HandiGamer produit des contrôleurs adaptés aux besoins des joueurs en situation de handicap. Cette démarche se développe également du côté des grands éditeurs comme Microsoft avec son Adpative Controller. David Combarieu a accepté de revenir avec nous sur son travail et sur le développement de l’accessibilité dans le jeu vidéo.
Bien qu’elle concerne un nombre important de joueurs, l’accessibilité est encore loin d’être la règle sur le marché du jeu vidéo. Des acteurs importants et les éditeurs de jeu s’emparent progressivement de la question. Malgré tout, le travail des associations et des joueurs reste une donnée primordiale. Des projets comme HandiGamer permettent d’engager une réflexion où les joueurs en situation de handicap sont partie prenante. Aujourd’hui, le défi des manettes adaptées marque un tournant majeur dans la pratique des loisirs numériques et même dans la manière d’envisager la compétition esport :
Cet article est le fruit d’un entretien avec David Combarieu, fondateur du projet HandiGamer. Il fait suite à notre série d’articles sur la thématique « Esport et Handicap ».
Je m’appelle David Combarieu, j’ai 46 ans. j’ai une formation d’ingénieur en électronique et en informatique. Il y a 7 ans, mon beau-fils a eu un accident, il s’est retrouvé tétraplégique donc avec une mobilité des bras mais pas d’usage de ses mains. Au niveau du jeu vidéo, ça lui a posé rapidement des problèmes ; il avait une Playstation 3 à l’époque et il a commencé à jouer sur des sticks arcade mais rapidement il m’a dit que sur certains jeux, essentiellement ceux qui n’étaient pas en mode fighting, il lui manquait les joysticks et l’usage des gâchettes arrière qui ne sont pas toujours incluses sur les sticks arcade. Une fois qu’il est passé sur Playstation 4, il ne trouvait même plus de stick arcade correct pour lui donc on a travaillé ensemble pour essayer de lui concevoir une manette adaptée, ça a été le premier prototype. Par la suite on s’est rendus compte qu’il y avait beaucoup de besoins, beaucoup de personnes dans la même situation que lui ; des personnes avec des motricités vraiment très diverses mais qui avaient tous ce problème de ne pas pouvoir utiliser les manettes standard des consoles.
On a parlé un peu de matériel mais est-ce que c’est aussi un problème qu’on retrouve aussi dans l’interface des jeux ? Par exemple, pour ajuster les contrôles ou réattribuer les touches ?
Oui, c’était le cas mais c’est vraiment en train de s’améliorer ; déjà au niveau des consoles elles-mêmes, que ce soit XBox ou Playstation, vous avez des menus, des paramétrages qui vous permettent de changer l’attribution des touches : ils est par exemple possible d’intervertir les deux joysticks, c’est extrêmement pratique pour les joueurs qui ont des problèmes de mobilité parce que ça permet de régler la manette selon sa situation et de jouer à tous les jeux avec les mêmes réglages.
Ça c’est déjà un premier point ; après, au niveau des jeux eux-même, c’est en train de se généraliser. Vous avez des menus également disponibles ingame. D’autre part, vous avez des studios qui intègrent maintenant des sous-titres, des réglages dans les jeux de couleurs pour les personnes qui ont des problèmes de vision (comme le daltonisme ou les déficiences visuelles), tout ça est en train de se démocratiser. Les studios prennent de plus en plus cet aspect en compte.
Désormais, ces problématiques d’accessibilité interviennent dès la conception.
Oui, au niveau logiciel (software), ça se développe plus facilement qu’au niveau matériel. C’est plutôt compréhensible, ce n’est pas très compliqué d’ajouter un peu de fonctionnalités pour changer les couleurs d’un jeu ; c’est plus compliqué de se dire : « Est-ce que tout le monde peut utiliser ma manette ? ». Forcément, la réponse sera « Non » parce que ça implique qu’il faut du matériel spécifique.
Face à ces problématiques, comment est-ce que vous avez développé votre projet ?
Au départ, l’idée était de proposer des adaptations sur le même mode que ce qu’on avait déjà expérimenté mais on s’est rapidement rendus compte qu’il y avait des usages très différents selon les joueurs. On a du se demander comment jouer avec une seule main, avec les poings (pour les problèmes de motricité des doigts), éventuellement avec les pieds ou avec la bouche. On est partis de ces idées et on a cherché comment faire. On a développé les premiers prototypes il y a un an à l’issue d’un crowdfunding qui nous a permis d’acheter du matériel, de financer plusieurs modèles, de payer des déplacements dans des salons de jeu vidéo et de faire plus de communication sur le projet. On a pu faire la démonstration de réalisations basées sur les deux supports principaux, Playstation et Xbox.
Vous avez souligné le désir des joueurs d’accéder à des supports qui offrent les mêmes conditions et la même expérience de jeu.
A partir du moment où on explique aux joueurs que c’est possible techniquement, ils se projettent. Dernièrement on a commencé à travailler autour de la manette adaptative de XBox. Parmi les questions qui sont venues, on nous a demandé si c’était possible d’ajouter les touches rapid fire comme sur les manettes optimisées. Dès lors que les joueurs savent que c’est réalisable, ils poussent au maximum leurs demandes. Ça concerne, entre autres, les fonctionnalités qu’on retrouve sur les manettes Pro, Elite, etc. C’est intéressant parce qu’on reçoit de vraies attentes !
En fait, il y a beaucoup de joueurs, notamment dans les centres de rééducation, qui ne savent pas qu’on peut faire ce genre de choses. On rencontre aussi un certain nombre de joueurs qui sont « défaitistes » sur leur situation personnelle. Ils se disent qu’il ne pourront jamais manipuler une XBox parce qu’ils seraient « trop handicapés ». Quand on leur présente des solutions, leur avis évolue et ils commencent à se dire que c’est possible. En fait, ils imaginaient que c’était vraiment insurmontable et on leur montre des modes de jeu plus accessible comme le mode copilote sur XBox (jouer à deux sur la même partie). Avec ces outils ils peuvent passer un bon moment et s’amuser.
Est-ce que vous vous êtes basés sur des contrôleurs existants ? Ou est-ce que vous avez créé des modèles de toute pièce ?
On est partis des manettes constructeurs qu’on a modifié et adapté. Le but était de rendre accessible l’ensemble des contrôles parce que c’est ça la vraie demande des joueurs : « Je ne veux pas une sous-manette, j’ai besoin des deux joysticks analogiques, des gâchettes arrière et de tous les contrôles ! ».
Réemployer les contrôleurs était la seule solution pour y arriver. C’est là que ça devient compliqué parce qu’on reste sur un mode assez artisanal : on ouvre les manettes, on modifie les connexions et on fait des choses qui ne sont pas du tout prévues lors de leur conception. C’est un aspect un peu délicat, y compris vis-à-vis des constructeurs. On a de très bonnes relations avec XBox France mais d’un autre côté on n’a aucune relation avec Playstation ; tant qu’on reste dans le cadre d’une vingtaine de manettes modifiées, a priori ça ne pose pas de problème, mais quand on en aura fait cinquante ou cent ils peuvent me dire : « Ça suffit d’ouvrir les manettes, vous faites sauter la garantie. »
Tant qu’on reste au niveau artisanal les gens restent bienveillants mais si on veut aller plus loin je ne sais pas ce qu’il va se passer. Ce sont des questions qui vont se présenter et on va bien voir ! J’ai actuellement des idées pour industrialiser certains procédés. L’objectif c’est que ça devienne plus accessible (y compris en terme de prix) et aussi plus facile et moins cher à fabriquer.
Handigamer, est-ce qu’il y a une réglementation sur ce type de travaux ?
L’Adaptive Controller de XBox me permet de régler ce problème puisque je n’ai pas besoin de l’ouvrir pour le modifier. J’utilise les ports jack et USB qui sont prévus pour brancher les accessoires. La seule question qui peut se poser consiste à évaluer si mes propres accessoires sont suffisamment testés et fonctionnent correctement sur ce système. Il faut s’assurer qu’ils soient reconnus comme du matériel compatible.
A ce jour, on peut visiblement brancher des claviers, des souris… Un système reconnu en USB est presque assuré de fonctionner sur l’Adaptive Controller. Finalement, la console de jeu devient aussi ouverte que le PC. Demain si je conçois un joystick avec une ergonomie particulière adaptée à un joueur, tant qu’il utilise une interface USB standard, il y a de fortes chances qu’il soit compatible !
La question reste en suspens sur Playstation. On peut envisager de tester la compatibilité avec l’Adaptive Controller. Ça fait partie des problèmes à résoudre, à l’heure actuelle on reste sur de la modification de manettes. On travaille d’abord avec les joueurs, on n’a pas reçu de contacts de la part de Playstation. Si demain ils décident d’entamer des projets ou de soutenir ce genre d’initiative, on sera heureux de pouvoir en parler avec eux.
A propos du XBox Adaptive Controller : qu’est-ce qu’on peut brancher dessus ?
On ne peut pas véritablement brancher une autre manette directement dessus, ce n’est pas conçu pour ça. En fait, il s’agit d’un système qui est reconnu par la console comme un manette mais qui, au lieu de proposer des boutons « classiques », propose des ports jack et des ports USB pour brancher des accessoires. La très bonne idée c’est que ça offre un système ouvert sur tous les fabricants d’accessoire (joysticks, boutons, etc.). Nos travaux actuels reposent sur cet outil.
Microsoft met en avant la compatibilité avec d’autres constructeurs comme Logitech ou encore la plateforme 3dRudder qui permet de jouer avec les pieds. Sur le marché français en général, l’offre d’accessoires est assez mince donc on essaye d’imaginer des solutions utiles. En se basant sur ce qu’on a déjà fait, on cherche à concevoir des périphériques pour le XBox Adapative Controller. On fera des tests avec des joueurs pour voir ce qu’ils pensent de ce type d’équipement. Si ça plaît, on lancera une fabrication en série tout en maintenant des prix abordables.
D’une certaine façon, XBox montre l’exemple. Ils ont créé un outil qui permet d’imaginer des nouvelles solutions. Ils ont travaillé avec des associations, principalement aux Etats-Unis. Ils ont bénéficié d’accessoires qu’elles ont mis au point, au même titre que le QuadStick qui permet de jouer avec la bouche. Cet objet reste assez cher mais il a le mérite d’exister et il est lui aussi compatible. Je me suis dit : « Parions sur ce nouveau contrôleur et voyons ce qu’on peut faire ici en France. »
Comment est-ce que vous évaluez les besoins d’un joueur ? Quels sont les prix pour un contrôleur conçu par Handigamer ?
On échange énormément avec les joueurs avant d’entamer quoi que ce soit. En général, chez Handigamer on produit des schémas pour montrer de manière très visuelle ce qu’on peut faire. Quand on tombe d’accord sur une configuration, on achète le matériel et les boutons et on lance l’adaptation. En prenant bien le temps, en étant assez précis sur la description, on cherche à éviter les éventuels défauts qui pourraient se présenter à l’utilisation.
On est bientôt à une trentaine de manettes Handigamer livrées en un an. On est toujours dans un système artisanal et sur-mesure, ce qui fait que la main d’œuvre représente un certain coût. Par exemple, sur une manette de Playstation qu’on adapte pour la main droite ou la main gauche, on arrive sur un prix de 250-300 € (qui comprend la manette neuve). Sur des boîtiers plus gros type arcade, ça peut monter à 450€ : ça demande plus de matériel et beaucoup plus de branchements. Ça représente une bonne quinzaine de boutons à intégrer au boîtier. On cherche toujours des solutions pour que ce soit moins cher à l’achat.
Dans quelle mesure pensez-vous que les contrôleurs adaptés Handigamer peuvent favoriser l’émergence et la visibilité des joueurs en situation de handicap ?
Ce qui est très intéressant, c’est qu’il y a des joueurs qui ont une certaine notoriété comme BrolyLegs aux Etats-Unis. Il joue à des titres de VS Fighting en manipulant la manette avec son visage. J’ai un peu échangé avec lui et je me suis rendu compte qu’il n’était pas totalement satisfait de l’utilisation de son contrôleur XBox classique. Il ne peut pas pleinement utiliser tous les boutons, j’imagine qu’il a du mal à manipuler les gâchettes arrière. Même des joueurs qui ont un très bon niveau comme lui, et qui sont suivis sur Youtube et Twitch, n’ont pas accès à une vraie solution pour jouer dans des bonnes conditions.
On peut toujours s’interroger sur l’introduction de manettes modifiées dans un cadre compétitif. Tout ce que j’ai fait jusqu’à présent se limite à rajouter des contacteurs. Il s’agit juste de connectique, il n’y a pas d’électronique en plus. De ce fait, on ne change pas les temps de réaction, on n’améliore pas la vitesse de traitement des commandes. A aucun moment ça ne peut, à mon sens, être qualifié de « triche ». Le cas d’une telle manette en compétition ne s’est pas encore posé, ça reste encore à tester !
Ça me frappe de voir qu’il y a un manque tel que même les joueurs de premier plan ne bénéficient pas d’un support complet. Il reste énormément de travail à faire, notamment pour faire connaître aux joueurs toutes les possibilités qui s’offrent à eux.
Quel rôle peut jouer le jeu vidéo en faveur de l’accessibilité des joueurs en situation de handicap ?
On aimerait organiser un tournoi HandiGamer courant 2019, une vraie compétition esport. On inviterait les joueurs qui nous ont acheté du matériel pour s’affronter sur un jeu, probablement du VS Fighting. Ça permettrait de leur donner une expérience de compétition et de montrer que l’esport peut intégrer des joueurs en situation de handicap sans que ça implique des catégories à part ! A partir du moment où les joueurs ont le bon matériel et une interface de jeu adaptée, ils peuvent jouer avec les « valides » et être au même niveau. On espère que la Presse s’intéressera à l’événement. On reste également en contact avec certains éditeurs pour essayer de travailler avec eux.
Ce que je vois avant tout, c’est le bienfait que le jeu vidéo apporte aux personnes en situation de handicap. Elles subissent un certain isolement et sont limitées dans les loisirs comme le sport et la musique. Les consoles permettent de se sociabiliser, ce sont des outils qui vont plus loin que le jeu. Elles permettent aussi de regarder les plateformes vidéo et de communiquer. C’est dans cet esprit-là que je travaille au départ : donner accès à tout un monde de loisirs numériques sur des consoles ultra performantes.
Dans un deuxième temps, lorsqu’on rencontre des joueurs avec un super niveau, il faut tout faire pour qu’ils puissent s’inscrire et concourir comme les autres. En esport, on n’a pas besoin de faire des catégories. Si on prend un joueur en ligne, manette adaptée en main, rien ne le distingue des autres joueurs. Finalement, les seules catégories qui restent se font uniquement en fonction du niveau de jeu.
Si en plus de ça un joueur en situation en situation de handicap atteint le top niveau et se filme en train de jouer, il risque de faire le buzz ! Certains joueurs sont motivés à se montrer, d’autres préfèrent rester plus anonymes sans mettre en avant leurs différences en terme de handicap. Au sujet de la visibilité, chacun voit midi à sa porte.
David Combarieu de Handigamer tient à saluer le travail de XBox France et adresse ses remerciements particuliers à son directeur Hugues Ouvrard. Ce dernier est également vice-président de l’association CapGame qui oeuvre pour l’accessibilité dans le jeu vidéo et dont nous aurons sans doute l’occasion de vous parler à l’avenir. Si vous vous voulez en savoir plus sur HandiGamer, nous vous invitons à les suivre sur les réseaux sociaux ou à les rencontrer lors de la Paris Games Week et du salon Autonomic de Marseille. Retrouvez tous nos articles sur la thématique « Esport et Handicap » en suivant le lien.
David Combarieu a fait évoluer une démarche personnelle en projet à destination du plus grand nombre. Son engagement par le biais d’HandiGamer contribue à faire bouger les lignes. Les joueurs qui rencontrent des difficultés peuvent envisager des perspectives nouvelles, du simple loisir aux plus hauts sommets de la compétition. L’accessibilité n’est donc plus vouée à être une simple option, elle est en passe de devenir une composante clé. Au même titre que les autres médias, le jeu vidéo doit se donner les moyens de s’adresser à tous ceux qui souhaitent le pratiquer.