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Laure Valée : « Tous les jours, je dois prouver ma place »

Par Alexandre Hellin
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L’esport a quelque chose de profondément différent. En tant que passionné, on le ressent tous. Cette excitation, cette impatience d’arriver sur place à chaque nouvel événement et de retrouver cet univers si spécial à nos yeux. C’est un sentiment unique qu’on aurait tous du mal à décrire mais qui est bien là, au fond de nous. C’est un peu comme une drogue. À peine terminé, on a envie de s’y replonger le plus vite possible.

Si vous êtes comme moi, vous le vivez depuis que vous êtes gamin. Jamais je n’aurais imaginé pousser ce sentiment encore plus loin et espérer vivre de cette passion pour le reste de ma vie. Si on m’avait dit ça quand j’avais 12 ans, je ne l’aurais pas cru.

Et pourtant… C’est exactement ce qui est en train de se passer, sous nos yeux. De plus en plus de gens foncent tête baissée pour obtenir leur place. Sauf que même si l’esport se développe, les écarts se creusent. Oui, travailler dans l’esport, c’est extrêmement dur. Là où l’amateurisme pouvait encore être accepté il y a encore quelques années, c’est devenu impensable aujourd’hui. Et heureusement. Ça permet de mettre sur pieds des événements majeurs qui n’ont plus rien à envier à nos copains sportifs.

Personnellement, je rêverai de mettre les pieds dans un environnement qui me dépasse et me pousse à me réinventer sans cesse aux côtés des meilleurs.

Ces places sont chères. Pourtant, il y a des parcours qui vous poussent à y croire. C’est exactement le cas de Laure Valée, que vous connaissez forcément si vous avez déjà suivi une compétition de League of Legends ces dernières années.

Depuis près d’un an, elle foule la scène des LCS à la conquête des plus belles histoires à raconter autour de la compétition.

Quand l’annonce de son arrivée a été faite en janvier 2018, je me souviens avoir eu un déclic. Je trouvais ça formidable. Les LCS me paraissaient être un autre esport. Celui auquel nous n’aurions jamais accès.

Je ne connais pas très bien Laure Valée. Pour tout vous dire, je n’ai pu l’apercevoir qu’une seule fois en salle presse lors d’une Gamers Assembly. Pourtant, j’avais l’habitude de regarder O’Gaming, là où elle peut encore apparaître aujourd’hui. Retrouver ce visage familier sur un plateau aussi important que les LCS m’a fait comprendre qu’il n’était pas trop tard pour se créer son propre chemin dans l’esport.

C’est exactement pour ça que j’ai voulu partir à sa rencontre et faire le point sur sa première saison aux côtés de Riot Games. Ses débuts sur scène, son combat contre le stress, la préparation de ses interviews, son rapport à la communauté mais aussi et surtout son organisation dans un emploi du temps très chargé… Elle nous dévoile absolument tout.

Bonne lecture à tous.

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Bonjour Laure Valée ! Tout d’abord, j’aimerais revenir sur ton parcours car il est très intéressant. Tu as fait une école de journalisme, tu as évolué également en tant que bénévole… Finalement, c’est beaucoup de travail ! Quel a été le cheminement jusqu’à ton arrivée sur la scène des LCS ?

Aujourd’hui, la question des écoles commence à se poser. Moi, je suis arrivée au moment où les gens apprenaient sur le tas. On ne pensait pas encore aux formations.  D’ailleurs, on peut dire que je suis l’une des dernières de « l’ancienne génération » à être rentrée dans l’esport.

Je ne peux pas dire que mon parcours scolaire était chaotique, mais initialement, je voulais plutôt m’orienter vers l’anglais et l’histoire de l’art pour faire commissaire-priseur. Finalement dès la 2ème année de licence, j’ai compris que ce n’était peut-être pas réellement ce que je voulais faire donc je suis revenue à une idée que j’ai eu durant mon année de bac : le journalisme. J’ai donc terminé ma licence d’anglais et me suis orientée vers un master à l’ESJ Paris.

Je n’avais pas forcément besoin d’argent car ma famille m’a toujours beaucoup aidé, mais je voulais quand même me faire de l’argent de poche. D’un côté j’étais hôtesse dans des restaurants, et de l’autre, l’idée de m’entrainer à écrire me trottait dans la tête. Comme l’esport m’intéressait beaucoup, je me suis dit qu’une expérience bénévole ne pouvait être que bénéfique.

Ça a vite payé ! À peine 1 an et demi plus tard, j’ai envoyé une candidature spontanée au site français de LoL esports qui engageait des freelances. Je suis tombé sur Margot Le Lorier, à qui je dois beaucoup. Ça a été mon premier contact chez Riot Games. J’ai commencé les piges, j’ai été en deuxième année d’école… Tout se passait très bien, mais les horaires étaient très compliqués.

J’avais un travail sur le côté, mon école, mon activité de freelance quand je rentrais le soir… J’avais très peu de temps pour moi. Ça a été la première année où j’ai commencé à être vraiment mal. Je ne dirais pas surmenée mais en tout cas, je n’avais pas des horaires normaux. J’ai eu de la chance car ça a bien marché !

On était en 2016, à ce moment, O’Gaming m’a proposé d’host pour la première fois les championnats du monde de LoL. C’était aussi l’année où les médias commençaient à s’intéresser à l’esport. J’étais vraiment la dernière de cette génération quand tout est arrivé. J’avais en plus la chance d’être quasiment la seule femme disponible. C’est un peu comme ça que Canal + m’a contacté on va dire.

Je me suis arrangée avec mon école pour finir ma dernière année en même temps que ce contrat. Heureusement qu’ils sont arrivés car à ce moment-là, avec mon rythme de vie, je commençais à baisser les bras. J’avais des piges à droite à gauche, notamment chez Lol esports où ils me payaient 150€ chaque article mais ce n’était pas quelque chose de viable.

Le contrat chez Canal + m’a vraiment redonné un coup de boost. Que ce soit dans ma motivation ou ma façon de voir les choses car j’avais l’impression d’avoir atteint un seuil infranchissable. Après ça, c’est incroyable le nombre de portes qui se sont ouvertes à moi.

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Laure Valée connaît l’envol de sa carrière avec Canal +. Crédits : Canal +

Les 3 piliers qui ont formé ce que je suis, c’est O’Gaming, Canal + et cette année en LCS. On pourrait encore en dire beaucoup sur mon parcours mais je pense que tout le monde connait la suite. Bercy est arrivé et j’ai eu la chance de faire des interviews. Canal +, c’était fini pour moi donc je ne savais pas ce que j’allais faire ensuite. J’ai donc envoyé une candidature spontanée au mois de novembre dernier à Riot. Comme ils avaient aimé ma prestation lors du show à Bercy, j’ai envoyé un mail qui leur a beaucoup plu. C’est comme ça qu’ils m’ont pris en Freelancer pour les LCS.

Tu m’as coupé l’herbe sous le pied Laure Valée. Je voulais rebondir sur ce que tu viens de dire, mais avant ça, je vais te poser une autre question. Sur un contenu que tu as rédigé pour the Players’ lobby, tu expliques avoir contacté directement le producteur en charge des LCS pour gagner ta place. Tu as su aller la chercher. Très peu de gens arrivent à le faire. Comment s’est passée ton intégration au sein de l’équipe ?

C’est ça qui est incroyable en fait ! J’ai envoyé ce mail un peu par hasard. Je ne m’attendais pas forcément à ce qu’ils soient accrochés à l’idée de bosser avec moi ! Je suis arrivée en janvier pour la 2ème semaine des LCS et là, je tombe dans une équipe ultra professionnelle, des personnes que je regarde depuis des années.

C’est un peu en les regardant que m’est venue l’inspiration de faire tout ça. Ils étaient tous ultras accueillants. Ils ont tout fait, au moindre instant, pour que je me sente vraiment à l’aise. Le producteur, tout d’abord, à qui j’ai envoyé le mail, mais aussi Sjokz, évidemment, que j’ai pu apprendre à connaitre cette année. Elle m’a énormément aidé à prendre confiance en moi.

Je la remercie encore mais si elle m’entendait dire ça, elle aurait envie de me frapper [rires]. Elle me répète que la place que j’ai à leurs côtés, je la mérite, mais je ne sais pas, j’ai quand même l’impression que toutes ces personnes m’ont énormément apprise cette année. J’avais une petite appréhension en arrivant la première fois à Berlin. Tout était nouveau. Mais j’ai tout de suite été mise à l’aise.

Quand tu arrives chez Riot Games, il faut savoir que tu es entouré de personnes qui savent ce qu’elles font. Leur but principal est de faire ressortir le meilleur de toi à n’importe quel moment et à n’importe quel rythme. Ils ont adapté leur méthode de travail pour que je puisse plus facilement apprendre. Au fil du temps, c’est moi qui les ai rejoints. J’ai appris à travailler comme eux. Riot Games a tout fait pour m’emmener là où je suis aujourd’hui. Ça a été une expérience incroyable.

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Laure Valée en pleine performance aux LCS. Crédits : Lol esports

De tous les milieux professionnels où j’ai pu évoluer, je pense que c’est l’intégration la plus brutale. Le changement était vraiment drastique dans le sens où travailler dans une autre langue, c’est moins évident que ça en a l’air. Mais de l’autre côté, je pense que c’est le milieu où j’ai été le mieux accueilli. Je ne dis pas ça pour dénigrer O’Gaming ou l’agence JK, mais je ne m’attendais pas à un tel accueil et au fait qu’ils essaient de faire tout ça pour moi.

Je pense qu’ils vont recevoir un peu plus de CV maintenant que tu racontes tout ça [rires].

Oui j’imagine [rires].

Laure Valée, je vais juste revenir sur ta première réponse. Tu expliques que tu travaillais énormément et que tu n’avais même plus d’horaires normaux. Tu peux revenir sur cette période, celle où tu rentres chez O’Gaming ou Canal +. C’était quoi ton quotidien ? Quel était ton rythme de travail ? Combien de sacrifices tu dois faire pour arriver là où tu en es aujourd’hui ? Je pense que c’est important que tout le monde le comprenne.

Je vais remonter un peu avant OG et Canal + car juste avant ça, c’était la période où j’étais vraiment Freelancer. Je ne gagnais pas énormément d’argent. À ce moment-là, littéralement, je sortais des cours, je regardais des compétitions, j’écrivais des articles jusqu’à 1 ou 2h du matin et je repartais en cours le lendemain matin. C’est à la fin de cette année que j’en ai eu assez. Heureusement que le contrat de Canal + est arrivé. Ça a induit des horaires encore pires. C’était vraiment intense mais c’est aussi le moment où j’ai quitté mon ex et que je suis revenu chez mes parents. Revenir là à 24-25 ans, c’est un peu chiant. Ce n’est pas quelque chose que j’ai vraiment voulu.

Avec Canal +, j’étais 4 jours dans les bureaux de JK avec, généralement, 2 jours de tournage, de montage, de voix off etc. Le 5ème jour, j’étais à l’école. Tous les soirs quand je rentrais de chez JK, généralement, j’avais des choses à faire pour les cours ou des articles à écrire pour LoL esports. J’étais quand même très occupée. Ce que j’ai fait, je ne le regrette pas, mais j’ai arrêté de sortir et de voir tout mon cercle d’ami. Ce sont des personnes que je vois beaucoup moins aujourd’hui et je me le reproche. Mais à un moment, tu ne peux plus couper le sommeil et j’aime trop ce que je fais.

Étant moitié étudiante mais me dirigeant vers une situation de Freelancer, j’aime avoir plusieurs points d’ancrage. Faire O’Gaming, Canal +, LoL esports, c’est prenant, mais ça implique que de l’autre côté, tu dois couper certaines choses pour éviter de mourir de fatigue. J’ai coupé ma vie sociale même si je la conserve dans le sens où j’ai des collègues d’O’Gaming et des personnes que je vois au jour le jour qui sont vraiment adorables. C’est eux qui constituent mon cercle proche aujourd’hui.

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Cette année, même pour ma famille ça a été compliqué. Je ne l’ai pas vue pratiquement. J’ai eu trop peu de temps pour moi, et quand j’en ai, je joue car c’est important si tu veux être capable de parler du jeu…

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Laure Valée et son équipe au canal esport club. Crédits : Canal +

Pour résumer, je dirais que ma vie sociale a été mise en pause. Je la retrouve cet été car je suis assez stable professionnellement pour me permettre de partir 1 semaine en vacances en Corée. C’est quelque chose qui aurait été inimaginable ces 2 dernières années. Ce sont des choix que je ne regrette pas.

Tu dis être de la dernière génération de personnes qui ont un parcours comme le tien. Est-ce que, d’après toi, le fait que l’esport pointe le bout de son nez dans les écoles, va rendre le bénévolat moins efficace pour obtenir un emploi ? L’esport a besoin de meilleures compétences c’est sûr, mais il n’est plus possible de faire ses preuves autrement ?

Je vais aller dans ton sens là-dessus. Effectivement le milieu n’était pas assez professionnalisé pour s’attendre à mieux que quelques profils rares. À l’époque où j’ai fait du bénévolat, tout était naissant.  Les attentes n’étaient pas les mêmes pour les rédactions ou les chaines de TV. Tu pouvais te créer plus facilement un chemin alors qu’aujourd’hui, des gens passionnés, il y en a plein.

Donner de ton temps sans réellement connaitre ton métier, ça suffit beaucoup moins aujourd’hui. C’est pour ça que les écoles commencent à s’activer. Si tu me demandes l’utilité des formations esport actuellement, évidemment, je n’en ai pas fait mais, je te dirais que ça ne sert à rien. J’estime que tu apprends d’abord un métier pour ensuite les lier à tes compétences esport. De la même manière pour le journalisme. Je n’aurais peut-être pas pensé comme ça avant mon passage à l’école d’ailleurs.

Je suis spécialisée sur le format TV et presse écrite. Il sera moins compliqué pour moi d’apprendre le cinéma et la gastronomie plutôt que le journalisme radio. C’est la même chose en esport. Les profils bénévoles pourront toujours marcher si la personne est exceptionnelle, mais aujourd’hui, on recherche des professionnels à qui on peut apprendre l’esport et pas l’inverse.

Même chez Riot Games ! C’est une entreprise qui a beaucoup fonctionné comme ça à la base. Aujourd’hui, ils préfèrent engager des gens du monde de l’audiovisuel ou des écoles artistiques mais qui n’ont pas forcément ce côté « hardcore gamer ». Les choses iront dans ce sens vers l’avenir.

Revenons sur ta période en LCS Laure Valée. Comment se prépare-t-on à monter sur scène ? Au départ, tu expliquais être assez stressée. Il finit par s’en aller où il est toujours là au fond de toi ?

Le stress est toujours là et il reste d’autant plus qu’au fil de l’année, je n’ai pas l’impression de progresser, en tout cas pas aussi vite que je le voudrais. Peut-être que je mets la barre trop haute par rapport à ce que je peux faire.

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Laure en pleine interview pour les LCS EU. Crédits : Lol esports

Les équipes LCS sont toujours très contentes de moi mais je voyais les retombées sur Reddit et Twitch. Ce sont des choses qui ne sont pas censées te toucher mais bon, tu les vois… Tu arrives dans un broadcast avec un niveau et des attentes très élevés avec des professionnels excellents.  Certains font partie des meilleurs à leur poste en tant que commentateurs. Toi, tu es censé arriver et être à ce niveau. Le challenge est énorme.

Le stress ne disparaissait pas car je n’avais pas l’impression d’être au niveau, et de toute façon, je ne l’étais pas. J’ai passé 1 mois à Berlin récemment et ça m’a fait du bien. Le fait de faire l’aller-retour à Paris toutes les semaines, je perdais l’habitude de parler anglais. Ayant habité aux USA, je sais que pour vraiment te familiariser à une langue, il faut que tu l’utilises longtemps. Un switch doit se faire dans ton esprit pour que ton cerveau arrête de réfléchir dans ta langue natale. J’ai logé chez des personnes américaines et anglaises donc pour le coup c’est plus facile.

Je ne regrette pas car j’ai énormément progressé justement et j’ai réussi à créer cette passerelle. En revenant en France, je parlais français mais mon cerveau réfléchissait en anglais, ça donnait des phrases qui n’avaient aucun sens [rires].

J’ai encore ces reflexes aujourd’hui mais au moins, je me suis montré que ce switch, je pouvais le faire. J’espère que ça restera d’ici janvier pour la reprise mais je sais maintenant que je pourrais l’entrainer. Ça a été ma plus grosse difficulté durant l’année. Je ne me trouvais pas du tout à la hauteur.

Justement, tu l’as vite abordé au départ de la question mais tu as été bousculé publiquement sur Reddit et Twitter. Ça devait être une très mauvaise expérience à passer. Quelle importance accordes-tu aujourd’hui à ces réactions ?

En fait, j’ai mis longtemps à le comprendre mais la grosse différence qu’il y a entre l’international et la France, c’est que la France, au final, j’ai un lien avec le chat et la communauté. Si demain j’arrive sur O’Gaming, il y a des gens que je connais et avec qui je peux parler. J’ai l’impression qu’à l’international, ça n’existe pas. Sur Reddit, c’est de la pure haine et le chat Twitch ne sert à rien. Ça spam tellement que tu ne peux pas avoir une conversation.

Perdre ce lien qui me servait de retour en France, c’est quelque chose que je n’avais pas prévu donc je restais bloquée sur Reddit sans vouloir répondre. Je ne voulais pas me jeter dans la fosse aux lions. Déjà, je ne le maitrise pas en tant que réseaux sociaux, je m’en sers juste pour du news tracking. Je n’avais pas vraiment envie de m’embarquer là-dedans et encore moins sur Twitch. J’étais un peu dans une spirale, toute seule, pendant quelques mois, sans savoir comment m’en sortir vraiment. Maintenant, j’essaie juste d’ignorer tout ça et je me base seulement sur des feedbacks de mes collègues et mon entourage. De toute façon, je ne pourrais pas obtenir plus pour l’instant tant que je ne serais pas arrivée au niveau que les gens attendent de moi. Pour l’instant, je préfère ignorer. J’avais du mal mais maintenant ça va.

J’ai suivi ton parcours, surtout au départ. Je trouve ça fantastique qu’on t’ait donné ta chance. Il y a eu un sujet qui est souvent revenu, avec toi mais aussi avec d’autres. C’est un message persistant. Laure Valée, qu’as-tu envie de répondre aux gens qui disent que tu en es là seulement car tu es une fille ?

C’est une question que l’on me pose souvent mais en soi, je pense que les gens n’ont pas tort. Comme je le disais au début de l’interview, il y a des profils plutôt rares dans l’esport. Ce n’est pas pour me jeter des fleurs mais je suis assez professionnelle et consciencieuse dans mon travail et surtout, je sais de quoi je parle. Ce n’était pas commun quand O’Gaming recherchait quelqu’un.

Donc oui, mon accès a été facilité par mon profil, mais derrière, j’ai plus cravaché que les mecs qui sont arrivés à leur position. Eux, ils doivent sûrement se battre plus dur pour en arriver là. Moi, on m’y a mis plus facilement peut-être car je suis une femme, je suis d’accord, mais je dois le justifier tous les jours et prouver ce que je fais. 

Si tu me demandes si ça en vaut la peine, j’ai envie de te dire que non car je subis ça tous les jours. J’ai eu la chance d’arriver là où je suis, maintenant, je n’ai plus qu’à faire taire les Haters.

Est-ce que tu penses que dans l’esport, c’est plus simple de percer quand tu es une fille ?

Non, il faut prouver tout autant. Les récents événements et tout ce qu’il y a eu autour du sexisme l’ont prouvé. Même si je n’ai pas été visé directement, c’est quelque chose de très présent. Quand tu es une femme, tu dois constamment prouver ta légitimité. Quand tu es un homme, c’est plus facile sur ce point de vue mais ce n’est pas pour autant le cas sur tout.

Par contre, est-ce qu’il y a plus de femmes qui ont envie de réussir dans le secteur et qui, justement, sont peut-être inspirées ? Ça oui. J’ai l’impression que depuis 1 ou 2 ans, il y a beaucoup plus de femmes présentes, mais ce n’est pas pour autant que c’est plus simple pour elles et leur parcours.

Oui, depuis ces derniers mois, on sent qu’il y a plus de femmes qui se lancent. Je pense notamment que des personnes comme toi Laure Valée n’y sont pas étrangères. Tu es dans la lumière et tu peux montrer que c’est possible !

Je suis contente de voir ça. Ce qui m’a donné l’envie de m’investir là-dedans, ce sont aussi des femmes comme Kayane, Carole Quintaine ou Sjokz évidemment. Plus nous serons présentes à l’avenir, et plus les femmes trouveront le courage de s’investir. C’est un effet boule de neige.

Kayane

Dès 12 ans, Kayane devient vice-championne du monde sur le jeu de combat SoulCalibur II. Depuis, elle ne cesse de performer à haut niveau. Crédits : Redbull

C’est vraiment quelque chose de génial. Je ne prône pas la parité dans l’esport et les jeux vidéo. Il faut que ça arrive de soi-même. Je le remarque sur les plateaux de Riot Games. Le nombre de techniciennes, c’est hallucinant. Il y a parfois plus de femmes que d’hommes sur les shows LCS. C’est une évolution dans le bon sens. Je n’irais pas la forcer comme le font certains.

Tes méthodes de travail ont changé depuis que tu es arrivé en LCS ? Explique-nous comment tu prépares tes interviews avec les joueurs ?

Elles évoluent tout le temps. En amont des rencontres, j’ai 2 jours d’édito avec Riot Games où on définit ensemble la storyline de la semaine. C’est surtout le cas pour Sjokz mais moi, ça me permet de comprendre l’évolution du show. Ça me donne des informations sur les questions que je pourrais poser aux joueurs.

L’exemple parlant et le plus évident, c’est la semaine où Rekkless est revenu. Tout a été articulé autour de ça. Évidemment, si Fnatic gagnait, je l’aurais eu en interview. Je lui aurais posé des questions sur sa pause mais aussi sur sa performance de la journée. Mais ça n’allait pas être le focus principal. Qu’il soit mauvais ou pas sur la partie, l’important, c’est qu’il soit de retour.

Le cas Rekkles est assez rare. La plupart du temps, et surtout sur les dernières semaines, c’est l’enjeu des play-offs qui prime. Il faut que je regarde les têtes à têtes en prenant de plus en plus de notes sur les points clés de la semaine.  Ensuite, en regardant les parties de chaque joueur, j’invite celui qui me parait correspondre le mieux à la storyline de Riot Games.

Je décide le choix du joueur que j’aurais en interview. Si le match n’a presque pas d’enjeu ou était assez peu intéressant, je prends le joueur qui a fait la meilleure performance et je vais travailler autour de ça.

J’aime les questions de jeu. Les casters qui font des interviews le font rarement. Je comprends assez ce qu’il se passe en jeu pour le faire. En cas de souci, j’ai Duke et Zaboutine autour de moi pour m’expliquer certaines choses que je ne comprendrais pas. Ça me permet d’inclure des questions de gameplay.

Les joueurs sont donc choisis à l’instant T du match ?

Oui. En fait, il y a deux types d’interviews. Les interviews préenregistrées et les lives. Si je veux poser des questions à un coach ou un joueur en avant match, ça sera prévu et préparé. Sinon, généralement, je suis en lien avec mon producteur via l’oreillette ou sur Slack (logiciel de discussions professionnel, ndlr) et à 20mn de jeu, je lui indique le joueur que je veux. Je dois tout le temps prévoir deux interviews pour au moins avoir un joueur par équipe selon celle qui gagne.

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Il m’est arrivé une fois de ne pas le faire pour la partie entre H2K et Splyce. J’étais assez confiante pour me dire que je n’avais pas besoin de le faire pour H2K. Eh bien j’ai eu tort car ils ont gagné pour la première fois de la saison à ce moment-là [rires]. Pour autant, c’était facile de m’en sortir car la storyline était faite d’elle-même.

Quelle a été ta plus grande surprise cette année durant les interviews ?

[Rires] C’était en fin de journée sur le banc d’interviews. J’ai eu Hans Sama et Maxlore de Misfits qui venaient de gagner et qui allaient rencontrer Vitality le lendemain. Tout se passait bien. À l’époque où Gilius jouait dans la jungle pour Vitality, il avait taunt un peu. Je demande à Maxlore ce qu’il voulait lui répondre et là il me sort dans l’anglais le mieux formulé possible qu’il ne sait pas s’il veut lui mettre dans le cul ou ailleurs.

Je le regarde et me dis que le producteur doit être en train de s’arracher les cheveux. Tu n’as pas le droit de dire ce genre de choses en live. À ce moment-là, j’me dis « OMGGGGG, comment je vais rebondir là-dessus ? ». J’étais paniquée mais aussi morte de rire. La punchline était très drôle.

D’un point de vue broadcast, c’était inadmissible. On a été voir les joueurs et notamment Gilius en lui disant de ne pas répondre. Mais de l’autre côté, sur le net, ça a été un buzz monumental. C’était très difficile de savoir comment réagir. J’ai joué la neutralité absolue. J’ai fait genre que je n’avais absolument rien entendu et j’ai renvoyé vers Sjokz pour la suite. J’ai complètement évité le truc mais je pense que ça a fait un roller coaster dans ma tête, c’était incroyable. C’est le moment qui m’a le plus marqué [rires].

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Laure « Bulii » Valée et Eefje « Sjokz » Depoortere. Crédits : Lol esports

L’interview de Rekkles était très cool aussi dans le genre. C’était l’interview la plus scriptée du monde. Il revient après 8 semaines où il a fait une pause donc on sort les trompettes. Tout s’est écrit seul. Et puis, on peut le dire, c’est le meilleur dans l’exercice de l’interview et en plus, on s’entend bien.  Évidemment, c’est plus facile. Celle-là m’a marqué car c’est une interview que je devais réussir. C’est le joueur phare des LCS. Tu ne peux absolument pas te permettre de rater ça.

Laure Valée, quelle est la partie de ton travail que tu apprécies le plus aujourd’hui ?

Pouvoir rencontrer des gens tout le temps, vraiment. Quand j’ai passé mon bac, je me disais que je voulais être commissaire-priseur à l’international. J’ai fait un peu moins de 6 mois en Floride pour passer un diplôme d’anglais. Mes parents m’ont toujours fait voyager. Dans mon travail, le fait que je puisse voyager et parler à beaucoup de personnes dans des milieux différents, c’est ce que j’apprécie le plus. J’espère que ça durera.

C’est le principal je pense.

Et pourtant, j’ai peur de prendre l’avion [rires]. Je le prends toutes les 2 semaines, mais je ne m’y fais pas. L’avion me terrifie.

Pourtant, l’avion est le moyen de locomotion le plus sûr aujourd’hui [rires].

Oui on me l’a répété quelques fois [rires].

Tu travailles aujourd’hui pour les LCS. On te voit apparaitre chez O’Gaming également. Quelles sont toutes tes activités ? C’est quoi la semaine type de Laure Valée ?

Waouh, ça dépend des moments. J’ai des piges qui vont et viennent, notamment cette année. J’étais animatrice pour des compétitions sur ES1, c’était un mardi sur deux, j’ai également l’émission hebdo, que j’ai co-créé avec Lâm HUA et Genius, qui s’appelle Skell sur la JVTV. Elle va continuer cette année, on est super contents. Depuis le début de l’été, pendant toute l’année, je fais des voix off.

J’ai donc une partie de mon emploi du temps chez Webedia. C’est essentiellement le mardi où j’ai mon émission hebdo et les voix off que je fais cette année pour PlayStation et Xbox. Je suis contente car c’est un exercice que je ne faisais plus depuis Canal +.

Quand il y aura des compétitions chez O’Gaming, je ferai des host, mais généralement c’est plus pour les Worlds ou les play-offs ou le MSI. Sinon en période de LCS, une semaine sur deux, je pars le mercredi matin pour aller à Berlin et j’arrive le midi. L’après-midi, je suis chez Riot Games. Le jeudi, également pour faire des réunions toute la journée afin de préparer l’édito. Le vendredi, on arrive à midi, on fait des répétitions et on se fait maquiller. On attend une heure et demie avant le show, c’est interminable donc on mange et on discute.

Les LCS commencent et on termine vers 1h du matin. Généralement, j’ai du mal à dormir donc je m’endors plutôt vers 4-5h pour me lever vers 10h et aller au studio. Encore ici c’est la même routine pour le second jour. Ensuite, je prends l’avion le dimanche midi et je prends un jour de break le lundi. Ce jour-là, je ne fais rien à part regarder des séries, me commander à manger et jouer aux jeux vidéo. Enfin si, je te dis ça mais je regarde aussi mes mails et je réponds à des demandes.

Finalement, je fais toujours quelque chose. C’est aussi ça le problème d’être Freelancer. Je dois trouver du travail. Donc ce sont des contacts à entretenir, des invitations auxquelles tu dois répondre même quand tu es fatiguée car ça te fait voir des gens et que c’est important. Tout ça, c’est sympa à faire mais c’est intense. Tu voulais un schéma type mais en réalité chaque semaine est différente. C’est même très compliqué de te donner un planning sur deux mois. Le fait de faire des choses différentes tout le temps, c’est génial, car je ne me verrais pas être chez Webedia, O’Gaming ou Riot Games toute la semaine.

Laure Valée, tu nous parlais de la voix off, c’est un exercice que tu aimes. Tu peux nous en parler en détail ? Sur quels types de projets tu vas apporter ta voix et comment ça se prépare ?

Quand j’ai commencé à le faire, c’était pour Canal +. Je faisais un reportage une fois par semaine. J’écrivais et je choisissais le sujet, les intervenants, la voix off etc. Le fait d’avoir arrêté, ça m’ennuyait.

Récemment, j’ai pu host l’E3 sur JVC et Aymeric Lallée, journaliste que j’admire beaucoup d’ailleurs, m’a contacté pour me dire qu’il avait aimé ma prestation. Il avait besoin de moi pour faire des voix off. C’est l’avantage d’être chez Webedia. Ils regroupent plein de personnes de médias différents.

J’ai fait des voix off pour League of Legends, Blizzard, etc. Tout ça, je le fais pour des publicités qui se retrouvent sur JVC. La différence avec Canal +, c’est qu’ils m’écrivent mon texte. Je n’ai plus qu’à le retravailler un peu pour me l’approprier. C’est essentiellement sur des jeux que je connais. Malheureusement, je n’ai pas les images sur lesquelles travailler, chose que j’avais sur Canal + car le montage était déjà fait. Je pouvais faire ma voix en fonction de ça. Le reportage TV, c’est encore différent de ce que je fais là, mais c’est sympa, ça donne vraiment un timbre de voix différent. Et puis de toute façon, c’est un exercice d’élocution donc dans ce que je fais, ce n’est jamais mauvais.

Aujourd’hui, tu as un rythme plutôt soutenu. Quel bilan retires-tu de cette première année au niveau des LCS mais aussi plus globalement sur tes autres activités ?

C’était cool, même très cool [rires]. J’ai encore appris énormément de choses. C’était déjà le cas l’été d’avant en sortant de toute mon expérience avec Canal +. J’en reviens un peu à ce que je disais. J’ai vraiment l’impression que professionnellement, j’ai 3 piliers qui m’ont formé : O’Gaming avec Chips, noi, Duke et Zab, mais aussi JK avec Canal + et les équipes des LCS avec lesquelles j’ai le plus travaillé cette année.

Je suis incapable de te dire où je serai l’an prochain. Je considère que j’ai déjà énormément appris cette année même si c’est éprouvant et fatigant par moment. Je ne regrette pas un seul moment, même dans les déceptions. J’apprends, et même dans les horaires monstrueux où je me suis retrouvé à ne pas avoir de week-ends pendant des mois, ce sont quand même des expériences professionnelles enrichissantes.

Encore une fois, j’attaque l’année prochaine avec un grand point d’interrogation. Je n’aime pas trop ce côté-là mine de rien. Je suis angoissée de nature. Ne pas savoir ce que tu fais le lendemain, c’est pas toujours agréable, mais tu t’y fais. Pourtant, je ne pense pas devoir être inquiète de ma situation actuellement.

Comment on combat le stress au quotidien dans ce que tu fais ?

Je dirais que tu ne le combats pas. J’ai essayé durant des années. J’essaie maintenant de m’en servir comme une force. La dernière fois où ça m’a autant aidé, c’est au MSI. Une heure ou deux avant de monter sur scène, j’ai eu une dispute avec une personne tierce. C’est le genre de chose qui m’affecte beaucoup. Par rapport au travail, on n’était pas d’accord. J’étais hyper stressée. Tu te dis que tu ne dois pas craquer et mettre tes émotions de côté parce que c’est la finale du MSI. Tu dois faire le préshow en pensant à ça, mais tu as aussi le stress à gérer…

Dans ce genre de moment, où tu dois performer devant une salle pleine à craquer, c’est « Do or Die » en fait. Maintenant tout ce que je fais, je le vois comme ça. Oui, tu es stressée, mais si tu te foires, tu t’en voudras encore plus et les gens vont le voir. C’est con mais c’est comme ça. C’est ce qui me fait avancer dans le boulot, en tout cas dans les moments où je suis vraiment stressée. L’humiliation serait encore plus dure à assumer.

Même si tu passes sur O’Gaming, les LCS c’est une tout autre ampleur. Comment on gère le passage à l’écran devant une si grosse audience où la moindre erreur est interdite ?

Quand je fais mes interviews, je ne pense pas à l’audience et aux gens qui me regardent. Quand je m’adresse à la caméra, je m’adresse aux producteurs, à Sjokz ou je regarde les joueurs. Je ne pense pas au fait qu’il y a 60.000 spectateurs sur Twitch. Ça, j’y pense seulement après quand j’ai fait une erreur et que je m’en veux.

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Laure Valée et la star des LCS EU, Rekkles. Crédits : Lol esports

Je pense que mon plus gros focus dans ces moments, c’est de ne pas décevoir les gens avec qui je travaille. S’ils m’ont laissé ma chance, je dois être à la hauteur. C’est la même chose avec O’Gaming, même si c’est plus cool. La seule chose que je veux, c’est faciliter le travail des gens autour de moi. Je veux que Chips et Noi, qui m’ont fait confiance, puissent se dire « on a eu raison ». Donc en fait, je ne veux pas savoir ce que Jean Michel l’analyste a à dire sur ce que je dis face caméra.

[Rires]. Durant l’année, tu as été nominé aux esports awards dans la catégorie journaliste aux côtés de grands noms comme Travis ou Jacob Wolf. On peut bien évidemment évoquer la légitimité d’un tel concours mais, qu’est-ce que ça fait de se voir, Laure Valée, à côté de ces personnes-là ?

C’est assez marrant. Il faut savoir que pour être nominé, il faut que des gens votent au préalable pour toi. C’est un panel de professionnels du milieu qui vont décider des nominés finaux en fin de compte.

Je pense qu’il y a beaucoup de Français qui ont voté pour moi car ils sont familiers avec ce que j’ai produit ces dernières années. Je ne considère pas ce que je fais actuellement comme du journalisme même si je suis devant une caméra et que je pose des questions. Ça s’y détache pas mal car je travaille pour un éditeur. Ce sont des problématiques qui rentrent en compte.

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Je suis très contente de me retrouver sur la liste à côté de ces personnes-là car ce sont des professionnels très reconnus dans le milieu. Je me sens honorée. Savoir si ça vaut quelque chose, je n’en ai rien à faire, c’est assez subjectif. J’espère juste ne pas le gagner. C’est très cool d’être reconnue pour son travail, mais je ne veux pas que ça aille plus loin. Tout ce qui va avec la célébrité et le fait qu’on parle de moi, ça ne me met pas à l’aise et ça me dérange.  Donc cette nomination, c’est cool, merci beaucoup, mais pas plus, stop, on arrête là [rires].

J’aimerais aborder un sujet avec toi car tu es en plein dedans. Est-ce que l’arrivée des franchises va changer quelque chose sur ta manière d’aborder les matchs ou l’après-match au niveau des interviews ou du déroulement de votre storyline ?

Non pas vraiment parce que je suis arrivée dans l’année des LCS où il n’y avait plus de relégations déjà. Les questions et la préparation en fin de saison sur ce sujet, c’est quelque chose que je n’ai pas connu donc le fait que les franchises arrivent, bêtement, en termes d’édito, ça ne va pas changer grand-chose.

C’est marrant que tu m’en parles. On ne me pose jamais la question et je me suis fait cette réflexion récemment quand j’essayais de planifier l’année prochaine. Oui, je viens de finir, mais je suis une malade donc je planifie l’an prochain [rires]. Mais du coup, je me suis posé la même question.

Je ne pense pas qu’il y ait quelque chose à prendre en compte. Après, dans la manière de voir les LCS non plus parce que, de toute façon, il faut que je suive les storylines de Riot Games donc je ne peux pas sortir des sentiers battus. C’est aussi pour ça que le journalisme classique me manque. Je ne peux pas exploiter tout ce que je veux.

Cette question m’est venue à l’esprit parce que finalement, on va quitter le schéma du sport traditionnel européen pour rentrer en franchise. Le storytelling qu’il y a autour de la compétition et que tu retrouves avec tes interviews, ça va peut-être être différent sur les prochaines années puisqu’il y aura un peu moins d’enjeux globalement. Le seul focus sera les Worlds.

Oui ! Ce sont des questions que je me pose. Quels vont être les nouveaux gros enjeux compétitifs ? C’est exactement pour ça que je suis frileuse avec la franchise. Le fait qu’il n’y ait pas de relégations, ça peut rendre certains joueurs feignants. Ils peuvent se dire qu’ils sont tranquilles même s’ils sont sur des sièges éjectables. La structure en elle-même, elle, ne l’est pas. J’ai peur que les moyens investis par les structures ne soient pas forcément à la hauteur de ce qu’on attend en compétition.

C’est aussi une question que je me pose encore pour les NA, et à N+1, je n’ai toujours pas la réponse. À mon avis, il faudra attendre 2-3 ans pour voir les retombées sur ces décisions. Les slots sont à un prix élevé donc il va y avoir des attentes économiques élevées. Seulement, je ne veux pas que ça devienne un truc centré sur l’argent, mais j’ai hâte de voir les prochaines figures qui vont faire vivre les LCS ces prochaines années, c’est sûr.

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Laure Valée en pleine interview des joueurs Fnatic. Crédits : Lol esports

Les casters de Riot Games ne feront pas le voyage en Corée du sud pour les Worlds, quel est ton avis Laure Valée ?

Franchement, c’est un mauvais signal, tout simplement. Justement, dans une époque où Riot Games est dans une sorte de renouveau, ce n’était peut-être pas le bon moment pour annoncer ça. On sait qu’OGN va donner la production de la LCK à Riot Games. On voit aussi ce qu’il se passe en Chine, d’ailleurs c’est incroyable leur puissance économique et les moyens qu’ils se donnent pour faire bouger les choses. Ils font bouger les équipes et mettent des stades dans toutes les villes. C’est le modèle idéal qu’il devrait y avoir aux USA.

Avec la Corée qui va changer, la chine en plein boom, la franchise en NA, puis maintenant en EU… Envoyer un signal comme ça pour le plus gros événement de l’année, je trouve ça moche. Il faut dissocier ce qui est jeu et esport donc je peux comprendre mais encore une fois, je ne suis pas au courant de tout. Peut-être que le budget esport de Riot Games est moins gros que ce qu’il a pu être par le passé mais je trouve ça vraiment dommage. Deficio trouve que ce n’est pas si grave, mais pour avoir fait les deux, l’expérience que tu peux offrir devant une salle pleine et l’expérience que tu as en studio à commenter en différé et à te lever à 4h du mat à faire un pré show pour montrer que tu es frais alors que tu veux juste dormir, devant un studio vide qui plus est, ce n’est pas top. Je n’accueille pas ça positivement même si je comprends que Riot ait dû prendre ces dispositions-là. Je pense que c’est plus une question de devoir que de volonté donc ce n’est clairement pas positif.

On a hâte de voir comment l’affaire va évoluer et s’ils vont rectifier le tir.

Ce n’est pas la première fois. Pour le Play-in, ils le font, mais généralement, il n’y a que ça.

Là ça n’a pas l’air d’être le cas. Je faisais le point avec Romain Bigeard sur l’économie de LoL et tous les récents problèmes que l’éditeur a pu avoir avec les influenceurs en France. On entend tous les ans que le jeu va mourir. Ce n’est jamais le cas sauf que cette année, il y a un petit truc en plus avec l’arrivée de Fortnite. Certaines choses changent mais Romain m’expliquait que League of Legends n’était pas en train de décliner et que ça restait très fort en chine ou encore en Corée.

C’est exactement ce que je veux dire. Les gens n’ont pas la bonne notion et le bon spectre des choses. Certes, en occident, je ne pense pas que ça soit en train de baisser mais, au moins ça se stabilise. On n’a pas la croissance exponentielle qu’on a pu connaitre, mais niveau audience, on va rester stable. Là où c’est dingue, c’est que les gens ne se rendent pas compte de l’importance de LoL en Chine. Les raisons pour lesquelles Riot ne tire pas la sonnette d’alarme, c’est ça ! Leur principale cible aujourd’hui, c’est la Chine, tout simplement.

Romain m’indiquait que le nombre de joueurs en Europe augmentait encore.

Ça ne m’étonne pas, après je me base par rapport à l’esport et à l’audience.

Justement, j’allais y venir Laure Valée. Tu m’évoques une phase de stabilisation de l’audience, cela ne te fait pas peur sur le long terme ? Romain me parlait des marques qui pouvaient arriver et les clubs de foot notamment. Moi, j’étais convaincu qu’elles allaient venir pour les franchises. Lui, me répondait qu’il n’y croyait pas car les investissements sont trop élevés par rapport à la visibilité que le jeu peut apporter. Même si LoL pourrait se stabiliser, pourquoi une marque irait sur une franchise plutôt qu’un Fortnite par exemple ?

Fortnite, entre nous, ça ne va pas durer. Je me demande si ça va réellement s’inscrire dans de l’esport. Je n’aime pas trop leur manière de s’adapter autour du gain. Mettre des cashprizes hallucinants pour créer des soi-disant joueurs pros… Finalement, tu ne crées pas d’esport autour. Le seul engouement que tu arrives à produire, c’est autour d’un gain démesuré. Même si tu finis 20ème tu gagnes tes 3000 euros. C’est la seule visibilité que vont réussir à se donner les Battle royale. Ça ne s’assimile pas à de la compétition et ça va saouler les gens.

Ils ont fort à faire s’ils veulent entrer dans l’esport effectivement.

Quand tu as commencé ton aventure Laure Valée, l’un de tes principaux buts était d’être là où tu es aujourd’hui.

Oui [rires]

Notamment sur la scène des LCS. J’adore faire des projections et demander aux gens où ils étaient il y a 5, est-ce qu’ils s’imaginaient être là où ils sont aujourd’hui et surtout où se voient-ils dans 5 ans, même si ça peut être dur à apercevoir. Qu’en est-il pour toi Laure Valée ? Quelles sont tes ambitions personnelles pour la suite ?

Ça va paraitre large mais dans 5 ans, je veux un boulot qui me permette de voyager et de voir tout ce qui se fait dans le monde en termes de jeux vidéo et d’esport. Je veux pouvoir en parler via un média quelconque, que ce soit interviewer, host pour un éditeur ou même journaliste.

Je n’ai pas spécialement d’attentes en termes de rôle, d’ici 5 ans. Je préfèrerais être sur le terrain et avoir un rôle de journaliste pour faire de l’investigation plutôt que de l’hosting mais après, qui sait où je serai dans 5 ans. À terme, ce qui est sûr, c’est que je veux faire de la production. Je ne veux pas rester toute ma carrière derrière la caméra. Je veux créer des projets.

Que dirais-tu à quelqu’un qui voudrait être journaliste ? Quelles sont ses meilleures armes ? À quoi doit-il s’entrainer au quotidien ?

Avoir un bon réseau, parler anglais, se montrer présent et volontaire aux opportunités et ne pas hésiter à être force de proposition mais surtout, s’accrocher dès qu’une opportunité se présente car ça peut évoluer dans le bon sens rapidement. Je pense que ça peut être encore le cas aujourd’hui de trouver des opportunités intéressantes contrairement à ce qu’on croit, surtout à l’international. Surtout, s’il y a bien une chose qu’il ne faut jamais oublier, c’est d’y croire !

Un dernier mot à ajouter ?

Oui ! J’espère que la Chine va gagner les Worlds cette année !

Merci à toi Laure Valée !

separateur rose esport insights

L’interview avec Laure Valée touche à sa fin. J’espère qu’elle vous aura plu et vous aura permis de comprendre encore un peu plus l’univers de Laure Valée.

De nombreux points sont à retenir de cette entrevue.

Comme je vous le disais en préambule, il devient de plus en plus compliqué de réussir à créer sa place dans l’esport. Les écoles et autres formations commencent à pointer le bout de leur nez et renforcent cette tendance. Pourtant, Laure Valée nous rappelle qu’il est encore possible, avec beaucoup d’envie et de sérieux, de se frayer un chemin, à condition d’apporter une réelle valeur ajoutée.

Ne cédez pas aux sirènes en vous lançant à l’aveugle. Si vous devez faire un choix aujourd’hui, partez à l’apprentissage d’un métier avant d’espérer entrer dans l’esport. Ce n’est plus un monde ouvert où la motivation et quelques bidouilles vont feront réussir.

Encore une fois, attendez-vous à faire d’énormes sacrifices. Laure Valée est passée par là et il ne fait aucun doute que c’est le cas pour de nombreux professionnels dans l’esport.

« Do or die » : même si le message peut paraitre fort, c’est un très bon moyen de répondre à vos attentes personnelles mais aussi celle du public. L’esport mérite et a besoin que chacun de nous donne le meilleur de soi.

C’est encore plus vrai pour Laure Valée qui se retrouve chaque semaine dans la lumière des critiques. Si vous voulez le même parcours, il faudra vous y attendre et considérer l’expérience qu’elle nous a partagée.

Enfin, et c’est un sujet que j’avais à cœur d’aborder : la place de la femme dans l’esport. Notre milieu est encore malheureusement trop empreint aux clichés. Ce n’est définitivement pas « plus simple » pour la gente féminine de se faire entendre, d’autant plus quand celle-ci doit prouver sa légitimité à chaque instant. Malgré tout, et grâce avec des personnes comme Laure Valée, la dynamique est bonne. De plus en plus de femmes ont le courage d’afficher leurs motivations. Il est de notre devoir, à chacun de nous, de continuer ces efforts car le visage de l’esport a besoin de leur vision.

Malgré son quotidien très rythmé, je remercie encore une fois Laure Valée pour avoir pris le temps de répondre à mes questions. Je suis sûr que nous aurons l’occasion de la suivre prochainement dans ses nombreux projets.

Juste une dernière chose : C’est Vitality qui va gagner les Worlds cette année. Désolé Laure Valée.

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2 Commentaires

Naika 8 avril 2019 - 20 h 22 min

Super interview ! Je me suis régalée, les questions étaient pertinentes et c’était intéressant de découvrir un peu plus Laure Valée. Bien joué 😉

Reply
Alexandre Hellin 8 avril 2019 - 22 h 46 min

Merci pour ce commentaire ! Heureux qu’elle te plaise 🙂

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