur l’historique du FC Nantes dans l’esport depuis 3 ans ?

Oui, on s’est lancés il y a trois ans maintenant, juste après le PSG. j’avais déjà beaucoup d’expérience dans le domaine du jeu vidéo.Ayant travaillé dans l’univers du jeu vidéo précédemment à M6 et étant en contact avec Adrien Viaud (ancien champion du monde sur Fifa en 2011) local de Nantes, on s’est tout de suite dit que c’était une vraie opportunité pour le FC Nantes d’entrer dans l’esport ! En novembre 2016 on s’est d’abord lancés sur Fifa avec Adrien Viaud comme premier joueur et ensuite Vincent Hoffman : le but était d’avoir un joueur sur chaque console. Et à partir de cette date, on s’est développés sur différents jeux, petit à petit. Au départ on visait uniquement les jeux en rapport avec le foot : FIFA, PES, Football Manager et Rocket League.

Vous êtes partis sur des jeux de foot, en toute logique vis-à-vis de l’image du FC Nantes. Vous avez ensuite démarré sur d’autres jeux, à commencer par League of Legends : qu’est-ce qui a motivé le club à étendre son activité sur d’autres titres ?

C’était une vraie volonté du club de se lancer sur des jeux en rapport avec le foot pour conserver un lien avec notre activité et éviter les confusions dans le story telling qu’on voulait développer autour de l’esport. Dans un premier temps, on ne voulait pas trop s’éloigner du foot en tant que tel, c’est pour ça qu’on a procédé en plusieurs temps et qu’on s’est lancés dans un second temps sur des jeux type League of Lengends ou Fortnite.


Le club avait en tête de ne pas griller les étapes et de monter en compétences petit à petit. Dans un premier temps on n’a pas souhaité travailler avec des agences ou avec d’autres structures esport parce qu’on voulait développer le maximum de choses au sein du FC Nantes. Ce choix comporte des points positifs comme des points négatifs : point positif, on est maîtres de ce qu’on souhaite faire et du développement qu’on souhaite amener ; point négatif, on n’est pas en capacité de se lancer immédiatement sur des jeux comme League of Legends, comme le PSG avait pu le faire à un niveau compétitif assez important. On a lancé la structure en essayant de conserver au maximum l’ADN du club et d’avoir un modèle familial.

Oui, vous vous êtes donnés plus de temps. Par exemple sur LoL vous évoluez actuellement en Division 2. Est-ce que vous visez le passage en LFL pour les saisons à venir ?

Oui, c’est vraiment l’objectif d’avancer progressivement. On a démarré avec la volonté d’apprendre et de bien se structurer autour du jeu, pour ensuite essayer de performer et monter une équipe à-part-entière capable d’évoluer en LFL.

On a déjà parlé du PSG comme source d’inspiration. Est-ce qu’il y a d’autres exemples de clubs sportifs ou de structures esportives (notamment celles qui intègrent fortement les codes et valeurs du sport) qui ont guidé le processus de développement de l’esport ?

Tout à fait ! Personnellement, j’étais persuadé que le FC Nantes avait les moyens de lancer sa structure esport. D’un autre côté, avoir l’exemple d’un club comme le PSG, ou d’autres clubs au niveau européen qui avaient déjà lancé leur structure bien en amont, ça a forcément permis de débloquer des choses en interne et beaucoup plus rapidement que si on avait été les premiers. Effectivement, d’une part ça a rassuré la direction de voir d’autres structures s’investir dans l’esport ; d’autre part, ça a permis de voir qu’il y avait des clubs X ou Y qui évoluaient sur des jeux comme LoL, en dehors des jeux exclusivement centrés sur le foot.

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Justement, par rapport à l’identité du FC Nantes : Comment se fait le lien entre l’image du club de foot « traditionnel » et la nouvelle section esport ?

Le lien, il se fait tout simplement par la synergie entre les deux. Dans l’esport on a des activités et un fonctionnement étroitement liés avec les autres sections du club. Au niveau des joueurs, le quotidien est à peu près identique !
Au niveau du business model aussi, on va faire en sorte que ça se rapproche le plus possible de celui du club. En fait il y a énormément de similitudes : quand j’ai présenté la possibilité de mettre en place une section esport au sein du club, la direction s’est tout de suite rendue compte que ça avait vraiment du sens. Que ce soit pour le modèle économique ou l’entraînement des joueurs, on avait déjà la plupart des clés !

Forcément, il y avait aussi de gros enjeux autour de l’image de marque du club. Quand on regarde sa longue histoire, le FC Nantes peut avoir une image parfois vieillissante, y compris quand on regarde son palmarès ces dernières années. Du coup, l’esport est un bon moyen pour moderniser l’image de marque et toucher de nouvelles cibles à travers ce média.

Concrètement, quels arguments avez-vous mis sur la table pour convaincre les responsables du club du lien entre les domaines du sport et de l’esport ?

Au niveau des joueurs esport, ce qui était le plus frappant, c’était surtout l’entraînement, le format des compétitions, l’exigence de la performance, la gestion du stress, tout ce qui représente leur quotidien. C’était un exemple concret très parlant parce qu’on a pu assister à la rencontre entre les joueurs de la partie sportive et ceux de la partie esportive. En fait, quand les joueurs se rencontrent on voit bien qu’ils ont le même langage et qu’ils parlent de la même chose. C’est super intéressant !

Et pour compléter ce que je disais tout à l’heure, ce qui a aussi permis de légitimer le lancement de la structure esport, c’est le travail effectué au niveau de la eLigue de football : les compétitions organisées par la Fifa autour des clubs de foot ou encore les circuits eFootball Pro (PES) et eLigue 1 (FIFA). Ça a aidé à créer des ponts entre la partie sportive et la partie esportive et à montrer les synergies entre elles.

Et au niveau du public du club en lui-même : Quelle approche avez-vous développée pour vous adresser aux adhérents et aux supporters du FC Nantes ?

On a eu une approche assez « offline », on a notamment mis en place des bornes Fifa et PES les soirs de match en fanzone pour que les supporters puissent jouer et pour qu’ils puissent rencontrer nos joueurs Fifa et PES. C’était un premier pont entre les joueurs et les supporters.
Le deuxième, ça été l’organisation de tournois comme la Fifa Esport League pour créer un rendez-vous qui revient chaque mois. Ça permet de rencontrer nos supporters qui sont fans de jeux vidéo. Au total on a fait 10 dates et une grande finale août dernier.

Globalement, on a choisi une approche offline pour aller à la rencontre des supporters et leur expliquer les tenants et les aboutissants. Au final, le lien s’est fait tout naturellement parce que beaucoup de supporters jouent déjà chez eux à Fifa et PES.

Pour ce qui est du public esport qui est historiquement beaucoup moins lié au club : Est-ce que vous adressez à ce public avec une communication différente ? Ou est-ce que vous vous centrez vraiment sur l’image du club en essayant de leur inculquer les mêmes valeurs ?

On essaie toujours de lier tout ce qu’on à l’image du club pour ne pas perdre l’ADN de la marque. On veut raconter la même histoire, que ce soient les joueurs professionnels, que ce soient les féminines, la formation, ou aujourd’hui les athlètes esportifs.

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On fait en sorte de lier toutes les sections à la marque FC Nantes, on ne veut pas faire n’importe quoi avec. Par exemple avec des jeux du type Counter Strike, on s’éloigne trop de l’image de la marque et ça ne rentre pas dans notre stratégie.

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La section esport du FC Nantes a aussi pour vocation de remplir les stades de nouveaux fans – Crédits photo @FC Nantes

 

Pour vous, quels sont les objectifs du partenariat entre le FC Nantes et la G. Academy ?

On a construit un partenariat qui s’échelonne sur trois ans, en investissant dans la formation, dans l’accompagnement pédagogique et dans la détection de futurs joueurs pros esport. Côté club, l’objectif est d’appliquer dans l’esport ce qu’on a construit avec la partie club de foot professionnel. Encore une fois, on voit ça comme le prolongement de l’ADN du FC Nantes !


On a trouvé ça hyper intéressant de travailler avec Gaming Campus pour former des joueurs qui pourraient, pourquoi pas, intégrer des équipes premier plus tard. Par exemple, on peut imaginer un slot d’équipe pro en LFL et puis, en parallèle, un slot en Division 2 avec des joueurs en formation. Et ce modèle, c’est ce qu’on voit dans le foot professionnel : on a l’équipe premier en Ligue 1 et l’équipe réserve qui est un vivier de talents amenés à passer professionnels à l’avenir.

L’association avec la G. Academy va permettre de capitaliser sur ces éléments et de se servir de l’école comme moyen de détecter de jeunes espoirs et de faciliter la formation des joueurs. On veut transposer les modèles du FC Nantes à l’esport, par le biais de la G. Academy. Dans les objectifs qu’on s’est fixés, on veut former une équipe League of Legends qui évoluera en D2 et lancer prochainement une équipe Fortnite.

En contrepartie vis-à-vis de la G. Academy, on va essayer d’apporter de la visibilité, de la mise en avant des étudiants et de l’école en tant que telle. Gaming Campus est partenaire pour les maillots, ça offre une certaine visibilité qu’ils n’auraient peut-être pas eu autrement.

Vous envisagez cette section esport comme un centre d’entraînement qui forme un vivier de futurs athlètes esportifs ?

Le but premier reste avant tout de professionnaliser la section esport. A terme on veut former des équipes, ce qui devrait logiquement déboucher sur des contrats pro avec le club. On garde en tête que la réussite de ce projet va dépendre d’énormément de choses. Aujourd’hui, on a un modèle économique qui n’est pas forcément rentable. On ne cherche pas forcément la rentabilité pour l’esport mais on ne veut pas non plus perdre trop d’investissements. L’enjeu principal c’est l’image du FC Nantes et la fédération d’une communauté, ce n’est pas forcément un enjeu « business ». Ce sont tous ses objectifs que l’on va évaluer en fin de saison et qui vont décider de la professionnalisation de certains joueurs.

Comment se font les recrutements ? Sur quels critères vous appuyez-vous ?

Le recrutement va démarrer dans les prochains jours. On va rencontrer les futurs joueurs League of Legends et Fortnite et faire passer les entretiens menés avec Adrien Viaud, le team manager. Le but est de constituer des équipes qui seront performantes dès janvier prochain. On se concentre surtout sur le professionnalisme et l’expertise sur leur jeu. On ne leur demande pas forcément d’être fan du FC Nantes, même si l’image de marque du club viendra à un moment sur la table.

Ce qui compte avant tout c’est leur profil et surtout leurs compétences. On n’intervient pas en amont du processus de recrutement, c’est la G. Academy qui sélectionne les candidats. Finalement on vient « piocher » dans ces étudiants-là.

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Vous visez deux aspects complémentaires dans la carrière de joueur pro : l’entraînement, côté club, et la formation, côté G. Academy.

Complètement ! Pour ne rien vous cacher, l’objectif ultime pour le club serait d’internaliser une formation de ce type au sein de notre centre sportif, comme c’est déjà le cas pour de jeunes joueurs de foot qui sont à l’internat et qui vivent ici 7 jours sur 7 pour devenir joueurs de foot professionnels.

Ça montre l’enjeu de se former et de développer des compétences qui ne se limitent pas au jeu. Selon vous, qu’est-ce que ça apporte de plus dans le parcours des joueurs ?

Si je prends l’exemple des stagiaires League of Legends ou des étudiants Fortnite, on a une formation dans laquelle leur jeu est au centre tout en complétant avec plein de compétences différentes. On a notamment du media training qui aide à construire sa carrière. J’en reviens toujours à ça mais on a la même chose en foot ! L’étudiant en foot au FC Nantes ne fait pas que du foot : il y a un système de formation pour le préparer à sa carrière de sportif professionnel et aussi à se reconvertir une fois qu’il aura terminé cette carrière en tant que joueur.

Aujourd’hui, dans le fonctionnement de la structure esport du club aujourd’hui, Adrien Viaud est en charge du quotidien des joueurs. Il est manager des équipes, il s’occupe également du recrutement et plus généralement du développement de la structure. De mon côté, je suis en charge du marketing au club et pour l’ensemble de la section esport.
La spécificité des clubs de Ligue 1 qui ont ce genre de section, c’est qu’elle dépend systématiquement du secteur marketing ou du secteur digital. A mon sens, c’est une vraie limite, dans le sens où « moi » je n’ai aucune légitimité à gérer la partie sportive étant donné que mon domaine c’est le marketing et la com. C’est là-dessus qu’il faut avoir une vraie réflexion, y compris chez nous en interne, qui amène à confier l’esport plutôt à la direction sportive. En interne, on a un gros travail pour faire en sorte que l’esport devienne une activité à part entière.

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En conclusion :  mieux détecter les futurs pros et les accompagner plus longtemps dans leur formation

Les carrières de joueur sont amenées à évoluer rapidement et on commence à mieux cerner les enjeux de la professionnalisation. Performer sur son jeu de prédilection ne suffit plus à garantir un parcours professionnel durable. Couplé à la formation, l’encadrement inspiré du sport traditionnel séduit de plus en plus de structures qui y voient un moyen de consolider et prolonger les parcours des joueurs.

L’écosystème esportif se structure progressivement mais les différents modèles économiques peinent souvent à se stabiliser et se pérenniser. Pour les structures esportives, la question de la rentabilité se confronte donc à un marché économique qui connait des changements très rapides. Le marketing et la communication sont deux leviers de premier plan pour parvenir le plus rapidement possible à produire des bénéfices conséquents. Toutefois, comme nous l’avons vu, une croissance trop intensive de ces pôles peut se faire au détriment de la stratégie de développement à long terme. Le cas du FC Nantes est intéressant à ce titre car on peut y voir qu’un club sportif peut être une base solide pour aborder l’esport. Leur progression mesurée peut nous amener à réfléchir la façon dont on fixe les échéances et à reconsidérer les stratégies d’insertion en force sur le marché de l’esport. Le club tente ainsi de tirer les enseignements de la longue expérience des clubs de sport traditionnel et ce type d’approche trouve de plus en plus d’échos.

Nous remercions Baptiste Huriez et le FC Nantes pour nous avoir permis de réaliser cet entretien. Pour aller plus loin sur le sujet, nous vous invitons à lire ou relire nos entretiens précédents avec Stephan Euthine, directeur Team LDLC, qui nous parlait des carrières de joueurs pro et Valérie Dimitrovic, directrice générale Gaming Campus.

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