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État des lieux des LAN françaises – Le point de vue de France Esports avec Stéphan Euthine

Par Lenaic Leroy
LAN Stephan Euthine

Aujourd’hui, nous changeons d’optique avec une approche singulière, celle de l’association France Esports. Pour faire un rapide historique de l’association et de ses objectifs, celle-ci est née le 26 avril 2016. Pourquoi France Esports ? Tout simplement parce que l’association cherche à développer la pratique des sports électroniques dans un esprit d’équité et d’épanouissement humain, mais aussi à représenter les intérêts communs du monde amateur, du monde professionnel ainsi que des agents économiques du secteur des sports électroniques. Autant vous dire que les acteurs qui participent à la réalisation et à la réussite des LAN sont en relation avec l’association et ses actions.

J’en veux pour preuve les actions majeures de l’association en matière de législation, à travers un dialogue riche afin d’informer les acteurs du gouvernement. De même, on a retrouvé l’association le 7 juillet 2018, comme organisateur de la conférence rencontre « Esport et Mixité » avec Women In Games France et Paris & Co. La diversité des adhérents en présence joue un rôle dans la richesse des activités de l’association : médias, équipes compétitive, éditeur, organisateur, association et entreprise en développement sur le secteur de l’esport, tous apportent un plus qui renouvelle l’action de France Esports.

Pour parler de l’évolution des LAN françaises du point de vue de France Esports, qui de mieux que son président, Stéphan Euthine. Vous connaissiez sûrement le personnage avant même la création de l’association. Au sein de LDLC dans la branche LDLC Event depuis 2006 , il en devient le président en 2010 et gère depuis 2016 l’évolution du secteur esport de l’entreprise. Cet investissement au sein de la compagnie a forcément été déterminant puisque depuis de nombreuses années, LDLC est une structure majeure en France. Qu’il s’agisse de son équipe League of Legends aujourd’hui membre du LoL Open Tour, ou de l’équipe Counter Strike: Global Offensive, l’écurie a toujours été présente sur les podiums français et parfois même à l’international. Désormais, l’investissement sur les différents titres esport évolue avec des équipes sur Fortnite, Player Unknown’s Battlegrounds ou encore Fifa 17.

Élu dès la création de l’association France Esports au conseil d’administration comme président, Stéphan Euthine combine aujourd’hui son travail pour LDLC à son désir de structurer l’environnement esportif français. Son expérience, comme acteur, mais aussi d’amateur dans les LAN de France nous offre un regard unique sur la situation actuelle de cet environnement et sur les différentes dérives que nous pouvons connaître.

Durant la conférence Esport et Mixité, les femmes ont prit la parole pour parler de leur expérience par leur regard. Crédit : Timo Verdeil

Durant la conférence Esport et Mixité, les femmes on prit la parole pour parler de leurs expériences par leur regard. Crédit : Timo Verdeil

Au cours de cet échange avec Stéphan Euthine, nous avons longuement évoqué les moyens d’actions de France Esports face aux enjeux qui se profilent pour l’environnement esportif français. Je ne saurais que trop vous recommander une nouvelle fois la lecture de notre première interview avec Hugo Poiblanc sur le rôle d’organisateur, certaines questions posées à Stéphan étant directement issues des réponses d’Hugo. À l’issue de ce dialogue entre un simple curieux et un des acteurs majeurs de l’esport français, des réponses sur les transformations des LAN, sur le profil du joueur compétitif, une possible labellisation des salles, mais aussi sur les valeurs parfois absentes de notre pratique compétitive.

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Quels moyens possède France Esports pour connaître l’évolution du secteur des LAN françaises?

Pour le moment, c’est compliqué. France Esports avait pour premier objectif de se structurer, ce n’est pas une mince affaire pour savoir ce que nous pouvons faire pour nos adhérents. Les chiffres vont commencer à sortir, mais nous n’avons pas de retours directs de la part des événements. La raison est simple : c’est une donnée stratégique. Qu’il s’agisse des éditeurs, des équipes, des organisateurs,  on ne peut pas avoir d’aperçu de ces données parce qu’elles sont précieusement conservées. Dans notre secteur, les remontées sont très faibles, on retrouve généralement des informations comme le nombre d’entrées. C’est principalement le secteur associatif qui nous fournit des données. En revanche, dès que l’on est en contact avec une LAN professionnelle ou un format semi-professionnel, on ne retrouve plus d’informations sur la réussite, ou non, financière de l’événement. On comprend bien ce choix, mais une question se pose pour nous : qu’est-ce que France Esports peut apporter à ces événements ?

Nous avons déjà travaillé sur la légalisation, un travail qui pose encore quelques soucis. On a besoin de retours de la part des adhérents de France Esports, mais nous ne pouvons pas en avoir de la part des autres acteurs. Pour nous, cela représente un manque d’information parfois pénalisant lorsque l’on veut faire remonter l’ensemble aux institutions. Peut-être que nous allons pouvoir faire entrer de plus en plus d’adhérents, des organisateurs de LAN qui peuvent s’exprimer sur le secteur, l’expansion ou non des LAN. On a déjà notre propre idée à travers le retour des adhérents de France Esports, mais je pense qu’il serait utile à l’avenir de provoquer un rendez-vous de ces organisateurs, online ou offline, qui permette de comprendre les problématiques du secteur, de sortir quelques chiffres, de casser les peurs stratégiques qui existent en France. Cette réaction est très françaises d’ailleurs, cette envie de conserver les chiffres qui nous empêche aujourd’hui d’avoir une vision globale du marché.

Ce serait possible pour France Esports de devenir l’organe de communication entre tous ses acteurs privés ?

C’est la question que l’on pose aujourd’hui à nos adhérents et qui sera posée lors de l’assemblée générale en octobre. Nous avons déjà une vision claire de ce qu’est France Esports mais nous voulons établir un ensemble commun en établissant une stratégie globale de l’association vis-à-vis des adhérents. Nous avons bien compris le rôle institutionnel sur lequel nous avons déjà travaillé, mais maintenant qu’est-ce qu’on peut apporter à nos adhérents pour que nous soyons vraiment utiles au secteur comme un vrai support ?

Esport Forum

L’association France Esports a participé au Esport Forum organisé à Lausanne du 20 au 21 juillet 2018, un rassemblement avec le comité olympique et des acteurs mondiaux du secteur. Crédit : France Esports

C’est en effet possible que l’on soit un point de rendez-vous entre les adhérents pour dialoguer, cela fonctionne déjà d’ailleurs.  Les organisateurs et les promoteurs qui sont adhérents dialoguent entre eux, même s’ils sont concurrents autour de sujets bien précis. Le second point qui se pose à nous, c’est de savoir si nous sommes capables d’apporter des soutiens de tout ordre, juridique, d’organisation, de réseau, d’infrastructure… C’est un question qui se pose pour savoir si c’est bien le rôle de France Esports et qui sera débattue durant l’assemblée générale du 30 octobre.

Tu as devancé ma prochaine question sur les enjeux techniques des LAN françaises. Durant l’interview de Hugo Poiblanc, celui-ci avait mis en avant la difficulté du dialogue avec les salles en amont de l’événement. Est-ce que France Esports peut devenir un intermédiaire afin d’améliorer la qualité des échanges ?

La réponse est totalement hypothétique étant donné que je suis le président et non pas toute l’association, mais on pourrait imaginer une labellisation de certaines salles. L’idée est d’avoir une liste de salle répondant à un certain cahier des charges e-sport. Les promoteurs réfléchissent déjà à ce sujet pour proposer un réseau de salle répondant à un label de France Esports, défini par les organisateurs d’événements. L’idée du label est d’assurer que ces salles possèdent les moyens pour assurer à un organisateur la réussite de son événement. Cela peut être une solution pour discuter avec les organisateurs sur le sujet.

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Il faudrait savoir quel est le cahier des charges minimales à mettre en place pour qu’une salle réponde à la réalisation d’une LAN dans de bonnes conditions. C’est à nous après de porter ces critères auprès des régions, des promoteurs de salle pour leur donner un aperçu des prérequis pour organiser une LAN. Si tous les éléments sont réunis, le label est acquis et les organisateurs pourraient ainsi organiser une LAN en s’appuyant sur un réseau fiable. C’est une des solutions que l’on peut imaginer aujourd’hui.

J’aimerais voir avec toi le changement d’identité des LAN. Depuis quelques années, les LAN sont devenues des salons, les budgets ont évolué avec des sponsors, l’arrivée du public. Est-ce que la transition d’un modèle à l’autre est un cas français ou est-ce qu’il s’agit d’un phénomène international ?

Il faut comprendre que les LAN c’est un mouvement très fort en France. Il y a eu énormément d’organisateurs de LAN, un peu moins dernièrement, et si nous avions une étude comparative entre les pays, je pense que la France serait vraiment dans les pays les plus actifs. C’est une particularité française car les LAN sont principalement issues du milieu associatif. Vu que nous avons un réseau d’association très fort en France, en proportion nous avons logiquement plus de LAN. Nous avons déjà une prolifération due à ce format qui a permis le développement.  Si nous faisons le comparatif avec l’étranger, on remarque une évolution des gros événements et une disparition des plus petits.

On a le même phénomène en France parce qu’un petit événement a besoin d’un minimum de conditions comme la connexion internet qui peut être impossible dans certains lieux ou qui représente un coût important. Il y a une nécessité de diversifier l’offre, premièrement pour attirer les sponsors puis pour compléter le budget. Le besoin financier est réel dans l’organisation d’événement. Tout augmente en permanence et c’est en plus difficile de remplir l’intégralité des besoins du cahier des charges, notamment sur la partie internet qui est un surcoût obligatoire.

Au sein de la LAN on a vu du changement principalement chez les joueurs·euses. Certains joueurs sont devenus des personnalités médiatisées qui appartiennent plus au salon qu’à l’espace joueur. L’image du/de la joueur·euse a-t-elle été transformée par ce besoin médiatique et avec lui/elle le rapport à la pratique compétitive ?

Je suis très mitigé sur le phénomène des équipes d’influenceurs mises en avant durant une compétition. Sur la plupart des LAN ou j’ai constaté ce format, j’avais l’impression que l’on cachait la compétition. C’est un constat qui commence à être partagé par différents promoteurs, éditeurs, mais aussi des équipes. On a des influenceurs avec une très forte image qui viennent donner de cette visibilité au jeu et à la compétition. C’est très bien sur le moment parce qu’on va avoir beaucoup des vues, avec un stream on peut voir le développement des résultats, mais à l’arrivée lorsqu’ils sortent de la compétition, ils créent leur propre contre événement. Ils se mettent à créer leur propre compétition, leur propre show match aux dépens de la compétition. Les esportifs sont complètement dénigrés par rapport à leurs résultats, on ne les suit plus au profit des influenceurs qui proposent un show.

Certes cela amène du monde, mais pas au bon endroit, pas de la bonne façon. Il faut trouver un équilibre dans le format parce que toutes les grandes équipes vont en venir à revoir la position des joueurs. Moi même qui suit à la tête d’un club esport je me pose la question de passer mes joueurs d’un espace fermé à une exposition d’influenceur en payant un stand et en streamant les parties. Si c’est ça l’événement esportif de demain, on va devoir aller vers un autre format. Évidemment, il est nécessaire de prendre en compte la notoriété de l’événement et du jeu, mais du moment ou un influenceur est sorti de la compétition, il devrait être nécessaire qu’il joue le jeu de la compétition, sur son stream en restant dessus, par le commentaire qu’il peut apporter, en gardant toujours un lien.

Gamers Assembly

La Gamers Assembly, LAN organisée par l’association Futorolan va proposer en 2019 sa 20ème édition. Crédit : Gamers Assembly

Aujourd’hui ce format concurrence le format esportif et le dessert. Il y a de moins en moins de suivi de la compétition au profit du suivi d’influenceurs. Il faut rappeler à ces personnalités qui sont souvent issues de la compétition d’où ils viennent et ne pas mordre la main qui nourrit. Il faut trouver un moyen de travailler ensemble et ne pas tirer la couverture à soi, sur le long terme ce ne sera jamais une solution.

Si ce modèle médiatique prend de plus en plus de place, n’existe-t-il pas un risque de retrait des joueurs purement compétitif, voire une organisation sur invitation ?

C’est déjà ce que l’on retrouve avec les invitationals. C’est un choix que doit faire l’organisateur aujourd’hui entre un événement compétitif où la performance du jeu sera le cœur de l’événement, soit le faux, le spectacle. Les deux existent et les deux peuvent se nourrir, mais c’est un choix, je ne dénigre aucun de ces modèles. On peut avoir un équilibre toujours compliqué, le travail sur le modèle parfait est encore à faire. On a besoin d’ambassadeur pour apporter la lumière et la gloire sur un titre, mais si on ne retrouve pas de performances derrière, si les compétitions se basent sur des joueurs qui ne sont pas compétitifs, à terme tout le secteur sera desservi.

On parlait de l’émergence des LAN locales avec Hugo lors de son interview, un phénomène qui est apparenté au format du LoL Open Tour de League of Legends. Pour toi, est-ce qu’il s’agit d’une croissance de la demande ou d’un assouplissement des prérequis pour les organisateurs qui explique ce regain de vitalité des LAN locales ?

Je te dirais bien les deux. Il y a une véritablement demande de proximité et on ne peut pas faire tous les événements à Paris. Il faut que l’on sorte de ce piédestal parisien alors qu’il y a déjà trop d’événements. Les gens des villes de province ont droit à un accès et je pense que nous devons travailler sur la géolocalisation de l’esport. Je pense que c’est un des enjeux importants dans l’avenir de la pratique, il faut des événements régionaux qui viennent travailler sur la population, les joueurs locaux. C’est important pour que l’on ne tombe pas totalement dans un format élitiste où l’accès à la compétition offline se fait totalement par la rencontre online. Si on travaille un format offline dès le début c’est parce qu’il existe une demande, les joueurs aiment se retrouver ensemble et c’est important de pouvoir participer, s’affronter dans une approche sportive et compétitive. L’aspect physique de la compétition rentre en compte dans l’appréhension de l’événement en lui même.

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Il y a aussi cette notion pour les investisseurs, les éditeurs et les promoteurs du jeu de ne pas avoir que des événements concentrés à Paris afin de toucher un public plus large, diversifier l’offre, sortir de la capitale, aller chercher ces joueurs et leur donner des outils. Pour moi c’est deux univers qui se rejoignent entre la demande et l’offre, le plus important étant de servir aux joueurs, aux communautés, à l’écosystème par l’évolution de ces événements en France.

Tu parlais au début de l’interview du nombre de LAN en France et particulièrement de la diminution de celui-ci. Est-ce qu’on peut voir dans cette baisse la disparition du modèle communautaire associatif au profit d’événements fédérateurs regroupant toutes ces communautés ?

Je pense que créer une LAN aujourd’hui sur le modèle d’il y a 10 ou 15 ans, ce n’est plus possible. Il y a tout un modèle économique qui est essentiel alors qu’auparavant, il y avait de la compétition et de l’affrontement, mais on le faisait avant tout pour qu’une communauté se retrouve. Maintenant la partie compétitive a pris le pas sur la partie fun de la LAN. C’est difficile de retrouver cet esprit et quelques grandes LAN comme la GA ont gardé cet esprit. Ce n’est pas qu’elles ont toutes disparu au contraire, mais les organisateurs qui s’occupaient de ces LAN sont passés à autre chose et personne n’a repris le relais. C’est dommage d’ailleurs qu’il n’y ait pas eu de relève dans cette richesse, en particulier la diversité qui a été réunie sous Lan Alliance. On avait de grandes LAN représentatives et ce format n’existe plus.

Il faut vivre avec son temps et ce format a primé pendant toute une époque.  Il faut aller de l’avant parce que la plupart des sponsors qui prenaient en charge ces événements ne le feraient plus maintenant. Leur demande est différente et nous sommes obligés d’ajuster les moyens à la demande du sponsor, leur offrir des points de communication qui paraissent plus efficaces. Il y a une évolution qui va continuer d’avancer, il faut une plus grande structuration, une meilleure définition du format avec peut-être des petits, des moyens ou des grands formats. Peut être qu’on trouvera une certaine typologie d’événement pour savoir qui organise quoi, mais ça on ne verra que demain comment cela s’opérera.

Est-ce qu’il est possible à travers les petites communautés de voir le modèle de la LAN persister dans notre écosystème ?

On a eu des tentatives et ce n’est pas évident parce qu’il faut regrouper en un seul endroit des joueurs en France qui veulent se rencontrer avant de s’affronter, il ne s’agit pas du même esprit. Le jeu esport est de plus en plus compétitif et moins dans le partage. Il y a moins d’échanges communautaires et il y a quelques années on avait beaucoup de sites qui nous permettaient de nous contacter. Depuis, l’éditeur a supplanté ces sites en rendant la communication possible par le jeu. Cela marche mieux pour tout le monde, mais dans le modèle qui existait, cela donnait à tout le monde l’occasion de se gratter un peu la tête pour chercher des solutions afin d’entrer en contact. Il y avait une notion de réussite parfois élitiste, une fois entrée dans une communauté il y avait une satisfaction que l’on voulait partager.

Heroes of the Storm

Durant la Dreamhack Tours 2015, l’équipe NaVi a remporté le tournoi Heroes of the Storm contre MadCorps, une des rares occasions ou la communauté française du jeu a eu l’occasion de s’exprimer en offline. Crédit : Millenium

C’est plus difficile maintenant que l’on est sur quelque chose d’un peu froid, fourni par l’éditeur qui n’apporte plus cette chaleur humaine présente sur les vieux forums. Il faut vivre avec son temps, mais on peut perdre des choses en route. La clé serait peut-être de retrouver certaines choses. J’ai fait des LAN il y a 15 ans, j’en fais encore maintenant et je peux le dire, on a moins cette chaleur, lorsque l’on a fini son événement,  on remballe et on s’en va. Avant il y avait tout un partage, du temps avec les autres après la compétition qui n’existe plus aujourd’hui.  Cela fait des années que l’on ne retrouve plus personne devant les finales physiquement alors que dans un événement sportif c’est le moment ou l’on retrouve le plus de monde. Il y a une réflexion sur cette problématique pour garder les gens jusqu’à la finale qui aujourd’hui n’a pas de réponse.

Est-ce que l’on peut imputer à la multiplication des communautés au sein d’un même événement ce manque d’unité ? Est-ce uniquement une question de compétitivité ?

C’est dur parce qu’il faut réussir à réunir de plus en plus de monde alors qu’auparavant il y avait de petits groupes qui échangeaient. Maintenant, ces groupes ont grandi et on parle en centaines plus qu’en dizaines. Les communautés peuvent très vite grossir et on retrouve des jeux où les joueurs ont basculé. Je parle en particulier des Battle Royale, la communauté étant essentiellement issue d’autres FPS. On voit des mélanges dans la communauté entre des joueurs de Fortnite, de PUBG, issus de Counter Strike ou d’autres jeux. La diversification est intéressante parce qu’elle permet aux joueurs de se mélanger entre communautés. Nous avons eu une expérience très personnelle avec notre équipe LDLC en permettant aux joueurs d’échanger. On s’arrange pour croiser nos équipes et qu’ils échangent afin d’avoir une cohésion d’équipe globale.

C’est le même esprit pour l’esport, on fait tous la même pratique bien que l’on ne joue pas au même jeu. On trouve parfois des joueurs de Fifa et de CS qui n’échangent pas et parfois, certains jouent aux deux en naviguant sans problème. Le fait d’avoir plusieurs disciplines nous place un peu comme l’athlétisme. L’esport c’est notre drapeau et comme l’athlétisme avec le 100 mètres, le triple saut, le saut à la perche, plein de différentes disciplines avec leurs spécificités, mais un seul terrain de jeu, le sport électronique.  Pourquoi ne pas être dans cet esprit où toutes les disciplines sont réunies. Évidemment, il y a de temps en temps des compétitions mono discipline, mais dans l’athlétisme il y en a toujours plusieurs qui échangent et je ne vois pas pourquoi l’esport serait totalement différent de ce schéma la.

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J’aime beaucoup cette métaphore et j’espère que nous parviendrons a creuser cette idée à l’avenir. Nous avons fait un très grand tour en ce qui concerne les LAN françaises, est-ce que tu aurais un ajout à faire à cette interview ?

Ceux qui étaient là dans les années 2000 ressentent bien le changement des LAN. À l’époque on se réunissait pour partager une expérience ensemble alors que l’esprit que l’on a maintenant est différent. J’ai une peur, plutôt une crainte pour l’esport : nous ne parvenons pas à faire ressortir des valeurs parce que la seule qui a été mise en avant c’est celle de l’argent. Elle existe dans le monde sportif professionnel, mais j’ai cette impression, la certitude que nous n’avons pas mis en avant de valeur autre que l’argent. Notre manque de valeurs définies sur la pratique nous enferme dans le schéma du cashprize, devenu indispensable dans une LAN.

C’est une question que je me pose : pourquoi les joueurs se déplaceraient pour un cashprize ? Un joueur qui demande sur les réseaux la valeur du cashprize et qui n’a pas le niveau, on peut lui dire qu’il ne le gagnera pas, il viendra quand même à l’événement. Ce qui définit la valeur d’un événement, d’une équipe des organisateurs, c’est toujours l’argent. En face on ne possède pas d’outil de lecture d’un événement qui ne soit pas défini par l’argent. Pour dire si c’est une compétition régionale, départementale, nationale, on ne possède comme repère que le cashprize. J’espère que l’on arrivera à casser ce schéma et je rêve de voir un événement sans cashprize qui sera capable d’attirer les gens simplement pour la fierté d’être le champion. J’ai joué à des compétitions online, on était tout fier d’être les 10 premiers du classement européen et il n’y avait que cette fierté. J’aimerais que l’on arrive à retrouver cet esprit et je défie certains éditeurs de trouver la solution. On voit des jeux comme Fortnite ou la seule valeur qui est proposée c’est celle de l’argent. Je ne sais pas si c’est la meilleure solution pour le secteur et je doute que ce le soit.

Je rebondis suite à la victoire de Morgausse au Summer Skirmish sur Fortnite. Lorsque l’on voit l’extrait de sa victoire, on ne retrouve pas de fierté, mais simplement le choc face au montant annoncé.

Oui, d’autant plus qu’on ne lui pas montré une coupe ni une médaille, mais de l’argent. On essaie de montrer que l’esport ce n’est pas une loterie ou des jeux d’argents et au final on est en train de faire l’inverse. On est de plus en plus montré du doigt pour ça et il faut absolument que l’on sorte de ce concept. C’est difficile, surtout lorsque les éditeurs vont dans ce sens. On parle de jeux olympiques et d’esport, dans ces jeux on ne gagne pas d’argent, mais on représente son pays, on gagne pour son pays une médaille, un esprit qui n’existe pas aujourd’hui dans l’esport. Il faudrait que l’on commence par inculquer certaines des valeurs sportives à notre secteur avant de considérer un format olympique.

LAN françaises - LDLC White

L’équipe LDLC White est parvenue à se hissé au sommet de la compétition française sur Counter-Strike: Global Offensive et deux joueurs, DEVIL et bodyy ont par la suite rejoint des structures internationales. Crédit :

Même pour l’éditeur, l’argent c’est simplement un outil qui attire. Si on est capable de montrer une autre proposition, l’éditeur suivra. Il faudrait développer un format régional, des qualifications nationales pour obtenir des champions pour montrer tout le public que l’on atteint. En proposant ce schéma sans la notion d’argent, pour de jeunes joueurs entre autres dans un esprit junior, on aurait la possibilité de montrer que le cashprize n’est pas obligatoire. Le but c’est d’avoir des racines plus profondes et ne pas toujours construire par le haut de la pyramide. En développant nos bases, on pourrait permettre à des jeux ou des communautés d’être plus solides. Aujourd’hui, c’est très volatile. Dès qu’il n’y a pas assez de cashprize les équipes professionnelles changent. On voit même des joueurs professionnels qui sont capables de changer de jeu pour suivre le cashprize.

C’est devenu une maladie de l’esport, en construisant notre pratique sur le milieu professionnel, en opposition au sport qui s’est construit sur l’amateur, on ne parvient pas à sortir de ce format. Il faut parvenir à rééduquer tous les nouveaux entrants de l’esport aux nouvelles valeurs. C’est un travail énorme qui n’a aujourd’hui pas de solutions. On réfléchit avec France Esports pour proposer une régionalisation de l’esport mais cela va demander beaucoup de mains sur le sujet pour développer le projet. Ce serait une belle occasion de fortifier les LAN de province qui ont de plus en plus de mal à émerger dans notre format.

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L’avenir de nos LAN, un combat qui nous appartient

Après cet échange prolifique, je ne peux pas m’empêcher d’espérer un autre avenir pour notre pratique compétitive. Les trajectoires qui ont été prises sont multiples et ne correspondent aujourd’hui pas toutes aux mêmes attentes. Il existe néanmoins dans les LAN françaises un modèle unique qui propose aujourd’hui un espace offrant à un nombre toujours croissant de passionnés de se réunir. Bien que nous soyons aujourd’hui un peu plus distant que nous ne l’étions hier, il existe toujours dans les LAN ce besoin de retrouver l’autre, de partager, en allant du joueur au visiteur en passant par les organisateurs.

Stéphan Euthine soulève avec raison le problème de l’argent dans l’esport et l’importance aujourd’hui centrale que l’on accorde à cette valeur. La place de l’argent dépend bien évidemment de cette volonté de professionnaliser le secteur et de rendre possible aux joueurs une vie entièrement dédiée à la pratique compétitive. Nous devons cependant nous poser la question : En France combien de joueurs vivent réellement de leur activité ? J’entends bien évidemment par là un joueur ayant un salaire décent et régulier, permettant d’appeler celui-ci un professionnel. En France, nous ne possédons pas plus d’une centaine de joueurs de la sorte, pour plusieurs titres compétitifs.

La distinction entre amateur et professionnel est sensible aujourd’hui ; pourtant, nos formats amateurs veulent singer les majors, offrir des cashprizes conséquents afin d’attirer sponsors publics et joueur. Il est parfois bon de revenir à l’essence de ce qui motive le joueur compétitif, afin de comprendre ce que nous faisons aujourd’hui. En ayant conscience du chemin que nous avons parcouru, il est peut-être encore possible de distinguer ceux qui gagnent leur vie par la performance, et ceux qui peuvent encore s’amuser de la performance pour le seul plaisir de la proposer.

Je tiens à remercier Stéphan Euthine pour le temps qu’il a pris afin de répondre à cet entretien. Ce second article au sujet de l’état des lieux des LAN françaises sera très prochainement suivi par le point de vue des joueurs, une approche qui ne saurait manquer à l’appel pour comprendre ce que sont devenues les LAN.

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