Depuis longtemps, je rêve de vous parler de speedrun. Au premier abord, ce sujet n’a aucun lien avec l’esport.
C’était vrai pendant des années, mais aujourd’hui, des passerelles se créent entre les disciplines pour former ce qui peut devenir la première forme d’esport PVE de l’histoire.
Le rapprochement entre les deux disciplines ne date pas d’hier. Depuis plusieurs années, un discours amenant le speedrun dans les rails de l’esport est produit sans mener à de véritables conclusions.
Avant d’aller plus loin, je préfère vous prévenir : je ne pense pas que le speedrun doit et va se concrétisée comme l’esport, avec des circuits compétitifs, un engouement et les mécaniques de sponsoring que nous connaissons bien.
En revanche, j’attire votre attention et cet article devrait combler votre curiosité sur la richesse que représentent la pratique et le potentiel compétitif que peut être l’affrontement entre un joueur et la machine.
On le voit dans le sport traditionnel, l’engouement est beaucoup plus fort pour les jeux d’équipes ou d’affrontement d’un sportif avec un autre comme dans le football, le tennis ou encore le basket.
Néanmoins, il existe de multiples pratiques qui opposent l’individu à son environnement, modulant cet affrontement par contraintes comme le temps, l’exécution technique ou artistique, pour exemple le kayak, la voile, le marathon ou le ski.
Face à un même cadre, les participants doivent réussir à créer la meilleure performance pour s’imposer sur le reste des compétiteurs. Dans le jeu vidéo et par extension l’esport, la machine et le jeu sont la base de l’environnement compétitif.
Jusqu’ici, la pratique amenait des équipes ou des joueurs seuls en face à face pour reconnaître le meilleur compétiteur.
Le speedrun peut également opposer des joueurs en évaluant le temps qu’il sont capables de réaliser lors d’une run en créant des conditions similaires. Beaucoup de données sont à prendre en compte pour que la pratique soit compétitive.
Cependant, il ne s’agit pas d’une rencontre impossible.
Elle se concrétise déjà lors de match amicaux durant les Games Done Quick, mais aussi dans une compétition française, l’Ultime Decathlon.
Mon appréhension du speedrun se limite à celle d’un spectateur, n’ayant jusqu’ici jamais tenté l’expérience d’une run (bien que cette interview ait réussi à me donner l’envie de tenter ma chance sur une run d’Arc the Lad : Twillight of the Spirits).
Pour apporter des réponses à mes nombreuses questions, je me suis dirigé vers l’association qui porte aujourd’hui en France le plus gros de la communauté du speedrun : Le French Restream.
Association constituée en 2016, l’activité a débuté bien avant avec des rediffusions puis la création d’événements caritatifs portés par la pratique du speedrun.
Au sein de l’association, j’ai eu la chance d’échanger avec KadMony, mathématicien et actuel membre actif de l’association. Durant notre échange, il a su piquer ma curiosité sur des particularités du speedrun qui dépassent la seule relation avec l’esport, ce qui m’a aidé à mieux mesurer mon propos sur cette pratique.
Je vous laisse désormais à la lecture de cet échange particulièrement généreux afin de réfléchir à ce que le speedrun propose comme conception du jeu vidéo et ce que l’on peut apprendre d’une communauté qui possède encore énormément de bienveillance.
Salut Kad, je te propose de commencer cette interview en te présentant pour bien comprendre comment tu es arrivé au French Restream.
Je suis KadMony, n’ayant pas une très grande culture vidéoludique, je me suis intéressé au jeu online à travers le RTS, en particulier la série des Age of Empires. J’ai commencé a diverger vers l’esport au début des années 2000 en fondant une des principales équipes française sur Age of Mythology.
L’équipe a été au World Cyber Games en 2003, l’événement était alors un embryon de l’esport que l’on connaît actuellement. J’ai divergé à partir de 2010 vers le speedrun dans un cadre de recherche, étant moi même mathématicien. Je voulais trouver des bugs dans les jeux, mes deux jeux d’études étant Xenogears et Final Fantasy VI. En découvrant des bugs et en battant quelques records du monde sur ces deux jeux, je me suis fait une place dans la communauté du speedrun française.
Au moment de structurer le French Restream, j’ai décidé de m’investir plus activement et je suis dans le collectif depuis sa création il y a un an maintenant.
Je n’ai pas forcément bien suivi la restructuration du French Restream tu peux rapidement en parler ?
Le socle de la communauté, c’est l’événement américain Games Done Quick qui était à l’époque restream en français par Mister MV. Il a décidé de passer la main il y a quelques années, il était alors nécessaire de trouver des personnes capables de poursuivre cette démarche tout en étant désintéressées.
La communauté est importante et il fallait réussir à trouver un équilibre pour éviter les batailles d’égos et les dramas. Une petite équipe s’est montée à cette initiative pour reprendre le restream, pendant un ou deux ans, elle était en charge avec un fonctionnement collectif mais aucune réelle structuration.
On a finalement décidé de mettre les choses au clair au bout de deux ans en devenant une association loi 1901, ce qui nous permettait d’avoir un compte, récolter les dons et les reverser, avoir accès aux abonnements sur Twitch…
J’étais toujours en filigrane de ce projet depuis 2013, j’ai vraiment commencé mon activité avec la structuration officielle du projet.
En 2002 lorsque tu as créé ton équipe sur Age of Mythology, tu avais conscience du phénomène esport ?
Je n’en avais pas vraiment conscience à vrai dire. Je reviens un peu plus en arrière, je jouais alors sur Goa le site d’Orange, site sur lequel on trouvait une assez forte communauté Age of Empires II. Je m’étais fait un ami qui était dans le top français, j’avais conscience de cette communauté compétitive sans jamais me considérer comme un acteur actif de celle-ci.
Malheureusement, une de mes erreurs aura été de ne pas m’intéresser plus en détail à Warcraft III alors que le jeu était en train de percer. Il y avait un conflit entre le titre de Blizzard et ses concurrents. Un jeu sans Bo, c’était inadmissible pour nos mœurs de l’époque et je n’ai jamais quitté la série des Age of Empires.
Ce n’était ni l’appât du gain ou la croissance du phénomène qui me motivait, à l’époque je cherchais plus l’aventure collective et l’aspect compétitif.
Dans la suite de l’interview, nous allons beaucoup parler du lien entre le speedrun et l’esport. J’aimerais te proposer une première piste de réflexion avec pour modèle le sport traditionnel, et plus particulièrement les sports qui confrontent l’individu à l’environnement.
De la même manière qu’une course de kayak sur un circuit spécifique, le speedrun met le joueur dans un jeu particulier pour faire le meilleur résultat en battant le temps des autres ou son propre score.
Techniquement, l’analogie avec les sports comme le kayak n’est pas mauvaise. On peut prendre des joueurs sur le premier Mario, ils peuvent se relayer, faire un contre la montre, ce n’est pas impossible. Il faut que le jeu qui sert de support possède une communauté suffisante pour accueillir plusieurs participants avec un niveau assez homogène.
Quand on regarde, il n’y a pas beaucoup de jeux qui possèdent plus d’un ou deux joueurs actifs avec des hauts niveaux pour chaque catégorie. Pour beaucoup de jeux, on peut voir des joueurs avec de très bons temps, mais qui ont arrêté de pratiquer depuis longtemps.
Pour avoir une telle organisation, il faut un speedrun très court. Dans le kayak, la descente dure un peu plus d’une ou deux minutes. On ne va pas faire des relais sur des speedruns qui durent 1h30 ou 3h. On trouve déjà beaucoup de speedrun qui durent 30-40 minutes ce qui correspond assez bien à la norme des parties compétitives.
Pour ma part, j’étais sur le speedrun de XenoGears qui dure 20h, autant dire qu’il est plus difficile de faire valoir le spectacle sur une telle durée.
On peut imaginer faire une analogie avec l’athlétisme et sa pluridisciplinarité. C’est possible dans le speedrun, mais souvent on ne se cale que sur son meilleur temps théorique. Il s’agit d’un temps atteint après plusieurs dizaines de milliers d’essais avec de très grosses prises de risque.
Les conditions ne sont pas irréalisables, mais elles limitent le champ des possibles. Il faut trouver des courses de la bonne durée, qui soient divertissantes pour le public et qui possèdent une communauté assez active pour assurer la compétition.
Le format le plus courant pour faire de la compétition en speedrun est celui de la course. Généralement, on retrouve entre 2 à 4 joueurs qui s’affrontent en simultané, le premier arrivé gagne le match.
On retrouve d’ailleurs ces courses lors des Games Done Quick, souvent deux runners s’affrontent en direct et proposent un bon spectacle. Même s’ils ne cherchent pas atteindre leur meilleur temps, la confrontation est déjà intense et on ne peut pas nier l’attrait que peut avoir la pratique.
Le modèle est déjà bien utilisé aujourd’hui par différents organismes. On retrouve le site SpeedRunsLive qui permet à n’importe qui de faire des races en permanence.
Une des failles du speedrun, c’est le morcellement en jeux, en jeu mais aussi en catégorie.
Cela crée cette chaleur humaine, lorsque l’on rejoint une catégorie il n’y a souvent que deux runners qui sont très contents de voir une nouvelle tête. Les communautés organisent elles-même leur compétition. Il n’y a pas si longtemps encore, la communauté de Zelda organisait un tournoi randomizer sur Ocarina of Time.
On retrouvait tous les éléments compétitifs, chaque runner en solo avec un système de bracket, d’éliminations etc.
Un autre exemple, un concept ami du French Restream en France, l’Ultime Decathlon.
Il s’agit d’une compétition annuelle avec une rotation saisonnière. 10 jeux sont annoncés pour chaque saison et pendant 2-3 mois, les participants vont pouvoir s’entraîner pour chacune des runs.
À la fin, ils font tous des runs en simultané, parfois lors d’événements IRL, je pense à celui de Fougères notamment. Lorsqu’un joueur finit premier sur un des jeux, il gagne un nombre de points, la distribution des points étant calculée sur sa proximité avec le record du monde et la différence avec les autres compétiteurs.
Celui qui cumule le plus grand total de points remporte la coupe et chaque année, l’édition se réédite en changeant les titres qui la composent.
C’est une super organisation qui maîtrise bien le format. Les américains nous envient d’avoir ce genre de compétition et une qualité de régie capable de suivre une trentaine de runner à la fois en mettant en avant les temps forts de chacun. L’initiative est excellente et pour le coup, elle est véritablement esport.
L’idée d’annoncer les jeux en début de saison est excellente pour permettre le temps d’adaptation et un niveau homogène sur la compétition.
On voit rapidement les joueurs qui sont déjà connaisseurs sur un jeu et ceux qui s’entraînent uniquement pour la compétition. Certains participants font le choix d’un jeu en particulier plus qu’un autre.
Globalement, on voit des joueurs qui s’acharnent pendant 6 mois sur un jeu et qui n’y touchent plus après, ce n’est pas exactement le top niveau du speedrun.
On ne voit aucun record du monde dans la compétition. Pour les catégories les plus compétitives, il est normal de ne pas atteindre un tel niveau en aussi peu de temps.
On retrouve un peu ce format avec la ZLAN et l’annonce des jeux 3 mois avant la compétition. Une run de Portal 2 est comprise dans la compétition et réapplique le modèle de l’Ultime Decathlon.
J’ai vu quelques retours de certains membres de l’Ultime Decathlon concernant cette application, néanmoins chacun peut revendiquer sa part dans la création du format il n’y a pas vraiment de problème dans ce cas.
Il ne faut cela dit pas beaucoup de temps pour voir que l’Ultime décathlon est dédié au speedrun, la ZLAN et ses influenceurs a des aspirations plus ‘terre-à-terre’, disons.
Les communautés de gros streamers ne sont pas vraiment connectées avec les différentes associations de speedrun. Les membres de l’association ne sont pas des streamers ou youtubers et c’est important pour la reformation du French Restream d’éviter les conflits d’intérêts.
C’était important pour le collectif que les personnes qui participent ne cherchent pas à tirer la couette pour elles même.
C’est un choix assez important, mais qui semble porter ses fruits puisque l’association semble grandir et bien se porter.
Il s’agit d’un combat au quotidien. Plusieurs personnes viennent nous dire que l’on devrait prendre des sponsors pour pouvoir payer nos événements, mais c’est un choix de notre part de refuser ces propositions.
Pour l’instant, quitte à donner moins, et je ne pense pas que l’on soit dans cette position, on préfère garder notre indépendance. Dans des événements comme la Gamers Assembly, on a la chance d’avoir de généreux donateurs qui nous fournissent des consoles régies, tout le matériel audio.
Il faut beaucoup d’efforts pour que notre indépendance reste intacte. On peut encore aujourd’hui se targuer que la totalité des frais de fonctionnement de l’association proviennent des membres de l’association.
C’est plus qu’honorable de votre part.
C’est une astreinte que l’on se donne. Lorsque l’on est à Bourg-la-Reine, il faut du matériel qui coûte extrêmement cher. Il y a beaucoup de débrouille et on ne sait pas combien de temps cela peut tenir.
Il faut réussir au quotidien à convaincre que l’on ne dépend pas d’un système d’assurance, des frais très importants dont on se passe encore aujourd’hui.
Tout le matériel de lumière et de régie est entièrement prêté par la société Gozulting, sans eux, on ne pourrait jamais faire tous les événements que l’on propose aujourd’hui.
Votre choix il se retrouve dans tout le secteur du jeu vidéo et de l’esport, il s’agit souvent de la transition de la sous-culture du jeu à une pratique plus globale.
Je vois vraiment la différence entre l’époque du WCG et maintenant. On devait se rendre à l’époque en Bretagne pour expliquer à des parents qu’il fallait emmener leur enfant mineur en Corée pour jouer à un jeu. Aujourd’hui ceux qui arrivent à ce niveau parviennent beaucoup plus facilement à faire comprendre leur situation.
Pour récupérer un replay de match, il fallait retrouver les fichiers, c’était parfois la croix et la bannière pour mettre la main dessus. Aujourd’hui tout est documenté, très lissé, il y a de nombreux analystes.
Un jeune qui s’investit aujourd’hui n’aura pas besoin de cette créativité qui animait les esportifs que l’on était alors au fond d’une cave, prêts à découvrir de l’or au moindre pas.
Aujourd’hui tout est très codifié et il beaucoup plus difficile d’imaginer des pratiques non standard tout en étant reconnu.
L’aspect garage des LAN compétitives a disparu mais on le retrouve encore dans le speedrun. Cette origine, elle séduit d’ailleurs beaucoup les fans et permet de faire le lien entre les deux pratiques.
C’est quelque chose sur lequel on fait très attention aujourd’hui. Par exemple, dans le choix de nos commentateurs. Le French Restream comprend des centaines de commentateurs, modérateurs et régisseurs. Nous n’avons quasiment jamais refusé personne et nous acceptons que parfois, ce soit des commentateurs avec un mauvais micro, un son qui semble venir des chiottes, qu’ils aient des coupures etc.
On met toujours les nouveaux en tandem avec des anciens comme une sorte de conduite accompagnée. De la sorte, on parvient encore à donner la possibilité à des passionnés dans leur garage de cast un jeu qui semble ne pas forcément intéresser grand monde.
Avoir la possibilité de ne dire non à personne, c’est une part importante de l’identité que l’on essaye de conserver.
Un autre aspect faramineux de la communauté, c’est sa capacité malgré son aspect garage à se mobiliser et soulever plusieurs millions pour des causes caritatives. Nous rediffusons actuellement RPG Limit Break, un marathon consacré au RPG.
Les jeux sont longs et ne touchent qu’une part minoritaire de la communauté et pourtant, nous sommes certains qu’à la fin de l’événement, nous aurons réussi à soulever au moins 150 000 $ (le montant final atteint était de 202 628.24 $ au 12 mai 2019).
Ces sommes sont gigantesques sur des jeux très peu médiatisés, des runs qui durent parfois plus de 10 heures, avec pour seul support des joueurs qui n’ont pour seule passion que de transmettre leur amour pour leur jeu préféré.
Il y a encore une certaine pureté dans le geste de faire une run et cela fait beaucoup dans la façon de voir et de pratiquer le speedrun.
Est-ce qu’il y a déjà eu des démarches de société endémiques ou cosmopolites pour investir dans le speedrun et créer modèle similaire à celui développé sur la scène sportive ?
Oui, c’est arrivé très récemment pour la première fois, malheureusement. Il s’agit plus d’un intérêt de la part d’une entreprise qui voit le speedrun comme une excroissance du streaming et du modèle d’influenceur que comme une pratique à part entière.
C’était l’équipe Counter Logic Gaming qui avait mis la main sur plusieurs streamers internationaux afin de former une équipe CLG Speedrun. On retrouve dans l’équipe ZFG1, le runner emblématique de The Legend of Zelda Ocarina of Time. C’est un excellent joueur et il possède la reconnaissance de toute la communauté pour ses performances et son implication.
On retrouve aussi Cheese05, le meilleur runner de Super Mario 64, très impressionnant à voir jouer. Ils ont aussi Majinphil sur The Legend of Zelda Majora’s Mask, il est bon mais il n’excelle pas dans sa catégorie. Il remplit plus le contrat comme influenceur et on le voit bien dans la sélection, ils cherchent des personnages avec une communauté autant que des grands runners.
On retrouve cette démarche depuis cette année avec les rushs de raid sur World of Warcraft. Je pense évidemment à l’équipe de Method qui monopolise l’attention et qui grâce à ce format, propose une approche compétitive PVE.
La comparaison est logique et même si la pratique n’est pas tout à fait similaire, aucun doute qu’elles ne sont pas trop éloignées l’une de l’autre.
Ce modèle a cependant un problème, il est essentiellement tributaire des mises à jour que l’éditeur veut bien faire sur le jeu. Il faudrait que ce soit l’éditeur, ici Blizzard, qui prenne en charge le calendrier compétitif pour que celui-ci coïncide parfaitement avec les sorties de contenus et qui correspond à la pratique.
Comme pour l’Ultime Decathlon, il serait possible de définir les dates de sorties des raids et créer une sorte de saisonnalité de la compétition. Une fois ce problème réglé, il n’y a rien qui empêche les joueurs d’être en compétition pour finir le raid le plus vite.
Existe-t-il un discours de légitimation du speedrun par la performance ?
Pour moi ce qui est très clair et qu’il faut comprendre, c’est que le speedrun est une manière de réapprendre le jeu. Même après après joué des centaines d’heures sur un jeu, lorsque l’on découvre sa run on apprend que l’on ne savait rien.
La pratique est très attractive, car pour n’importe quel jeu un peu populaire, on redécouvre des éléments qui ne sont de prime abord pas prévus. Le speedrun est accessible et extrêmement facile. Je peux l’affirmer par mon expérience de speedrun et mon travail sur différents glitch.
Évidemment, pour décrocher le record du monde sur The Legend of Zelda : Ocarina of Time, c’est très difficile et cela demande des milliers d’heures d’entraînement. En revanche, pour réussir une run dont le record du monde est à 1h30, il est tout à fait concevable de le faire en 2h en quelques essais, ce qui semble absoluement inenvisageable pour un joueur normal.
Il suffit de quelques essais pour parvenir à ce genre de résultat. Une fois le travail théorique fait, la plupart des routes de speedrun sont sûres et il y a très peu de prise de risque. La plupart des runs n’ont pas de game over mais uniquement des pertes de temps mineures.
Sur des jeux que l’on pensait infinis, il est alors possible de réussir à terminer le jeu dans un temps très proche du record du monde. On redéfinit complètement notre façon d’appréhender le jeu, cela rend la pratique à la fois attractive, mais aussi sympathique puisqu’elle change l’aspect ludique sur des jeux souvent gratuits.
À mon avis, le speedrun à deux niveaux de lecture qui font beaucoup dans le charme de la pratique. Le premier est accessible au spectateur, il voit que le runner va jouer au jeu en ne respectant pas les règles établies, en utilisant des glitchs et d’autres artifices pour créer la performance.
Le second paraît plus complexe puisqu’il s’agit de toute la connaissance autour de la run. Au même titre que l’on aime voir un tour de magie, on veut savoir son fonctionnement, mais on ne dépasse pas cette limite pour ne pas gâcher le succès du tour réussi.
Il y a autant de jeux que de tour et chaque run est une expérience nouvelle que le spectateur peut saisir et apprécier d’une manière différente à chaque réédition.
Le speedrun est compréhensible avec une condition importante. Il faut que les communautés mettent à disposition une documentation qui est propre à chaque run afin d’apporter l’accès à cette connaissance.
C’est la force et la faiblesse du speedrun, ce morcellement de la communauté en micro communautés. Dans les communautés de deux ou trois personnes ayant fait le travail en amont, il faut espérer avoir accès à un tutoriel explicite pour essayer de faire une run. C’est très souvent le cas, il est rare de voir des communautés qui ne fournissent pas cette documentation.
Je me rappelle il y a des années, sur la run de Romancing Saga 3, un vieux RPG japonais, j’étais parvenu à mettre la main sur cette documentation en contactant un des seuls runners du jeu. Mais c’était très compliqué car il est japonais et n’avais pas rédigé d’explications, alors que la run est extrêmement technique et impossible à reproduire avec une vidéo seulement!
La présence ou l’absence d’information est un atout majeur pour se mettre au speedrun. C’est une des raisons de l’intérêt croissant pour les runs sur Zelda, car le jeu possède une communauté de speedrun importante qui met à disposition et à jour sa documentation.
Avoir une communauté active est central pour réussir à créer de l’attractivité et de l’accessibilité. Chaque communauté met différents moyens à disposition et cela peut être très différent d’une run à une autre.
Sans oublier le rôle central des commentateurs. Comme pour la scène esportive, leur présence permet de clarifier énormément de choses au spectateur et on le voit lors des GDQ, certains runner sont entourés de commentateurs pour apporter toute la connaissance nécessaire pour apprécier la performance.
J’ai travaillé sur le sketch glitch de Final Fantasy VI, il existait depuis la sortie du jeu il y a 25 mais personne ne comprenait comment il fonctionnait. Dans le speedrun, personne n’arrivait à s’en servir. J’ai commencé à travailler dessus avec mon comparse Kilaye en 2016,le problème a été résolu dans l’année.
Depuis, la run de Final Fantasy est passée de 5h à 20 minutes. *rires*
Il y a évidemment d’autres bugs qui ont été exploités mais le sketch glitch était nécessaire pour y parvenir.
Dans le cadre de mon travail, j’ai visité des universités dans toute la planète, particulièrement au Japon. Je devrais normalement être convié l’année prochaine à expliquer ce glitch lors d’une conférence pour des choses techniques qui devrait représenter à lui seul deux exposés de deux heures. Ces bugs sont très techniques et peuvent sans aucun problème faire l’objet d’exposés de recherche, par exemple dans un laboratoire de software ingeneering.
On ne peut pas faire passer ce genre d’information sur un canapé et un live Twitch. Il faut préparer l’audience et avoir du temps devant soi. L’image n’aide pas plus à la compréhension, car l’écran est noire et ne montre rien… pendant cela le jeu implose, en quelque sorte, et pouf, le jeu est terminé.
Il doit y avoir une chance sur 50 000 pour que la fin du jeu soit lancée, régulée par tout un set-up mis en place en amont et qui ne se voit pas à l’écran. La run est absolument illisible si personne n’intervient pour donner quelques explications.
Cette barrière technique participe beaucoup à la création du sel autour d’une run. Que l’on soit un amateur de speedrun ou un témoin temporaire, il est possible d’apprécier de la même manière cette performance qui paraît hors d’atteinte.
Pour ma part, mon lien avec la pratique a été formé par mon amitié avec Mister MV. À l’époque, il faisait la run de Final Fantasy VI. À un moment dans le jeu, il est possible de sauter toute une zone, mais dans le speedrun, on ne le fait pas, car sinon, un personnage n’apparaît pas dans la mémoire et fait perdre du temps sur la run globale.
Je n’avais jamais joué au jeu et je ne connaissais pas le jeu. Intuitivement, j’ai essayé de chercher une solution permettant de récupérer ce personnage et de sauter la zone en question tout de même.
Je suis allé voir MV après une de ces runs en me demandant à quel moment du jeu le personnage apparaissait. L’existence du personnage se fait à partir du moment où on lui donne un nom. J’ai demandé à Xavier de commencer la quête jusqu’à pouvoir donner un nom au personnage, puis d’abandonner la quête et de contourner la zone.
C’était une perte de temps, car il fallait chercher le personnage jusqu’à cette étape, mais cela a permis de le récupérer et sauter la zone en question. Avoir touché cet aspect indicible du speedrun m’a fait réfléchir à toutes les possibilités qui n’avaient pas encore été exploitées par la communauté de ce jeu, et me convaincre qu’il y avait d’autres choses à découvrir.
Dès lors, je me suis intéressé au jeu, j’ai commencé à jouer à Final Fantasy VI jusqu’à tomber sur le sketch glitch. Il s’agissait d’une curiosité intellectuelle de ma part sur ce que font ou ne font pas les joueurs, ce qui fait gagner ou perdre du temps, comment les actions d’une run se calculent…
Perdre du temps sur une section peut faire gagner énormément par la suite, ce genre de choix peuvent paraître obscurs, mais heureusement, il est possible à tout moment d’interroger un runner sur son chat et d’apprendre un peu plus sur le fonctionnement de la run.
C’est important, en particulier lorsqu’une run peut faire 20h comme celle que tu pratiques. Mémoriser 20h de parcours, c’est un exercice qui paraît extrêmement difficile pour le commun des mortels.
Il y a assez peu de run qui durent aussi longtemps je te rassure. Pour t’apporter un peu plus de contexte, dans la chronologie que je t’ai donnée, il y a un trou dans ce que j’ai fait de 2003 à 2010. Durant cette période j’étais surtout en étude, mais j’ai passé beaucoup de temps sur Xenogears, un jeu qui m’était cher depuis mon adolescence.
Avant même de toucher à Final Fantasy VI, j’ai fait mes premiers essais sur Xenogears. J’ai un goût pour les œuvres inachevées, des choses inutiles qui montrent l’absurde. Je voulais faire le speedrun du jeu le plus long possible et par chance, il y avait déjà un japonais qui proposait une run sur le jeu.
La run durait 20h et pendant 1 an, j’ai écrit toute la route pour réussir à faire la run. Ces notes étaient très denses et faisaient la taille d’un livre. Je suis sensible à ses questions de communication et d’empreinte que l’on laisse, on reviendra sûrement après sur cette question d’histoire du speedrun qui me touche particulièrement.
J’ai essayé de faire une photographie la plus précise possible de cette route, concrétisé dans ces notes d’environ 150 pages et qui décrit l’intégralité de la run. Aussi fou que cela puisse paraître, faire une run de 20h cela veut dire qu’il faut connaître tous les mouvements, tous les écrans, chaque direction pour atteindre la fin de la run.
Il arrive parfois que je fasse encore cette run pour mon plaisir personnel et même s’il existe des centaines d’écrans au cours de la run, je peux encore précisément savoir pour chaque salle du jeu quelle orientation prendre, quel geste faire.
Cela ne me demande plus d’effort, car le travail de recherche en amont et de routing a demandé tellement d’investissement que je suis capable de ressortir chaque détail sur le bout des doigts.
J’imagine sans difficulté que certaines run sont beaucoup plus accessibles que d’autres pour faire ses premières armes.
J’étais sûrement très cavalier dans ma démarche, car j’aime aller dans l’absurde, mais oui, il existe des runs qui demandent beaucoup moins d’investissement.
Il y a des jeux beaucoup plus sympathiques à run, j’apprécie particulièrement celle de The Legend of Zelda : Breath of the Wild. Je ne suis pas un excellent joueur de jeu vidéo, mais j’aime apprendre. La run peut paraître technique, mais il ne faut pas être timide, car elle est très accessible et intéressante. Elle dure 30 minutes, une heure pour les débutants.
Le 1er quart d’heure n’est qu’une suite de saut d’arbre en arbre en abusant du moteur physique du jeu et le second quart d’heure consiste à combattre un boss dans un échange très technique. Il n’y a aucun temps mort et c’est un très bon exemple pour commencer.
Une des données importantes à prendre en compte pour commencer le speedrun, c’est la durée. Sur un jeu court, perdre cela n’a pas vraiment d’importance, on relance immédiatement.
J’ai déjà eu des situations ou après 15h de run sur Xenogears, je suis mort et j’ai perdu ma run. Ce genre de situation fait reconsidérer la façon d’appréhender les 15 dernières heures et qu’est ce que l’on fait de son temps. *rires*
Par contre, les runs courtes sont très répétitives, il existe assez peu de variantes et on s’en lasse plus facilement.
Certains éditeurs font le pari du speedrun et donnent certains outils en jeu pour permettre la performance. Je pense évidemment à Super Meat Boy, mais aussi Splasher. Ils ne sont pas pour autant les plus adaptés au speedrun, car faire un temps est une difficulté inhérente au gameplay, ce qui n’est pas le cas dans la majeure partie des runs.
L’exemple de Super Meat Boy est intéressant, car le jeu encourage au speedrun parce qu’il a des timers intégrés, mais d’un point de vue technique le jeu est très mal adapté au speedrun.
Il y a de très nombreux problèmes techniques en termes de fps, qui dépendent énormément de la configuration du matériel, ce qui complique énormément la run. Les runners ne sont pas dans un mouchoir de poche niveau résultat, mais cela reste problématique de ne pas tous avoir la même base de jeu.
Pour rendre la run plus praticable, il faudrait que le timer en jeu ne comprenne pas le temps entre les écrans ou de lag.
Pour toi est-ce que la diversité de jeu comprise dans le speedrun est un atout ou un frein au développement de la pratique ?
Il y a des points très positifs à cette diversité que l’on peut étendre même à la multiplication des différentes run possible sur chaque jeu. Lorsqu’un nouveau glitch est trouvé, il est encore possible de continuer à travailler la run sans.
Limiter le speedrun à la seule catégorie du plus rapide reviendrait à terminer tous les jeux en 5 minutes à l’aide de glitch. On peut vouloir regarder et faire autre chose ce qui permet de varier les plaisirs.
D’un autre côté, cela créer des catégories très sclérosées et des communautés très petites. Cependant, si quelqu’un veut faire un world record dans une catégorie particulière avec ses règles à lui, il est en possibilité de le faire. Il doit seulement être très clair sur les conditions de la run et les règles qui sont proposées.
Chacun peut faire la run qui lui fait plaisir, c’est un avantage qui se paye par la fragmentation de la communauté.
On connaît le même problème sur la scène esportive du versus fighting. Il existe beaucoup de jeux qui se partagent le même gâteau et la communauté est très morcelée.
C’est le cas de le dire. Je doute que le speedrun soit très adapté pour devenir un modèle adapté au sponsoring, autant le versus fighting a tout pour le faire, mais je doute de sa réussite à cause de la toxicité autour de la communauté et de ces échanges.
Est-ce qu’il y aurait un intérêt de voir se développer un sponsoring autour d’une scène esportive de speedrun ?
Il s’agit de ma réponse très personnelle même si le French Restream me rejoint assez généralement. Le sponsoring peut apporter de la popularité, de l’argent, mais est-ce que ce modèle est vraiment la finalité de notre pratique ?
Les gens qui sont intéressés viennent, c’est très bien de réussir à attirer plus de personnes, mais à quel prix et pourquoi ? Est-ce que l’on peut considérer que beaucoup de gens peuvent se fasciner du speedrun, mais ne savent pas que cela existe ?
Je ne pense pas que ce soit le cas, les intéressés le savent déjà et j’imagine que la pratique pourrait être plus inclusive. L’argent investi par du sponsoring reviendrait principalement à de gros streamers qui ne seraient que des baby fakers de l’esport, capable de vivre de cette perfusion.
Du point de vue de la communauté, le seul intérêt objectif serait la popularisation de la pratique. À part créer une bulle économique permettant à des gens d’en vivre, il n’y a pas de bénéfice à voir des investissements de ce type dans le speedrun.
Il n’y a pas d’accueil réfractaire à l’idée d’un investissement, mais il y a aujourd’hui une véritable difficulté pour faire en sorte que ces propositions soient en faveur d’une pratique communautaire.
On a beaucoup perdu cet aspect critique du sponsoring dans l’esport et aujourd’hui on accepte plus ou moins l’argent de n’importe qui pour faire n’importe quoi sans se questionner sur son bien-fondé.
Ces investissements se légitiment généralement par des spectacles toujours plus colossaux et inclusif mais vont rarement apporter quelque chose de plus à la communauté.
Si la plus-value d’un événement se calculait sur le nombre de spectateurs, on serait mal barré.
Le fait d’être populaire est un avantage, cela donne de l’énergie pour que les équipes continuent de travailler, mais ce n’est pas une fin en soi. C’est la philosophie du French Restream de ne pas chercher à établir puis battre des records. On cherche avant tout à faire passer un bon moment à des gens et proposer des choses qui sont intéressantes.
En parlant d’investissement, il y a eu une autre tentative d’investissement qui a assez mal fonctionné. Certaines personnes proposaient des sommes d’argent à l’annonce d’un glitch pour celui ou celle qui parviendrait à faire une run dans un temps donné.
Il y a eu plusieurs tentatives sur des anciens sites de speedrun américain, mais sans grand succès. Une personne avait notamment proposé 1 000 $ pour celui ou celle qui trouverait un glitch dans la run de Mario 64. Cet exemple met à l’honneur la communauté puisque cela a créé une levée de boucliers de la part des runners qui ont refusé l’argent tout en battant le temps mis en place.
Ces offres ont une mauvaise réception et il s’agit souvent de one shot. Il n’y a aucune pérennité dans ce modèle, si quelqu’un gagne de l’argent tant mieux, mais pour la communauté cela reste extrêmement marginal.
La pratique du speedrun reste encore assez exclusive et pourtant, la communauté est très inclusive pour tous ceux qui viennent frapper à la porte. Est-ce juste une impression ou tout le monde peut rejoindre la communauté et devenir runner ?
La quasi-totalité des communautés de runner est extrêmement ouverte et très contente d’accueillir de nouveaux joueurs. On a quelques rares communautés qui sont un peu plus abruptes, la communauté des Darks Souls se donne un genre, une forme d’ancienneté, mais rien de particulièrement inaccessible.
N’importe qui peut réussir à faire des temps du moment où l’on sait chercher l’information. Il faut savoir prendre ses marques, ne pas hésiter à contacter les personnes qui font déjà la run pour réussir à s’intégrer. Il faut un peu d’énergie et de volontarisme, mais c’est la seule barrière qu’il faut réussir à franchir.
Peut être que des acteurs comme Le French Restream devrait s’investir un peu plus pour fournir ces informations, actuellement nous mettons à disposition des liens vers la chaîne Twitch du runner et du commentateur. C’est une étape supplémentaire, mais c’est une nouvelle fois à l’utilisateur de franchir le pas.
Dans l’esport on voit une grande évolution des voies de communication à partir du moment ou le chat in-game est devenu une norme. Auparavant, il fallait aussi passer par des moyens externes comme les forums pour intégrer la communauté. C’est difficile d’imaginer dans tous les jeux avec une run la mise en place d’un moyen de communication pour faire connaître la run et la communauté autour du jeu.
Il s’agit encore d’une pratique d’artisan. On peut néanmoins imaginer une source centralisatrice de toute les runs qui existent. Avoir un site qui met en lien les runners avec les personnes qui s’intéressent à la pratique serait un bonus pour informer tout le monde.
Cependant, je ne pense pas que cela soit très raisonnable pour les sites médias d’aujourd’hui se développer un dispositif aussi complexe sur le long terme.
On voit souvent l’analogie entre esport et athlétisme par sa pluralité des disciplines qu’elle comprend. On peut d’autant plus facilement la faire avec le speedrun puisqu’il existe une unité commune de calcul, le temps alors que les jeux esports possèdent chacun leur propre fin.
Dès lors, on peut facilement s’imaginer un modèle fédérateur qui réunit l’information de chaque run et comme dans l’Ultime Decathlon créer une compétition ou différents jeux sont rassemblés.
Quand on joue à League of Legends, le skill cap est immédiat. Au speedrun, il va venir au fur et à mesure du temps. Très vite on va pouvoir s’approcher du record du monde. Pour atteindre le dernier quart d’heure, il va falloir 5x plus de temps pour réussir ses objectifs.
Dans le speedrun, on se bat toujours contre son temps et on ne peut que s’améliorer. Il y a toujours un aspect positif dans chaque run. Le skill cap arrive que lorsque l’on arrive sur des vrais temps.
Une autre difficulté, la triche qui est présente, il ne faut pas se leurrer à ce sujet. Il est difficile d’avoir des instances de vérifications, elles existent mais cela n’empêche pas les dramas.
La popularisation du speedrun va amener à de plus en plus de cas de triche, de la manipulation de vidéo et autres techniques pour gratter des secondes.
Si popularisation il y a, on voit toujours avec la croissance du phénomène une évolution des moyens de modération pour contenir et encadrer ses tentatives de tricheries.
Cette modération est déjà mise en place par le site speedrun.com. Chaque run a ses modérateurs, ses vérificateurs, cela n’empêche pas que de temps en temps, certains trichent et on rectifie le tir après coup.
Parfois certains trichent en race mais on le voit aussi dans l’esport, sur Counter-Strike avec les aim ou les wall hack. Il y a toujours des moyens qui sont développés et qui devraient arriver dans le speedrun pour faire écran à ses pratiques.
Je me rappelle que déjà à l’époque sur Age of Mythology pour nos qualifications online, des cas de tricherie étaient avérés. Dès qu’on sort de l’espace de LAN, on augmente les possibilités de triche tandis qu’en offline, il est beaucoup plus difficile bien que pas impossible.
Tu évoquais plus tôt l’histoire des run, tu veux revenir sur ce point spécifique ?
Oui, j’avais été interpellé très tôt par cette question et j’en avais fait part à MV. Le speedrun se fait principalement sur des vieux jeux, il y a un nombre fini de jeu et de catégorie, un jour ou l’autre, la communauté aura fait le tour du contenu.
On voit dans l’évolution des marathons caritatifs des formats nouveaux qui réinvente le genre. Ce n’est pas impossible qu’une évaporation de la nouveauté se développe avec le temps. Il arrivera un moment ou l’on arrêtera de toujours trouver des glitchs.
Cet aspect éphémère de la pratique joue un rôle important dans la façon de la percevoir. Quelqu’un qui arrive sur un jeu aujourd’hui se trouve face à des runs déjà avancées, poncées depuis 5-6 ans.
Un nouveau runner de Final Fantasy VI sait que la run va se faire en 20 minutes sans avoir en tête que la même run durait 5 heures il y a 3 ans. La manière de faire la run est très différente et intéressante, tout comme l’était celle de 5 heures.
Ce n’est pas parce qu’un nouveau temps et une nouvelle manière de faire sont établis que le travail qui avait été fait jusqu’ici pour réduire la run à 5 heures ne veut plus rien dire. Il n’y a pas annulation, mais un véritable bénéfice de ce travail pour faire évoluer la run.
J’ai décidé d’écrire une anthologie du speedrun qui tienne en compte les routes actuelles des jeux que j’aime et prendre en compte toutes les évolutions de ces routes jusqu’à aujourd’hui.
Quand on utilise un glitch dans un jeu, c’est important de savoir qui a fait cette découverte et pouvoir échanger avec cette personne pour retrouver ses notes sur la question.
En tant que mathématicien, j’ai l’habitude de voir les travaux de mes collègues être publiés officiellement. La perte de connaissance due au manque de support de l’information m’inquiète beaucoup. On perd énormément de travail fait dans le passé par manque de conservation.
C’est ce qui a transcendé League of Legends et c’est ce qui créer mon admiration pour le jeu. La méta toujours instable du jeu créer un jeu sans mémoire, la vérité est toujours locale et propre à son patch. Des reworks recréent des héros et changent les mécaniques, ce qui est inimaginable pour Starcraft II.
Cet équilibre instable fait de l’oubli une donnée assez négligeable. Pour le reste du secteur, on oublie énormément de choses, on perd de l’information en laissant de grands vides qui vont peser au moment de faire de la recherche.
Je travail ces questions avant que les sites de fans qui cumulent beaucoup d’informations ne disparaissent. J’ai eu la chance de retrouver dans les recherches la toute première run de Xenogears, recenser dans un Famitsu de 1989.
Aidé par des connaissances au Japon, je suis parvenu à mettre la main sur cette fameuse édition du Famitsu et en faire une source que je suis sûr de pouvoir conserver.
Je te rejoins énormément sur ces questions de pérennisation du savoir et je compte depuis quelque temps préparer quelques lignes sur le sujet.
C’était un plaisir d’échanger avec toi Kad, un grand merci pour cette interview !
Depuis la réalisation de cette interview, j’ai eu la chance de voir l’Ultime Decathlon de mes propres yeux.
Lors du Stunfest 2019, la compétition s’est tenue dans les gradins du Liberté à Rennes. Par série de 4, les runners se sont affrontés pour remporter la compétition sur 10 jeux différents.
Le spectacle est bien sûr au rendez-vous et dans le public, l’émotion était forte alors que les compétiteurs luttaient pour terminer de tondre la pelouse de Lawn Mower le plus rapidement possible.
Pour autant, le ton employé pour évoquer cette compétition restait très loin des standards de l’esport. De manière générale, le Stunfest emprunte beaucoup de code à l’esport de la sous-culture plus qu’à celui des bureaux marketing.
Il en va de même pour l’Ultime Decathlon qui repose avant tout sur l’essence du speedrun plus que sur celle de la compétition.
Le potentiel compétitif qui se développe autour du speedrun est avant tout une réponse au besoin de renouveler le modèle de la pratique, plus qu’une adhésion à la vision esportive de la chose.
Je suis content de savoir que le French Restream reste un bastion de ces valeurs communautaires. Il est facile de glisser dans le sponsoring et les investissements douteux, on le voit aujourd’hui, l’esport ne peut plus faire marche arrière.
La conclusion de cet article ne sera pas aussi englobante que d’habitude. Le speedrun n’est pas de l’esport même s’il existe un potentiel compétitif non négligeable. Pour autant, nous avons énormément à tirer de l’expérience du speedrun.
À mes yeux, la bienveillance qui existe aujourd’hui dans le speedrun et qui manque à l’esport est essentielle pour redynamiser les liens qui unissent les individus.
Le problème ne date pas d’hier, les compétiteurs sont souvent amenés à des comportements toxiques et le secteur ne porte pas des valeurs qui aident à développer un terrain fertile.
Le sujet mérite à lui seul un article, ne vous inquiétez pas, il reviendra très prochainement et requerra toute mon attention.
Je vous invite à suivre les réseaux du French Restream, découvrir et suivre de nombreux événements caritatifs sur leur chaîne Twitch, mais aussi l’Ultime Decathlon pour goûter à cette compétition de speedrun.
4 Commentaires
Excellent article qui résume excellemment ma vision du speedrun également ! je vous ai donc eu en face de moi durant l’Ultime Decathlon, c’est super d’en parler, l’événement mérite selon moi plus de visibilité, d’autant plus que je ne le connaissais pas avant de participer à cette saison !
Petites rectifications cependant sur l’Ultime Decathlon : des World Records sont battus durant la saison, et le niveau de pas mal de runners sur les différents jeux atteint vraiment des niveaux compétitifs !
Chouette entrevue, merci. J’aurais aimé cependant que le sujet des polémiques quant aux propos parfois presque injurieux de certains runners à l’encontre de la qualité du code soit abordé.
Merci beaucoup pour tes retours Alban !
Le sujet a été très peu développé durant l’interview, car mon questionnaire était axé sur l’accessibilité d’une pratique compétitive du speedrun. Tu as raison de mettre cet aspect en avant et il serait intéressant dans une seconde interview de développer les problématiques au sein de la communauté et les limites de la relation entre les joueurs et leurs jeux.