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Interview de Romain Bigeard : General Manager d’Optic Gaming (part.1)

Par Alexandre Hellin
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Romain Bigeard fait partie de ces gens qui vous font comprendre que tout est possible dans l’esport. Son énergie, son élocution, sa bonne humeur, son humilité, sa vision et sa passion ne laissent personne indifférent dans l’esport. Il y en a trop peu encore aujourd’hui.

Diplômé d’un Master en Marketing à la Business School de Rouen, Romain Bigeard fait ses premières armes en parallèle dans différentes entreprises liées au domaine du gaming comme Activision Blizzard ou Warning up, une agence spécialisée dans l’Entertainment.

Romain Bigeard débute sa carrière dans l’esport par un stage chez Razer en tant qu’assistant Marketing. En seulement quelques mois, il est propulsé spécialiste esport pour l’Europe dans la même entité.

16 mois plus tard, l’aventure de Romain Bigeard prend une nouvelle saveur et le voilà aux commandes d’Unicorns of Love, une équipe ambitieuse ayant réussi à trouver sa place dans la compétition esport la plus prestigieuse d’Europe : Les LCS de League of Legends. Véritable homme à tout faire, Romain Bigeard prend la casquette de manager pour mener ses joueurs à la victoire, celle du Marketing pour améliorer l’image de marque de l’équipe sur les réseaux sociaux, faire croitre la communauté et créer du contenu engageant, sans oublier la gestion administrative et le développement du sponsoring pour faire vivre l’équipe économiquement.

Bref, Romain Bigeard est un vrai titan qui n’a pas économisé son énergie et s’est donné corps et âme pour faire d’Unicorns of Love l’équipe qu’elle est aujourd’hui.

Laissant un héritage certain, Romain Bigeard s’est envolé pour les États-Unis il y a moins d’un an. Sa direction ? Tout simplement l’une des équipes esport les plus prolifiques du monde entier : Optic Gaming.

Initialement recruté pour créer et gravir les échelons vers le sommet du jeu phare League of Legends, Romain Bigeard est nommé en quelques mois General Manager. Autant dire que le pari est réussi. En moins de 4 années de travail acharné, le voilà aujourd’hui sur le toit du monde et disposé à prendre des décisions qui dirigeront l’esport que nous regarderons demain.

A quoi ressemble sa vie aujourd’hui ? Que fait-il ? Quelles sont ses activités qui animent Romain Bigeard au quotidien ? C’est ce que j’ai voulu savoir en partant à sa rencontre.

L’interview comporte plus de 11.000 mots. Je n’en attendais pas moins de la part de Romain Bigeard. C’est long. Même très long. Faites l’effort de tout lire. Prenez place 15mn confortablement dans votre fauteuil, car je vous promets une chose : toutes les paroles de Romain Bigeard dans cette interview sont d’une qualité rare et remettront en question tout ce que vous pensiez comprendre de l’esport.

Bonne lecture !

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Bonjour Romain Bigeard, Ça fait quoi d’évoluer dans l’une des plus grandes équipes esport au monde ?

C’est marrant parce que c’est un changement qui va vite. Je ne m’en suis pas vraiment rendu compte. D’ailleurs, je n’ai pas l’impression d’avoir drastiquement changé ma façon de travailler ou d’appréhender mon quotidien, pourtant, les projets, l’argent et les enjeux sont bien plus gros. Si on compare l’esport à un train qui va très vite, j’avais la chance d’être dans le wagon de tête, là, je suis passé dans la première classe du wagon [rires].

Je commence à me rapprocher du poste de pilotage donc c’est vraiment cool. C’est gratifiant. Le privilège d’arriver aussi loin dans le processus de décision esportif, c’est fascinant. Tu rencontres des gens incroyables tous les jours.  En termes de business, sur les 4 derniers mois, je pense avoir rencontré la plupart des décisionnaires qui sont réellement dans le business. Je dis réellement car il y a une grosse différence entre ceux qui ont l’argent et ceux qui ne l’ont pas mais qui prennent les décisions. Et à l’heure actuelle, surtout aux Etats-Unis, il y a une collision entre le monde des décisionnaires présents dans le milieu de l’esport qui ont besoin de sommes astronomiques pour évoluer et passer dans une autre dimension, et les décisionnaires du monde classique de l’entertainment qui apportent l’argent. La plupart des équipes sont en train de faire des levées de fonds colossales (TSM vient de lever 37M). Ça se compte en millions.

Il y a aussi l’arrivée de nouveaux jeux qui entraînent des crises existentielles, je pense à Fortnite notamment. Tu vas aussi avoir des axes longs termes comme le jeu sur mobile. Et mon travail, en tant que manager, d’un point de vue stratégie, c’est de déceler si oui ou non, ça va se transformer en esport. C’est quand même la plateforme la plus jouée au monde ! C’est plein d’interrogations sur le long terme et de par mon métier actuel, je dois me les poser sérieusement. C’est vraiment bien. Je ne me rends pas compte de là où je suis, et j’espère ne pas m’en rendre compte le plus longtemps possible.

Romain Bigeard, les gens ont du mal à faire la différence entre les budgets qu’on dispose en Europe comparé aux USA. On sait que les chiffres s’envolent avec les franchises en LCS NA et tout ce qu’il y a autour par exemple. Sur quel ordre de grandeur on se situe quand on est en Europe et qu’on part aux USA ? De quels montants parle-t-on ? Acheter un joueur aux USA, ça coute combien Romain Bigeard ?

Les prix d’entrée en franchise sont sensiblement les mêmes entre l’Europe et les États-Unis (10,5M€ pour une nouvelle team, 8M€ pour une team déjà présente en 2018). La grosse différence se place sur les salaires. Chez nous aux US, les 5 joueurs vont avoir de gros salaires, là où en Europe tu vas avoir un joueur star et tu construis ton équipe autour de lui. Il y a aussi les infrastructures qui rentrent en jeu. Il y a un vrai décalage sur le nombre de personnes qui composent le staff comme les coaches, les psys, les processus d’entraînements physiques avec les masseurs, les nutritionnistes… Tu vas aussi devoir prendre en charge les appartements, les bureaux… En Europe, ils sont encore sur le modèle de Gaming House donc ça centralise pas mal les coûts pour l’équipe. Les joueurs vont y jouer mais aussi y vivre. Ce n’est forcément pas les mêmes budgets.

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PowerOfevil, joueur star d’Optic Gaming. Crédits : Lol esports.

Par exemple, sur notre structure League of Legends, on a entre 15 et 17 personnes qui s’entraînent à Los Angeles. Tu as les 10 joueurs (5 en équipe A – « Starting team » et 5 en équipe B « Academy »), ensuite Zaboutine en Head coach et en dessous de lui, deux coaches et deux managers.

Moi, je passe 3-4 jours par semaine à Los Angeles avec eux et le reste de la semaine, je suis à Dallas au QG pour gérer des projets plus macros. Le passage en franchise, c’est en quelque sorte la validation que ta marque a de grandes chances de devenir pérenne dans l’esport et se transforme en grand nom dans les 5-10 ans à venir. Est-ce que tu le seras ? Pas forcément. Il y a une bulle dans l’esport actuellement, comme il y a eu une bulle internet. La vraie question qu’on se pose tous, c’est de savoir qui va survivre et qui va être notre Google ou Facebook. Une chose est sûre, tu ne veux pas être Yahoo.

La franchise aux USA sur League of Legends, ça a été la première étape. Tu as 10 équipes intronisées comme potentiellement pérennes. Tu as eu la même chose sur Overwatch. C’est ce qui va être intéressant en Europe d’ailleurs. Les 10 équipes qui vont récupérer un slot vont pouvoir être considérées comme une marque solide. Ça ne sera pas le cas pour tout le monde. Si tu ne peux pas l’avoir, tu as intérêt d’avoir des mécaniques très fortes autour. Regarde FaZe aux US, c’est toujours une énorme structure esport, mais elle n’a pas eu de slot en franchise et ils ne sont pas non plus sur Overwatch. Ils ont intérêt de trouver d’autres mécaniques pour rester sur le devant de la scène car ça va leur manquer.

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Logo des 10 équipes présentes en LCS NA. Crédits : Kini

Une équipe comme FaZe peut risquer sa pérennité sans slot en franchise tu penses Romain Bigeard ? C’est tout de même une grosse marque, au même titre qu’Optic Gaming.

Ça peut arriver ! Regarde Immortals sur League of Legends. Le fait de ne pas avoir réussi à récupérer un slot de franchise les a beaucoup endommagés. Ils en ont un sur Overwatch mais je pense que ça a été dommageable pour eux et que ça impacte leur image de marque. Sans même discuter d’Overwatch pour savoir si c’est vraiment un concept qui durera sur le long terme. Je me pose beaucoup cette question à titre perso.

Ton slot de franchise, tu l’as pour longtemps. Quand il faudra s’asseoir autour de la table pour parler business, tu auras les Golden States et Clutch Gaming même s’ils ne sont pas bons à l’heure actuelle. Si League of Legends continue d’être un jeu fort, ils auront une marque forte car ils sont liés au jeu. La valeur la plus basse où ils peuvent tomber repose sur la valeur intrinsèque du jeu et de leur slot. Alors que si tu es en roue libre comme FaZe, tu as toujours intérêt à être très bon, car ta valeur minimum, elle est littéralement de 0. S’ils arrêtent de faire du contenu, ils disparaissent, alors que Golden State Warriors, non. Ça impacte beaucoup le sponsoring. Tu peux prouver que tu seras là encore dans 10 ans, sans même parler du fait que t’es capable de trouver des investisseurs pour des slots etc.

Avant la Franchise, une marque comme FaZe ou Optic pouvait se reposer sur la création de contenus sans forcément se soucier de leurs résultats et tout de même continuer à grandir en tant que marque. Aujourd’hui avec la franchise, on est obligé de s’y plier car ça va prendre le dessus sur tout le reste.

Oui, je ne sais pas comment ça s’est passé avec le Football quand il est passé en ligue mais je suppose qu’il devait exister plusieurs tournois. Il y a 90 ans, quand tu décidais de faire une ligue, si tu attrapais ta place, sur le long terme, t’es bien. C’est un peu différent car dans le football, il y a de la relégation mais au moins, tu es visible.

C’est le signal qui est lancé en Europe. Si tu veux faire du LoL mais que tu n’as pas de slot, c’est très compliqué. Les équipes sur Counter Strike Global Offensive, depuis des années, ils essaient de créer une ligue à grande échelle, que ce soit l’ESL, les clubs, Face it… Si à la fin, il y en a une qui survit, ça sera celle où il faudra être présente. Si ton club fait partie de ça, tu as tout gagné.

D’ailleurs, c’est la crise identitaire des équipes. Quand tu aimes l’esport, tu es fan d’un joueur ou d’une équipe en particulier ? La plupart du temps, tu vas être fan d’un joueur. Comment tu fais en tant qu’équipe pour construire ta marque et rester solide sur le long terme ? Fnatic a réussi à le faire en se greffant à une succession de joueurs très performants. Unicorns Of Love a aussi réussi le pari en développant un peu une image de marque fun mais H2K galère un peu plus par exemple. Les franchises sont un outil de plus pour pérenniser notre marque.

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Fnatic, une des plus grandes équipes au monde présente en LCS EU. Crédits : Lol esports.

Romain Bigeard, tu étais manager de l’équipe League of Legends, et très vite, tu en es devenu General Manager. Sur une structure aussi grande qu’Optic Gaming, ça a pu surprendre, en positif, mais finalement, ce n’est pas si étonnant avec l’énergie et la vision business que tu as. Peux-tu nous expliquer comment cela est arrivé aussi vite ?

C’est déjà un poste sur lequel ils voulaient me recruter plus ou moins la première fois qu’ils sont venus me voir à l’époque où j’étais chez Unicorns Of Love. J’ai longuement hésité parce que je ne pensais pas avoir la carrure. Même si Optic n’est pas très connu en Europe, aux États-Unis ce sont des monstres. Tout est plus grand, le nombre de personnes, les budgets, les responsabilités… Ce n’était pas mon univers de prédilection et j’aime beaucoup la compétition sur LoL, donc dans un premier temps, je leur ai dit que j’allais travailler sur leur arrivée en LCS NA.  Seulement après, on pourra discuter pour le poste de General Manager.

Derrière Optic Gaming, il y a une boite qui s’appelle Infinite. C’est le centre de commandement. Il y a beaucoup d’entreprises derrière. Optic Gaming fait partie de l’une d’elles sur le marché de l’esport. Mais nous ne sommes pas seuls. Il y a aussi Obey et Allegiance, deux équipes présentes sur d’autres jeux etc. Il faut rajouter aussi un département merchandising, media, finance, événement, logistique, des avocats…

Au total, la boite Infinite, c’est environ 200 employés en incluant les joueurs. C’est énorme ! Si tu veux pouvoir être efficace, il faut que t’arrives à comprendre comment tout ça fonctionne. Je préférais démarrer sur mon propre projet où j’ai carte blanche et seulement après avoir compris les nœuds de pouvoir, je pouvais récupérer Optic Gaming. Il me manquait un réseau américain aussi. J’ai été recruté, certes, mais je ne savais rien. C’était littéralement ma plus grande force en Europe.

C’est un peu ce qui m’est arrivé chez Unicorns Of Love. Demain, tu deviens manager de l’équipe, tu fais quoi ? J’en savais autant que toi à l’époque en débarquant à Berlin. Tu sais comment fonctionne l’esport mais il va falloir te donner, prendre ton skype ou ton twitter et aller voir les gens pour discuter de leur business. C’est ce que j’ai dû faire chez UOL pour m’adapter autour d’équipes comme Fnatic, G2 et les autres.

J’ai fait la même chose ici. J’étais Romain Bigeard qui venait de l’Europe. Au final, on ne sait rien, en soi. Oui, tu as entendu parler de Team Liquid et des autres équipes, mais combien de personnes sont capables de te raconter l’histoire de l’esport aux USA ou de te raconter comment s’est construite la scène COD ou CS : GO ?

C’est la beauté et la chose terrible pour l’esport. On est tellement tous spécialisés. Rabelais, il y a 500 ans, il était tout à la fois : avocat, prêtre, médecin… Bref il faisait plein de choses. Pourquoi ? Le volume de connaissances à l’époque n’était pas aussi vaste que maintenant. Tu pouvais devenir médecin en étudiant un ou deux ans, donc si tu étudiais pendant 10 ans, tu pouvais avoir 5 ou 6 diplômes. De nos jours si tu veux être médecin, il va te falloir entre 10 et 15 d’études, sans parler des hautes spécialisations. Donc tu imagines bien qu’être avocat et médecin en même temps aujourd’hui, c’est une aberration.

L’esport, on est un peu là. Tu peux apprendre plein de trucs, sauf que via des technologies comme internet, ça se spécialise très vite et très fort. Ce qui fait que des experts esport, il y en a très peu. J’ai rencontré le plus de gens possible sur League of Legends, puis comme la plupart de ces structures sont sur d’autres jeux, et bien j’ai parlé avec des gens sur d’autres jeux aussi. A Los Angeles, tu as la plupart des structures comme Twitch, Riot, Blizzard qui ne sont que le haut de l’iceberg. Derrière, tu as plein de boites qui se lancent spécialisées dans le merchandising, le développement de jeux, de l’événementiels…

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Los Angeles est un point central de l’esport.

Ça a été la plus grosse partie de mon temps sur les 6-7 derniers mois. La manière dont est créé le business dans l’esport est complètement différente de ce qu’on voit de l’extérieur. Je devais comprendre l’écosystème. Les gens doivent vraiment se rendre compte de ça. Entre ce que tu vois et les gens qui prennent les décisions, c’est un monde à part. Ça m’avait interpellé déjà dès mon arrivée chez Razer en stage. En général, tu es fan des joueurs. Eh bien moi, quand j’allais en convention, c’était pareil pour du Counter Strike ou du Starcraft… Mais les gens sur scène ne sont pas les preneurs de décision, ce ne sont pas eux qui ont l’argent. Les gens sur scène font avancer l’esport par la représentation qu’ils en font au monde extérieur. Mais si tu veux évoluer dans l’esport, ce sont les gens derrière qu’il faut connaître.

Il faut comprendre pourquoi ils sont importants, qui ils sont, comment ils génèrent leur argent, comment ils le dépensent et surtout où le dépense-t-il, c’est quoi les tendances ? Etc. C’est un travail quotidien, le business évolue tellement vite. En plus, les acteurs et surtout les jeux d’aujourd’hui ne sont pas forcément ceux de demain.

Romain Bigeard, tu as plus de moyens à ta disposition mais aussi plus de personnes à gérer, il fait quoi précisément le General Manager d’Optic Gaming au quotidien ?

Il voyage beaucoup [rires] ! C’est le strict minimum. Je suis 3 jours à Dallas et 4 jours à Los Angeles ou l’inverse en fonction des billets. Je commence à beaucoup voyager sur l’international aussi. C’est un enjeu long terme de l’esport que d’essayer de comprendre les marchés sur d’autres continents et ensuite rétrécir ça sur d’autres pays. Actuellement, je m’intéresse aux marchés d’Amérique du sud, comment l’esport se développe sur des pays comme le Brésil, l’Argentine, le Chili, le Mexique… Comment il se développe sur l’Asie, le marché coréen, la Chine, le Japon, l‘Inde, des régions comme le Vietnam et la Thaïlande, la Malaisie, Singapour, qu’est-ce que tu vas récupérer sur l’Australie ou la Nouvelle-Zélande sans avoir autant de portée que le reste, mais bon, tu peux les faire venir. L’Afrique, doucement mais surement qui vont se connecter à l’internet avec la démocratisation de la technologie. Tu vas avoir des mini-ordinateurs, des jeux comme LoL qui tournent partout, mais aussi, est-ce que le PC sera la plateforme du futur ? Quand on voit la puissance du mobile… Tout ce qui va être middle East, le Koweït, l’Arabie saoudite tout ça… Il commence à y avoir deux trois événements là-bas, mon travail, c’est de savoir tout ça, de comprendre tout ce qui se passe et pousser à grande échelle la marque Optic Gaming dans le monde entier.

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Le mobile, enjeu clé pour le développement de l’esport. Crédits : Esportbet.com

D’un point de vue plus micro, c’est comprendre comment la plupart de nos équipes s’entraînent. Comprendre comment la scène COD est devenue un tel succès. On pourra en reparler, mais c’est un écosystème différent, c’est de l’esport console avec un marché à tournoi ce qui va être l’inverse de l’esport PC comme CS : GO ou encore d’un marché à Ligue comme LoL. Sur de l’esport à tournoi, ça va être des équipes mercenaires avec des joueurs qui ont peu de protections. Sur League of Legends, cette dynamique temporelle change complètement les choses, ne serait-ce qu’en termes d’entraînement, tu as moins cet effet lune de miel sur LoL que tu peux avoir sur CS GO car les équipes peuvent vite changer.

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Pour résumer, j’essaie de comprendre comment nos équipes travaillent tout en essayant d’articuler tout ça autour d’une même vision, et de manière externe, je m’occupe de l’expansion de la marque et comprendre comment va être fait et joué l’esport dans 2-3 ou 4 ans.

J’aimerais pouvoir me servir de mon propre cerveau pour répondre à ces questions mais c’est impossible, donc qu’est-ce que tu fais ? Tu vas te servir de celui des autres, tu vas leur parler, comprendre comment ils sont arrivés là, qu’est-ce qui les a motivés, quels sont les problèmes qu’ils ont identifiés, comment ils les ont résolus, et tu essaies de t’inspirer de leur processus.

Romain Bigeard, qu’est-ce que ça fait d’être propulsé dans un monde étranger ? Tu as une grosse expérience sur LoL, mais pas forcément sur les shooters comme COD où Optic Gaming est principalement présent. Comment tu t’es adapté et quels sont tes plans sur l’avenir pour le développement de la marque Optic sur ces jeux ?

Tu fais confiance aux gens qui t’entourent et tu leur poses des questions. De manière globale, si tu es un bon coach ou un bon manager, ta plus grande qualité, c’est d’être un caméléon et de t’adapter. Tu essaies de comprendre le monde qui t’entoure car au final ça reste de la compétition, de la performance, du marketing, de la communication… Je suis toujours incapable de regarder une partie de Call of Duty, je comprends la moitié du truc. Par contre, la manière dont ils s’entraînent, dont ils réfléchissent ou encore comment ils racontent leur histoire m’est beaucoup plus familière. Call of Duty, je trouve ça incroyable. L’esport n’est pas très fort, il n’y a pas énormément de spectateurs par rapport à d’autres jeux, ils n’ont pas les événements les plus incroyables en termes de scénarisation ou en logistique si tu compares ça a un Major sur CS GO ou même du League of Legends, mais à côté de ça, tu as quand même des joueurs qui ont réussi à créer des images de marques extrêmement puissantes. Tu as des joueurs avec des millions de fans avec tout ce que ça va impliquer sur l’investissement marketing, la portée de leurs messages etc.

Optic Gaming, en tant qu’équipe, génère plus de vues que toute la partie esport de Call of Duty. Tu prends une grande finale sur le jeu, les retombées médiatiques seront 100 fois inférieures à nos 5 joueurs si tu leur fais faire du contenu pendant un mois.

C’est en ça que Call of Duty est très intéressant. Les joueurs ont réussi à avoir plus de visibilité que la partie esport du jeu, pourquoi ? Car c’était un des jeux les plus gros au monde mais avec un esport 1000 fois plus petit. Maintenant, avec League of Legends et les jeux mobiles, ça ne l’est plus du tout. Gotaga a plus de visibilité que n’importe quel joueur de LoL en France, pourtant le jeu est plus gros que Call of Duty. En plus, la France consomme beaucoup d’esport LoL.

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Gotaga, l’une des plus grandes stars de l’esport entertainment en France. Crédits : @MatthiasGFX

Ça veut dire que COD a réussi à trouver des mécaniques pour que les joueurs arrivent à générer du contenu et de la visibilité qui ont dépassé le stade du jeu. Je trouve ça fascinant ! C’est lié à tout un tas de critères. Je ne suis pas certain d’avoir encore complètement cerné les grands axes de ce phénomène pourtant.

Gotaga disait que les joueurs Call of Duty ne se donnaient pas assez pour se créer une marque en France. Les joueurs évoquent souvent le peu de visibilité qu’apporte le jeu aujourd’hui. La mentalité business est différente aux USA pour les joueurs Romain Bigeard ?

C’est un business où tu as peu d’élus pour beaucoup d’appelés de toute façon, c’est comme la musique. Au regard de la portée possible en France, des Gotaga, je ne pense pas qu’il puisse y en avoir plus d’un ou deux. Le marché américain est tellement plus grand. Forcément, si tu arrives à développer 4 ou 5 mecs qui sont purement américains, tu vas pouvoir décliner ça derrière. Même sur LoL au final, il y a combien de superstars ? Il existe combien de joueurs dont tu es capable de me raconter l’histoire ? Et encore, on fait partie des 1% qui connaissent vraiment l’esport. La personne moyenne qui regarde du LoL, elle regarde probablement d’autres jeux aussi. De combien de joueurs elle peut te raconter l’histoire tu penses ? 1 ou 2 voire 5 grand maximum s’il en regarde beaucoup, mais il ne sera pas capable d’en dire plus.

C’est comme dans le foot. Je n’y connais rien. Je connais quelques noms mais c’est tout. Mais me concernant, je suis à la marge de la portée du foot. C’est un peu le même processus dans l’esport. C’est pour ça que Gotaga a réussi à être aussi gros. Je trouve ça extraordinaire, surtout que son cœur de métier, c’est un jeu esport tout petit.

Aux USA, c’est la même chose. Tu dois avoir 15 joueurs de COD qui sont monstrueux sur la scène américaine parce que le marché est beaucoup plus gros. Je ne pense pas que tu en auras beaucoup plus.

Par exemple sur LoL, tu as 10 équipes de 5 joueurs. Sur les 50 joueurs, combien vont être capables de créer une histoire ? Tout le monde raconte qu’ils n’en font pas assez. Mais qui a le temps de s’intéresser à 50 joueurs juste sur LoL ?

C’est tellement plus simple de suivre une seule personne, regarde Ninja. Tu restes derrière lui, tu as son point de vue, et tu déroules le spectacle. C’est surtout une crise identitaire que Fortnite a ramené dans l’esport. Le plus drôle, c’est que ce n’est même pas un jeu esport pour plein de raison, mais là n’est pas la question, car Epic Games n’en a rien à faire. Ils génèrent les mêmes sensations, ils touchent le même public et même le storytelling est encore plus facile.

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Ninja s’est construit une communauté sans précédent sur Fortnite en l’espace de quelques semaines.

Ils arrivent à créer cette connexion entre des influenceurs et des joueurs professionnels. Le tournoi qu’ils ont fait à l’E3, en associant le top 50 du jeu avec le top 50 influenceurs, c’était du génie. C’est incroyable, et en plus, ils ont eu un peu de chance car c’est Ninja qui gagne avec le DJ Marchmello. Le soir de l’événement, sur scène, t’as le DJ qui a gagné la compétition dans l’après-midi. Pour leur storytelling, c’est dingue. Marchmello est hyper connu aux États-Unis, le mec était ravi. C’est de visibilité cadeau et il va tweeter tout seul. Tu n’as pas besoin de lui expliquer qu’il doit faire un message à ses fans pour dire qu’il aime le jeu car c’est dans le plan média, il en a déjà fait 14 car il aime ça. Il va mixer à l’événement qu’il vient de gagner. Là où c’est fort, c’est que sur les 50 invités, tu en avais plein des mecs comme ça qui auraient pu faire quelque chose.

Ce qui est potentiellement la transition du modèle d’une équipe esport plutôt basée sur une structure de foot vers de l’agence de talent ou là tu vas devoir gérer la carrière des joueurs. Dans le foot par exemple, ce n’est pas l’équipe qui va devoir gérer ta carrière médiatique. Tu as un agent qui fait ça, là où sur de l’esport, ça peut être intéressant d’avoir ton équipe qui fait plus ou moins les deux avec tout ce que ça entraîne derrière d’un point de vue légal sur la représentation du joueur, l’argent etc.

C’est une des très nombreuses questions où l’esport doit trouver des réponses. Ce n’est pas forcément un milieu fermé comme on peut le dire, c’est surtout fermé parce qu’on ne sait pas ce qu’on est en train de faire. Je l’ai déjà dit plusieurs fois mais je persiste, plus j’avance dans le milieu et plus je vois que personne ne sait vraiment ce qu’on est en train de faire. Le défi est là, il faut à la fois, comprendre les tendances du futur, celles qui sont actuelles et comprendre d’où on vient tout en sachant que ça change à chaque nouveau jeu et il y en a tous les 6 mois. On est à la croisée des chemins entre l’internalisation et la régionalisation à la fois.

Mais il n’y a rien de plus puissant que l’activation nationale. Je ne sais pas si tu as vu le dernier maillot de G2 pour l’espagne, mais c’est incroyable. Si G2 arrive sur scène à Madrid, ils vendent tout le stock instantanément. Ce qui prouve bien que cet écho national marche très bien chez les gens alors qu’on se parle d’événements internationaux. Il faut qu’on arrive à tout construire à la fois. Sur le foot, tu as eu le temps de construire tout ça, parce que ça date d’une époque où il n’y avait pas les mêmes moyens de communication.

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Nouveaux maillots à l’image de l’Espagne, pays de naissance de son fondateur Ocelote. Crédits : G2 esports.

Nous on peut tous se parler instantanément. La preuve, pour faire des interviews comme ça, il y a 10 ans, c’était plus compliqué. Ça va beaucoup plus vite.

Tu mets un joueur chinois avec un joueur français sur LoL, certes ils sont incapables de se comprendre, mais ils vont savoir où cliquer. Si tu ping 14x de suite ton jungler, il comprend, c’est universel [rires]. Ce sont des mécaniques qui existaient déjà il y a 100 ans, mais les mecs n’étaient pas présents dans les mêmes pièces. C’est pour ça que l’esport est un milieu fermé. Mais c’est principalement parce que la plupart des acteurs sont occupés à essayer de comprendre ce qu’ils font, et à toutes les échelles.

Autant à l’échelle des joueurs sur des questions d’entraînements et comment je capitalise sur mon expérience, mais aussi comment je deviens meilleur d’un point de vue du coach ou du manager. Comment on va créer le meilleur écosystème pour nos joueurs ? Comment on s’assure que ça marche bien ? Oui tu peux apprendre du foot ou du sport, mais ce n’est pas vraiment les mêmes sports, pas les mêmes mécaniques. Ce sont les mêmes émotions dans le public à la fin, mais pas les mêmes moyens d’aller les chercher. Tout le monde apprend. Tu as une sanction immédiate aussi si ça ne marche pas. Les gens peuvent zapper et regarder autre chose. Est-ce que tu as un vrai besoin d’avoir un stade où les fans se regroupent ? Tu ne peux pas faire ça en plein air ? Est-ce que tu ne peux pas faire ça en 3D ? On peut tout faire, il faut juste accepter de se poser les bonnes questions et comprendre si ces questions existent.

J’aimerais juste revenir sur quelque chose que tu viens de dire Romain Bigeard. Fortnite, ne sera jamais un jeu esport pour toi ?

Alors dans la définition purement esport du jeu, c’est trop aléatoire. Si tu as la chance d’avoir une arme forte dans les 3 premières minutes du jeu et que le joueur en face n’a rien, forcément tu seras plus fort que lui. Ils sont en train d’essayer de tourner ça pour le rendre « plus esport », mais est-ce que ça doit l’être ?

Comme PUBG, il y a un côté aléatoire. Ça n’en fait pas un mauvais jeu, mais d’un point de vue esport, ça ressemble plus au Poker. Au Poker, ce sont les mêmes mecs qui gagnent à la fin, mais tu as toujours un petit côté chance et c’est ce qui rend la chose aussi intéressante à regarder mais ça se détache du sport. Eux-mêmes ne veulent pas forcément être un sport, ils ne veulent pas forcément créer une ligue, ce qu’ils veulent c’est le côté Entertainment.

Ninja qui joue avec Drake, en termes de retombées marketing, ils ont fait plus pour le jeu vidéo compétitif que n’importe quoi d’autre sur les 10 dernières années. Ça a été possible suite au travail de tout le monde mais…

PUBG a enclenché des démarches pour se positionner plus fermement sur l’esport, ne penses-tu pas que Fortnite va suivre ?

Je ne pense pas qu’ils vont le faire. Ils sont tellement gros, ils vont tellement plus vite… Ils vont essayer de créer de la nouveauté et aller toujours plus loin dans leur propre chemin. Il ne faut pas oublier que la structure derrière Fortnite c’est Epic Games. Ils ont aussi les moteurs Unreal qui font quasiment la totalité des jeux triple A sur le marché. Ils sont très très très riches. C’est aussi détenu par Tencent, et eux, leur emprise sur le JV, elle n’est plus à débattre, ils sont partout, ils ont tout acheté.

Si Epic Games veut créer demain leur propre esport, ils ont les fonds. Est-ce qu’ils ont envie d’être esport ? En ont-ils besoin ? Je ne pense pas. Comme la question de savoir si l’esport est-il un sport ? Le sport se questionne là-dessus mais nous on s’en fiche un peu. On est bien occupé avec nos propres problèmes.

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Scène proposée par Epic Games pour leur première compétition sur Fortnite durant l’E3 2018

Est-ce que Fortnite est esport, c’est typiquement une question que l’esport lui-même se pose. Est-ce qu’on les accepte chez nous ou pas ? Fortnite s’en fiche complètement. Ils font des tournois sur invitation, ce n’est pas très sportif. Mais qu’importe pour eux si ça crée du lien derrière.

Le format du Summer Skirmish développé par Epic Games n’est-il pas dangereux pour toi Romain Bigeard ? Il est connoté « esport » aujourd’hui.

Ils font avancer l’industrie et les jeux vidéo dans le mainstream. Le gros avantage d’Infinite (L’entreprise qui détient Optic Gaming, ndlr), c’est qu’on est en train de construire notre futur. Peu importe le jeu qui sera joué dans 3-4 ans, on sera là. On aura des joueurs et une structure autour. On sera capable de le vendre et de le marketer, d’en discuter avec les influenceurs. On sera capable d’être actif selon la façon dont il est diffusé, que ça soit en ligne ou hors ligne. C’est vraiment la motivation derrière cette énorme structure. C’est ce qui en fait sa beauté sur le long terme.

Quoi que fasse Fortnite, ça sera forcément bien pour notre industrie d’un point de vue macro. Définir si c’est esport ou pas, est-ce si important ? Sauvons de l’énergie. On a 2-3 embryons de réponses déjà.

Fortnite continue d’avancer. Qu’est-ce qui va se passer dans 6 mois ? C’est tellement gros à l’heure actuelle que tout le monde se pose la question. Est-ce qu’on continue sur le titre où on est, qui peut être du LOL ou du CS GO, ou on part sur Fortnite ?

C’est une question que les gens se posent dès qu’un jeu explose, comme Overwatch par exemple. On y va ou pas ? Parfois ça marche, parfois pas. Tu peux continuer d’être bien sûr le jeu où tu es. Mais là sur Fortnite, il y a des gens à très haut niveau qui sont très très biens implantés sur LoL ou Overwatch et qui commencent à se poser la question. Fortnite ne ralentit pas. Est-ce que le vent tourne ? Est-ce que je ne devrais pas changer ? Ça va être intéressant de suivre ça dans les prochains mois d’un point de vue business. Découvrir qui va bouger et aller voir Epic Games pour quitter Riot Games, Blizzard ou Valve. À quel point ce jeu sur le long terme va devenir intéressant.

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Jusqu’au prochain Ninja qui sera peut-être plus gros encore. On se dit toujours que c’est impossible d’être plus gros mais regarde Facebook aujourd’hui. Personne ne pensait que ça pouvait tomber, pourtant ça ne va pas très bien en ce moment chez eux. Personne n’arrivera à tuer Riot. LoL, selon les régions du monde, ça reste les plus gros, mais à quel niveau le jeu va se stabiliser ? Regarde World of Warcraft. Ça ne meurt pas vraiment. La seule chose qui pourrait le tuer, c’est Blizzard s’ils coupent les serveurs ou qu’ils lancent un nouveau MMO, et encore ! Quand tu as passé les 15 dernières années de ta vie dessus, c’est dur de bouger. Donc tu stabilises tes joueurs autour de 10 millions et tu restes dans ces chiffres-là. Il y a des gens qui n’arrêteront jamais d’y jouer.

Mais le vrai but derrière, c’est de comprendre quel sera le prochain gros jeu. Il faut découvrir avant tout le monde à quoi le monde entier va jouer.

Tu aimes l’Entertainment, tu l’as prouvé à maintes reprises dans ton parcours. Optic Gaming est une des marques les plus prestigieuses dans le monde de l’esport. Romain Bigeard, quel rôle joues-tu dans la création des contenus, la gestion de l’image de marque ou tout ce qui gravite autour de l’aura Optic Gaming ?

Aucun [rires]. C’est géré en interne par un département marketing. Il y a tellement de contenus diffusés au quotidien via des influenceurs qui font partie d’Optic Gaming…

J’ai vraiment un métier plus orienté business et décisionnel. Il faudrait que je me relance complètement ici. Ce que j’ai réussi à faire en Europe avec LoL et Unicorns Of Love, ça faisait 2 ans que j’y travaillais. Quand je suis monté pour la première fois sur scène, j’étais en contrôle de mon environnement, je savais ce qu’il y avait autour de moi, le public etc.

Tu as toute une première étape de scooting et de compréhension du milieu pour pouvoir faire en sorte que ça marche. Chez Optic, il y a déjà un écosystème tellement gros… Le plus petit influenceur, il a 300.000 followers. Les plus gros, ils sont entre 2 ou 3 millions sur Twitter. Je suis complètement inconnu, donc quoi que je fasse, ça aura un impact limité. En plus, ce n’est pas mon métier en soi. Ça a très bien marché chez UOL parce qu’il y avait une demande en Europe et que ça n’existait pas vraiment. C’est beaucoup plus compliqué dans une structure comme Optic. Bien sûr, je n’ai pas de soucis à être sur scène et faire la marionnette, mais est-ce que ça marche aussi bien parce que je le fais de temps en temps ? Sur le long terme, je ne sais pas si ça serait le cas. Je le fais avec grand plaisir, mais ce n’est pas véritablement mon cœur de métier aussi surprenant que ça puisse paraître de l’extérieur.

Romain Bigeard, dans les interviews que tu as eues en Amérique, on te demandait si tu allais apparaître tout de vert vêtu, et à chaque fois, tu avais des réponses surprenantes. On pourrait penser que tu es un showman, mais c’est bien plus complexe que ça. Tu expliques que tu faisais ça pour attirer le jugement sur toi, évacuer la pression de tes joueurs, mais aussi pour construire l’image d’UOL. Finalement, c’était plus stratégique qu’on pourrait le penser. Tu voudrais le refaire pour le Green Wall (nom des fans de l’équipe, ndlr), d’Optic Gaming en tant que General Manager ?

Si l’équipe continue de performer et si on va sur scène, évidemment que j’y serai. Si tu n’arrives pas au moins en demi-finale, tu n’as pas scène sur LoL. On est sur un format de ligue, tu passes 9 mois par an dans un petit studio qui a l’air très joli à la caméra, mais ça représente 300 personnes. Ce n’est pas un vrai public. Je dirais que c’est davantage un studio de Télévision en fait. Du coup, le nombre d’opportunités est moindre tout au long de l’année.

Chez Unicorns of Love, il y avait tout ce phénomène lié à la mascotte. Attirer l’attention sur moi, je sais le faire. J’ai l’air ridicule et quoique fassent mes joueurs, ils ne seront jamais plus idiot que moi. Je suis là pour les aider. C’est un rôle de support. Certes, c’est moi sur scène, je vais attirer l’attention, mais ce n’est pas moi le spectacle. Tu vas être hype à 50%, je vais te hype à 100% et tu le seras pour mes joueurs. Libre au public de monter à 150% s’il est vraiment chaud derrière.

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Romain Bigeard en plein show pour son équipe Unicorns of Love

Avec Optic Gaming, à partir du moment où on a été incapable de monter sur scène, je n’ai pas pu le faire. J’ai eu cette chance au MSI, mais pour le coup, c’était une position de pur « hype man ». Je suis sur scène, la foule crie et je la renvoie sur les joueurs mais ce n’était pas lié particulièrement à une équipe.

Dans la construction de la marque, ça a été compliqué pour construire Optic. Ils sont inconnus sur LOL même si ce sont des monstres sur d’autres jeux. Quand tu démarres en perdant beaucoup, c’est très compliqué, car tu n’as pas de rétention. Si tu as Zidane dans ton équipe et que tu démarres avec Evian Thonon, certes, au début les gens vont te regarder pour voir Zidane jouer, mais si tu démarres en perdant beaucoup de matchs, ce n’est pas très intéressant finalement. Ça reste de la compétition, ce que les gens attendent, c’est la victoire.

Ça peut être aussi la défaite, si tu perds énormément comme H2K actuellement. Ils font pas mal parler d’eux avec leur 0-13. Cela dit, c’est hyper compliqué à gérer en interne pour capitaliser sur le long terme. Tu n’as pas envie de bosser pour une équipe qui ne fait que perdre.  Le branding a beaucoup joué chez UOL, mais même si les gens avaient tendance à l’oublier, c’est une équipe qui gagne et qui a constamment joué les playoffs. Ils ont quand même fait 2 finales sur les 6 dernières en LCS EU.

On est une marque un peu « goofy » (drôle, ndlr), mais même si on avait gagné, les gens l’auraient oublié instantanément. Demain si tu deviens fan d’UOL, tu deviens fan d’une équipe qui va gagner et tu peux te dire « oui, on est fort, c’est cool ! », et derrière, tu arrives à mieux vendre ton produit grâce à ton côté « rigolo ». Optic n’a pas ça pour son branding, c’est un peu plus compliqué à marketer.

Comment tu construis l’interaction avec tes fans ? Il faut que tu sois humble et gentil. C’est ma philosophie. Même si tu perds, tu vas voir tout le monde, et tu leur demandes des conseils, tu proposes des interviews de tes joueurs, tu essaies de créer du contenu et si tu gagnes, tu dois continuer à appliquer les mêmes processus. Après notre série de 5 victoires sur les 3 dernières semaines, on fait les mêmes démarches, on demande aux gens de raconter notre histoire. Comme ces gens t’ont déjà vu venir sur les 6 derniers mois, ils le comprennent.

Ça prend du temps de créer une marque et de créer de l’attachement, surtout quand tu perds. Tu as des success-stories plus simples à articuler. Sur une structure comme les 100 Thieves où ils arrivent avec leur fondateur Nadeshot, ancien gros joueur d’Optic gaming, qui a quand même à lui tout seul plusieurs millions de followers sur twitter. Il est énormément impliqué dans le développement de sa marque et il arrive à transférer une partie de son audience sur LoL et ses joueurs. En plus, les mecs vont en finale donc c’est plus simple de les suivre.

D’un point de vue marketing, on peut s’asseoir et expliquer qu’il y a plein de gens qui ont développé une image de marque sans gagner, mais très clairement, bravo à ces gens-là. Même une structure comme Fnatic se repose sur de la victoire finalement. Ils ont été successfull tellement longtemps… Mais tu vois, je pense qu’une image d’équipe qui gagne, tu peux la détruire. Si Fnatic finit dernier des LCS pour les 2 années qui arrivent, je pense qu’ils auront beaucoup moins d’impact. Regarde Team SoloMid cette année en LCS NA. Mauvais premier split, mauvais second split, et là tu commences à avoir des messages de fans qui sont hallucinants. Ils se font insulter ! En plus, si tu ne vas pas aux Worlds, en termes de visibilité, à partir de fin août, tu es chômage technique. De septembre à novembre, tu n’as plus rien pour créer du contenu. C’est le gros problème de League of Legends pour nos équipes.

Si TSM ne se redresse pas et qu’ils perdent Bjergsen ou certains de leurs joueurs par exemple, il y aura beaucoup moins de fans. Si en plus, ils finissent encore dans les derniers, ça va devenir très compliqué et pourtant ils ont un bon marketing.

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Bjergsen, joueur emblématique de Team SoloMid en LCS NA. Crédits : Lol Esports

Gagner une compétition, ça reste important, d’autant plus qu’avec un milieu comme le nôtre, tu n’as pas de racines géographiques. Demain, si tu nais à St Étienne, il y a de grandes chances que tu deviennes fan de l’équipe. Comme tu n’as pas ça dans l’esport, c’est d’autant plus difficile de créer du storytelling sur une équipe. C’est beaucoup plus facile de l’associer à un joueur. Demain, tu as une équipe qui se lance avec Bjergsen, Rekkles, Dyrus, Imaqtpie, instantanément, tu as plein de gens qui vont regarder.

En France,  Solary, en termes de visibilité, c’est une superbe idée. Tu vas avoir des fans directement. L’année dernière, l’équipe Echo fox académie avec Imaqtipie etc., à chaque fois que les mecs faisaient un tournoi, tu avais 50.000 viewers.

Comment créer l’image de marque Optic Gaming sur LoL ? Ça a été une grande question pour nous, et ça en est toujours une. Comment tu arrives à développer une marque qui va intéresser les gens quand tu ne gagnes pas et quand le mec qui a le plus de visibilité de toute l’équipe, c’est Power of Evil qui est Allemand et qui n’est pas forcément dans les meilleurs termes avec l’Europe… Zaboutine a plus de followers Twitter que 4 des 5 joueurs. C’est compliqué, tu ne peux pas vraiment t’appuyer sur une forte personnalité existante. Il faut que tu crées tout depuis le début. C’est forcément un peu plus long donc ça va passer par des interviews et de la communication sur chacun des joueurs. Ça prend du temps.

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Zaboutine a fort à faire avec ses joueurs pour construire une belle histoire. Crédits : Lol esports

Sachant qu’en plus, c’est du LoL et qu’il y a des chances que dans un mois, tous ces joueurs soient partis. Tu restes avec quoi à la fin ? La priorité pour nous cette année a été le développement d’une structure. C’est passé par des locaux, des processus, des emplois du temps, s’assurer que tous les détails de l’entrainement sont contrôlés pour au moins capitaliser sur ça et démarrer 2019 avec une base saine et solide.

J’aimerais quitter un peu la peau de Romain Bigeard pour aller directement chez Optic Gaming et plus spécifiquement sur son business. Tu me disais tout à l’heure que tu étais très axé dessus. Ça ressemble à quoi la gestion d’un business comme Optic ?

C’est beaucoup de réunions. C’est aussi faire confiance aux gens sur les décisions qu’ils prennent et s’assurer qu’eux-mêmes ont suivi le bon process qui a entrainé ces décisions-là. Il faut suivre une dynamique commune. Mon travail à l’heure actuelle, c’est d’être l’huile dans le moteur et de m’assurer que les différents départements d’Optic Gaming fonctionnent de manière harmonieuse en s’assurant qu’on récupère un maximum de visibilité. Ça devient très gros depuis notre absorption par Infinite.

Il faut se demander comment on gagne de l’argent. Suivant les jeux, tu as du « revenus sharing », donc le jeu te donne directement de l’argent, tu as les « ingame content », tu as donc des jeux où tu peux acheter des skins etc. L’un des axes monétaires les plus importants en esport, c’est le sponsoring, ce qui ne devrait pas être le cas d’ailleurs. Il existe d’autres mécaniques mais elles ne sont pas présentes à l’heure actuelle. Donc il faut aller voir les sponsors et leur dire que c’est nous qui parlons à la jeunesse.

Il faut générer ton marketing et tes propres plus-values sur tes produits, que ça soit parce que nos joueurs les utilisent ou qu’ils en parlent en bien. Après tu as toute l’articulation autour de ces contenus, sur quelle plateforme ? Comment tu vas les pousser ? Qui tu recrutes ? Optic Gaming marche avec des équipes mais aussi des influenceurs. Tu as les streamers, comment on les aide à créer du meilleur contenu ? On fait d’’autres jeux ? On les fait voyager ? On fait des associations avec d’autres streamers ?

Après tu as de la gestion au quotidien. Un joueur qui s’énerve et qui ne veut pas signer son contrat, un coach qui pète les plombs, je n’en sais rien… Infinite, au total c’est 16 jeux esport, Optic Gaming tout seul c’est 6-7 équipes. Comment tout ça fonctionne ensemble ? Comment tu vas aller prendre l’information au quotidien et ensuite essayer de la rassembler pour prendre les bonnes décisions ?

Est-ce que le bon process qu’on a sur un jeu, on peut le copier ailleurs ? Comment on va le vendre et à qui ? Il y a un mélange entre la compréhension de ta boite, les décisions qu’elle a pu prendre, les décisions actuelles et la projection dans le futur pour anticiper ce qui va marcher. À une semaine près, comment on fait pour être sûr qu’il y ait du contenu sur l’équipe LoL la semaine prochaine ? Comment s’assurer que l’équipe COD va pouvoir être suivie de la meilleure façon dans leur compétition ? Pareil pour notre équipe Dota à The Invitational ? Tout ce contenu, quelle est la meilleure façon d’en parler ? Le balancer sur notre show hebdo « Vision » ou alors le séparer pour chacune des structures ? Comment tu les pousses ? Il faut s’assurer que les gens puissent le voir et y avoir accès, via Facebook, Twitter, Instagram, Snapchat, Twitch…

Est-ce que ça va être en allant chercher des interviews ? De la TV ? Du mainstream ? Aller vendre à Netflix ? Il faut des gens qui s’occupent de ça au sponsoring. Comment on peut lier cet aspect business pour gagner de l’argent ? Est-ce que c’est Netflix qui te paie pour avoir notre show ou l’inverse ? Bien évidemment, c’est plus intéressant si Netflix donne l’argent. Mais dans quelle mesure ça améliore ton image de marque ? C’est plein de petites bulles et toi, tu dois régler tes propres problèmes.

C’est aussi intéressant de voir comment les autres équipes règlent ces soucis. Que ça soit Team Liquid, Counter Logic Gaming, Cloud9 etc, et là je te parle que sur LoL. Quand tu en sors, tu peux voir comment Splyce, G2, Fnatic, Dreamhack ou encore l’ESL gèrent leurs affaires, ou même encore la Chine avec leurs propres problématiques et avec beaucoup plus d’argent.

Là, c’est que l’esport, mais comment ça se connecte dans la bulle Entertainment de l’internet ? Comment Twitch ou YouTube vont bouger ? Est-ce qu’on peut en faire partie ? On peut leur proposer du contenu ? Il y a aussi les gouvernements. Comment ils voient le développement de l’esport ? Il y a eu ce summit en Suisse entre le comité olympique et l’esport par exemple… Ça te prend une journée d’y réfléchir. Qui y va ? Comment ? De quoi on parle ? On envoie quelqu’un ? Qui a été contacté ? Bref, c’est un mélange entre beaucoup de réseaux, d’argent et de volonté. Personne ne sait vraiment si on a la bonne idée, parce qu’à partir du moment où une idée fonctionne une fois, il faut analyser pourquoi…

Tout le questionnement que tu évoques, est-ce qu’il est aussi clair et limpide avec les structures européennes ? Tu connais ce monde-là. Par exemple, Romain Bigeard, tu parlais des influenceurs chez Optic, c’est une chose qu’on voit très peu en Europe. Des marques comme Optic Gaming ou FaZe ont l’air clairement en avance dans ce business.

Elles sont vieilles aussi, et c’est la grosse question qu’il faut se poser maintenant que tu as Ninja. Il est capable de générer entre 10 et 15 millions par an juste en contenu pur tout seul, c’est hallucinant ! Il n’a aucun intérêt à rejoindre une équipe, il est tellement gros que même les jeux se battent pour l’avoir. C’est son niveau. Il a créé ça en l’espace de 3 mois. Il s’est servi de Twitch et de l’Amazon Prime. Il a marché sur un bon jeu mais le jeu a aussi été assez intelligent pour comprendre directement le phénomène et le pousser. Avec ton équipe, comment tu t’adaptes à ça ?

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TSM, ils génèrent énormément de contenus sur leurs influenceurs Fortnite. On parle de millions de vues sur chaque vidéo. Mais qui récupère l’argent ? Toi si demain t’es à 10.000 followers et qu’une équipe vient te voir ? Dans quelle mesure tu vends ton âme à l’équipe ? Est-ce que ça va t’aider à devenir gros ? Ninja, s’il n’avait pas été chez Luminosity, il aurait été là ? Puis qu’est-ce que tu veux si tu signes ? Tu veux qu’il signe pour 1-2-3 ou 4 ans ? Tu veux prendre une partie de ses revenus ? Probablement pas, sinon tu sais que le mec ne viendra pas. Donc Luminosity gagne quoi sur le fait que Ninja ait explosé ? De la visibilité et un peu de notoriété mais pas d’argent. En tant qu’équipe tu te poses beaucoup la question.

Si demain, tu gagnes The International avec le plus gros cashprize ever, l’équipe touche combien là-dessus ? Comment tu crées un business model pérenne avec de l’argent qui rentre chaque année sur une variable ? Il va falloir te fier au contenu, tout ce qui revenu sharing aussi. Qu’est-ce que tu vas aller vendre au sponsor ? C’est plus intéressant d’être seul ? D’avoir une équipe ? Comment tu déclines ça ? Sur le marché américain, c’est plus facile. Ils se posent ces questions depuis 50 ans. Ils doivent faire de l’argent avec la télé qui explose, la radio aussi, qui est hyper forte aux USA parce que les gens passent des quantités astronomiques de temps dans leurs voitures… Comment tout ça s’est construit avec énormément d’argent ? Quand tu arrives dans les hautes sphères du gratin de la planète, le mec a des parts dans la maison de radio, la TV, chez Coca et sur le journal. Il a juste besoin que l’information transite pour que l’argent continue de rentrer… C’est le niveau des mecs qui en termes d’Entertainment sont en train d’investir dans l’esport actuellement. Ils veulent comprendre ce que les gens regardent, et il y a des problématiques là-dessus. Comment l’écosystème fonctionne ? Est-ce que l’esport doit être poussé ? Comment la bulle peut exploser ? Ce n’est pas une énorme bulle non plus si on compare ça au monde financier. La fine barrière entre les gens très très riches de la finance et l’Entertainment est très vite passée. Leur visibilité est colossale, les USA, c’est un marché de 350 millions de personnes. En Europe, on est 700 millions certes, mais décomposés en 25 pays. Tout est différent : la manière dont tu montes, les langues, le business, ce sont des problématiques plus cachées en France par exemple. Les investissements sont différents.

Comment Vitality devient l’équipe française par excellence ? Ce qui n’est pas forcément une évidence. Sur le papier, ils le sont. Ils ont des joueurs français et des titres mais est-ce que pour autant ça l’est ? Tu prends un fan d’esport lambda, tu lui demandes quelle est l’équipe française ? Il y a une chance sur deux qu’il te dise Millenium ou Solary. C’est assez improbable quand tu connais l’esport mais ce n’est pas si improbable que ça si t’es un peu plus en recul sur le business. Comment tu construis ces histoires et cet Entertainment ? Ça passe par un mélange entre influenceurs et teams. Quels sont les gens qui sont en train de travailler pour 2 centimes de l’heure et qui demain seront des superstars ? Comment tu investis sur ces gens-là ?

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Vitality, plus grande équipe française d’esport actuellement. Crédits : Lol esports

A 30 ans, comment tu imagines la suite de ton histoire ? C’est quoi tes ambitions personnelles, et attention, je ne parle pas de participations aux Worlds, mais plutôt de ta carrière ?

[Rires] Je n’en sais rien du tout. Il y a un an jour pour jour, tu serais venu me voir en me disant où je suis à l’heure actuelle, j’aurais ris très fort. On était le 7 août 2017, j’étais chez UOL et tout allait bien. J’étais à des milliers d’années de penser que quelqu’un allait me proposer un travail aussi incroyable. Toutes les 2 semaines, ma vie change. Je fais des aller-retour entre LA et Dallas. Il y a un mois, je n’étais qu’à Los Angeles. Il y a 3 mois, j’étais aussi qu’à LA mais je ne m’occupais que de LoL. Il y a 6 mois, j’étais à Dallas, je construisais l’équipe et dans 3 semaines, je suis en Chine pour rencontrer les acteurs du milieu et parler business pour Optic Gaming. Dans 2 mois, je serai entre Singapour et l’Inde, toujours pour discuter de ces problématiques. Peut-être que dans un an, je suis en train de travailler pour faire jouer des joueurs depuis la station internationale parce qu’Elon Musk a créé un escalier pour jouer là-haut et ça devient faisable… Mon objectif dans la vie est d’apprendre et de me marrer et ça, c’est important.

C’est le but le plus noble qu’on puisse avoir je pense [rires].

Je pense oui ! Je ne veux pas devenir riche par exemple. Je n’aurais pas fait d’esport si je le voulais. Après si j’en ai, c’est génial. Je suis bien payé chez Optic, mais c’est juste un plus. Je pense que si j’en suis arrivé là, c’est parce que l’argent n’était pas mon moteur principal. Raconter des histoires, créer de l’Entertainment, créer tout un écosystème qui fasse rêver les gens, c’est fascinant et très drôle. Dans mon histoire personnelle, j’ai toujours adoré lire, jouer ou rêver en fait. Être tout seul dans mon monde et voyager dans ma tête. C’est quelque chose que je trouve extraordinaire et si je peux activement participer pour partager ça avec le monde, ça sera avec grand plaisir.

On a tellement de chances. J’en discutais avec Zaboutine avant-hier. J’aime beaucoup siffler le début d’Harry Potter, la musique que tout le monde connaît. C’est la musique que tu entends quand il débarque à Poudlard. C’est un monde complet où il se passe plein de chose et t’as l’impression que c’est irréel alors qu’en fait, la vraie vie, c’est la même chose. C’est comme le syndrome du MMO, dans le jeu si tu veux être forgeron, il te faut 90 points de forces admettons, eh bien tu vas aller farmer. Dans la vraie vie, c’est la même chose. Si tu veux te mettre à moitié à poil sur scène, c’est mieux si tu as des muscles. Comment tu en as ? Bah tu vas à la salle. Les gens vont dire « Ah ouais mais je n’ai pas envie d’aller à la salle, je suis fatigué ». Bah si tu étais dans un MMO, tu ne te poserais même pas la question. Tu pourrais avoir un malus de fatigue dans le jeu, c’est pareil. Bah tu règles le malus fatigué par du bon sommeil… Dans la vraie vie, on n’a pas d’interface et on doit improviser. Il y a des millions de choses qu’on ne contrôle pas. C’est plus compliqué de prendre des décisions.

Pour moi, la vie est un grand jeu. Il y a quelque chose qui me fascine en Chine. Si tu es blanc, forcément tu vas générer plus d’attention que quand tu es en France. C’est l’exemple le plus ultime. Voyager et changer d’écosystème, ce n’est pas facile, certes, mais si t’es sur un MMO et qu’il y a une zone avec +50% d’xp de l’autre côté de la rivière ? Le premier réflexe que tu as c’est de traverser et d’y aller. Pourquoi dans la vraie vie on ne le fait pas ça ? Je n’ai pas la réponse, et je n’ai pas la prétention de dire que je le fais tout le temps, mais je me force à sortir de ma zone de confort.

Les jeux s’inspirent de la vie. Continuer de jouer le jeu de la vie du mieux que je peux en rigolant, c’est mon but. Je suis extrêmement mobile, ça aide aussi. Plus tu vieillis, moins tu as cette chance. Je n’ai pas forcément beaucoup d’attaches. Puis c’est aussi la beauté d’internet, mes potes je peux leur parler tout le temps maintenant. Pour peu que ça soit aussi des mecs qui voyagent un peu, tu auras toujours quelqu’un de disponible sur le chat.

Tu utilises une grande partie de ton énergie pour Optic Gaming. Tu trouves un équilibre qui te plait entre ta vie personnelle et professionnelle ?

C’est une question que je me suis posée il y a très longtemps et la réponse fut assez simple. J’ai tout mis sur le boulot. C’est-à-dire que si je dois passer la moitié de ma journée à bosser et la moitié de ma journée à vivre ma vie, pourquoi je dois faire cette distinction ? Quel est le côté travail ou « labeur », comme on l’appelait dans les temps médiévaux ? Le labeur, c’est douloureux de base, c’est quelque chose que tu ne veux pas faire, et dans mes premiers jobs liés au vrai monde, même sur mes différents jobs d’été, j’ai toujours essayé de privilégier quelque chose ou j’allais me marrer quitte à devoir être complètement sous payé, ce qui m’est arrivé pendant très longtemps. J’ai multiplié mon salaire par 7 ou 8 en passant de l’Europe aux États-Unis, ça veut surtout dire que je ne gagnais pas beaucoup en Europe [rires].

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Romain Bigeard n’a pas fini de faire rêver l’esport. Crédits : Lol Esports

Voyager le matin pour aller au boulot, ça me tue. Toute ma vie, je me suis dit que je ne ferai jamais ça. Pourquoi je ne pourrais pas vivre là où je travaille ? Le modèle de Gaming House te permet de répondre à ça dans l’esport. Même sur mes anciens jobs, je préférais vivre dans un truc pourri à 5mn du travail, comme ça je ne perdais pas de temps là-dessus à travailler avec des gens biens. Je préfère vendre du papier toilette avec une superbe équipe où tu apprends plein de choses plutôt que d’aller travailler sur un truc plus sexy mais avec des gens chiants. C’est trop facile de tomber en dépression ou d’être triste. Je siffle la musique d’Harry Potter tous les jours car je veux faire comprendre à mes gars qu’ils sont à Poudlard, ils n’ont pas le droit d’être tristes. Certes ils peuvent l’être, la phrase est extrême, mais si eux-mêmes sont tristes, comment réagit le mec qui est obligé d’aller bosser à l’usine tous les jours car il n’a pas le choix ?

Mes joueurs, et l’ensemble des personnes payées dans l’esport, elles le sont pour vendre du rêve. Il y en a qui tueraient pour ça. Tu n’as pas le droit de te plaindre. Donc la distinction entre vie pro et perso, je l’ai oublié depuis mon époque chez Razer.

Ma copine de l’époque n’était pas très contente, certains potes aussi. Mais oui, je vais faire passer mon métier avant tout parce que je pense avoir des relations amicales assez fortes pour résister si je ne suis pas dans le pays. Et puis, j’ai une relation extraordinaire avec ma famille. On se parle quasiment tous les jours.

Mon boss m’a dit que j’allais devoir rester à Dallas mais moi je voulais rester à LA pour gérer les joueurs. Il me demandait si ce n’était pas fatiguant de faire les allers-retours. Mais pas du tout. J’adore ça, je prends l’avion, c’est payé par ma boite 2x par semaine, ce n’est pas le pied ultime ? C’est trop bien de prendre l’avion, au moins là, je peux en profiter pour regarder des films, voyager, aller dans les aéroports, rencontrer des gens… J’ai tellement de chances de faire ce que je fais que si je me plains, on est mal barré. C’est plus ça la problématique.

Pour mon futur, je ne sais pas de quoi il est fait et en fait ça me terroriserait de le savoir. Si tu me disais où je suis dans 2 ans, je ferais tout pour ne pas y être. J’aime cette inconnue, et cette sensation de liberté. Si je veux arrêter mon travail tout de suite et partir, je mets un tweet en disant « coucou je veux un nouveau projet », je pense qu’on m’en trouverait facilement. Du coup, je prendrais l’avion et je démarrerais quelque chose d’autre.

Romain Bigeard, président de sa propre structure un jour ?

Bien sûr, tout est possible ! Après, c’est littéralement ce qu’il s’est passé avec Optic Gaming. Il y a 11 mois, c’était juste moi pour la partie League of Legends. Ils m’ont donné carte blanche. Une des premières choses que j’ai fait, c’est prendre Zaboutine en Head Coach et ensuite l’histoire, on la connait.

Merci Romain !

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Et voilà, l’interview avec Romain Bigeard est terminée ! J’espère que vous avez apprécié le contenu. Si c’est le cas, sachez que la seconde partie de l’interview arrivera d’ici quelques jours et sera orientée sur sa vision actuelle de League of Legends (mais pas que !).

L’interview de Romain Bigeard nous apprend énormément de choses incroyables. Je ne vais pas revenir sur tout (ça mériterait des dizaines d’articles, qui arriveront peut-être sur le site un jour, qui sait…), mais par exemple :

Romain Bigeard aurait pu devenir General Manager dès le départ mais n’a pas voulu brûler les étapes. Pour plusieurs raisons qu’il évoque et ça peut se comprendre. C’est une belle leçon nous rappelant que cela ne sert à rien de vouloir brûler les étapes et de se voir trop beau tout de suite.

L’aventure de Romain Bigeard chez Optic Gaming nous raconte qu’il réfléchit constamment sur les différentes sphères de la marque qu’elles soient micro ou macro. D’une part, Romain Bigeard essaie de comprendre les marchés internationaux pour y investir et asseoir encore un peu plus l’emprunte d’Optic Gaming, d’autre part, il planche également sur la vision micro de l’organisation avec la gestion des joueurs et leurs entrainements. Comment pouvons-nous rendre les joueurs meilleurs ?

À l’instar de la création de valeur permettant à leur équipe League of Legends de se créer une réelle identité propre, tous ces efforts doivent être maintenus au plus haut pour être efficace et apporter une stabilité à Optic, mais aussi et surtout, pour comprendre à quel jeu les gens du monde entier vont jouer dans quelques années.

L’interview avec Romain Bigeard a été l’occasion de poser une question ô combien importante, si ce n’est la plus importante à mes yeux : comment l’esport doit gagner de l’argent. Nous ne sommes pas rentrés dans les détails durant l’interview mais Romain Bigeard explique que le sponsoring ne doit pas être le mode de rémunération privilégié dans l’esport, et il a raison. Romain Bigeard nous a parlé des revenus sharing, de l’ingame content, mais comment tout ça doit évoluer pour permettre aux équipes d’envisager plus sereinement l’avenir ? Nous avons des forces que le sport traditionnel n’a pas. Essayons de nous détacher de ce modèle pour, enfin, créer le nôtre.

Mais c’est très compliqué car comme le répète encore une fois Romain Bigeard, personne ne sait réellement ce que nous sommes en train de faire de l’esport, pas même les plus gros acteurs. Tout doit être mis en place en même temps : l’internationalisation, la régionalisation, les business models, le fonctionnement interne des ligues et des équipes…

D’autant plus que les personnes prenant les plus grosses décisions business dans l’esport ne sont pas celles que le grand public connait et admire sur nos scènes. Mais une question se pose : ces mêmes acteurs ont-ils envie de se poser ces questions ? Romain Bigeard indique que nous avons réussi à toucher les plus grandes sphères économiques du monde en amenant à nos portes les fortunes de la finance et du monde de l’entertainment, mais quelles sont leurs intentions ? Nous entrons dans une ère où l’esport commence à être considéré comme un média puissant avec une croissance à deux chiffres capables de réunir des millions de jeunes devant leurs écrans ou dans des stades, où cela va-t-il nous emmener ?

Sans compter sur des phénomènes qui annoncent de nouveaux questionnements. Le premier d’entre eux concerne l’avenir du jeu mobile, la plateforme la plus jouée au monde. Ce n’est un secret pour personne, les ventes de PC dégringolent d’année en année. A contrario, le mobile et le temps passé dessus ne cessent d’emprunter le chemin inverse. Il arrivera un moment où les éditeurs en feront leur priorité (si ce n’est pas déjà le cas). Comment l’esport évoluera face à ça ? Restera-t-on sur le modèle que nous connaissons aujourd’hui ? Les jeux PC continueront-ils d’exister encore longtemps sur le devant de la scène ?

On peut également parler de l’avenir des équipes dans l’esport et leur image Comment doivent-elles capitaliser dessus. C’est un sujet avec beaucoup d’interrogations intéressantes laissées par Romain Bigeard.

Comment une équipe doit-elle survivre sans la capacité de profiter d’une place en franchise ? Comment se rapprocher ou coexister avec la présence de géants de l’entertainment comme Ninja ? Comment se construisent-ils ? Faut-il prendre le pari Fortnite ou des jeux qui rencontreront le même succès fulgurant plus vite ? Est-ce des jeux esport ?

Autant de questions tellement intéressantes à se poser dans les mois à venir ! Beaucoup d’autres sujets ont été évoqués dans l’interview avec Romain Bigeard. Elle est riche. Et j’espère que chacun d’entre vous a réussi à trouver quelques réponses aux questions qu’il se pose sur l’esport.

Le plus important, c’est de savoir que des personnes comme Romain Bigeard sont là pour nous aider à faire de l’esport, quelque chose de meilleur et continuer à nous faire rêver. On dit à très bientôt à Romain Bigeard sur scène avec Optic Gaming pour faire le show.

N’hésitez pas à partager l’interview aux personnes qui aiment profondément l’esport. Car je pense sincèrement qu’elle leur sera d’une grande utilité. Vous pouvez retrouver la seconde partie de notre interview avec Romain Bigeard ici.

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