The Coach exerce actuellement en tant que coach mental esport chez OSERV. Il supervise l’ensemble des lineups de la structure et travaille aussi bien avec des équipes Fornite qu’Hearthstone en passant par Quake. Les jeux mis en avant et les compositions des équipes varient mais son travail se concentre toujours sur un aspect primordial : permettre au joueur d’atteindre ses objectifs et de déployer son potentiel.
Selon l’expérience de The Coach, il y a deux composantes essentielles de la performance : la gestion des facteurs de stress chez le joueur et la prise en charge des dynamiques pouvant amener au conflit au sein d’une équipe. La dimension « mentale » de la préparation des joueurs vise à écarter tout ce qui peut nuire à leur efficacité et cela passe à la fois par la gestion des émotions, la confiance et l’estime de soi ou encore la motivation et l’énergie mobilisée. Pour y parvenir, il est essentiel de cerner la « mentalité » de chaque joueur ; il s’agit en d’autres termes de saisir leur manière de réfléchir et leur manière de penser leur activité.
Cet article reprend un entretien mené avec François « The Coach » Géraud quelques jours avant l’ESWC Metz 2018. Il a pour but d’aborder à la fois son parcours, son métier de coach mental esport mais également les perspectives de développement de l’esport qu’il envisage suite à son expérience.
Un parcours atypique
Quelle formation as-tu suivi pour devenir coach mental esport ?
Dans un sens, on peut dire que je suis autodidacte. Pour résumer mon parcours, après avoir passé mon baccalauréat, j’ai commencé par rentrer dans la gendarmerie en tant qu’agent de réserve. Pour moi c’est important parce que ça m’a donné un certain nombre de valeurs et un cadre. On apprend l’esprit de corps, des notions d’honneur et un sens du collectif, c’est vraiment formateur.
Cette fonction amène le plus souvent à appréhender des situations sur le vif. Ça m’a conduit à me questionner sur le travail qu’on peut faire en amont et à chercher des moyens d’aider les personnes avant qu’elles n’arrivent à ces situations. Quand on se retrouve à intervenir sur des conflits violents, comme lorsque j’ai vu un homme menacer son ex-compagne avec un couteau de cuisine, on se dit qu’il y a une grande part de détresse dans cet acte. A un certain moment, quelque chose a dû basculer pour qu’on en arrive là, l’homme en question a pu « craquer mentalement ». Ce n’est pas une situation anodine, il y a forcément des choses qu’il n’a pas su gérer. La question que je me suis alors posé c’est : « Comment est-ce qu’on peut aider les gens pour éviter qu’ils en viennent à ce genre de situation ? », « Comment est-ce qu’on peut les amener à évoluer ? ».
Face à ce genre de problématiques, dont la question des drogues fait partie, je me suis intéressé à ce qu’on appelle la « thérapie brève ». Au cours de mes recherches, je suis tombé sur l’usage de l’hypnose. A la base, j’avais une vision basée sur l’hypnose de spectacle mais il n’y a pas que ça ! J’ai découvert l’hypnose ericksonienne, aussi appelée « hypnose conversationnelle », qu’on utilise en thérapie. En l’étudiant, j’ai pu mieux venir en aide aux personnes sur des sujets comme les addictions, les phobies et la gestion du stress.
Est-ce que tu peux expliquer comment l’hypnose fonctionne et quels effets elle a ?
En fait ça dépend complètement de ce que tu veux faire. Il n’existe pas un seul type d’hypnose : on trouve plusieurs branches (comme l’hypnose de spectacle par exemple) mais l’hypnose de thérapie conditionne la personne selon l’orientation que tu lui donnes : si je veux faire en sorte que tu sois surexcité, je vais employer un état d’hypnose adapté. C’est une sorte d’état second, qui ne modifie pas véritablement les capacités de la personne mais qui cherche plutôt à isoler certains éléments de la psyché.
Mettre quelqu’un en état d’hypnose, c’est un peu comme le mettre devant un film. Il est plongé dans l’action et tu peux toujours passer devant l’écran de télé, il ne te voit même pas ! Ça te plonge dans un état de bien-être qui occulte le reste. Par des petits pas, tu amènes la personne d’un état A à un état B, c’est-à-dire l’état qu’elle souhaite obtenir. Par exemple, on peut chercher à être détendu ou bien pouvoir entendre le mot « araignée » voire même toucher une araignée sans avoir peur.
Vous définissez ensemble l’objectif que la personne veut atteindre ?
Oui, la définition de l’objectif représente vraiment 80 % du boulot ! Quand je faisais de l’hypnose de thérapie, on venait me voir pour arrêter de fumer et en fait, au bout de quinze minutes de questionnement, on arrive finalement sur des problèmes de couple qui n’ont rien à voir avec la démarche initiale. C’est donc extrêmement important de fixer un objectif dès le départ.
Dans mon parcours, je suis passé de la gendarmerie à l’exercice de l’hypnothérapie mais dans mon travail à Strasbourg, je me suis retrouvé à traiter principalement des problèmes relativement graves comme le burnout. Avant que les personnes soient amenées à me consulter, elles devaient d’une certaine façon atteindre une rupture importante ! J’ai donc ressenti le besoin de passer à autre chose tout en continuant à mobiliser mes connaissances et mon expérience pour aider les gens, sans pour autant passer par des schémas trop négatifs.
Toute la thérapie brève, toute la théorie de la communication, ça a été développé dans les années 70 à l’École de Palo Alto aux États-Unis. Comme je m’intéressais à toutes ces choses, je me suis dit que je pouvais les apporter en tant que Formateur en communication non verbale et relations commerciales. J’ai proposé mes services et ça m’a notamment permis de travailler chez Nestlé pour former des commerciaux ou des merchandisers par exemple. Je trouvais ça intéressant, ça amène à les aider à développer leur capacités et à comprendre leur mode de fonctionnement ou ce qu’ils montrent d’eux. En revanche, le point négatif c’est que ce genre de formation n’est pas une demande des employés, ça peut vraiment les ennuyer. C’est une formation professionnelle pour les employés et ils peuvent ne pas être heureux de se retrouver dans ce cadre.
Je me demande alors comment aller vers un public davantage tourné vers la demande et la recherche d’efficience. Je me suis alors dirigé vers le coaching mental des sportifs, ce qui commence à se rapprocher de mon activité actuelle. J’ai commencé à coacher autour de moi des personnes qui faisaient du Krav-maga et du Crossfit. L’objectif général se concentrait sur la préparation mentale, et sur la préparation à la compétition en ce qui concerne le Crossfit. On cherche à travailler sur le dépassement de soi en repoussant très loin ses limites ! Le but de la préparation était qu’ils soient en mesure d’assimiler plus rapidement un geste, d’être plus efficace, de gagner sur leur temps personnel…
On traite tout ce qui dépend du mental MAIS, dans le sport traditionnel, les sportifs sont déjà extrêmement suivis (nutritionnistes, kiné, etc.) et sont déjà très entourés en permanence. Cet entourage suppose donc d’avoir l’aval de plusieurs autres personnes pour entamer des exercices de préparation mentale. Ce fonctionnement ne me convenait toujours pas.
Les premières armes dans l’esport
Dans ma recherche d’emploi, je me suis à un moment tourné vers Gaming Jobs. J’ai lu une annonce d’Oserv qui cherchait un coach pour son pôle Rainbow Six : Siege. J’y suis allé un peu au culot en leur disant : « Je suis coach mental, je ne connais rien à ce jeu, je ne suis pas spécialement gamer (j’apprécie le jeu vidéo depuis longtemps mais je ne m’y connais pas en esport) mais je serai très intéressé de pouvoir aider vos joueurs à level up ! ».
Ils ont été d’accord pour me laisser un essai d’un mois. Même si l’équipe a fini par disband, les joueurs ont clairement dit qu’ils avaient beaucoup profité du coaching mental et certains poursuivent toujours leur carrière aujourd’hui. L’étape suivante a été la Gamers Assembly 2018 où on a travaillé avec l’ensemble des équipes. Je me suis confronté à d’autres manières de penser car le jeu conditionne énormément la façon d’aborder les choses. Par exemple, un joueur sur Hearthstone aura plus tendance à avoir une attitude posée alors que sur Fortnite ça peut très vite partir sur tout et n’importe quoi [rires] ! On peut dire que la mentalité va aussi avec le jeu, tu es obligé d’avoir une réflexion différente.
J’ai travaillé avec l’équipe Rocket League qui s’est retrouvée moralement au fond du trou pendant la compétition. Ils étaient dégoûtés ! En les remotivant et en travaillant rapidement sur leur mentalité avant de joueur leurs matchs, ils ont finalement pu terminer deuxième. L’équipe Fortnite s’était retrouvé dans la même situation, ils paniquaient complètement. Toujours avec ce travail sur le mental, ils se sont repris et ont pu décrocher la première place !
Grâce à ce travail avec toutes les différentes équipes, j’ai fait mes preuves aux yeux d’Oserv. Ils m’ont donc engagé comme Coach Mental esport. Désormais, dès qu’un nouveau joueur arrive, je m’occupe de lui. Je discute avec lui et, selon ses besoins, je mets en place une sorte de planning qui fonctionne sur des modules. En résumé, c’est comme ça que je suis arrivé à mon travail actuel !
Le métier de coach mental esport
Comment Oserv a-t-elle formulé ses besoins en terme de coach mental esport ?
Au départ, ils ne connaissent pas le coaching mental. Ils ne savent pas sur quoi je bosse, d’autant plus qu’on peut un peu tout mettre derrière le mot « mental ». Il faut très vite définir ça ! Il ne s’agit pas d’aller voir un psychologue, je suis juste en capacité de t’amener à tes objectifs mais il y a des choses sur lesquelles je n’interviens pas. J’ai des limites dans ce que je peux faire, je ne travaille pas dans le médical. Si une personne a un souci psychologique, je l’orienterai plutôt vers un professionnel. Je suis là avant tout pour favoriser l’efficience !
Comment est-ce que tu t’es adapté à l’esport ?
Je crois qu’une des premières phrases que j’ai entendue et qui m’a marqué c’est « Quand je suis en ‘clutch’, je galère ! ». Je ne connaissais pas du tout ce genre de langage qu’on entend dans l’esport. Pour reprendre sur ce que le joueur me disait, je lui ai demandé : « Pourquoi est-ce que tu galères ? », « Qu’est-ce que ça veut dire POUR TOI ‘être en clutch’ ? ». C’est une situation où tu te retrouves seul face à plein d’ennemis et tu as du mal à gérer : « Pourquoi est-ce que ça te fait paniquer ? ». Quand le joueur te parle de « stress », tu retombes sur un terme que tu connais. Quand tu interroges la raison de ce stress, le joueur t’explique qu’il a « peur de rater ». Dans ce cas-là, il stresse à cause de ce qu’il se met en tête, on comprend que c’est un problème de focus.
Pour répondre à ça, il faut rester concentré sur l’instant présent et ne pas penser à ce qui s’est déjà passé ou à ce qui pourrait arriver. Ça permet d’éviter de stresser ou de tilter parce qu’on reste focalisé sur l’action. Pour moi, il y a un grand pont entre le coaching mental dans le sport et dans l’esport mais il y a quand même une énorme différence : c’est beaucoup plus mental dans l’esport ! Mon rôle dans l’esport est beaucoup plus important qu’il a pu l’être dans le coaching de sportifs traditionnels.
A mon sens, le lien au corps est extrêmement important là dedans. Un sportif classique, un coureur par exemple, quand tu le vois atteindre un seuil, tu identifies le moment où il rencontre certaines limites. Il sait lui-même ce qui ne va pas, il sent lorsque son corps ne suit plus. Tu peux alors le pousser à dépasser ses barrières mentales pour régler le souci.
Pour le gamer, c’est différent : il est assis derrière son ordinateur, ce qui fait que c’est plus compliqué de se confronter à ce genre de questionnements et de le formuler. C’est difficile à évaluer, y compris pour moi en tant que coach mental. De plus, l’intérêt du coaching peut être moins évident aux yeux d’un joueur esport que pour un sportif habitué à ce genre de choses. Je travaille beaucoup sur des critères très subjectifs comme le fait qu’un joueur ait l’air content ou qu’il soit visiblement en situation de stress ; mais la finalité du travail de coaching c’est de mesurer les performances. Je veux voir comment le résultat se concrétise pour être sûr de bien orienter le joueur !
Comment est-ce que ton parcours influence ta façon de travailler ?
A partir du moment où une personne travaille sur le mental, elle a besoin d’avoir certains outils. Il ne faut pas se limiter à un seul paradigme, à une seule vision des choses ; il faut avoir vu « tout et son contraire ». Quand j’exerçais l’hypnothérapie, je me retrouvais face à des personnes bornées ou avec des opinions extrêmes mais il faut savoir aller dans leur sens pour pouvoir les aider. L’expérience t’amène à te confronter à plein de mentalités différentes.
Mes outils c’est : l’hypnose ericksonienne, la programmation neurolinguistique, la process-com, l’analyse transactionnelle… tout ce qui permet un changement rapide, efficace, sur le long terme, en rapport avec un objectif. Généralement, les psychologues ne s’attardent pas sur la thérapie brève, ils privilégient plutôt les thérapies cognitivo-comportementales. C’est aussi une forme de thérapie brève, ça s’inspire des mêmes outils mais ça ne prend pas la même forme.
La psychologie agit sur les aspects pathologiques ; je peux essayer de les tempérer mais je ne cherche surtout pas à faire ce genre de travail. En revanche, je cherche toujours à comprendre les pratiques médicales. Ça me donne une meilleure connaissance de mon travail et ça m’aide à définir des limites et un cadre spécifique. Par exemple, ce que fait un psychologue du sport, je ne suis pas capable de le faire. Par contre, de mon côté je suis capable d’amener des gens à faire des choses, à être dans des états auxquels un psychologue du sport ne peut amener. A chacun son métier !
N’importe qui peut se dire « coach mental » ou « préparateur mental », on peut se retrouver pris de haut par les professions médicales. On a l’air de dispenser des discours « à l’américaine » pour motiver les troupes. Les gens ont souvent du mal à voir ce qu’on est capable d’apporter concrètement. De mon point de vue, on peut apporter les meilleurs outils sur le mental à quelqu’un, s’il ne s’en sert pas, c’est comme s’il renonçait à un énorme potentiel. Je ne suis pas inquiet sur l’utilité du coaching mental, je vois les bénéfices que ça peut amener aux joueurs, y compris en comparaison avec d’autres métiers du médical.
Le coaching mental s’appuie sur un travail qui s’inscrit dans la durée. Comment est-ce qu’on travaille dans un milieu esport où il y énormément de turn-over et de disbands ?
C’est complètement vrai ! En tant que coach mental, ça fait partie des choses que je cherche à régler dans l’esport. Le turn-over peut devenir insupportable ! C’est surtout un problème de mentalité des joueurs. J’essaie d’agir là-dessus pour éviter le disband dès qu’il y a un mot de travers. Quand je suis rentré dans l’esport, j’ai vu quatre disbands en moins d’un mois dans une lineup. Je ne comprenais pas, je me demandais pourquoi le turn-over est accéléré dans ce domaine-là alors qu’on ne retrouve pas ça dans une équipe sportive classique. Les premiers concernés ne savent pas expliquer pourquoi, ils ne savent pas gérer un conflit.
De base, j’essaie d’instaurer une confiance et une cohésion d’équipe. C’est très difficile de travailler avec quelqu’un sur la durée s’il est amené à quitter l’équipe ou à se faire virer. Après, si le joueur n’est pas au niveau pour jouer dans l’équipe, je ne vais pas pouvoir faire grand-chose ; le coaching mental est un support pour la mentalité, pas pour le skill. On essaie au maximum de m’inclure dans les phases de recrutement pour voir si la personne a la bonne mentalité pour progresser rapidement. Oserv se fait à la fois connaître par ses résultats en lan et par la capacité à évoluer avec de nouveaux rosters. On a également un certain nombre de joueurs qui passent par Oserv et qui sont ensuite recrutés par d’autres structures comme Kinstaar qui est parti chez Solary. Donc oui, c’est compliqué de gérer les départs de joueurs, j’essaie au maximum de conserver les mêmes équipes !
Selon toi, qu’est-ce qu’un coach mental esport pourrait faire pour remédier à ce problème de turn-over important ?
J’ai pensé à un rôle comme celui de sélectionneur, tout simplement. Je ne suis pas un grand fan de foot mais je trouve ça intéressant d’avoir un système de pôle de joueurs ; pour jouer un match tu en sélectionnes certains et au final personne n’est viré, tu te concentres juste sur la « meilleure combinaison » pour le match. Dans cette optique, ça suppose de tous les payer, même s’ils sont pas présents sur scène 100 % du temps.
Dans l’esport, on reste très dépendant des sponsors dans la façon de gérer les équipes. Pour essayer de répondre à ça, j’ai lancé le site galibelum.fr qui met en place des partenariats exclusivement financiers entre une structure et un sponsor. Cette démarche s’adresse aussi aux marques non-endémiques de l’esport. Le but est de créer, à terme, un engagement sur la durée pour permettre à la structure de progresser, et de proposer une alternative qui se démarque par rapport aux grands acteurs classiques.
Le métier de coach mental esport requiert des qualités et des connaissances particulières. Mais au-delà de ces savoirs, ce rôle s’articule sur une vision globale, une éthique et une capacité à s’adapter aux circonstances et à ses interlocuteurs. Loin d’être aussi installé que dans le sport traditionnel, le coaching mental semble pourtant avoir tout autant sa place dans le sport électronique. Plus encore que la condition mentale des joueurs, c’est toute une structure qui peut retirer les fruits de ce type de travail. La santé, aussi bien mentale que physique, l’évaluation des performances ou la notion de carrière sont autant de problématiques qui prennent de plus en plus de place dans l’écosystème esportif.