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Valérie Dmitrovic : « Nous sommes en train d’inventer une école avec Gaming Campus »

Par Alexandre Hellin
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Les mots « esport » et « école » ne font pas bon ménage depuis quelques années et offrent des débats animés.

Il existe deux groupes de personnes.

Le premier ne veut pas entendre parler d’école esport. Il estime simplement faire face à une supercherie vouée à soutirer de l’argent à de pauvres étudiants innocents et qu’il vaut mieux se diriger vers un cursus scolaire classique. Il serait simplement trop tôt.

Le second groupe, quant à lui, fait preuve d’optimisme. Il est prêt à laisser une chance aux écoles esport, car, après tout, il faut bien commencer quelque part. Bien sûr, il n’y aura pas assez de débouchés pour tout le monde, mais le bonheur des uns, fait le malheur des autres, et après tout, on ne réussit pas sans connaitre l’échec.

Il y a encore quelques semaines, je me rangeais dans la première catégorie.

Comment pouvons-nous promettre, à des centaines d’étudiants, une porte d’entrée dans l’esport alors que le secteur étouffe lorsqu’on parle d’emploi ?

Nous devons attirer des personnes compétentes pour continuer d’évoluer. C’est certain.

Mais pourquoi autant d’écoles se jettent à corps perdu dans la bataille ?

En France, les structures capables d’offrir un CDI se comptent sur les doigts d’une main (peut-être deux).

Connaissez-vous la valorisation du marché de l’esport dans le monde ?

Si on arrondit, 1 milliard de dollars.

Et maintenant, si on s’intéresse au secteur du jeu vidéo en France ?

Cinq milliards.

On relativise, n’est-ce pas ?

Pourtant, il y a bien une chose qu’on ne peut pas retirer à l’esport. Il fait partie des secteurs avec une croissance économique incroyable.

Les chiffres s’emballent extrêmement vite.

Mais pour cette simple raison, il faudrait créer des écoles à tire-larigot, envisager des ligues professionnelles franchisées à coup de centaines de millions de dollars, vendre des containers de produits dérivés ou mettre sur pieds un écosystème qui n’aurait rien à envier au sport traditionnel, et ce, en un claquement de doigts ?

« Tu veux devenir un papillon et tu es prêt à oublier l’étape de la chenille ? »

Cette citation de Sekou Andrews sied à merveille pour représenter cette effervescence autour de l’esport.

On se voit trop beau, et le faisons savoir au monde entier.

Après tout : « Fake it until you make it », n’est-ce pas ?

Le problème, c’est qu’il est rapide de confondre vitesse et précipitation.

Il est certain, qu’un jour, l’esport obtiendra une aura semblable au sport traditionnel.

En attendant, nous continuerons de faire des erreurs. Et d’apprendre.

Le questionnement autour des écoles esport soulève simplement la manière dont elles arrivent dans l’écosystème. Est-ce par une envie réelle de faire avancer le secteur ou par cupidité ?

L’épineux sujet réside dans la demande, qui est, pour l’occasion, incommensurable.

Comme le soulignait Nicolas Cerrato lors de mon interview, l’esport est devenu un centre d’attention. Devenir joueur professionnel serait même l’un des nouveaux métiers à la mode.

Quand on s’intéresse de près à tout ça, on se rend compte que les débouchés sont encore faibles, voire quasi inexistants. Il serait plus sécurisant de se diriger vers une école classique et attendre que des opportunités se débloquent, n’est-ce pas ?

Pourtant, le nombre d’aspirants étudiants qui frappent à la porte des écoles esport est faramineux, et vous savez pourquoi ?

Il existe un biais psychologique puissant chez l’humain, et surutilisé par les plus grandes marques dans leur marketing : offrir à la personne que nous souhaitons séduire une réputation dont il voudra se montrer digne.

En l’occurrence, ici, l’école esport permet de légitimer une passion. Dans un pays comme la France où le diplôme et l’éducation tiennent une place importante sur la carrière professionnelle, vous avez le combo gagnant pour que des milliers de jeunes aspirent à offrir une nouvelle représentation d’eux-mêmes et prouver que leur passe-temps est sérieux. Et ce, peu importe si la qualité des intervenants ou du suivi pédagogique sont questionnables.

Il suffit de s’intéresser au cas de nombreuses écoles qui disparaissent aussi vite qu’elles arrivent, comme « The esport academy », pour comprendre la position de certains professionnels du secteur.

D’ailleurs, O’Gaming s’est intéressé profondément au sujet, en juillet 2018, en invitant de nombreux intervenants, comme des professionnels du milieu, des créateurs de formations comme la Paris Gaming School ou l’INSEEC, à prendre la parole.

En tirant la sonnette d’alarme avec son émission, O’Gaming offre un débat pertinent et des éléments de réponses qui permettent d’affiner l’avis général.

Malgré une volonté intéressante, ça n’avait pas suffi à me conforter dans l’idée qu’une formation étiquetée esport soit une bonne chose, dans l’état actuel du secteur.

Mais aujourd’hui, mon avis est mitigé.

Comme on dit, il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Et s’il y a bien une chose dont je suis sûr, c’est qu’il y a de grandes chances pour que ce qui suit en aide plus d’un à changer sa façon de penser.

J’étais surpris lorsque j’ai découvert Gaming Campus à son inauguration.

Sur le papier, on a affaire à un projet ambitieux. Et comme on dit souvent, plus c’est gros, plus ça passe. Je me souviens m’être dit que l’école arrivait 5 ans trop tôt.

Ça paraissait un peu trop beau.

Et puis Vitality se greffe à l’initiative en tant que partenaire officiel. En termes de décision business et managériale, l’équipe reste un exemple. De nouvelles annonces passent, et finalement, on s’étonne à se dire « pourquoi pas ? ».

Et si une école complètement dédiée à l’esport et au jeu vidéo pouvait réussir le pari de créer un environnement propice à la formation de jeunes talents sans ruiner leur vie ?

Un peu plus d’un an après son lancement, j’ai voulu en apprendre plus et suis parti à la rencontre de Valérie Dmitrovic, sa directrice générale.

L’école possède un message cohérent avec la réalité du marché. Et autant vous le dire tout de suite, notre entretien m’a ouvert les yeux sur un projet dont je n’attendais rien.

D’ailleurs, c’est probablement moi qui suis né 5 ans trop tôt. 😉

Dans cette interview, Valérie Dmitrovic partage avec nous sa vision et ce qu’elle souhaite  apporter avec Gaming Campus, mais aussi comment elle compte améliorer la qualité de l’enseignement dans l’esport sans tomber dans certaines facilités.

Ses mots en conforteront plus d’un dans leur choix, mais je pense également qu’ils pourraient être un incroyable catalyseur pour des parents inquiets des envies de leurs enfants à vouloir faire de l’esport une vocation.

Bonne lecture !

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Bonjour Valérie Dmitrovic, pour débuter cette interview, pourriez-vous vous présenter, nous expliquer votre parcours et revenir sur votre place de directrice générale pour Gaming Campus ?

Bonjour ! J’évolue dans l’enseignement supérieur depuis 18 ans maintenant. L’innovation m’a toujours attirée avec l’envie en tête de dépoussiérer la manière dont on transmet nos connaissances aux étudiants.

J’ai une appétence pour créer un campus avec des méthodes pédagogiques innovantes sur un secteur avant-gardiste comme l’esport. Je me suis toujours penchée sur des sujets de ce type.

Je n’ai pas toujours eu l’occasion de le faire dans le Groupe Ionis, là où je travaillais précédemment. Même si j’essayais d’amener l’innovation par tous les moyens possibles, ce n’était pas toujours simple.

Je suis une passionnée de l’enseignement. Mon seul but est de rendre mes étudiants heureux pour que leur potentiel s’exprime pleinement. J’ai une formation grande école, notamment sur la filière commerce, mais pas que, donc j’ai toujours aimé entreprendre.

Avec le projet Gaming Campus, je rejoins une aventure incroyable aux côtés de Thierry Debarnot et Jean-Baptiste Racoupeau. J’en suis très heureuse.

J’ai toujours dû avoir cette fibre entrepreneuriale. Dans les écoles que j’ai pu diriger dans le Groupe Ionis, j’ai créé des incubateurs, souvent en avant-première, pour insuffler cette même envie aux étudiants. Je veux les aider à devenir acteurs de leur carrière.

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Valérie Dmitrovic en pleine présentation dans les locaux de Gaming Campus. Crédits : Gaming Campus

Comment avez-vous découvert le jeu vidéo et l’esport ?

Tout simplement en discutant avec les enfants. J’ai 50 ans, je devrais être une personne bercée par la télévision, mais pas du tout. Je déteste ça depuis mes 20 ans.

Récemment, j’ai eu un choc en allant travailler à Paris. Je me suis retrouvée à l’hôtel et, le soir, en m’ennuyant, je décide de regarder la télévision. Ça ne m’était pas arrivé depuis 30 ans. En quelques minutes, j’ai compris le décalage entre ce qui est proposé à la TV et ce que je fais chez moi, avec les enfants.

On est toujours sur YouTube, on regarde des films sur Netflix, des streamers, on écoute de la musique, etc. L’ordinateur a une place centrale dans nos activités dans la famille, et ce que j’ai découvert à la télévision ce soir-là était « has been ».

J’ai découvert le jeu vidéo et l’esport comme ça. J’ai joué également, mais je manque de temps, et puis, j’ai tellement d’autres choses à faire, à lire, à apprendre… Mais c’est un monde vraiment passionnant !

D’un côté, le jeu vidéo est un art interactif extraordinaire, et de l’autre, l’esport me passionne parce qu’il rejoint une activité que j’aime profondément : l’art martial japonais. J’en ai fait pendant 20 ans !

Du aïdo, du Kenjutsu, du sabre… Je suis tombée dedans vers 23 ans et me suis entrainée comme une brute, 3-4 fois par semaine, à Paris. J’ai également fait des stages au Japon.

C’est un art mental qui demande une forte maitrise des émotions et de sa concentration, notion très importante pour les japonais, et que je retrouve dans l’esport.

Quand je vois les joueurs s’entrainer, je me rends compte à quel point c’est dur. Ils ont 17-18 ans et jouent tous les jours. Ils passent par des pics de joie, de désespoir, d’un coup ils sont challengers, d’un coup ils se mettent à perdre plusieurs parties… Le mental est mis à rude épreuve.

Je suis passée par là. Il faut sans cesse rechercher une maitrise mentale incroyable, et je suis admirative de tout ça. Voilà pourquoi j’ai plongé corps et âme dans le domaine de l’esport.

C’est rafraichissant ce que vous dites, et surtout, la vision que vous avez sur la pratique avec votre expérience.

Beaucoup d’écoles esport sont créées par d’anciens esportifs. Je n’ai rien contre la jeunesse, bien au contraire. On est talentueux à n’importe quel âge.

Seulement, créer un établissement d’enseignement supérieur, ça ne s’improvise pas. C’est un métier où il faut savoir tenir une certaine discipline au sens noble et martial du terme.

Récemment, on accueillait les jeunes joueurs de l’équipe Vitality.Bee. Ils ont une sacrée discipline de vie. C’est pratiquement une vie de moine où tu fais quotidiennement beaucoup de sacrifices, pendant au moins 5 ans. Il faut savoir le tenir. 

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L’équipe Vitality.Bee a droit à l’accompagnement de Gaming Campus pour progresser. Crédits : Gaming Campus

Ce qu’on offre ici, de par mon expérience, c’est un encadrement sérieux et propice au développement réel des élèves. On sait travailler, aller chercher des ingénieurs en sciences cognitives, à l’avenir des ostéopathes qui s’occupent généralement de musiciens qui peuvent avoir des problèmes au poignet similaires aux esportifs, etc.

Je vais chercher les meilleurs pour qu’ils soient capables d’encadrer mes élèves. Au-delà de leur expérience et de leur réussite, ils doivent pouvoir formaliser suffisamment bien leur savoir-faire pour le transmettre. J’organise aussi des master classes avec des personnalités du secteur dont l’objectif est d’apporter un témoignage sur leur métier, etc.

Nous sommes en train d’inventer une école et une pratique, donc il faut réfléchir à créer l’encadrement idéal pour ces esportifs, car, par définition, il n’existe pas encore.

On veut être de cette aventure-là en amenant l’accompagnement le plus moderne possible, sans oublier qu’on tente de former des joueurs et professionnels de haut-niveau.

Aujourd’hui, Gaming Campus réunit 3 entités : La Gaming Business School, pour former des professionnels aux métiers du business du jeu vidéo et de l’esport, la Gaming Academy pour former des athlètes esportifs et leur permettre d’atteindre le statut de professionnel, et Gaming Guru, une plateforme de coaching en ligne. Je vais principalement me concentrer sur la Gaming Academy. Est-ce que vous pourriez revenir dessus et nous expliquer votre idée derrière ce projet ? Former des joueurs pour les rendre professionnels, c’est ambitieux !

Effectivement. Avant toute chose, notre objectif n’est pas de faire de quantité. On ne veut pas avoir 40 ou 50 étudiants et croiser les doigts pour que l’un d’eux parvienne à passer professionnel. Et pourtant, si je regarde l’appétence des jeunes sur Fortnite, je pourrais remplir l’école sans problème.

  Apprenons à mieux parler de l'esport

Ce qu’on veut vraiment, c’est aller chercher des jeunes de 17 ou 18 ans. On ne vise pas plus bas, car nous ne sommes pas là pour déscolariser des jeunes. Il faut que la France réussisse à mettre en place des « esport études » avec les collèges et lycées. Ce n’est pas notre vocation actuelle.

On prend les joueurs quand ils possèdent une maturité suffisante pour prétendre être professionnel. Une équipe, ce qu’elle recherche, c’est une personne capable de s’imposer un rythme de vie, une discipline et une rigueur adéquats à ses objectifs.

C’est pour ça que nous commençons à recruter vers 17-18 ans. On va se tourner vers des jeunes qui ont déjà un excellent niveau. Par exemple sur LoL, on analyse des joueurs qui ont un niveau master ou diamant et on essaie de comprendre leur potentiel.

Si l’un d’eux joue peu et qu’il arrive à être diamant, ça veut dire qu’il est efficient, et donc, que le rapport entre le temps passé et le résultat est excellent. On détecte ses facilités et on l’évalue. Notre coach va, ainsi, le regarder jouer pendant 2-3h et surveiller son comportement, pour voir s’il s’énerve facilement ou, au contraire, s’il pousse les autres vers le haut.

Ça rejoint la maitrise de soi dont vous parliez précédemment.

Oui, exactement. C’est une première maitrise de soi. On va également leur poser des questions pour découvrir leur capacité dans l’esprit d’équipe, et si le coach me dit « Valérie, c’est bon pour lui ! », à ce moment-là, je fais un entretien académique où je vérifie un certain nombre de points, comme le niveau scolaire, les études que la personne souhaite entreprendre, les motivations, l’environnement familial pour savoir si les parents soutiennent la démarche, etc.

Je pratique ce genre d’entretien depuis un certain nombre d’années, et ça, c’est important aussi. Je dois m’assurer que l’étudiant est capable de s’intégrer dans une école, car il y a une formation esportive, mais aussi académique où il va être en relation avec plusieurs élèves et des professionnels et surtout, recevoir un certain nombre d’enseignements.

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La méthode de sélection de Gaming Campus permet de déceler les meilleurs talents. Crédits : Gaming Campus

Le rythme est dense. En plus de son entrainement, il y a du marketing, de la communication, des cours de media training, de l’anglais… Il faut qu’il puisse suivre. Pour moi, c’est comme s’il rentrait dans une classe préparatoire HEC.

Le travail est intense. Il faut savoir gérer son sommeil, son hygiène de vie, son mental, sa force… Il faut savoir tenir le choc et ça, par expérience, tout le monde ne le peut pas.

Pour éviter ces erreurs, je vérifie tous les points cités précédemment. Bien sûr, ce n’est pas une science exacte, et puis, je peux me tromper, mais généralement, j’ai une bonne appréciation pour ces choses-là.

Après cette phase de test, commence l’aventure. Si on a 10 joueurs, on n’ira pas chercher plus loin. C’est une formation de haut-niveau avec un équipement de grande qualité. Les élèves rentrent chez eux le soir, car on ne veut pas d’internat où ils seraient tous les uns sur les autres. Je veux qu’ils respirent, que leurs parents puissent les voir, les cocooner et les accompagner dans ce défi difficile.

Belle vision quand on sait, qu’effectivement, la demande peut être folle, que ce soit pour Fortnite ou même League of Legends. C’est d’ailleurs pour cette raison que des écoles commencent à fleurir un peu partout. Je trouve votre approche sur les tests d’entrée très importante, car, la situation de joueur esport professionnel est encore assez délicate à obtenir, et précaire. Vous proposez également une seconde certification pour devenir « entrepreneur influenceur »…

Et on en a une 3ème qui arrive, mais on ne l’a pas encore mise en avant. Elle concerne la création de vidéos pour créer des profils indispensables dans l’esport.

Je pense au Community Manager de la marque Shadow. Il possède une grande valeur aujourd’hui puisqu’il a appris le montage vidéo. Il peut créer du contenu sur ce support et s’occuper de la communication de l’entreprise sur les réseaux sociaux, c’est une double compétence rare, qui est hyper ciblée.

Les marques du gaming et de l’esport, mais aussi tous les autres secteurs, vont avoir besoin davantage de responsables vidéo, et on souhaite répondre à cette demande-là en créant une formation polyvalente et couteau suisse dans l’audiovisuel.

On ne veut pas former des professionnels spécialisés dans le son ou la lumière. On veut créer des professionnels qui seront capables de produire des vidéos de qualité en une journée pour répondre à un besoin rapide avec une formation intensive de 2 ans, toujours en pédagogie par projet.

La croissance du jeu vidéo et de l’esport a besoin de plus de créateurs de contenus, que ce soit sur YouTube ou Twitch. On pense aussi à eux. En marketing, on pourrait appeler ça des influenceurs, mais je sais qu’ils n’aiment pas trop ce terme.

C’est une formation délicate, donc on reste sur la même discipline dans nos choix d’étudiants et dans la quantité d’admissions. Il faut avoir du talent, beaucoup travailler, mais aussi avoir de la chance. Le résultat est incertain, donc pour limiter cette incertitude, on s’est associé à Talent Web.

On a également mis en place un jury interne, constitué de certains streamers connus, permettant de mieux sélectionner les profils de nos étudiants. Une fois encore, ce sont des personnes originales et souvent atypiques que nous devons trouver. Elles sont plus difficiles à former aussi, parce qu’elles ont leur univers.

Là aussi on invente, au fur et à mesure, une formation. J’essaie de l’améliorer tous les jours, même si, je vais pouvoir le faire plus particulièrement cet été. Je suis accompagnée d’un parrain vraiment génial pour m’assurer que la formation corresponde aux attentes des entreprises du gaming. Je suis sûre que ça sera une belle aventure aussi.

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Gaming Campus part des besoins de son public pour créer des formations adaptées au secteur. Crédits : Gaming Campus

Vous parlez de Talent Web ou de Team Vitality pour l’aspect esport. Pourriez-vous revenir sur votre liaison avec ces 2 entités ?

Team Vitality nous accompagne en tant que partenaire pour l’école. Elle nous guide sur les recrutements et nous donne son avis sur les profils envisagés. C’est un appui important pour nous, qui nous conforte dans ce que l’on fait.

Avec eux, on forme des joueurs à travers des bootcamps et des capsules pédagogiques. C’est dans ce cadre qu’on a reçu Vitality.Bee et, normalement, cette semaine les joueurs Fortnite de Vitality. D’ailleurs, il me conseille sur les recrutements de nos étudiants sur Fortnite puisque nous allons ouvrir quelques places.

Le problème, c’est que c’est délicat sur Fortnite, avec les classements, le cash prize, le format des compétitions, etc. On veut vraiment former quelques professionnels pour l’instant, et ne pas faire miroiter l’impossible. On évoluera en même temps que le marché de l’esport. Si on voit que League of Legends développe plus de débouchés, on accompagnera cette croissance en formant davantage de jeunes. Mais pour le moment, on est prudents.

C’est pareil pour le master management esport. On reste attentif à l’évolution du marché du travail. Il faut que les équipes gagnent plus d’argent, que le secteur se structure davantage et qu’il y ait plus d’entreprises innovantes. A ce moment-là, on ouvrira davantage de place, mais pour l’instant, on se fixe entre 15 et 20 étudiants.

C’est une question que j’allais vous poser. En termes de candidatures, j’imagine que la demande est énorme. On entend des écoles parler en centaines de postulants.

Effectivement, la demande est là. Mais de notre côté, on priorise l’employabilité de nos étudiants. On s’est engagé auprès des dirigeants présents dans le SELL (syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs, ndlr) avec un job cap de 50.

Donc, nous diplômerons 50 étudiants par an et pas un de plus. Ça nous permet de garder une excellence pédagogique et une excellence de profils à la sortie de l’école. Comment faire autrement dans un secteur d’excellence comme le jeu vidéo et l’esport ?

Tout le domaine est complexe. Les équipes doivent travailler en mode sprint, il faut des équipes créatives et techniques, sans oublier ceux qui sont là pour leurs compétences en marketing, communication, monétisation et gestion de projet. Il nous faut obligatoirement des profils excellents, et c’est pour ça que notre sélection est rude à l’entrée et se base sur 3 critères principaux.

Il est nécessaire de bien connaître le secteur et que ce soit une vraie passion, qui ne s’exprime pas seulement par « je joue au jeu vidéo depuis mes 4 ans ». Aimer le cinéma ne fait pas de vous un réalisateur. On veut de vrais passionnés et connaisseurs, qui vont plus loin que simplement « jouer ». Ils s’informent et ont un avis prospectif.

Si je prends l’exemple d’un passionné d’esport, il a aidé à l’organisation d’une LAN, il suit l’actualité quotidienne, il va à la Lyon e-sport tous les ans, il est actif et, pourquoi pas, appartient à une association, il forme des jeunes, etc.

Le 2ème critère, qui est tout aussi important, prend en compte le parcours académique. On souhaite avoir des étudiants avec un très bon niveau. Mais s’il est tout juste avec nos attentes, ça peut être compensé par une capacité entrepreneuriale. On sait que les entrepreneurs ne sont pas toujours scolaires, mais on doit ressentir une envie de créer des projets.

Enfin, le dernier critère correspond à l’état d’esprit. L’étudiant doit être respectueux, collaboratif et surtout communautaire. Dans un secteur où tu dois être capable de travailler avec des équipes techniques et créatives, il n’y a pas le choix. Nous ne sommes pas là pour écraser les autres. On entend l’avis de chacun, et ça doit se retrouver chez nos étudiants. Ils doivent être chouettes [rires].

Pouvez-vous me parler davantage de la pédagogie par projet et comment elle s’insère dans la formation pour les joueurs professionnels ? Vous dites, très justement, sur votre site que la carrière de joueur est courte. Il est nécessaire de créer des passerelles le plus tôt possible pour ne pas se retrouver sans rien par la suite. Comment vous prévoyez de les préparer à ça ?

La pédagogie par projet est un sujet qui me passionne depuis un certain nombre d’années. J’ai observé les pratiques de nos étudiants et ceux de l’enseignement supérieur. Le décalage est trop important.

Aujourd’hui, les étudiants peuvent aller se former seul sur des MOOCS, sur Open Class Room, avec des tutoriels YouTube… Certains me disent que leur professeur n’est pas toujours assez pédagogue ou passionnant donc ils complètent leurs cours avec des tutos ou des MOOCS, et cela, dès la terminale ou la 1ère parfois.

Dans ce contexte, quelles approches éducatives permettent donc de stimuler la créativité, l’initiative et la prise de risques pour relever les challenges du XXIè siècle ? Quel modèle pour l’école du futur ? Quelles approches pédagogiques privilégier ? Comment développer les talents et les compétences des étudiants ?

D’un côté, ce que permet le digital est génial avec l’apprentissage en ligne que tu peux cibler selon ton besoin, et surtout, quand tu en as besoin. Le comportement est important et il faut en tenir compte.

Pourtant, de l’autre côté, on leur propose des cours magistraux où les étudiants s’ennuient. Ça n’a pas de sens par rapport à ce qu’on souhaite devenir. Surtout, il ne faut pas oublier que tous les professeurs ne sont pas de bons orateurs capables de te captiver pendant 2h. Certains pratiquent de façon exagérée le powerpoint en excluant le rapport avec l’étudiant.

Du coup, la connaissance entre par une oreille et sort de l’autre. Les élèves bachotent pour les partiels, et comme c’est de la mémoire vive, au bout d’une semaine, ils oublient tout.

On apprend mieux par la pratique. Le marketing, ce n’est pas théorique. L’entreprise est une matière vivante, donc il faut évoluer avec elle. Depuis longtemps, je fais faire pas mal de projets à mes élèves.

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Les étudiants sont directement plongés dans la pratique avec une pédagogie par projet poussée par Valérie Dmitrovic. Crédits : Gaming Campus

Par exemple, dans mes expériences précédentes, pas si lointaines, on allait faire des missions export en Inde ou ailleurs à l’étranger, que les élèves pouvaient parfois trouver par eux-mêmes. Ça m’a beaucoup inspiré à faire en sorte que mes étudiants deviennent co-créateurs de leur formation et les rendre heureux d’aller à l’école.

Pour répondre à tous ces enjeux, je trouve que la pédagogie par projet est parfaite. Il faut réduire ce fossé entre d’un côté des pratiques dans le monde de l’éducation qui ne sont pas assez rapides et qui souffrent de l’inertie des systèmes, et de l’autre côté, les comportements des étudiants et les besoins des entreprises, qui recherchent des gens comme vous, qui entreprennent et qui se disent « moi, je veux des contacts, donc je vais apporter de la valeur aux gens en créant un média ». C’est génial comme idée.

Très tôt, j’ai étudié la question de l’intégration d’une pédagogie par projet et j’ai découvert qu’en 2000, l’Université catholique de Louvain a voulu réformer l’enseignement. L’enjeu était de réfléchir, avec l’ensemble des parties prenantes comme les professeurs, l’encadrement et les élèves.

La pédagogie par projet permet de redécouvrir le plaisir d’être tous ensemble, d’apprendre et d’avancer. Elle s’inspire des travaux d’un humaniste du 20ème siècle, comme John Dewey, qui place l’étudiant au centre.

J’ai rédigé un article de 16 pages sur la pédagogie par projet. J’ai modélisé tout ce que j’avais mis en pratique et eu la chance de rencontrer des professionnels formés par l’équipe de l’Université catholique de Louvain. Ils forment, tous les ans, de nombreux étudiants de leur école d’ingénieur avec cette méthode-là.

J’ai pu échanger avec le directeur de l’ISEP Paris également, qui est une école d’ingénieur qui l’a mise en place à partir de 2003, à raison d’une demi-journée par semaine. J’en ai fait de même dans le Groupe Ionis, auprès des 7 campus dont j’étais la Directrice nationale.

J’ai vu que ça marchait, donc j’ai toujours continué dans cette voie. Avec Gaming Campus, j’avais une page blanche. Je l’ai intégré totalement, avec la complicité de mes étudiants.

Je n’y suis pas allé n’importe comment. J’ai leur ai demandé s’ils voulaient 50% d’enseignement traditionnel et 50% en pédagogie par projet et ils m’ont tout de suite répondu qu’ils voulaient y aller à 100%. Ce sont des gamers, ils aiment les défis, et ça c’est génial.

J’ai créé une méthodologie spécifique, un peu différente de ce que l’on voit en école d’ingénieur. Actuellement, je vois mes premiers résultats, et j’en suis fière, mais je vais retravailler encore plus dur avec mes élèves et mon équipe pour améliorer les choses, et aboutir à une « méthode Gaming Campus ».

Pour résumer, sur une semaine, on étudie une matière auquel se greffe un projet. Par exemple, on peut partir sur du marketing digital, ou alors une étude de marché pour France esports, par exemple.

En l’occurrence, notre travail pour France esports a duré 2 semaines, parce que c’était vraiment dense pour les étudiants. Ils n’y connaissaient rien en étude de marché marketing, mais on leur transmet des connaissances, en amont, dans un cahier des charges, on les dirige vers des articles, ils ont le cours du professeur, ils peuvent regarder des tutoriels, suivre un MOOC, etc.

Ils doivent faire preuve d’autonomie, mais aussi d’écoute. Le lundi, ils ont le brief, et ensuite, on les suit tous les jours dans la bonne réalisation du projet. Souvent, je fais des groupes de 3, sinon, certains étudiants ne travaillent pas assez. Entre temps, il y a des séances de coaching pour redonner des connaissances de manière itérative ou corriger la méthodologie de certains groupes. Ça permet aux étudiants d’évoluer plus sereinement.

Pour finir, on est en situation professionnelle de soutenance où tout leur travail est présenté au client. Ensuite, on debrief chaque soutenance pour voir les acquis. Là, c’est simple ! Préalablement, on a listé les compétences à obtenir et les connaissances à maitriser, et on note l’étudiant en fonction de ce qu’il a pu nous montrer, et on avance comme ça.

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Chez Gaming Campus, tout est pensé pour tirer le meilleur des étudiants dans la pédagogie par projet. Crédits : Gaming Campus

Certains compétences, notamment le SEO, sont très larges. Vous faites parfois des rappels ou un accompagnement sur la durée ? L’intervenant est-il accessible pour des questions supplémentaires plusieurs semaines après son cours ?

Absolument, il est accessible tout le temps du suivi pédagogique de l’élève. Souvent, les étudiants gardent contact avec leurs intervenants, du coup, ça leur constitue un super réseau professionnel.

Après, sur le sujet du SEO, effectivement, on peut aller très loin. Sur ce genre de sujet, je commence dès la première année, comme ça, on approfondit les années suivantes.

A l’instar des élèves, j’imagine que le choix des intervenants est, lui aussi, drastique ?

Eh oui, toujours [rires] ! Je veux des professeurs passionnés et reconnus par leurs pairs comme d’excellents professionnels. Ce sont toujours des intervenants en activité, sinon, je considère malheureusement qu’ils sont has been, car le marketing ne s’apprend pas dans les livres et le SEO non plus.

Par exemple, on a travaillé récemment avec Vivien Cauhépé, membre de notre comité de pilotage et Manager Live et Monétisation chez Ubisoft. Il a formé nos étudiants là-dessus pendant 2 semaines. C’est un enseignement que personne n’a eu en France, et il n’existe pas encore de livre sur la monétisation dans le jeu vidéo ou l’esport.

A mon grand regret.

Oui, c’est super intéressant. Mes étudiants de 4ème année ont eu cette belle opportunité. Le cours était complexe, et ils ont beaucoup travaillé, mais en termes de compétences, c’est inestimable.

L’année prochaine, je veux aller encore plus loin sur l’aspect digital marketing du jeu vidéo, et notamment, en retravaillant 2 semaines avec Vivien Cauhépé pour l’aspect monétisation.

Je suis toujours guidée par mes étudiants pour le choix de nos intervenants. Autant, je considère qu’un seul élève peut avoir tort, parce qu’il y a une part de subjectivité quand il s’exprime sur une personne. Par contre, collectivement, ils ont toujours raison quand ils me disent que tel ou tel professeur n’est pas bon. La plupart du temps, je sais que c’est vrai. Ils me listent toujours les intervenants qu’ils apprécient, et ça c’est super, car ils s’investissent à fond sur la pédagogie par projet.

C’est peut-être à double tranchant. Il faut absolument que les élèves soient motivés par le projet sinon, il peut y avoir un désintérêt pour la méthode ?

Je comprends bien la question, mais quand vous suivez un cours classique, vous êtes de toute façon passif, sauf si l’intervenant est à l’aise dans son rôle d’animateur et permet l’interaction.

La formation s’adresse au mental de la personne. Si tu stimules et éveilles l’intérêt de l’étudiant, il a envie d’aller plus loin. Dans un cours classique, ce n’est jamais garanti non plus.

En mode projet, il y a toujours une restitution du travail.

Forcément, dans la pédagogie par projet, certaines disputes peuvent naître. Depuis toutes ces années, je prévoie de minimiser ces phénomènes. J’ai moi-même été formée à la médiation, qui est une méthode d’écoute active pour prévenir et régler les conflits. Sur Gaming Campus, j’ai formé une quinzaine d’étudiants à la médiation pour réguler les conflits. Cela permet de leur offrir une nouvelle compétence en savoir-être et leadership, mais surtout d’assurer une ambiance d’écoute collective au sein des groupes de travail.

Ce n’est pas facile pour les esportif d’ailleurs. Je dois dire que quand ils ont fait l’étude de marché, ils étaient épuisés. Avec la pédagogie par projet, il faut s’investir 30 à 40 heures par semaine, mais eux, ils ont leur pratique esport l’après-midi, avec leur coaching mental, les cours de sports, d’anglais, éventuellement de japonais ou de coréen, donc pour tenir le rythme, il faut s’accrocher.

Je les ai vu souffrir un peu. Après, ça dépend quel projet. Quand nous avons travaillé sur le streaming, c’était moins compliqué que l’étude de marché pour France esports. Ils m’ont dit que c’était génial, mais qu’ils avaient eu du mal à trouver la disponibilité pour s’investir autant que les étudiants de la business school.

Pour améliorer notre suivi, je vais fonder un comité de perfectionnement d’élèves pour l’année prochaine. Ils ont eu des matières liées au business, de la gestion d’entreprise, notamment pour étudier les différentes statuts, comment on crée une auto-entreprise, ils ont eu du marketing, de la communication, des matières techniques, du streaming, de la PAO, du social media… Bientôt, ils vont avoir du media training, des cours d’art oratoire, de la gestion du stress… Je vais leur en mettre pas mal dans les mois qui viennent, et ils deviennent bon là-dedans, donc maintenant, il faut adapter les cours pour eux, que ça corresponde à leur besoin actuel, et c’est là où je dois m’améliorer.

C’est incroyable, car tout ce qui est media training, les réseaux sociaux, la création de contenus, ce sont des éléments primordiaux pour des joueurs esport, à l’instar des joueurs de sports traditionnels. Aujourd’hui, 99% d’entre eux ne savent pas forcément parler devant une caméra, ne comprennent pas l’importance de se créer une communauté, ils ne sont focus que sur le jeu… C’est une marche énorme que vous essayez de franchir, et je trouve ça vraiment positif. J’aimerais aborder l’âge des joueurs que vous intégrez dans l’école. Tout à l’heure, vous me disiez démarrer vers 17-18 ans, parce que ce n’est pas votre métier de les former avant. Un joueur professionnel de football, bien souvent, il commence l’entrainement dès 6 ou 7 ans, et aujourd’hui, il existe des sport études pour les accompagner. Ils terminent leur carrière vers 35 ans, là où un joueur esport passe difficilement le cap des 25 ans. Entre son entrée chez vous, et la fin de sa carrière, il y a donc 7 ans. Ce que vous apportez est génial, mais n’est-ce pas un peu trop tard ? Surtout, envisageriez-vous un jour de créer cet esport études qui serait potentiellement plus intéressant pour l’accompagnement des jeunes joueurs ? Peut-être que les parents ne seraient pas encore aptes à comprendre ce format pour les jeux vidéo ?

France esports travaille sur cette problématique d’esport études. Il y a quelques mois, on a pu en parler avec eux au colloque d’Arles. Ça va voir le jour, je pense, et là ça sera important qu’on se penche dessus.

A la manière du sport, on aura des phases de sélection, des phases de repérage et un encadrement comme avec l’Olympique Lyonnais dans le football. Le club possède un super encadrement, mais il existe un réel maillage français avec l’ensemble des équipes du pays. L’objectif serait plus de repérer ces talents, de les encadrer, de les former pour qu’ils arrivent chez nous en étant encore mieux préparés.

 
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Les joueurs doivent être pris en charge au plus tôt pour développer leur potentiel. France esports et Gaming Campus réfléchissent déjà en ce sens. Crédits : Gaming Campus

Ce maillage avec les clubs est important. Devenir joueur esport professionnel est difficile, surtout dans des équipes établies uniquement en France.

Nos étudiants peuvent rejoindre des équipes internationales, d’où l’importance des cours d’anglais.

Mais si on s’arrête au marché français, le nombre d’équipes réellement professionnelles se compte sur les doigts d’une main. Il y a GamersOrigin ou encore Team Vitality, mais pour les autres, ça reste limité. Hormis Vitality, vous arrivez à créer des relations avec des équipes professionnelles françaises ou ce n’est pas une approche que vous visez car vous êtes déjà tournés vers l’international ?

On a choisi Team Vitality comme partenaire français. L’étape suivante sera sûrement d’aller voir un partenaire européen.

On a créé l’école il y a quasiment un an, jour pour jour. On avance rapidement. Tout en étant concentré sur la qualité de l’enseignement, on souhaite clairement aller à l’international, tout simplement car le secteur l’oblige. Nous n’avons pas encore tracé l’ensemble de notre feuille de route, mais on s’y dirige.

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Si l’un de vos joueurs est recruté dans une équipe américaine, par exemple, il est libre de partir ?

Bien sûr ! Si au bout d’un an, il intègre une belle équipe, c’est super, on a gagné. C’est notre objectif premier.

On a parlé énormément de l’aspect esportif, mais la certification entrepreneur influenceur a également attiré mon attention. Entreprendre, pour moi, c’est plus une question de motivation personnelle. Tout comme le mot influenceur peut donner envie, car souvent, on associe leur activité à quelque chose d’incroyable. Ce qui est le cas, mais on omet souvent le travail qu’il y a derrière. Hormis l’aspect opérationnel, qui concerne la création de contenu, comment vous les accompagnez sur l’aspect mental chez Gaming Campus ? Sur votre site, vous citez Gotaga, Domingo, Zerator ou encore Bruce Grannec. Ces personnes-là ont réussi à avoir ce statut d’influenceur sur plusieurs années, parfois même malgré elles. C’est un long processus pour se créer une communauté. Comment vous comptez former, en 2 ans, des personnes capables de le devenir aussi ? 

Ce sont des étudiants délicats à recruter, c’est vrai. On va leur donner des clés pendant 2 ans, on va les accompagner, les coacher aussi, pour voir comment ils évoluent sur leur stream ou leur chaine YouTube.

Après, les élèves recrutés le savent bien, pour réussir, il va falloir beaucoup travailler, et cela durant de nombreuses années. Nous ne garantissons pas l’impossible, seulement, par notre accompagnement, on sait qu’on peut créer de belles histoires.

Simplement, il ne faut pas oublier de leur dire qu’ils peuvent streamer pendant 5 ans sans que rien n’arrive. On est transparent avec eux, et on essaie de leur remettre les pieds sur terre.

On a reçu Julien Chièze à la rentrée, sur une masterclass « YouTuber, mythe et réalité », car on sait que certains créateurs de contenus dépriment et ne réussissent pas, donc, il faut aussi le dire pour les préparer au mieux.

C’est intéressant, car on voit rarement ce qu’il se passe derrière la caméra. Je sais que Julien Chièze sort beaucoup de contenus, et même si on peut ne pas être fan de tout ce qu’il fait, il faut dire qu’il ne s’arrête pas et travaille beaucoup. C’est un discours qu’on retrouve chez beaucoup de YouTubers. Pourtant, on sait que le discours fait rêver, et c’est d’ailleurs pour ça qu’on retrouve des livres de 100 pages qui promettent de livrer les secrets pour devenir un influenceur en expliquant rien de plus que ce que l’on pourrait trouver en une ou deux recherches sur Google. Il y a énormément de personnes attirées par des recettes toutes faites. Comment vous distinguez ces personnes-là lors de la sélection chez Gaming Campus ?

On ne prend pas des étudiants qui nous disent « moi, j’ai envie de devenir » et qui n’a encore rien fait pour l’instant. Tout comme on ne prend pas d’élèves dans notre master management esport, parce que les jeux vidéo, « c’est cool ».

On recrute des personnes impliquées, qui ont déjà streamé ou qui possèdent une chaine YouTube. Idéalement, il faudrait même une certaine audience de départ. Ensuite, on leur demande de nous présenter une vidéo résumant leur travaux, leur angle, leur style, leur positionnement…

On leur demande aussi ce qu’ils veulent apporter, leur culture, leurs points forts, etc. Sont-ils des spécialistes du Japon ? Ont-ils une passion pour les jeux d’horreurs ? Ça peut être un positionnement marketing. Ensuite, on peut les aider pour affiner tout ça.

Une fois qu’on a cette vidéo, on est aidé par Talent Web, qui nous conseille et nous oriente vers ceux qui ont le plus de talent à développer.

Mais avant tout, il faut vraiment qu’il y ait une envie de l’élève. J’ai une anecdote à ce sujet. L’année dernière, j’avais une étudiante qui s’appelait Elise. Quand je l’ai reçue, clairement, ça se sentait que c’était son truc. Elle était vraiment douée et faite pour ça.

J’ai tenté de la dissuader pour voir à quel point elle était motivée. Je l’orientais sur la Business School en lui disant que c’était moins risqué, et qu’en se dirigeant vers la certification influenceur, ça pouvait ne jamais marcher. Elle est revenue tout de suite en me disant « c’est ça ou rien ».

Après, c’est comme un Julien Chièze, tu peux être bon dans ce que tu fais, mais il faut travailler comme un acharné derrière. On leur donne les clés, et le reste leur appartient. C’est comme les joueurs esport, on ne peut pas garantir qu’ils tiendront mentalement. On fait tous les tests qu’il faut, mais derrière, il y a un facteur humain et chance qu’on ne peut pas toujours prévoir.

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Malgré un accompagnement profondément réfléchi, l’étudiant est maître de son investissement et de sa réussite. Crédits : Gaming Campus

Même si je commence à comprendre pourquoi, pouvez-vous me dire comment s’est faite la connexion entre Gaming Campus et tous ces professionnels du milieu comme Guillaume Rambourg, General Manager France de Riot Games ou encore Nicolas Besombes, chercheur dans le milieu de l’esport ?

Thierry Debarnot et moi avons rencontré beaucoup de professionnels du secteur. On leur a présenté le projet, et je pense qu’il a convaincu par sa cohérence.

Nous avons dressé tous les besoins du secteur pour viser juste. Thierry a aussi fait ses armes en créant DigiSchool. Il a une légitimité d’entrepreneur talentueux qui réussit. Il a su s’entourer. De mon côté, je pense que ma légitimité dans l’enseignement a rassuré nos partenaires.

Quand j’ai rencontré Guillaume Rambourg, nous avons discuté des programmes. Je lui ai expliqué ce que je souhaitais, mais je l’ai également écouté, et ça lui a plu. On a gardé de bonnes relations, ce qui me permet d’avancer avec eux régulièrement.

J’écoute chaque professionnel. Quand je discute avec la directrice d’Ubisoft Annecy et qu’elle me dit que les étudiants doivent être formés sur Jira, on prend acte et on forme nos étudiants sur cet outil.

Ça permet de respecter cette phrase que vous mettez en avant sur le site « rester en phase avec les recruteurs ».

Bien sûr. On forme nos élèves au marketing digital, et il n’y a pas plus nouveau. Si on intègre des intervenants qui font du marketing « à la papa », c’est une erreur de recrutement de notre part.

Tout à l’heure, vous disiez que le marketing, ça ne s’apprend pas dans les livres. Personnellement, lire beaucoup me permettait d’être en avance sur mes cours, qui étaient, pour le coup, plus théoriques dans mon école de commerce.

Oui ! Ce que je voulais dire, c’est que le marketing est une pratique en entreprise. A partir du moment où les livres sont écrits pas des professionnels en activité, ils sont bons, mais il faut pouvoir les mettre en pratique avec les problématiques actuelles.

Mais les livres, c’est précieux. C’est de la connaissance, et c’est indispensable.

Ça fait du bien de voir que l’école est difficilement questionnable sur des points sensibles comme le choix des élèves ou des intervenants. On rentre dans une période où le mot éducation et esport collés ensemble fait peur. Aujourd’hui, Gaming Campus est une belle réponse à ce besoin de formation. Et comme vous le disiez, vous souhaitez créer un écosystème complet, et en ce sens, vous avez récemment créé un incubateur dédié à la monétisation de l’esport en France. Cela favorise la création de projet, soutien l’emploi et c’est hyper malin pour l’école. Pourriez-vous revenir sur ce projet ?

C’est encore tout frais. Nous avons ouverts les candidatures à partir du 4 avril et recevons tout juste les premiers dossiers. Nous allons formaliser tout ça idéalement au mois de mai. On attend également que H7 soit inauguré, donc c’est un peu prématuré de vous répondre.

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G3, un incubateur de projets lancé par Gaming Campus. Crédits : Gaming Campus

En revanche, hier, j’ai reçu une première porteuse de projet extrêmement passionnante. Elle rentre dans notre école l’année prochaine et faisait des études de design.

C’est une gameuse, et ce qui lui tient à cœur de montrer par le jeu, c’est qu’on peut créer des « game changers ». L’objectif étant de lancer des initiatives pour changer le monde. Elle a réalisé un premier mémoire là-dessus et demain, elle s’associe à quelqu’un qui travaille dans le domaine de l’esport et qui, localement, en région parisienne, va à la rencontre de jeunes en décrochage scolaire.

Sur le terrain, et par l’esport et le jeu vidéo, il amène ces jeunes à formaliser un projet d’éducation et de vie. Ils en ont emmené quelques-uns à la Paris Games Week 2018 et l’un d’entre eux a gagné une compétition esport. Je trouve l’histoire fantastique.

Ça pourrait être un premier projet que l’on pourrait incuber. Ce qui m’intéresse ici, c’est qu’on touche un sujet majeur. On montre que le gamer, ce n’est pas un soi-disant « geek » qui ne bouge pas de chez lui.

Elle a d’autres exemples, mais dont je ne peux pas trop parler, car c’est bien évidemment confidentiel. Tout ce que je peux dire, c’est qu’elle a actuellement 21 initiatives d’hommes et de femmes qui œuvrent pour faire quelque chose de bien dans le monde. C’est génial !

Après, je dirais qu’on va favoriser tous les projets esport qui correspondent aux besoins du secteur et soutiennent la croissance. On se concentre sur l’amélioration de l’expérience spectateur, celle de la performance des joueurs, mais aussi la manière dont on peut développer la monétisation de l’audience.

Ces trois aspects rejoignent notamment ce qui a été repéré par Mathieu Dallon et Trust esport à travers son fond d’investissement.

Les candidats seront des étudiants bien sûr, soit de Gaming Campus, soit d’autres écoles. Tous mes étudiants de 4ème année ont dû créer une entreprise innovante dans le master management esport. Ils se feront incuber l’année prochaine, par exemple.

C’est extra ! Que peut-on vous souhaitez a vous et Gaming Campus pour la suite ?

Beaucoup de succès pour nos étudiants, c’est le plus important. C’est court, mais il n’y a que ça qui compte [rires].

C’est un très beau mot de fin ! Merci à vous.

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Mon interview avec Valérie Dmitrovic touche à sa fin.

A coup sûr, la création de Gaming Campus et son encadrement permet à l’esport de franchir une étape dans sa professionnalisation.

Avant de terminer votre lecture, voici les 8 leçons que vous devez emporter avec vous :

  • Envisager la création d’un établissement d’enseignement supérieur, ça ne s’improvise pas comme l’indique Valérie Dmitrovic, et surtout dans l’esport où les problématiques sont nouvelles.
  • La vision de Gaming Campus sur la sélection des étudiants est rassurante pour la construction de l’esport. Elle permet d’offrir exclusivement des profils pertinents pour les besoins des acteurs du milieu.
  • Valérie Dmitrovic et Gaming Campus semblent avoir trouvé l’approche idéale pour s’entourer des meilleurs professionnels. Une adhésion générale qui propulse l’établissement comme référence sur l’éducation dans l’esport.
  • La démarche de job cap établi par Gaming Campus est un signal intéressant pour optimiser les débouchés. L’école est à l’écoute de l’évolution du marché et souhaite l’accompagner (plutôt que de la forcer, quitte à en laisser plus d’un sur le bas-côté du chemin).
  • La pédagogie par projet fût un sujet longuement abordé lors de cette interview. Nul doute que cela permet aux étudiants d’appréhender plus aisément l’esport et le jeu vidéo par la pratique. Au même titre, cela offre certainement une interactivité plus spontanée entre intervenants et élèves et permet de nourrir un réseau si important dans ce milieu.
  • Tout comme les étudiants, les professeurs sont, eux aussi, sélectionnés drastiquement par Gaming Campus. En analysant, en quelques clics, leur site internet, on peut se rendre compte que les professionnels approchés permettent d’assurer un suivi pertinent et adéquat aux besoins des entreprises.
  • Plus structurellement, il semble que le maillage de l’écosystème, que l’on retrouve dans le football, par exemple, soit difficile à reproduire à l’échelle française dans l’esport. Les équipes étant encore trop peu nombreuses à vêtir réellement un statut professionnel. Cependant, Gaming Campus semble avoir des projets à l’international, et après Vitality, peut-être qu’ils se tourneront vers un club du même acabit pour s’implanter dans un pays étranger. Wait and see.
  • Enfin, Valérie Dmitrovic met l’accent sur l’innovation et l’entrepreneuriat. A ce titre, l’incubateur G3 vient de voir le jour permettant ainsi d’aider de nombreux étudiants à se lancer dans le grand bain de la création d’entreprise. Une excellente initiative permettant de créer un environnement complet autour de Gaming Campus.

Et vous, quel est votre avis sur le projet de Gaming Campus, mais aussi sur l’arrivée majeure des écoles dans l’esport ? Bonne initiative ou vraiment trop tôt ?

Merci à tous les vaillants lecteurs arrivés jusqu’ici.

N’hésitez pas à partager cette interview sur les réseaux sociaux ! Cela nous aide profondément (et me fait extrêmement plaisir).

Vous pouvez suivre Gaming Campus sur Twitter, mais aussi Valérie Dmitrovic !

Quant à nous, on se retrouve sur Twitter également ou notre Discord !

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