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Manager esport : Focus sur le métier avec Fabien Bacquet de Gentside !

Par Alexandre Hellin
Fabien-Bacquet-Manager-esport

Vous savez ce que je crois ? Aucune équipe ne peut devenir performante sans un bon manager esport. Je le considère aujourd’hui comme le rouage le plus important du système.

Mais à quoi sert-il exactement ? En quoi est-il indispensable dans la vie des joueurs ?

Ce sont des questions réelles car il existe peu d’informations sur le métier. Rarement mis en valeur (à tort), ces managers sont aujourd’hui de plus en plus nombreux à se professionnaliser. Il devient au fil du temps crédible de rêver vivre cette expérience un jour.

Pourtant, je suis sûr que ça reste vague pour la plupart d’entre vous. De l’extérieur, il est très compliqué de s’imaginer leurs quotidiens, leurs doutes, leurs craintes ou encore leurs utilités.

C’est exactement pour ça que j’ai décidé de partir à la rencontre de Fabien Bacquet, manager esport (mais pas que), chez Gentside.

Pourquoi ce choix ? Tout simplement car son équipe League of Legends réalise depuis de nombreux mois, un parcours ahurissant et inattendu sur la scène française. Il n’y est pas étranger. Il me semblait donc intéressant de faire le point, avec lui, sur sa fonction de manager esport au sein de la structure.

Si vous voulez en savoir plus sur le métier ou mûrir votre envie d’en faire le vôtre un jour, cette interview peut vous apporter de précieuses réponses.

C’est parti !

Fabien-Bacquet-Manager-esport-Gentside

Crédits : Gentside esport club

Peux-tu commencer par te présenter pour les lecteurs qui ne te connaitraient pas ?

Je m’appelle Fabien Bacquet, je travaille chez Gentside depuis 3 ans. J’ai pris en main la rédaction gaming lorsque je suis arrivé. Au fur et à mesure, nos stratégies d’entreprise média se sont tournées vers de la transformation pour aller plus loin que le rôle initial de simple média. A la vue de ce qui fonctionnait et aimant l’esport profondément, on s’y est tourné petit à petit. On était témoin de l’esport mais on a voulu devenir acteur. On a donc entamé ce chemin à partir de fin 2016 début 2017.

Avant ça, j’ai pas mal bossé en agence de communication digitale pour plein d’annonceurs. J’avais toujours cette casquette de spécialiste gaming et esport, alors qu’on était entre 2012 et 2015. C’était encore très balbutiant à l’époque, mais je faisais valoir cette casquette car, avant ça, j’ai fait pas mal de stages. J’étais pigiste dans beaucoup de rédactions en France : Jeuxvideo.fr, Millenium comme beaucoup de gens, j’ai beaucoup bossé au journal du Geek et journal du Gamer aussi et à jeux vidéo pc…

J’ai tenté des études de journalisme puis je suis passé du côté du marketing digital. Comme beaucoup au début, quand j’ai quitté le lycée, je me suis rendu compte que ce qui me plaisait était de créer des projets. Dans mon parcours esport, avant Gentside, j’ai bossé très brièvement au début de Bang Bang Management. Ça a été mon premier vrai pas professionnel dans l’esport, mais j’ai toujours été un attentif et un amateur. En tout cas, j’étais plus qu’un spectateur. Je m’intéresse beaucoup à la partie business, la gestion de projet et tout ce qui se crée autour de l’esport.

L’article va revenir sur la manière de devenir manager esport mais aussi de son quotidien et ses défis. Tu es revenu idéalement sur ton parcours mais, comment s’est passée la transition pour toi entre l’avant et l’après cette fonction ? Quels sont tes motivations et tes doutes ?

Je ne suis pas vraiment manager esport. Mon rôle est plutôt « directeur du pôle esport » de Cerise média, qui détient Gentside. Je dirige et pilote toute l’activité esport du groupe. Celle-ci est représentée à 90% par le club pro, mais dans ce même club, y’a une grande partie média. C’est notre avantage, à la différence d’autres clubs. On a des synergies. On produit et diffuse du contenu. Mon rôle principal est de piloter toute cette stratégie.

Oui, il y a le compétitif, mais aussi la partie média, production, communication et évidemment business. Je pilote tout ça avec l’équipe en place, qui se développe petit à petit. Aujourd’hui, pour autant, sur la partie compétitive de nos équipes, je manage les joueurs parce que j’ai envie de le faire, c’est mon plaisir. Je suis très compétitif, j’ai toujours fait beaucoup de sport. Si j’avais le quart de la moitié de leur talent, je me serais donné corps et âme dans le compétitif, mais je ne suis qu’un joueur lambda qui n’aura jamais le talent qu’ils ont.

Sur la partie compétitive, on est en train de structurer les équipes. J’avais une vision assez particulière par rapport à ce qui se faisait traditionnellement en France. Je voulais avancer étape par étape, donc c’était logique pour moi de prendre cette casquette. Par contre, je ne prends jamais celle de coach, de ce point de vue, je ne leur ai jamais rien apporté, mais l’encadrement pour les joueurs esport est plus important que la partie purement coaching à mon sens au départ.

Intéressant ! Tu as plusieurs casquettes, tu ne pourras pas m’apporter une réponse claire et limpide, mais aujourd’hui, quel est ton quotidien ? Quels sont tes rapports avec le staff et comment ils se construisent ?

Au quotidien, je pilote. Le premier truc que je fais, c’est gérer le flux d’information et sa descente. Je crée le chemin pour qu’on réussisse dans tous nos projets en cours. Il faut être tout le temps avec les équipes, gérer la partie business, tout ce que je t’ai dit en fait. Je définis une to do list et ce qu’on doit faire pour mener à bien les projets.

Ensuite, j’aide les joueurs sur leurs besoins, leurs doutes, leurs questionnements, leurs problèmes divers et variés sur lesquels on peut les aider avec Gentside. Je jongle avec beaucoup de rendez-vous business évidemment, mais aussi avec différents acteurs comme des joueurs, le coach de telle ou telle équipe ou encore répondre aux questions des collègues du groupe qui s’intéressent à l’esport en interne. Être un VRP de l’esport au sein de notre groupe aussi, c’est important pour faire rayonner notre projet.

Tu parlais d’accompagner les joueurs dans leur quotidien, leurs doutes, etc. Que doit apporter obligatoirement un manager esport selon toi ?

En fait, on est encore un milieu très jeune et qui souffre de la comparaison avec le sport, qu’on s’est donné aussi des fois. On a des synergies évidentes avec le sport, on va le dire crûment, faut pas péter plus haut que son cul.

Aujourd’hui, Gentside a deux équipes. On est sur League of Legends et Fortnite, pour des raisons très précises de stratégie et de positionnement. La priorité, c’est ton équipe et les joueurs. La vision que j’ai du management, c’est un gros travail sur le collectif.

Tiens, on tourne autour du hashtag #gentsquad. C’est un effet de communication, mais aussi et surtout un état d’esprit. On structure tout autour de ça. Tu fais partie d’une entité qui a un but collectif, et donc les joueurs que je recrute, ce sont des joueurs talentueux certes, mais qui veulent réussir en équipe. Ce n’est pas que je ne veux pas, mais par exemple, je ne recruterai pas un grand nom qui tirerait toute la couverture sur lui. Le tout, c’est d’être un talent individuel mais au service du collectif.

Sur League Of Legends, c’est en train de changer, on a atteint un certain niveau de maturité. On a travaillé sur cette base donc maintenant on passe à la vitesse supérieure. On n’avait pas de coach, mais ça va changer. Il y avait plein de gens qui pouvaient se dire « il leur faut un coach ». Même certains de nos joueurs le demandaient. Avant ça, y’a plein de choses à travailler : l’état d’esprit, la façon de travailler au quotidien, l’aspect mental.

Le premier truc que je fais, c’est gommer l’égo. On discute beaucoup. C’est très chronophage mais les règles sont simples. On met tous notre égo de côté sur deux bords. Déjà, quand je dis quelque chose, je ne le dis pas pour faire mal ou pour avoir raison. Aussi, ça évite la susceptibilité. On parle pour le collectif et ça aide l’équipe. Une fois que tu réussis là-dessus, tu peux enfin avoir un coach. C’est notre cas et on va en avoir un pour les prochaines étapes de LoL Open Tour. On a enfin cette maturité. Ça a fait ses preuves !

Au-delà du fait qu’on ait choisi de ne pas avoir de Gaming House pour travailler en bootcamp, attention, je ne dis pas que c’est la meilleure solution, mais aujourd’hui, ça a fonctionné pour nous. On était une équipe inattendue et pourtant on est la 2e équipe au LoL Open Tour. On a fait de grosses performances. On est la seule équipe à faire 3 finales sur 4 évents, on en a remporté 1. On a aussi fait des finales historiques, contre LDLC notamment. La dernière finale on la perd sur un reverse sweep de Gamers Origin. Auprès des joueurs, c’est compliqué à leur faire entendre au début, mais au fur et à mesure, tu gagnes la confiance, et ça c’est très important. Mon rôle est aussi d’avoir la confiance de mes gars, car si je ne l’ai pas, rien ne fonctionne.

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Je comprends mieux les bons résultats de Gentside (rire).

Les gars sont bons aussi (rire) !

Fabien-Bacquet-Dreamhack-Tours

Fabien Bacquet ne s’arrête jamais, même quand la Dreamhack Tours s’assagit.

Super ! Prochaine question, j’imagine que oui en tant que manager esport, mais as-tu un mot à dire sur le choix des joueurs et si oui, quel est le processus de recrutement ? Comment tu les trouves ? A quel moment tu te dis, celui-là, c’est le bon ?

Euh… Alors oui, c’est moi qui fais le choix des joueurs aujourd’hui. Gentside esport club est un beau projet dans une belle boite dans un grand groupe qui est Prisma média. On met les moyens qu’il faut pour avancer étape par étape. Si on doit parler de la structure, on n’est pas 20 ou 40. Le pôle esport est composé de 9 joueurs professionnels et 6 personnes qui travaillent pour le pôle esport comprenant tous les composants dont je t’ai parlé précédemment.

Je gère la partie compétitive parce que je pense que c’est possible de le faire mais plus on avance, plus il y a besoin de monde. C’est moi qui aie recruté tous les joueurs jusqu’ici. Y’a un scooting à faire, il faut connaitre le jeu et ses enjeux. Pour autant, Fortnite, j’ai recruté l’équipe alors que j’ai 3h dans les pattes. Bien sûr, j’ai regardé des dizaines d’heures sur Twitch, mais je suis incapable de tenir une discussion technique même sur LoL d’ailleurs. Pourtant ça fait 10 ans que j’y joue, mais je suis un gold ou silver tout naze.

Je pense que tu as une composante liée à des profils et aujourd’hui, moi, ce que je cherche, ce sont ceux qui correspondent à notre état d’esprit. Oui le niveau de jeu rentre en compte mais je suis capable de repérer quelqu’un qui joue bien ou pas.

Après, je m’appuie sur un noyau de joueur. Pour te donner un exemple concret, Gentside a eu un gros changement dans l’équipe LOL juste avant la Dreamhack Tours. On s’est séparé avec Trayton et Murmel. On aurait voulu continuer avec eux, mais finalement c’était très compliqué. Donc il fallait recruter des joueurs dans un temps restreint. Le noyau que j’avais à ce moment-là, composé de Xani, Saken et Brosak, on a beaucoup discuté. On s’est demandé quel type de joueur on voulait voir. Et après, je regarde les profils en allant scoot des personnes. Ça peut aller d’une recherche sur Twitter pour voir leurs manières de communiquer, une visite sur OP GG pour les infos importantes et idem pour Fortnite. Ça fonctionne pareil. Après, si je le sens, je me renseigne par le réseau, je pose des questions et après je rencontre la personne. Je vais discuter longuement avec elle. J’abreuve de questions les candidats pour voir comment ils réagissent et repérer si certains ont cette curiosité que je recherche ou quelque chose comme ça… En fait, je ne veux pas un mercenaire, je cherche quelqu’un qui va être attiré par le discours. Après, c’est du feeling. « Est-ce que je sens cette personne ou pas ? » « Va-t-elle correspondre ? » « Va-t-elle réussir à s’intégrer ? »

Romain Bigeard avait dit quelque chose d’intéressant. D’ailleurs, je suis complètement d’accord et inconsciemment, c’était quelque chose que je faisais déjà quand je construisais une équipe. Je construis la base, je passe par un « ok je veux bosser avec cette personne ». Ensuite, si tu dois avoir 5 joueurs, on va commencer par en chercher un deuxième, puis un troisième etc. L’idée, c’est de ne pas aller chercher un roster déjà tout fait. Des fois, pourquoi pas, ça peut marcher. Mais je préfère plutôt créer un noyau dur et ensuite y ajouter les ingrédients.

C’est ce qu’on fait aussi avec le coach. J’ai ma base de joueurs, je veux bosser avec eux, et hop, on ajoute un coach. Fortnite, c’est pareil. On a déjà changé un joueur car le noyau fonctionnait mais pas forcément avec lui. Après, la confiance, c’est important. Je connais mes joueurs, ils me connaissent aussi, on a une sorte de pacte. S’ils se tuent à la tâche et qu’ils se donnent à fond, peu importe les résultats, on va faire pareil. L’inverse est vrai. Si on se donne, ils doivent se donner. On avance comme ça sur la confiance. J’ai déjà eu dans l’histoire de Gentside, un joueur qui m’a dit « Écoute Fabien, j’te fais confiance, fais-moi confiance là-dessus, je veux faire ça pour faire avancer l’équipe ! Tu me fais confiance ? » J’ai dit oui bien sûr !

Ce joueur, c’était Xani au moment où on devait reconstruire l’équipe. On n’avait jamais rien gagné, et après ça, on gagne la qualifier de la DH et on gagne la DH derrière, donc voilà… ça fonctionne comme ça, après, il y a aussi une part de chance. Ce n’est pas lié sur des critères extrêmement précis. Un moment tu le sens. La chance, ça se provoque.

Comment tu t’organises au quotidien avec les joueurs ? Quel est leur rythme d’entrainement et comment tu gères le planning ?

Sur LOL et Fortnite, c’est différent déjà. Les jeux n’ont pas la même maturité. Sur Fortnite, c’est plus tranquille. On est en train de les cadrer beaucoup plus car ils vont en avoir besoin. Les joueurs sont jeunes, ils vont jouer au jeu quoiqu’il arrive. 3 d’entre eux sont encore en étude, donc c’est la priorité. Cependant, ils jouent tous les soirs en compétition. Tu n’as pas autre chose à faire.

Sur LoL, tout le monde parle de Gaming House, alors que plus personne ne va en faire. Nous, depuis le début, on y croit pas et on ne le fait pas. Les joueurs s’entrainent de chez eux. 10 jours avant une compétition, on va faire un bootcamp et voilà. Quand ils sont chez eux, y a un planning, on a un document, on travaille beaucoup dessus.

Les joueurs se lèvent à une certaine heure. A 11h, ils commencent par de la SoloQ. On vérifie toujours leur historique pour voir les résultats. A 13h, ils vont manger. De 14h à 15h, on a un talk tous ensemble sur discord pour parler de la meta et de l’entrainement du jour. Ensuite de 15h à 20h, ils s’entrainent en équipe, ensuite ils vont manger et on peut se faire une phase théorique. Sinon, ils repartent en soloQ. Tout ça nous amène à une dizaine d’heures par jour.

Brosak-Gentsquad

Les joueurs Gentside s’entraînent dur pour obtenir leurs résultats. Crédits : Gentside / Brosak

Un rythme plutôt classique comme on le connait mais tout de même assez fort. Tu es en contact régulièrement avec tes joueurs, souvent très jeunes. J’aimerais que tu me parles du genre d’obstacles que tu peux rencontrer en tant que manager esport ? Je pense que c’est quelque chose qu’on n’évoque pas assez dans la vie quotidienne des joueurs dans l’esport mais qui me semble important d’expliquer.

De notre côté, je touche du bois, on n’a jamais eu de très gros problèmes avec des joueurs. On a déjà eu plein de fois de longues discussions où on ne tombait pas d’accord mais sinon, jamais. Notre travail repose sur l’écoute et l’égo, donc ça évite pas mal de soucis que tu as par rapport à un joueur.

Au quotidien, ils peuvent avoir une baisse de motivation. La complication quand tu as une équipe, c’est trouver des challenges et ne pas rentrer dans une routine. T’as la baisse de motivation mais aussi la baisse de confiance. Je déteste la soloQ à cause de ça. C’est un très mauvais entrainement à mon sens. Ils se mettent dans un mauvais état d’esprit s’ils perdent. Ils peuvent consciemment ou inconsciemment se sentir moins bon parce qu’ils n’étaient pas performants à ce moment-là, et ça se ressent en équipe. C’est comme si un mec va aller s’entrainer seul au basket et qu’il ne rentre pas un seul panier. Quand il arrive avec son équipe, il a l’impression d’être mauvais alors qu’il existe plein d’autres enjeux à respecter comme les déplacements d’équipes, les stratégies mises en place qui font de toi un bon joueur.

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Par rapport aux parents, je suis en contact avec eux. Pas énormément, mais c’est un des premiers trucs que je dis aux joueurs, « je veux rencontrer vos parents ». Je leur explique ce qui va se passer. Quand t’es un joueur professionnel sur League Of Legends, c’est accepté par les familles généralement. Au besoin, on en discute. Certains parents, je les connais plutôt bien, on traite par mail et ils viennent voir leur enfant en LAN. Je n’ai jamais eu de soucis particuliers avec eux.

Tu l’as évoqué tout à l’heure et j’ai trouvé ça hyper intéressant, quand tu recrutais des joueurs, tu regardais la façon dont ils communiquaient sur les réseaux sociaux ! J’ai écrit un article sur le sujet car, généralement, les joueurs n’ont pas le recul nécessaire pour être irréprochable sur leur image ou celle de leur équipe. Tu fais une sensibilisation particulière à tes joueurs en tant que manager esport sur ces problématiques ou finalement, ils font comme ils veulent ?

C’est un enjeu que j’aimerais bien avoir, car c’est important pour nous aussi sur le point de vue communication et business. Ils sont représentants de nos valeurs et de ce qu’on est.

Pourtant, je ne le fais pas assez. J’aimerais les former un peu plus là-dessus, qu’on puisse discuter afin de leur apporter un peu plus d’expérience. Pour ça déjà, je fais en sorte qu’ils participent à des workshops quand on a des bootcamp. On est toujours enfermé sur notre entrainement. Je pense qu’il faut qu’on s’ouvre, que untel qui a coach telle équipe vienne nous parler de son expérience. Ça permet d’avoir un moment d’échange, de discuter avec d’autres joueurs dans d’autres équipes. Ne pas s’enfermer sur nous, c’est important.

Après sur le fait que je regarde les réseaux sociaux pour recruter les joueurs, ce n’est pas forcément sur la façon dont ils communiquent mais disons que c’est représentatif de ce que peut être une personne. Un mec comme Saken, notre midlaner, le gars a un compte, il ne tweet jamais, et quand il le fait, ce sont des vannes avec ses potes. Ça retranscrit sa personnalité je-m’en-foutiste, il est là pour jouer et pas pour le bling bling. C’est quelqu’un avec qui tu vas avoir du mal à communiquer et qui va mettre du temps à répondre. A l’inverse, un Trayton, il veut gérer son image, il veut apprendre là-dessus, il essaie de se développer… Puis la façon dont ils écrivent, ça veut dire beaucoup aussi. Tu vois, j’ai eu des joueurs PUBG qu’on a arrêtés, c’était complètement différent. Les joueurs étaient plus âgés mais je voyais aussi que c’était des gens plus ouverts, beaucoup moins focus 100% esport et qui faisaient pleins de trucs à côté. La façon dont tu communiques, c’est un échantillon de ce que tu es. Ça peut te donner un début d’idée, après tu n’en fais pas forcément un profil complet.

Plus globalement sur cette fonction de manager esport, tu as une pression du résultat ? Comment tu gères ce stress au quotidien ? Aujourd’hui Gentside, c’est un projet profond avec de vraies valeurs, mais l’équipe esport, c’est une vitrine de communication pour le média. Quand tu as lancé le projet compétitif, y’a eu cette notion de résultat ? Te disais-tu « si ça ne marche pas, on arrête car on perd trop d’argent » ou finalement peu importe le résultat, vous n’avez pas de grosses attentes ?

Y’a aucune pression du résultat chez nous. En fait, quand on crée le club, on l’annonce sans partenaire exprès. C’est aussi l’idée de dire, on le fait car c’est une logique, ça repose sur l’aspect compétitif mais avec la création de contenu, on y trouve notre compte, on reste un média. Si tu crées un club et que tu bases ton club seulement sur le résultat, bonne chance. Il y en a qui le font, je pense que c’est une très mauvaise stratégie, tu dois être stressé au quotidien.

Dans une moindre mesure, les deux seules équipes qui font ça, c’est Gamers Origin et Vitality non ?

Alors, Gamers Origin oui, je suis d’accord avec toi, c’est très certainement lié à leurs résultats, mais ils font plein d’autres choses à côté. De la production, des campagnes en marque blanche etc.

Vitality, eux, ils ont développé une vraie marque, un vrai storytelling. Ta rentabilité aujourd’hui en tant que club esport, elle est basée sur ta visibilité. Oui, tu peux dire je suis numéro 1 ou numéro 2, plus tu gagnes, plus t’es visible, mais tu as plein d’autres moyens comme créer du contenu, avoir une belle com, connaitre ta cible, la développer et la faire grandir.

Sur ta question initiale, il n’y a aucune pression du résultat. Enfin oui, il faut qu’on soit présent, si on avait une équipe top 7 en France, y aurait un vrai problème. Avec les moyens qu’on met et les joueurs qu’on a, ce n’est pas arrogant de le dire, mais c’est facile de l’être, l’inverse serait compliqué.

Il n’y a pas d’objectifs chiffrés de placement, c’est plus les joueurs ça. On n’a jamais dit qu’on voulait être premier en France, évidemment, quand on est en compétition, je suis fou, j’hurle dans tous les sens, je suis concentré, on a toute une préparation là-dessus pour gagner, mais aucune épée de Damoclès. Je ne virerai jamais une équipe car elle a de mauvais résultats. Enfin, au-delà du catastrophique. Ce n’est pas parce qu’ils sont 4es au lieu de 1er que ça change quelque chose. J’attends plus une notion de progression.

L’objectif final, c’est d’être un acteur référent en France. Ça veut dire être cité parmi les acteurs importants, après, je n’ai pas volonté, et on n’a pas volonté à dire, « on va être les numéros 1, champion du monde ou d’Europe », ce n’est pas l’objectif. La culture du résultat est importante mais ce qui est important c’est la culture de l’effort, d’avancer, d’avoir un projet qui avance et après si au bout de ça tu es le champion, bah génial, tant mieux. Ce qui compte le plus pour moi, c’est d’avancer avec l’équipe.

Plus globalement, et surtout pour les personnes qui aimeraient devenir manager esport et qui aimeraient se lancer là-dessus, tu as une vague idée du nombre de managers qui arrivent à en vivre en France et surtout est-ce que c’est possible d’en faire un focus métier ? Potentiellement, je veux me lancer, je peux y arriver, ou c’est vraiment trop compliqué et hormis les 5-6 meilleures équipes françaises, c’est trop complexe ?

On parle que de la France ?

Oui

Donc on parle de nous, Gamers Origin, LDLC tout ça… En fait, le problème c’est que tu as autant de clubs différents que de définition du manager. Moi aujourd’hui, je manage les équipes car je veux le faire, peut-être que dans un ou deux ans, je ne le serai plus. Aujourd’hui, le rôle que j’ai est totalement différent de Lounet chez LDLC ou de Lucas chez GO par exemple. Lucas chez Gamers Origin, il est à la GH et son rôle de manager esport, c’est un manager de vie, c’est un mec qui intervient peu dans le coté compétitif au quotidien, par contre qui est là pour leur faciliter la vie, pour les aider à manger, les lever, les aider dans tout ça… Donc non, aujourd’hui il ne faut pas que ça soit un objectif, car ça n’existe pas. Il y’a beaucoup de visions différentes de l’esport. La vision qu’on a est complètement différente d’un autre club, donc c’est compliqué. J’ai presque envie de te dire que tu arrives là par hasard. Si tu veux le faire, faut avoir des projets. Ils t’amèneront ailleurs, mais devenir manager esport, ça ne peut pas être un objectif en soi parce que tu n’as pas de finalité.

C’est justement une superbe transition avec la question suivante ! Finalement, je pense que tu as déjà répondu en filigrane mais, que doit faire une personne qui veut se lancer ?

Euh… L’écoute et la compréhension. L’écoute c’est très important, et écouter ce n’est pas entendre. Entendre c’est du bruit, écouter c’est prendre un temps quand tu reçois l’information et analyser. C’est ça, communiquer. Derrière la compréhension, c’est la compréhension des enjeux, comprendre que, quand on te dit un truc, c’est lié à quelque chose de plus profond. Si ton joueur te dit tel truc, il pense quoi derrière ? Il faut connaitre son joueur.

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Après il faut avoir un minimum de charisme, c’est bizarre à dire, mais il en faut un minimum par rapport à tes joueurs parce qu’il faut qu’ils se reposent sur toi quand ça ne va pas pour éviter les cassures, le manque de confiance…

Il faut être travailleur aussi, c’est clair. Il faut que tu aies la confiance des joueurs, et pour l’avoir faut qu’ils se disent : « ok, lui il m’apporte quelque chose ». Et puis après, il faut savoir être dur. Je déteste les princesses, encore aujourd’hui, j’ai eu une discussion avec un joueur où nous n’étions pas d’accord, mais il ne faut pas être buté. S’il fait un pas vers toi, tu le fais aussi.

Moi aussi en tant que manager esport, je fais des erreurs. On est à Montpellier, on mène 2-0 et on perd 2-3 à la fin. C’est la faute des joueurs, mais aussi la mienne à un moment, je le sais ! Je me suis mis en spectateur et pas en manager. Je n’ai pas joué le rôle qui aurait dû leur permettre de se sortir les doigts et gagner la dernière partie.

Voilà c’est un peu tout ça je pense.

Tu en as parlé tout à l’heure, c’est une question que je n’avais pas forcément prévue mais qui me semble intéressante ! Tu me disais qu’effectivement, tu n’avais pas forcément un niveau exceptionnel sur les jeux où vous êtes présents, mais aujourd’hui, tu es quand même manager esport ! Ma question va te paraitre bizarre, mais est-ce que pour toi, il est obligatoire d’avoir des connaissances approfondies sur ces jeux, ou en tout cas, est-ce que ça te rend meilleur ? Ou finalement, c’est une composante essentielle mais pas la plus importante et on peut faire du très bon travail sans ? C’est un peu ton cas donc j’imagine que oui, mais j’aimerais avoir ton avis dessus, notamment pour les relations avec un coach.

De toute façon, plus tu as de compétences mieux c’est, c’est certain. Tu peux comprendre le jeu comme des coachs qui sont golds et qui ont leur poste. Les jeux ont à peu près le même rapport. Ce que tu fais en esport, d’un point de vue encadrement et management, fonctionne comme dans le sport. C’est juste que tu vas chercher des traits communs, entre un joueur LOL ou Fortnite, peu importe, tu vas avoir des composantes communes. Le jeu à un moment, il passe presque en secondaire. Après, tu as des pépites. Un joueur comme Saken, un moment tu te dis, le gars est juste monstrueusement talentueux, donc il va au-delà de tout ça. Avoir des compétences, oui c’est mieux mais ça ne t’aide pas plus, je ne suis pas sûr que ça soit ça l’important. Après, il faut connaitre ce monde-là.

J’ai roulé ma bosse dans plein de jeu. J’ai fait des compétitions. Je connais ce stress-là. Mais ça, tu peux l’avoir en sport ou ailleurs. Il faut quand même avoir un background mais tu n’as pas besoin d’avoir été champion du monde pour être un bon manager esport.

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Crédits : Romain Robe, photographe esport indépendant.

Tu fais le parallèle au sport ! Très souvent, les grands noms ont une plus grosse aura et par conséquent, ça se passe mieux auprès des joueurs, contrairement à ce qui pourrait se passer entre un entraineur moins reconnu et ses joueurs où il peut y avoir des cassures plus faciles !

Oui clairement ! Il faut que tu prouves et montrer patte blanche, mais plus dans le sens où il faut le montrer par l’intelligence. Il faut comprendre ton environnement, comprendre les enjeux et surtout savoir comment tu y réponds.

Oui, connaitre le jeu, ça aide. J’ai 3h de Fortnite, je build comme un Bambi, pour autant, j’ai compris la mécanique. Je comprends comment ça fonctionne. Aujourd’hui, mes joueurs Fortnite, j’ai un impact plus important sur eux que mes joueurs LoL parce que je suis avec des joueurs qui ont des expériences dans aucun autre jeu. Ils ont besoin d’être encadrés. Pourtant, ils comprennent le jeu 1000x mieux que moi.

Ils me l’ont dit, en LAN, on a déjà connu une période où ils ont fait 3 games de merde avec des tops pas terribles. Je les ai pris à part pour parler. Je les ai boosté, et derrière, ils font 2 ou 3 top 1. Ils sont venus me le dire après ! Ils ont senti le truc. Et y’a pas de coïncidence, c’est arrivé plusieurs fois. Il faut connaitre les joueurs, sentir quand ils vont mal. Des fois, il faut aussi savoir ne rien dire quand tout va bien. Quand j’ai des joueurs qui sont ultras concentré, bon bah ils font le taf, ils n’ont pas besoin de toi.

Que dirais-tu à toutes les personnes qui, aujourd’hui, aimeraient être à ta place de manager esport ?

De ne pas la demander, mais d’aller la chercher. Y’a très peu de places. Pour le coup du « c’est un monde de requin », ce sont des excuses. C’est partout pareil et puis ce n’est pas vrai. Il y’a peu de places, si tu veux aller en avoir une, va la chercher. C’est très égocentré ce que je vais dire, mais moi ma place de manager esport n’existait pas. J’ai eu une seule chance et je l’ai saisi. Je n’ai pas créé mon poste de manager esport en me disant « ça serait cool ». J’avais le background. Il faut faire des choses, mais il faut les faire parce que tu as envie et non pas parce que ça va t’amener quelque part.

Tu as un objectif ? En attendant, crée un projet, rencontre du monde et vas-y au culot. Après, il faut le maitriser, il faut des choses derrière. Moi j’ai 25 ans, quand j’avais 16 ans, j’avais déjà des envies. Pour ça, j’ai créé des podcasts dans ma chambre. Ils étaient tout nazes. D’ailleurs, si ça ressort c’est une honte intersidérale !

T’inquiètes, on va aller les chercher. (Rire)

Non c’est bien caché sur des plateformes qui n’existent plus (rire) !

Mais j’en suis fier ! Ça m’a permis d’apprendre, de me casser la gueule. Si tu veux ma place de manager esport, bonne chance, viens la chercher mais plus sérieusement, créez-vous un réseau, et pas sur du vide. Il faut créer des choses et tu le montres aux acteurs en leur demandant même de participer. Il faut être travailleur, faut avoir envie de taper dedans et être motivé.

Tu as un dernier mot à dire ?

Je crois que le milieu de l’esport, c’est un milieu vraiment cool ! C’est bête à dire, mais on l’oublie un peu trop. Je pense qu’il faut arrêter de voir que par le prisme du business ou des gros chiffres. Il faut s’amuser et on peut le faire en travaillant.

C’est ce que je dis à mes joueurs. Je ne suis pas là pour être une famille avec eux. Ce n’est pas vrai. Pour autant, ça ne veut pas dire que je mets une barrière. On est là pour travailler, il faut être professionnel. Tous les jours c’est 10h de travail et on doit faire des sacrifices, mais après tu as tellement de moments dingues…

Je garderai toute ma vie cette effervescence et ses pleurs à la fin de la Lyon esport où personne ne nous attendait et où on fait une finale dantesque. La Dreamhack, c’était dur, on a attendu. C’était long, mais au bout on a gagné. Je me rappellerai toute ma vie quand on est rentré de la DH et qu’on a fait Tours – Paris. On était juste super heureux, ivre de bonheur, c’était génial. Derrière, c’est beaucoup de travail mais n’oublions pas qu’on est là pour s’amuser et profiter, c’est cool l’esport, on est bien moins à plaindre que certaines personnes.

C’est terminé pour moi et mes questions. Tes réponses étaient superbes pour comprendre un peu mieux encore le métier de manager esport, merci !

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