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Au cœur de la LAN : Le métier de photographe esport avec Timo Verdeil

Par Dimitry Bigot
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La LAN, le format de tournoi offline le plus présent en France. Si les spectateurs ont tendance à se focaliser sur la compétition en elle même, la réussite de ces évènements tient en une multitude de métiers avec chacun un rôle bien précis. Nous avons donc décidé de vous emmener à la rencontre de ces métiers en allant voir les professionnels lors des LAN. Nous vous proposons de commencer ce tour de table par le métier de photographe esport.

Ce métier est hautement important, c’est lui qui va immortaliser les grandes victoires mais aussi les grandes déceptions lors des LAN. Il est au plus près de l’action pour immortaliser l’instant et rapporter via ses photos les émotions des joueurs dans les moments clés. Pour en savoir plus sur ce métier, nous avons fait nos bagages et nous nous sommes rendus dans l’est de la France. A l’occasion de l’ESWC Metz, nous avons rencontré la référence de la photographie esport en France : Timo Verdeil.

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Le photographe va capturer les émotions de la LAN (Crédit : Timo Verdeil)

Bonjour Timo, peux-tu nous raconter ton parcours en tant que photographe esport jusqu’à aujourd’hui?

Salut, je m’appelle Timo Verdeil, j’ai 22 ans, je suis photographe, community manager et je fais aussi de la création de contenus. J’ai commencé à travailler dans l’esport en 2015 chez aAa en tant que community manager bénévole. Je me suis vite rendu compte que j’aimais faire ça et j’ai mis ce travail en priorité par rapport à mes études. J’ai tout de même eu mon DUT info/com et, début 2016, O’Gaming m’a contacté car ils avaient besoin d’un community manager. Je les ai rejoint et j’ai travaillé avec eux pendant environ un an mais la situation chez eux était compliquée à l’époque donc fin octobre je suis parti. A ce moment-là, j’avais pour projet de reprendre mes études mais je me suis vite rendu compte que les gens commençaient à m’appeler pour des prestations photo, ce qu’à l’époque je ne faisais pas du tout. Je me suis mis à faire de la prestation photo début 2017 et ça s’est vite très bien passé. J’ai eu de plus en plus de demandes et j’ai pu en vivre très bien rapidement. Actuellement, je continue à faire des prestations de photographe esport mais aussi des prestations de community manager et un peu de prise/montage vidéo avec l’Equipe et Paul Arrivé.

Tu as un peu répondu à ma prochaine question qui était de savoir si tu avais fait une formation en photo ou en journalisme.

En fait, j’ai fait un DUT info/com et pour moi c’est parfait si tu veux te lancer dans l’esport, même si je ne le savais pas à l’époque. Ça t’apprend les bases du journalisme, du marketing, du graphisme, de la photo, de la vidéo et de la communication qui sont, je pense, les bases de l’esport. C’est une formation sur deux ans et une fois que tu en sors, de mon point de vue, tu es apte à travailler dans l’esport. Pour moi, pour travailler dans l’esport, tu n’a pas besoin de faire de longues études. Le profil recherché est plutôt celui de gens débrouillards, capables de prendre des initiatives et qui ont de l’expérience dans le milieu.

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Le DUT info/com a appris les bases de la photographie à Timo (Crédit : Timo Verdeil)

Si tu n’a pas suivi de formation, comment t’es venu le goût de la photographie ?

Ca m’est venu lors des Nations War II quand aAa m’a demandé d’y aller pour faire la couverture photo de l’évènement. Pour cette occasion je me suis directement acheté un petit appareil à 900€, un Nikon D5300 parce que je suis un énorme fan de Stephano et qu’il était présent sur place. Grâce à ça, je me suis dit qu’il fallait absolument que je le prenne en photo mais avec un minimum de qualité. Ça va de pair avec le fait que j’adore aussi faire du journalisme et des vidéos. Du coup, je me suis acheté un peu de matériel pour faire de la photo et de la vidéo et c’est venu comme ça.

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Un cliché qui a la vie dure veut que la photographie soit simple et rapide, peux-tu nous en dire plus sur le temps que prend réellement une photo ?

La première étape d’une photo, c’est l’idée. Tu vois la photo dans ta tête, tu vois le cadre et tu réfléchis à ton positionnement, aux éléments que tu veux inclure ou non. Derrière, il y a la prise de la photo où tu appuies sur un bouton mais avant il faut avoir fait tes réglages. Je ne vais pas trop rentrer dans les détails mais en gros tu as trois facteurs à régler : les ISO, la vitesse d’obturation et l’ouverture du diaphragme. Une fois que tu es satisfait de la photo, il y a toute une étape de post traitement qui se fait en général sur un logiciel appelé Lightroom. Il faut savoir qu’après la prise de la photo, tu n’as fait que la moitié du boulot car toutes les photos que vous voyez sont retouchées. Pour l’esthétique de la photo, tu es obligé de la retoucher, surtout quand tu es photographe esport et que tu travailles dans des milieux extrêmement sombres. En plus, les scènes sont souvent éclairées par des lumières toutes bleues ou toutes rouges super saturées et ça rend très mal sur les photos. En résumé, on a trois grosses étapes sur une photo : la réflexion, la prise et le post traitement qui est aussi important que les deux étapes précédentes.

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La LAN un endroit surexposé en lumière bleue et rouge (Crédit : Timo Verdeil)

On vient de le voir, la photo est bien plus compliquée que les clichés ne le laisse paraître. A ce sujet, peux-tu nous décrire le style Timo Verdeil ? Qu’est ce qui rend tes photos uniques ?

Premièrement, je pense que tout photographe ne peut se dire professionnel tant qu’il n’a pas trouvé son style. C’est compliqué parce que ça demande beaucoup de travail, beaucoup de réflexion sur soi même et sur ses photos mais au bout d’un moment on arrive à se démarquer. Moi, je pense que le point sur lequel je me démarque, c’est la retouche parce que j’ai mon style propre. J’ai un travail des couleurs que personne d’autre n’a et qui ne marche qu’en LAN car il ne s’applique qu’en faible luminosité. C’est les couleurs rouge et bleu que j’ai l’habitude de retoucher d’une manière très précise et je pense que c’est ce style là qui fait que les gens aiment bien travailler avec moi.

Maintenant que l’on a abordé ce qu’est un photographe esport, j’aimerais qu’on parle de sa place dans l’écosystème de la LAN.

Une LAN c’est de l’évènementiel, tu as besoin de communiquer dessus pour faire venir des gens. Quand un évènement a besoin de communiquer, il a besoin de photos donc il va utiliser des photos prises l’année passée. Lorsqu’une LAN se termine, elle a besoin de faire un bilan et là encore, elle va avoir besoin de photos ou de vidéos pour ça. Moi je suis là pour ça, je suis en quelque sorte un outil de communication. Je suis là pour apporter des photographies de qualité aux organisateurs. Mais il n’y a pas que les organisateurs qui ont besoin de photos, ce qui fait que je travaille aussi avec des équipes. En effet, les équipes se professionnalisent de plus en plus aujourd’hui et elles veulent communiquer de la manière la plus pro possible.

Par exemple, quand un nouveau joueur est annoncé, il est connu à l’avance mais l’équipe va vouloir une belle photo du joueur les bras croisés pour faire sa communication et c’est là qu’on fait appel à nous. En résumé, le photographe esport est une aide à la communication. Sachant ça et grâce à mon passé de community manager, quand je prends une photo, je réfléchis à comment une entité pourrait l’utiliser en termes de communication et ça je pense que c’est un point de vue que les autres photographes esport n’ont pas. Par exemple, je prends parfois une photo d’un joueur sur scène et je laisse volontairement de l’espace à gauche ou à droite en me disant que cette photo pourra être utilisée en communication parce qu’elle a un endroit sur la photo où il est possible de mettre du texte.

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La photo est un outil de communication (Crédit : Timo Verdeil)

Si l’on veut devenir photographe esport, quelles sont les qualités requises ?

C’est une bonne question car il y a beaucoup de photographes amateurs qui se lancent dans l’esport et qui sont vite frustrés car on est dans un milieu jeune où il y a peu d’opportunités. Pour te dire, je pense qu’on doit être trois ou quatre photographes esport qui arrivent à en vivre en France. Ça implique que, quand tu te lances, tu dois être patient car c’est sûr que tu ne sera pas payé tout de suite. En plus de ça, il faut du très bon matériel et en photo, le bon matériel coûte très cher. Pour te donner un ordre d’idée, le matériel que j’emmène en LAN, il y en a pour 6 000€. Quand tu commences avec du matériel bas de gamme, tu dois monter les ISO à cause des salles sombres et ça donne des photographies pas géniales avec beaucoup de grain. Après, je pense que pour réussir, il faut bien connaitre la scène pour pouvoir faire de la prospection et trouver ses premières prestations. Et comme pour beaucoup de métiers dans l’esport, il va falloir de la patience et de la motivation. La motivation c’est super important, il ne faut pas abandonner. Je connais beaucoup de photographes qui se sont mis dans l’esport et ont fini par abandonner et c’est dommage.

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Ce qui est super important quand tu es photographe esport c’est aussi de savoir être humble. On travaille dans un milieu où on est constamment sur Twitter par exemple et les mecs qui se plaignent dessus on les voit et on n’a pas envie de travailler avec eux. Au final, l’esport c’est un petit monde et si tu as du talent, tu finiras par percer c’est sûr. D’ailleurs, quand j’ai rencontré Romain Bigeard pour la première fois il m’a dit : « Dans l’esport on se rencontre toujours deux fois » ce qui est vrai et signifie qu’il faut rester humble sinon tu risques de perdre des opportunités d’emploi à cause de tes paroles passées. La photographie esport c’est dur, tu es quasiment obligé de travailler en freelance, tu va avoir des mois compliqués mais il ne faut pas abandonner. Ce qui est important aussi c’est de faire de la prospection, contacter les équipes avant l’événement et voir si elles ont besoin d’un photographe esport. C’est un gros travail mais c’est super important.

Après, un autre conseil que je peux donner à un photographe esport porte sur les prestations en elles mêmes car ce n’est pas toujours facile. Parfois, tu peut avoir des accès restreints qui vont te gêner. Par exemple, j’était au major de Rainbow 6 à Paris il y a quelques temps pour la team Evil Geniuses. J’arrive sur la scène pour prendre des photos et là une personne de l’ESL qui gère l’évènement me dit que je n’ai pas le droit de monter sur scène. Sauf que moi je dois faire ma prestation, j’aimerais bien être payé à la fin donc je dois monter sur scène. Dans ces cas là, tu vas parfois devoir un peu forcer le passage, tu n’as pas le choix. Bien évidemment, tu expliques aussi la situation à ton client en lui disant qu’à certains moment, prendre des photos sera plus compliqué mais il faut tout de même faire ton maximum pour rendre ton client heureux.

Tu as évoqué le matériel que tu emmènes en LAN en tant que photographe esport, peux-tu nous en dire un peu plus dessus pour ceux que ça intéresserait ?

Actuellement j’ai un Canon 5D Mark III. J’ai travaillé pendant deux ans avec un 24-500 qui ouvre à 4. J’ai ensuite acheté un 70-200 qui ouvre à 2.8. Après, pour faire un peu de portrait, j’ai acheté un 50mm fixe qui ouvre à 1.8. J’ai également un grand angle, un 16mm fixe qui ouvre à 2.8.

Le choix du Canon 5D Mark III s’est fait en regardant ce qui se faisait chez les photographes professionnels du milieu déjà en place comme Helena Kristiansson ou bien Adela Sznajder qui sont deux photographes qui bossent respectivement pour ESL et Dreamhack et que j’admire énormément.

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Dans l’esport, on se rencontre deux fois (Crédit : Timo Verdeil)

On vient d’évoquer les nouveaux photographes qui veulent se lancer, as-tu des conseils à leur donner en termes de matériel ?

Comme je l’ai dit tout à l’heure, le milieu de la photographie esport est super ingrat. On est dans des endroits très sombres et par conséquent, pour être photographe esport, il faut du bon matériel. Il va forcément falloir du matériel professionnel même si c’est de l’entrée de gamme. Pour moi, pour faire de la bonne photo et trouver des prestations, il va falloir un Canon 5D Mark III, après si tu as un Sony Alpha 7 III tant mieux. Mais au minimum je conseille un 5D Mark III avec un 50mm qui ouvre à 1.8 ce qui est la base de la base et représente un budget d’environ 2 000€. Après, ce que moi je conseille c’est d’avoir un 24-105 même si c’est dommage qu’il ouvre à 4 parce qu’il va te permettre de faire de très gros zoom. Niveau prix, le 24-105 doit être dans les 1 000€. Soyons clair, c’est le matériel que je conseille si tu veux te lancer dans la photographie esport avec l’ambition d’en vivre. Si c’est le cas, il faut se dire qu’il va falloir y mettre un budget d’environ 3 000€ parce que j’en vois arriver des photographes avec des appareils bas de gamme et au final, ils sont dans la désillusion à la vue de leurs photos parce que c’est sombre, c’est flou et qu’il y a du grain.

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Ensuite, en termes de logiciel, il faut absolument Lightroom, c’est le logiciel de retouche photo universel ! Faut pas utiliser Photoshop, ça c’est plus pour de la création graphique. En plus, Lightroom est extrêmement facile à prendre en main, extrêmement intuitif, au bout d’une journée de pratique tu vas maîtriser complétement le logiciel. J’insiste mais ce logiciel, tout photographe esport doit l’utiliser, il ne faut pas utiliser Gimp ou d’autres logiciels.

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Chaque photo doit être retouchée (Crédit : Timo Verdeil)

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A la lumière de cet entretien, on constate qu’être photographe esport demande beaucoup d’investissement que ce soit en termes de temps ou d’argent. Il vous faudra compter un minimum de 3 000€ afin d’avoir le matériel nécessaire à la réalisation de bonnes photos. Ne vous lancez donc pas dans cette voie si la photo n’est pas avant tout une passion, vous risqueriez d’en sortir avec un goût amer. Pour le reste, si vous êtes passionnés par la photographie et l’esport ce métier pourrait tout à fait vous convenir.

Cependant, comme beaucoup de métier dans l’esport, être photographe demande beaucoup d’investissement pour réussir à en vivre. L’investissement est toujours plus important car il y a des prestations à honorer et que, pour prétendre à être photographe professionnel, il faut réussir à se démarquer des autres en trouvant son propre style. Vous l’aurez compris, choisir cette voie professionnelle ce n’est pas choisir le chemin de la facilité. Malgré tout, comme le dit si bien Timo : « Si tu as du talent, tu finiras par percer, c’est sûr ».

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2 Commentaires

Anatomy 8 octobre 2018 - 23 h 02 min

Hyper intéressant, par contre absolument pas d’accord sur la question du matos. Je bosse dans des évènements sous les mêmes conditions et avec un contexte qui amène des exigences bien plus élevées, et j’ai trainé des années un 70D qui fait le taff sans aucun problème de bruit et toutes ces conneries haha. Si je suis d’accord sur le fond des paroles du photographe sur le métier, le milieu, etc, on est clairement face au discours classique de quelqu’un qui n’est pas photographe à la base et dont le matos et la retouche fait la majeur partie du travail et qui à la chance d’être là parce qu’il était aux premières loges. Jurer par le materiel, c’est le pire des discours et ça dissuadera des gens bourrés de talent de se lancer parce qu’ils ont pas les moyens d’avoir du matos de fifou. Et c’est bien dommage de transmettre ce genre de valeur, surtout dans le milieu sportif. Peut-être pour décourager les petits nouveaux à se lancer et garder sa place au chaud ? Qui sait…

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Dimitry Bigot 9 octobre 2018 - 23 h 53 min

Bonjour et merci pour ton retour sur l’article.

Concernant la partie sur le matériel, je ne pense vraiment pas que le but de Timo soit de dissuader les gens. Au contraire, il a été très emballé à l’idée de leur donner des conseils.

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